Ethique à Nicomaque, Livre VI
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Ethique à Nicomaque, Livre VI
CHAPITRE 1 : Passage aux vertus intellectuelles La "droite règle"
Au sujet de la justice et des autres vertus morales, prenons-les comme définies de la façon que nous avons indiquée.
Et puisque, en fait, nous avons dit plus haut que nous devons choisir le moyen terme, et non l’excès ou le défaut, et que le moyen terme est conforme à ce qu’énonce la droite règle analysons maintenant ce dernier point.
Dans toutes les dispositions morales dont nous avons parlé aussi bien que dans les autres domaines il y a un certain but sur lequel, fixant son regard, l’homme qui est en possession de- la droite règle intensifie ou relâche son effort et il existe un certain principe de détermination des justes milieux, lesquelles constituent, disons-nous, un état intermédiaire entre l’excès et le défaut, du fait qu’elles sont en conformité avec la droite règle. Mais une telle façon de s’exprimer, toute vraie qu’elle soit, manque de clarté. En effet, même en tout ce qui rentre par ailleurs dans les préoccupations de la science on peut dire avec vérité assurément que nous ne devons déployer notre effort, ou le relâcher, ni trop ni trop peu, mais observer le juste milieu, et cela comme le demande la droite règle ; seulement, la simple possession de cette vérité ne peut accroître en rien notre connaissance nous ignorerions, par exemple, quelles sortes de remèdes il convient d’appliquer à notre corps si quelqu’un se contentait de nous dire : "Ce sont tous ceux que prescrit l’art médical et de la façon indiquée par l’homme de l’art." Aussi faut-il également, en ce qui concerne les dispositions de l’âme non seulement établir la vérité de ce que nous avons dit ci-dessus, mais encore déterminer quelle est la nature de la droite règle, et son principe de détermination
Au sujet de la justice et des autres vertus morales, prenons-les comme définies de la façon que nous avons indiquée.
Et puisque, en fait, nous avons dit plus haut que nous devons choisir le moyen terme, et non l’excès ou le défaut, et que le moyen terme est conforme à ce qu’énonce la droite règle analysons maintenant ce dernier point.
Dans toutes les dispositions morales dont nous avons parlé aussi bien que dans les autres domaines il y a un certain but sur lequel, fixant son regard, l’homme qui est en possession de- la droite règle intensifie ou relâche son effort et il existe un certain principe de détermination des justes milieux, lesquelles constituent, disons-nous, un état intermédiaire entre l’excès et le défaut, du fait qu’elles sont en conformité avec la droite règle. Mais une telle façon de s’exprimer, toute vraie qu’elle soit, manque de clarté. En effet, même en tout ce qui rentre par ailleurs dans les préoccupations de la science on peut dire avec vérité assurément que nous ne devons déployer notre effort, ou le relâcher, ni trop ni trop peu, mais observer le juste milieu, et cela comme le demande la droite règle ; seulement, la simple possession de cette vérité ne peut accroître en rien notre connaissance nous ignorerions, par exemple, quelles sortes de remèdes il convient d’appliquer à notre corps si quelqu’un se contentait de nous dire : "Ce sont tous ceux que prescrit l’art médical et de la façon indiquée par l’homme de l’art." Aussi faut-il également, en ce qui concerne les dispositions de l’âme non seulement établir la vérité de ce que nous avons dit ci-dessus, mais encore déterminer quelle est la nature de la droite règle, et son principe de détermination
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VI
CHAPITRE 2 : Objet de la vertu intellectuelle ; combinaison du désir et de l’intellect
Nous avons divisé les vertus de l’âme, et distingué, a d’une part les vertus du caractère, et d’autre part celles de l’intellect Nous avons traité en détail des vertus morales ; pour les autres restantes, après quelques remarques préalables au sujet de l’âme, voici ce que nous avons à dire.
Antérieurement nous avons indiqué qu’il y avait deux parties de l’âme, à savoir la partie rationnelle et la partie irrationnelle Il nous faut maintenant établir, pour la partie rationnelle elle-même, une division de même nature. Prenons pour base de discussion que les parties rationnelles sont au nombre de deux, l’une par laquelle nous contemplons ces sortes d’êtres dont les principes ne peuvent être autrement qu’ils ne sont et l’autre par laquelle nous connaissons les choses contingentes : quand, en effet, les objets diffèrent par le genre les parties de l’âme adaptées naturellement à la connaissance des uns et des autres doivent aussi différer par le genre, s’il est vrai que c’est sur une certaine ressemblance et affinité entre le sujet et l’objet que la connaissance repose Appelons l’une de ces parties la partie scientifique, et l’autre la calculalive délibérer et calculer étant une seule et même chose, et on ne délibère sur les choses qui —ne peuvent être autrement qu’elles ne sont. Par conséquent, la partie calculative est seulement une partie de la partie rationnelle de l’âme. Il faut par suite bien saisir quelle est pour chacune de ces deux parties sa meilleure disposition : on aura là la vertu de chacune d’elles, et la vertu d’une chose est relative à son oeuvre propre.
Or il y a dans l’âme trois facteurs prédominants qui déterminent l’action et la vérité : sensation, intellect et désir. De ces facteurs, la sensation n’est principe d’aucune action comme on peut le voir par w l’exemple des bêtes, qui possèdent bien la sensation mais n’ont pas l’action en partage. Et ce que l’affirmation et la négation sont dans la pensée, la recherche et l’aversion le sont dans l’ordre du désir ; par conséquent, puisque la vertu morale est une disposition capable de choix, et que le choix est un désir délibératif, il faut par là même qu’à la fois la règle soit vraie et le désir droit, si le choix est bon, et qu’il y ait identité entre ce que la règle affirme et ce que w le désir poursuit. Cette pensée et cette vérité dont nous parlons ici sont de l’ordre pratique ; quant à la pensée contemplative, qui n’est ni pratique, ni poétique, son bon et son mauvais état consiste dans le vrai et le faux auxquels son activité aboutit, puisque c’est là l’oeuvre de toute partie intellective, tandis que pour la partie de l’intellect pratique, son bon état consiste dans la vérité correspondant a désir, au désir correct.
Le principe de l’action morale est ainsi le libre choix (principe étant ici le point d’origine du mouvement et non la fin où il tend) et celui du choix est le désir et la règle dirigée vers quelque fin. C’est pourquoi le choix ne peut exister ni sans intellect et pensée, ni sans une disposition morale, la bonne conduite et son contraire dans le domaine de l’action n’existant pas sans pensée et sans caractère. La pensée par elle-même cependant n’imprime aucun mouvement, mais seulement la pensée dirigée vers une fin et d’ordre pratique. Cette dernière sorte de pensée commande également l’intellect poétique puisque dans la production l’artiste agit toujours en vue d’une fin ; la production n’est pas une fin au sens absolu, mais est quelque chose de relatif et production d’une chose déterminée. Au contraire, dans l’action, ce qu’on fait : est une fin au sens absolu, car la vie vertueuse est une fin, et le désir a cette fin pour objet.
Aussi peut-on dire indifféremment que le choix préférentiel est un intellect désirant ou un désir raisonnant, et le principe qui est de cette sorte est un homme.
Le passé ne peut jamais être objet de choix personne ne choisit d’avoir saccagé Troie ; la délibération, en effet, porte, non sur le passé, mais sur le futur et le contingent, alors que le passé ne peut pas ne pas avoir étés. Aussi AGATHON a-t-il raison de dire :
Car il y a une seule chose dont Dieu même est privé,
C’est de faire que ce qui a été fait ne l’ail pas été.
Ainsi les deux parties intellectuelles de l’âme ont pour tâche la vérité. C’est pourquoi les dispositions qui permettent à chacune d’elles d’atteindre le mieux la vérité constituent les vertus respectives de l’une et de l’autre.
Nous avons divisé les vertus de l’âme, et distingué, a d’une part les vertus du caractère, et d’autre part celles de l’intellect Nous avons traité en détail des vertus morales ; pour les autres restantes, après quelques remarques préalables au sujet de l’âme, voici ce que nous avons à dire.
Antérieurement nous avons indiqué qu’il y avait deux parties de l’âme, à savoir la partie rationnelle et la partie irrationnelle Il nous faut maintenant établir, pour la partie rationnelle elle-même, une division de même nature. Prenons pour base de discussion que les parties rationnelles sont au nombre de deux, l’une par laquelle nous contemplons ces sortes d’êtres dont les principes ne peuvent être autrement qu’ils ne sont et l’autre par laquelle nous connaissons les choses contingentes : quand, en effet, les objets diffèrent par le genre les parties de l’âme adaptées naturellement à la connaissance des uns et des autres doivent aussi différer par le genre, s’il est vrai que c’est sur une certaine ressemblance et affinité entre le sujet et l’objet que la connaissance repose Appelons l’une de ces parties la partie scientifique, et l’autre la calculalive délibérer et calculer étant une seule et même chose, et on ne délibère sur les choses qui —ne peuvent être autrement qu’elles ne sont. Par conséquent, la partie calculative est seulement une partie de la partie rationnelle de l’âme. Il faut par suite bien saisir quelle est pour chacune de ces deux parties sa meilleure disposition : on aura là la vertu de chacune d’elles, et la vertu d’une chose est relative à son oeuvre propre.
Or il y a dans l’âme trois facteurs prédominants qui déterminent l’action et la vérité : sensation, intellect et désir. De ces facteurs, la sensation n’est principe d’aucune action comme on peut le voir par w l’exemple des bêtes, qui possèdent bien la sensation mais n’ont pas l’action en partage. Et ce que l’affirmation et la négation sont dans la pensée, la recherche et l’aversion le sont dans l’ordre du désir ; par conséquent, puisque la vertu morale est une disposition capable de choix, et que le choix est un désir délibératif, il faut par là même qu’à la fois la règle soit vraie et le désir droit, si le choix est bon, et qu’il y ait identité entre ce que la règle affirme et ce que w le désir poursuit. Cette pensée et cette vérité dont nous parlons ici sont de l’ordre pratique ; quant à la pensée contemplative, qui n’est ni pratique, ni poétique, son bon et son mauvais état consiste dans le vrai et le faux auxquels son activité aboutit, puisque c’est là l’oeuvre de toute partie intellective, tandis que pour la partie de l’intellect pratique, son bon état consiste dans la vérité correspondant a désir, au désir correct.
Le principe de l’action morale est ainsi le libre choix (principe étant ici le point d’origine du mouvement et non la fin où il tend) et celui du choix est le désir et la règle dirigée vers quelque fin. C’est pourquoi le choix ne peut exister ni sans intellect et pensée, ni sans une disposition morale, la bonne conduite et son contraire dans le domaine de l’action n’existant pas sans pensée et sans caractère. La pensée par elle-même cependant n’imprime aucun mouvement, mais seulement la pensée dirigée vers une fin et d’ordre pratique. Cette dernière sorte de pensée commande également l’intellect poétique puisque dans la production l’artiste agit toujours en vue d’une fin ; la production n’est pas une fin au sens absolu, mais est quelque chose de relatif et production d’une chose déterminée. Au contraire, dans l’action, ce qu’on fait : est une fin au sens absolu, car la vie vertueuse est une fin, et le désir a cette fin pour objet.
Aussi peut-on dire indifféremment que le choix préférentiel est un intellect désirant ou un désir raisonnant, et le principe qui est de cette sorte est un homme.
Le passé ne peut jamais être objet de choix personne ne choisit d’avoir saccagé Troie ; la délibération, en effet, porte, non sur le passé, mais sur le futur et le contingent, alors que le passé ne peut pas ne pas avoir étés. Aussi AGATHON a-t-il raison de dire :
Car il y a une seule chose dont Dieu même est privé,
C’est de faire que ce qui a été fait ne l’ail pas été.
Ainsi les deux parties intellectuelles de l’âme ont pour tâche la vérité. C’est pourquoi les dispositions qui permettent à chacune d’elles d’atteindre le mieux la vérité constituent les vertus respectives de l’une et de l’autre.
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CHAPITRE 3 : Énumération des vertus intellectuelles Étude de la science
Reprenons donc depuis le début, et traitons à nouveau de ces dispositions. Admettons que les états par lesquels l’âme énonce ce qui est vrai sous une forme affirmative ou négative sont au nombre de cinq : ce sont l’art, la science, la prudence, la sagesse et la raison intuitive, car par le jugement et l’opinion il peut arriver que nous soyons induits en erreur.
La nature de la science (si nous employons ce terme dans son sens rigoureux, et en négligeant les sens de pure similitude) résulte clairement des considérations suivantes. Nous concevons tous que les choses dont nous avons la science ne peuvent être autrement qu’elles ne sont pour les choses qui peuvent être autrement, dès qu’elles sont sorties du champ de notre connaissance, nous ne voyons plus si elles exigent ou non. L’objet de la science existe donc nécessairement il est par suite éternel, car les êtres qui existent d’une nécessité absolue sont tous éternels ; et les êtres éternels sont inengendrés et incorruptibles De plus, on pense d’ordinaire que toute science est susceptible d’être enseignée, et que l’objet de science peut s’apprendre Mais tout enseignement donné vient de connaissances préexistantes, comme nous l’établissons aussi dans les Analytiques puisqu’il procède soit par induction, soit par syllogisme. L’induction dès lors est principe aussi de l’universel tandis que le syllogisme procède à partir des universels. Il.y a par conséquent des principes qui servent de point de départ au syllogisme, principes dont il n’y a pas de syllogisme possible, et qui par suite sont obtenus par induction Ainsi la science est une disposition capable de démontrer, en ajoutant à cette définition toutes les autres caractéristiques mentionnées dans nos Analytiques car lorsque un homme a sa conviction établie d’une certaine façon et que les principes lui sont familiers, c’est alors qu’il a la science, car si les principes ne lui sont pas plus connus que la conclusion il aura seulement la science par accident
Reprenons donc depuis le début, et traitons à nouveau de ces dispositions. Admettons que les états par lesquels l’âme énonce ce qui est vrai sous une forme affirmative ou négative sont au nombre de cinq : ce sont l’art, la science, la prudence, la sagesse et la raison intuitive, car par le jugement et l’opinion il peut arriver que nous soyons induits en erreur.
La nature de la science (si nous employons ce terme dans son sens rigoureux, et en négligeant les sens de pure similitude) résulte clairement des considérations suivantes. Nous concevons tous que les choses dont nous avons la science ne peuvent être autrement qu’elles ne sont pour les choses qui peuvent être autrement, dès qu’elles sont sorties du champ de notre connaissance, nous ne voyons plus si elles exigent ou non. L’objet de la science existe donc nécessairement il est par suite éternel, car les êtres qui existent d’une nécessité absolue sont tous éternels ; et les êtres éternels sont inengendrés et incorruptibles De plus, on pense d’ordinaire que toute science est susceptible d’être enseignée, et que l’objet de science peut s’apprendre Mais tout enseignement donné vient de connaissances préexistantes, comme nous l’établissons aussi dans les Analytiques puisqu’il procède soit par induction, soit par syllogisme. L’induction dès lors est principe aussi de l’universel tandis que le syllogisme procède à partir des universels. Il.y a par conséquent des principes qui servent de point de départ au syllogisme, principes dont il n’y a pas de syllogisme possible, et qui par suite sont obtenus par induction Ainsi la science est une disposition capable de démontrer, en ajoutant à cette définition toutes les autres caractéristiques mentionnées dans nos Analytiques car lorsque un homme a sa conviction établie d’une certaine façon et que les principes lui sont familiers, c’est alors qu’il a la science, car si les principes ne lui sont pas plus connus que la conclusion il aura seulement la science par accident
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VI
CHAPITRE 4 : Étude de l’art
Telle est donc la façon dont nous pouvons définir la science. a Les choses qui peuvent être autres qu’elles ne sont comprennent à la fois les choses qu’on fabrique et les actions qu’on accomplit. Production et action sont distinctes (sur leur nature nous pouvons faire confiance aux discours exotériques) ; il s’ensuit que la disposition à agir accompagnée de règle est différente de la disposition à produire accompagnée de règle. De là vient encore qu’elles ne sont pas une partie l’une de l’autre, car ni l’action n’est une production, ni la production une action. Et puisque l’architecture est un art, et est essentiellement une certaine disposition à produire, accompagnée de règle, et qu’il n’existe aucun art qui ne soit une disposition à produire accompagnée de règle, ni aucune disposition de ce genre qui ne soit un art, il y aura identité entre art et disposition à produire accompagnée de règle exacte°. L’art concerne toujours un devenir et s’appliquer à un art, c’est considérer la façon d’amener à l’existence une de ces choses qui sont susceptibles d’être ou de n’être pas, mais dont le principe d’existence réside dans l’artiste et non dans la chose produite l’art, en effet, ne concerne ni les choses qui existent ou deviennent nécessaire ment, ni non plus les êtres naturels, qui ont en eux- mêmes leur principe. Mais puisque production et action sont quelque chose de différent, il faut nécessairement que l’art relève de la production et non de l’action Et en un sens la fortune et l’art ont rapport aux mêmes objets ainsi qu’AGATHON le dit :
Ainsi donc, l’art, comme nous l’avons dit est une certaine disposition, accompagnée de règle vraie, capable de produire ; le défaut d’art, au contraire, est une disposition produire accompagnée de règle fausse ; dans un cas comme dans l’autre, on se meut dans le domaine du contingent.
Telle est donc la façon dont nous pouvons définir la science. a Les choses qui peuvent être autres qu’elles ne sont comprennent à la fois les choses qu’on fabrique et les actions qu’on accomplit. Production et action sont distinctes (sur leur nature nous pouvons faire confiance aux discours exotériques) ; il s’ensuit que la disposition à agir accompagnée de règle est différente de la disposition à produire accompagnée de règle. De là vient encore qu’elles ne sont pas une partie l’une de l’autre, car ni l’action n’est une production, ni la production une action. Et puisque l’architecture est un art, et est essentiellement une certaine disposition à produire, accompagnée de règle, et qu’il n’existe aucun art qui ne soit une disposition à produire accompagnée de règle, ni aucune disposition de ce genre qui ne soit un art, il y aura identité entre art et disposition à produire accompagnée de règle exacte°. L’art concerne toujours un devenir et s’appliquer à un art, c’est considérer la façon d’amener à l’existence une de ces choses qui sont susceptibles d’être ou de n’être pas, mais dont le principe d’existence réside dans l’artiste et non dans la chose produite l’art, en effet, ne concerne ni les choses qui existent ou deviennent nécessaire ment, ni non plus les êtres naturels, qui ont en eux- mêmes leur principe. Mais puisque production et action sont quelque chose de différent, il faut nécessairement que l’art relève de la production et non de l’action Et en un sens la fortune et l’art ont rapport aux mêmes objets ainsi qu’AGATHON le dit :
L’art affectionne la fortune, et la fortune l’art
Ainsi donc, l’art, comme nous l’avons dit est une certaine disposition, accompagnée de règle vraie, capable de produire ; le défaut d’art, au contraire, est une disposition produire accompagnée de règle fausse ; dans un cas comme dans l’autre, on se meut dans le domaine du contingent.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VI
CHAPITRE 5 : Étude de la prudence
Une façon dont nous pourrions appréhender la nature de la prudence c’est de considérer quelles sont les personnes que nous appelons prudentes. De l’avis général, le propre d’un homme prudent c’est d’être capable de délibérer correctement sur ce qui est bon et avantageux pour lui-même, non pas sur un point partiel (comme par exemple quelles sortes de choses sont favorables à la santé ou à la vigueur du corps), mais d’une façon générale, quelles sortes de choses par exemple conduisent à la vie heureuse. Une preuve c’est que nous appelons aussi prudents ceux qui le sont en un domaine déterminé, quand ils calculent avec justesse en vue d’atteindre une fin particulière digne de prix, dans des espèces où il n’est pas question d’art ; il en résulte que, en un sens général aussi, sera un homme prudent celui qui est capable de délibération.
Mais on ne délibère jamais sur les choses qui ne peu vent pas être autrement qu’elles ne sont, ni sur celles qu’il nous est impossible d’accomplir par conséquent s’il est vrai qu’une science s’accompagne de démonstration, mais que les choses dont les principes peuvent être autres qu’ils ne sont n’admettent pas de démonstration (car toutes sont également susceptibles d’être autrement qu’elles ne sont), et s’il n’est pas possible de délibérer sur les choses qui existent nécessairement,la prudence ne saurait être ni une science, ni un art : une science, parce que l’objet de l’action peut être autrement qu’il n’est ; un art, parce que le genre de l’action est autre que celui de la production. Reste donc que la prudence est une disposition, accompagnée de règle vraie, capable d’agir dans la sphère de ce qui est bon ou mauvais pour un être humain.
Tandis que la production, en effet, a une fin autre qu’elle-même, il n’en saurait être ainsi pour l’action, la bonne pratique étant elle-même sa propre fin. C’est pourquoi nous estimons que PÉRICLÈS et les gens comme lui sont des hommes prudents en ce qu’ils possèdent la faculté d’apercevoir ce qui est bon pour eux-mêmes et ce qui est bon pour l’homme en général, et tels sont aussi, pensons-nous, les personnes qui s’entendent à l’administration d’une maison ou d’une cité. — De là vient aussi le nom par lequel nous désignons la tempérance pour signifier qu’elle conserve la prudence et ce qu’elle conserve, c’est le jugement dont nous indiquons la nature : car le plaisir et la douleur ne détruisent pas et ne faussent pas tout jugement quel qu’il soit, par exemple le jugement que le triangle a ou n’a pas ses angles égaux à deux droits, mais seulement les jugements ayant trait à l’action En effet, les principes de nos actions consistent dans la fin à laquelle tendent nos actes ; mais à l’homme corrompu par l’attrait du plaisir ou la crainte de la douleur, le principe n’apparaît pas immédiatement, et il est incapable de voir en vue de quelle fin et pour quel motif il doit choisir et accomplir tout ce qu’il fait, car le vice est destructif du principe Par conséquent, la prudence est nécessairement une disposition, accompagnée d’une règle exacte, capable d’agir, dans la sphère des biens humains.
En outre, dans l’art on peut parler d’excellence, mais non dans la prudence Et, dans le domaine de l’art, l’homme qui se trompe volontairement est préférable à celui qui se trompe involontairement tandis que dans le domaine de la prudence c’est l’inverse qui a lieu, tout comme dans le domaine des vertus également. On voit donc que la prudence est une excellence et non un art.
Des deux parties de l’âme, douées de raison, l’une des deux, la faculté d’opiner aura pour vertu la prudence car l’opinion a rapport à ce qui peut être autrement qu’il n’est, et la prudence aussi. Mais cependant la prudence n’est pas simplement une disposition accompagnée de règle une preuve, c’est que l’oubli peut atteindre la disposition de ce genre, tandis que pour la prudence il n’en est rien.
Une façon dont nous pourrions appréhender la nature de la prudence c’est de considérer quelles sont les personnes que nous appelons prudentes. De l’avis général, le propre d’un homme prudent c’est d’être capable de délibérer correctement sur ce qui est bon et avantageux pour lui-même, non pas sur un point partiel (comme par exemple quelles sortes de choses sont favorables à la santé ou à la vigueur du corps), mais d’une façon générale, quelles sortes de choses par exemple conduisent à la vie heureuse. Une preuve c’est que nous appelons aussi prudents ceux qui le sont en un domaine déterminé, quand ils calculent avec justesse en vue d’atteindre une fin particulière digne de prix, dans des espèces où il n’est pas question d’art ; il en résulte que, en un sens général aussi, sera un homme prudent celui qui est capable de délibération.
Mais on ne délibère jamais sur les choses qui ne peu vent pas être autrement qu’elles ne sont, ni sur celles qu’il nous est impossible d’accomplir par conséquent s’il est vrai qu’une science s’accompagne de démonstration, mais que les choses dont les principes peuvent être autres qu’ils ne sont n’admettent pas de démonstration (car toutes sont également susceptibles d’être autrement qu’elles ne sont), et s’il n’est pas possible de délibérer sur les choses qui existent nécessairement,la prudence ne saurait être ni une science, ni un art : une science, parce que l’objet de l’action peut être autrement qu’il n’est ; un art, parce que le genre de l’action est autre que celui de la production. Reste donc que la prudence est une disposition, accompagnée de règle vraie, capable d’agir dans la sphère de ce qui est bon ou mauvais pour un être humain.
Tandis que la production, en effet, a une fin autre qu’elle-même, il n’en saurait être ainsi pour l’action, la bonne pratique étant elle-même sa propre fin. C’est pourquoi nous estimons que PÉRICLÈS et les gens comme lui sont des hommes prudents en ce qu’ils possèdent la faculté d’apercevoir ce qui est bon pour eux-mêmes et ce qui est bon pour l’homme en général, et tels sont aussi, pensons-nous, les personnes qui s’entendent à l’administration d’une maison ou d’une cité. — De là vient aussi le nom par lequel nous désignons la tempérance pour signifier qu’elle conserve la prudence et ce qu’elle conserve, c’est le jugement dont nous indiquons la nature : car le plaisir et la douleur ne détruisent pas et ne faussent pas tout jugement quel qu’il soit, par exemple le jugement que le triangle a ou n’a pas ses angles égaux à deux droits, mais seulement les jugements ayant trait à l’action En effet, les principes de nos actions consistent dans la fin à laquelle tendent nos actes ; mais à l’homme corrompu par l’attrait du plaisir ou la crainte de la douleur, le principe n’apparaît pas immédiatement, et il est incapable de voir en vue de quelle fin et pour quel motif il doit choisir et accomplir tout ce qu’il fait, car le vice est destructif du principe Par conséquent, la prudence est nécessairement une disposition, accompagnée d’une règle exacte, capable d’agir, dans la sphère des biens humains.
En outre, dans l’art on peut parler d’excellence, mais non dans la prudence Et, dans le domaine de l’art, l’homme qui se trompe volontairement est préférable à celui qui se trompe involontairement tandis que dans le domaine de la prudence c’est l’inverse qui a lieu, tout comme dans le domaine des vertus également. On voit donc que la prudence est une excellence et non un art.
Des deux parties de l’âme, douées de raison, l’une des deux, la faculté d’opiner aura pour vertu la prudence car l’opinion a rapport à ce qui peut être autrement qu’il n’est, et la prudence aussi. Mais cependant la prudence n’est pas simplement une disposition accompagnée de règle une preuve, c’est que l’oubli peut atteindre la disposition de ce genre, tandis que pour la prudence il n’en est rien.
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CHAPITRE 6 : Élude de la raison intuitive
Puisque la i consiste en un jugement portant sur les universels et les êtres nécessaires, et qu’il existe des principes d’où découlent les vérités démontrées et toute science en général (puisque la science s’accompagne de raisonnement), il en résulte que le principe de ce que la science connaît ne saurait être lui-même objet ni de science, ni d’art, ni de prudence : en effet, l’objet de la science est démontrable, et d’autre part l’art et la prudence se trouvent avoir a rapport aux choses qui peuvent être autrement qu’elles ne sont. Mais la sagesse n’a pas non plus dès lors les principes pour objet, puisque le propre du sage c’est d’avoir une démonstration pour certaines choses. Si donc les dispositions qui nous permettent d’atteindre la vérité et d’éviter toute erreur dans les choses qui ne peuvent être autrement qu’elles ne sont ou dans celles qui peuvent être autrement, si ces dispositions-là sont la science, la prudence, la sagesse et l’intellect, et si trois d’entre elles ne peuvent jouer aucun rôle dans l’appréhension des principes (j ‘entends la prudence, la science et la sagesse), il reste que c’est la raison intuitive qui les saisit
Puisque la i consiste en un jugement portant sur les universels et les êtres nécessaires, et qu’il existe des principes d’où découlent les vérités démontrées et toute science en général (puisque la science s’accompagne de raisonnement), il en résulte que le principe de ce que la science connaît ne saurait être lui-même objet ni de science, ni d’art, ni de prudence : en effet, l’objet de la science est démontrable, et d’autre part l’art et la prudence se trouvent avoir a rapport aux choses qui peuvent être autrement qu’elles ne sont. Mais la sagesse n’a pas non plus dès lors les principes pour objet, puisque le propre du sage c’est d’avoir une démonstration pour certaines choses. Si donc les dispositions qui nous permettent d’atteindre la vérité et d’éviter toute erreur dans les choses qui ne peuvent être autrement qu’elles ne sont ou dans celles qui peuvent être autrement, si ces dispositions-là sont la science, la prudence, la sagesse et l’intellect, et si trois d’entre elles ne peuvent jouer aucun rôle dans l’appréhension des principes (j ‘entends la prudence, la science et la sagesse), il reste que c’est la raison intuitive qui les saisit
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CHAPITRE 7 : La sagesse théorétique
Le terme sagesse dans les arts est par nous appliqué à ceux qui atteignent la plus exacte maîtrise dans l’art en question, par exemple à Phidias comme sculpteur habile et à Polyclète comme statuaire ; et. en ce premier sens, donc, nous ne signifions par sagesse rien d’autre qu’excellence dans un art. Mais nous pensons aussi que certaines personnes sont sages d’une manière générale, et non sages dans un domaine particulier, ni sages en quelque autre chose, pour parler comme HOMÈRE dans Margitès :
Il est clair, par conséquent, que la sagesse sera la plus achevée des formes du savoir. Le sage doit donc non seulement connaître les conclusions découlant des principes, mais encore posséder la vérité sur les principes eux-mêmes. La sagesse sera ainsi à la fois raison intuitive et science, science munie en quelque sorte d’une tête et portant sur les réalités les plus hautes.
Il est absurde en effet, de penser que l’art politique ou la prudence soit la forme la plus élevée du savoir, s’il est vrai que l’homme n’est pas ce qu’il y a de plus excellent dans le Monde Si dès lors sain et bon est une chose différente pour des hommes et pour des poissons, tandis que blanc et rectiligne est toujours invariable, on reconnaîtra chez tous les hommes que ce qui est sage est la même chose, mais que ce qui est prudent est variable : car c’est l’être qui a une vue nette des diverses choses qui l’intéressent personnelle ment, qu’on désigne du nom de prudent, et c’est à lui qu’on remettra la conduite de ces choses-là. De là vient encore que certaines bêtes sont qualifiées de prudentes ce sont celles qui, en tout ce qui touche à leur propre vie, possèdent manifestement une capacité de prévoir.
Il est de toute évidence aussi que la sagesse ne saurait être identifiée à l’art politique : car si on doit appeler la connaissance de ses propres intérêts une o sagesse, il y aura multiplicité de sagesses il n’existe pas, en effet, une seule sagesse s’appliquant au bien de tous les êtres animés, mais il y a une sagesse différente pour chaque espèce, de même qu’il n’y a pas non plus un seul art médical pour tous les êtres. Et si on objecte qu’un homme l’emporte en perfection sur les autres animaux cela n’importe ici en rien il existe, en effet, d’autres êtres d’une nature beaucoup plus divine que l’homme, par exemple, pour s’entenir aux réalités les plus visibles, les Corps dont le Monde est constituée.
Ces considérations montrent bien que la sagesse est à la fois science et raison intuitive des choses qui ont par nature la dignité la plus haute. C’est pourquoi nous disons qu’ANAXAGORE, THALÈS et ceux qui leur ressemblent, possèdent la sagesse, mais non la prudence, quand nous les voyons ignorer les choses qui leur sont profitables à eux-mêmes, et nous reconnaissons qu’ils ont un savoir hors de pair, admirable, difficile et divin, mais sans utilité, du fait que ce ne sont pas les biens proprement humains qu’ils recherchent.
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Le terme sagesse dans les arts est par nous appliqué à ceux qui atteignent la plus exacte maîtrise dans l’art en question, par exemple à Phidias comme sculpteur habile et à Polyclète comme statuaire ; et. en ce premier sens, donc, nous ne signifions par sagesse rien d’autre qu’excellence dans un art. Mais nous pensons aussi que certaines personnes sont sages d’une manière générale, et non sages dans un domaine particulier, ni sages en quelque autre chose, pour parler comme HOMÈRE dans Margitès :
Celui-là les dieux ne l’avaient fait ni vigneron, ni laboureur,
Ni sage en quelque autre façon.
Ni sage en quelque autre façon.
Il est clair, par conséquent, que la sagesse sera la plus achevée des formes du savoir. Le sage doit donc non seulement connaître les conclusions découlant des principes, mais encore posséder la vérité sur les principes eux-mêmes. La sagesse sera ainsi à la fois raison intuitive et science, science munie en quelque sorte d’une tête et portant sur les réalités les plus hautes.
Il est absurde en effet, de penser que l’art politique ou la prudence soit la forme la plus élevée du savoir, s’il est vrai que l’homme n’est pas ce qu’il y a de plus excellent dans le Monde Si dès lors sain et bon est une chose différente pour des hommes et pour des poissons, tandis que blanc et rectiligne est toujours invariable, on reconnaîtra chez tous les hommes que ce qui est sage est la même chose, mais que ce qui est prudent est variable : car c’est l’être qui a une vue nette des diverses choses qui l’intéressent personnelle ment, qu’on désigne du nom de prudent, et c’est à lui qu’on remettra la conduite de ces choses-là. De là vient encore que certaines bêtes sont qualifiées de prudentes ce sont celles qui, en tout ce qui touche à leur propre vie, possèdent manifestement une capacité de prévoir.
Il est de toute évidence aussi que la sagesse ne saurait être identifiée à l’art politique : car si on doit appeler la connaissance de ses propres intérêts une o sagesse, il y aura multiplicité de sagesses il n’existe pas, en effet, une seule sagesse s’appliquant au bien de tous les êtres animés, mais il y a une sagesse différente pour chaque espèce, de même qu’il n’y a pas non plus un seul art médical pour tous les êtres. Et si on objecte qu’un homme l’emporte en perfection sur les autres animaux cela n’importe ici en rien il existe, en effet, d’autres êtres d’une nature beaucoup plus divine que l’homme, par exemple, pour s’entenir aux réalités les plus visibles, les Corps dont le Monde est constituée.
Ces considérations montrent bien que la sagesse est à la fois science et raison intuitive des choses qui ont par nature la dignité la plus haute. C’est pourquoi nous disons qu’ANAXAGORE, THALÈS et ceux qui leur ressemblent, possèdent la sagesse, mais non la prudence, quand nous les voyons ignorer les choses qui leur sont profitables à eux-mêmes, et nous reconnaissons qu’ils ont un savoir hors de pair, admirable, difficile et divin, mais sans utilité, du fait que ce ne sont pas les biens proprement humains qu’ils recherchent.
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Re: Ethique à Nicomaque, Livre VI
CHAPITRE 8 : La prudence et l’art politique
Or la prudence a rapport aux choses humaines et aux choses qui admettent la délibération : car le prudent, disons-nous, a pour oeuvre principale de bien délibérer ; mais on ne délibère jamais sur les choses qui ne peuvent être autrement qu’elles ne sont, ni sur celles qui ne comportent pas quelque fin à atteindre, fin qui consiste en un bien réalisable. Le bon délibérateur au sens absolu est l’homme qui s’efforce d’atteindre le meilleur des biens réalisables pour l’homme, et qui le fait par raisonnement.
La prudence n’a pas non plus seulement pour objet les universels mais elle doit aussi avoir la connaissance des faits particuliers, car elle est de l’ordre de l’action, et l’action a rapport aux choses singulières C’est pourquoi aussi certaines personnes ignorantes sont plus qualifiées pour l’action que d’autres qui savent c’est le cas notamment des gens d’expérience : si, tout en sachant que les viandes légères sont faciles à digérer et bonnes pour la santé, on ignore quelles sortes de viandes sont légères, on ne produira pas la santé, tandis que si on sait que la chair de volaille est légère, on sera plus capable de produire la santé.
La prudence étant de l’ordre de l’action, il en résulte qu’on doit posséder les deux sortes de connaissances et de préférence celle qui porte sur le singulier. Mais ici encore elle dépendra d’un art architectonique.
La sagesse politique et la prudence sont une seule et même disposition, bien que leur essence ne soit cependant pas la même. De la prudence appliquée â la cité, une première espèce, en tant qu’elle a sous sa dépendance toutes les autres, est législative ; l’autre espèce, en tant que portant sur les choses particulières, reçoit le nom, qui lui est d’ailleurs commun avec la précédente, de politique Cette dernière espèce a rapport à l’action et à la délibération, puisque tout décret doit être rendu dans une forme strictement individuelle C’est pourquoi administrer la cité est une expression réservée pour ceux qui entrent dans la particularité des affaires, car ce sont les seuls qui accomplissent la besogne, semblables en cela aux artisans
Dans l’opinion commune la prudence aussi est prise surtout sous la forme où elle ne concerne que la personne privée, c’est-à-dire un individu ; et cette forme particulière reçoit le nom général de prudence. Des autres espèces, l’une est appelée économie domestique, une autre législation, une autre enfin, politique, celle-ci se subdivisant en délibérative et judiciaire
Or la prudence a rapport aux choses humaines et aux choses qui admettent la délibération : car le prudent, disons-nous, a pour oeuvre principale de bien délibérer ; mais on ne délibère jamais sur les choses qui ne peuvent être autrement qu’elles ne sont, ni sur celles qui ne comportent pas quelque fin à atteindre, fin qui consiste en un bien réalisable. Le bon délibérateur au sens absolu est l’homme qui s’efforce d’atteindre le meilleur des biens réalisables pour l’homme, et qui le fait par raisonnement.
La prudence n’a pas non plus seulement pour objet les universels mais elle doit aussi avoir la connaissance des faits particuliers, car elle est de l’ordre de l’action, et l’action a rapport aux choses singulières C’est pourquoi aussi certaines personnes ignorantes sont plus qualifiées pour l’action que d’autres qui savent c’est le cas notamment des gens d’expérience : si, tout en sachant que les viandes légères sont faciles à digérer et bonnes pour la santé, on ignore quelles sortes de viandes sont légères, on ne produira pas la santé, tandis que si on sait que la chair de volaille est légère, on sera plus capable de produire la santé.
La prudence étant de l’ordre de l’action, il en résulte qu’on doit posséder les deux sortes de connaissances et de préférence celle qui porte sur le singulier. Mais ici encore elle dépendra d’un art architectonique.
La sagesse politique et la prudence sont une seule et même disposition, bien que leur essence ne soit cependant pas la même. De la prudence appliquée â la cité, une première espèce, en tant qu’elle a sous sa dépendance toutes les autres, est législative ; l’autre espèce, en tant que portant sur les choses particulières, reçoit le nom, qui lui est d’ailleurs commun avec la précédente, de politique Cette dernière espèce a rapport à l’action et à la délibération, puisque tout décret doit être rendu dans une forme strictement individuelle C’est pourquoi administrer la cité est une expression réservée pour ceux qui entrent dans la particularité des affaires, car ce sont les seuls qui accomplissent la besogne, semblables en cela aux artisans
Dans l’opinion commune la prudence aussi est prise surtout sous la forme où elle ne concerne que la personne privée, c’est-à-dire un individu ; et cette forme particulière reçoit le nom général de prudence. Des autres espèces, l’une est appelée économie domestique, une autre législation, une autre enfin, politique, celle-ci se subdivisant en délibérative et judiciaire
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VI
CHAPITRE 9 : La prudence et l’art politique, suite L’intuition des singuliers
Une des formes de la connaissance sera assurément de savoir le bien qui est propre à soi-même, mais cette connaissance-là est très différente des autres espèces. Et on pense d’ordinaire que celui qui connaît. e ses propres intérêts et qui y consacre sa vie, est un homme prudent, tandis que les politiques s’occupent d’une foule d’affaires. D’où les vers d’EURIPIDE :
Ceux qui pensent ainsi ne recherchent que leur propre bien, et ils croient que c’est un devoir d’agir ainsi Cette opinion a fait naître l’idée que de pareils gens sont des hommes prudents ; peut-être cependant la poursuite par chacun de son bien propre ne va-t-elle pas sans économie domestique ni politique En outre, la façon dont on doit administrer ses propres affaires n’apparaît pas nettement et demande examen. Ce que nous avons dit est d’ailleurs confirmé par ce fait que les jeunes gens peuvent devenir géomètres ou mathématiciens ou savants dans les disciplines de ce genre, alors qu’on n’admet pas communément qu’il puisse exister de jeune homme prudent. La cause en est que la prudence a rapport aussi aux faits particuliers, qui ne nous deviennent familiers que par l’expérience, dont un jeune homme est toujours dépourvu (car c’est à force de temps que l’expérience s’acquiert). On pourrait même se demander pour quoi un enfant, qui peut faire un mathématicien, est. incapable d’être philosophe ou même physicien6. Ne serait-ce pas que, parmi ces sciences, les premières s’acquièrent par abstraction tandis que les autres ont leurs principes dérivés de l’expérience, et que, dans ce dernier cas, les jeunes gens ne se sont formés aucune conviction et se contentent de paroles, tandis que les notions mathématiques, au contraire, ont une essence dégagée de toute obscurité ? — Ajoutons que l’erreur dans la délibération peut porter soit sur l’universel, soit sur le singulier, si on soutient par exemple que toutes les eaux pesantes sont pernicieuses, ou bien que telle eau déterminée est pesante.
Et que la prudence ne soit pas science, c’est là une chose manifeste : elle porte, en effet, sur ce qu’il y a de plus particulier, comme nous l’avons dite, car l’action à accomplir est elle-même particulière. La prudence dès lors s’oppose à la raison intuitive : la raison intuitive, en effet, appréhende les définitions pour lesquelles on ne peut donner aucune raison, tandis que la prudence est la connaissance de ce qu’il y a de plus individuel, lequel n’est pas objet de science, mais de perception : non pas la perception des sensibles propres mais une perception de la nature de celle par laquelle nous percevons que telle figure mathématique particulière est un triangle ; car dans cette direction aussi on devra s’arrêter.
Mais cette intuition mathématique est plutôt perception que prudence, et de la prudence l’intuition est spécifiquement différente.
Une des formes de la connaissance sera assurément de savoir le bien qui est propre à soi-même, mais cette connaissance-là est très différente des autres espèces. Et on pense d’ordinaire que celui qui connaît. e ses propres intérêts et qui y consacre sa vie, est un homme prudent, tandis que les politiques s’occupent d’une foule d’affaires. D’où les vers d’EURIPIDE :
Mais comment serais-je sage, moi à qui il était possible de vivre à l’abri des affaires,
Simple numéro perdu dans la foule des soldais, Participant au sort commun ?... Car les gens hors de pair et qui en font plus que les autres...
Simple numéro perdu dans la foule des soldais, Participant au sort commun ?... Car les gens hors de pair et qui en font plus que les autres...
Ceux qui pensent ainsi ne recherchent que leur propre bien, et ils croient que c’est un devoir d’agir ainsi Cette opinion a fait naître l’idée que de pareils gens sont des hommes prudents ; peut-être cependant la poursuite par chacun de son bien propre ne va-t-elle pas sans économie domestique ni politique En outre, la façon dont on doit administrer ses propres affaires n’apparaît pas nettement et demande examen. Ce que nous avons dit est d’ailleurs confirmé par ce fait que les jeunes gens peuvent devenir géomètres ou mathématiciens ou savants dans les disciplines de ce genre, alors qu’on n’admet pas communément qu’il puisse exister de jeune homme prudent. La cause en est que la prudence a rapport aussi aux faits particuliers, qui ne nous deviennent familiers que par l’expérience, dont un jeune homme est toujours dépourvu (car c’est à force de temps que l’expérience s’acquiert). On pourrait même se demander pour quoi un enfant, qui peut faire un mathématicien, est. incapable d’être philosophe ou même physicien6. Ne serait-ce pas que, parmi ces sciences, les premières s’acquièrent par abstraction tandis que les autres ont leurs principes dérivés de l’expérience, et que, dans ce dernier cas, les jeunes gens ne se sont formés aucune conviction et se contentent de paroles, tandis que les notions mathématiques, au contraire, ont une essence dégagée de toute obscurité ? — Ajoutons que l’erreur dans la délibération peut porter soit sur l’universel, soit sur le singulier, si on soutient par exemple que toutes les eaux pesantes sont pernicieuses, ou bien que telle eau déterminée est pesante.
Et que la prudence ne soit pas science, c’est là une chose manifeste : elle porte, en effet, sur ce qu’il y a de plus particulier, comme nous l’avons dite, car l’action à accomplir est elle-même particulière. La prudence dès lors s’oppose à la raison intuitive : la raison intuitive, en effet, appréhende les définitions pour lesquelles on ne peut donner aucune raison, tandis que la prudence est la connaissance de ce qu’il y a de plus individuel, lequel n’est pas objet de science, mais de perception : non pas la perception des sensibles propres mais une perception de la nature de celle par laquelle nous percevons que telle figure mathématique particulière est un triangle ; car dans cette direction aussi on devra s’arrêter.
Mais cette intuition mathématique est plutôt perception que prudence, et de la prudence l’intuition est spécifiquement différente.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VI
CHAPITRE 10 : Les vertus intellectuelles mineures La bonne délibération
La recherche et la délibération diffèrent, car la délibération est une recherche s’appliquant à une certaine chose Nous devons aussi appréhender quelle est la nature de la bonne délibération, si elle est une forme de science ou opinion, ou justesse de coup d’oeil ou quelque autre genre différent.
Or elle n’est pas science (on ne cherche pas les choses qu’on sait, alors que la bonne délibération est une forme de délibération, et que celui qui délibère cherche et calcule). — Mais elle n’est pas davantage justesse de coup d’oeil, car la justesse de coup d’oeil a lieu indépendamment de tout calcul conscient, et d’une manière rapide, tandis que la délibération exige beaucoup de temps, et on dit que s’il faut exécuter avec rapidité ce qu’on a délibéré de faire, la délibération elle-même doit être lente. Autre raison la vivacité d’esprit est une chose différente de la bonne délibération ; or la vivacité d’esprit est une sorte de justesse de coup d’oeil. — La bonne délibération n’est pas non plus une forme quelconque d’opinion. Mais puisque celui qui délibère mal se trompe et que celui qui délibère bien délibère correctement, il est clair que la bonne délibération est une certaine rectitude. Mais on ne peut affirmer la rectitude ni de la science, ni de l’opinion pour la science, en effet, on ne peut pas parler de rectitude (pas plus que d’erreur), et pour l’opinion sa rectitude est vérité ; et en même temps, tout ce qui est objet d’opinion est déjà déterminé. Mais la bonne délibération ne va pas non plus sans calcul conscient. Il reste donc qu’elle est rectitude de pensée, car ce n’est pas encore une assertion, puisque l’opinion n’est pas une recherche mais est déjà une certaine assertion, tandis que l’homme qui délibère bien ou mal, recherche quelque chose et calcule.
Mais la bonne délibération étant une certaine rectitude de délibération, nous devons donc d’abord rechercher ce qu’est la délibération en général et sur quel objet elle porte. Et rectitude étant un terme à sens multiples, il est clair qu’il ne s’agit pas ici de toute rectitude quelle qu’elle soit. En effet, l’homme intempérant ou pervers s’il est habile, atteindra ce qu’il se propose à l’aide du calcul, de sorte qu’il aura délibéré correctement, alors que c’est un mal considérable qu’il s’est procuré : or on admet couramment qu’avoir bien délibéré est en soi-même un bien, car c’est cette sorte de rectitude de délibération qui est bonne délibération, à savoir celle qui tend à atteindre un bien.
— Mais il est possible d’atteindre même le bien par un faux syllogisme, et d’atteindre ce qu’il est de notre devoir de faire, mais en se servant non pas du moyen qui convient, mais à l’aide d’un moyen terme erroné Par conséquent, cet état, en vertu duquel on atteint ce que le devoir prescrit mais non cependant par la voie requise, n’est toujours pas bonne délibération. — On peut aussi arriver au but par une délibération de longue durée, alors qu’un autre l’atteindra rapidement : dans le premier cas, ce n’est donc pas encore une bonne délibération, laquelle est rectitude eu égard à ce qui est utile, portant à la fois sur la fin à atteindre, la manière et le temps — En outre, on peut avoir bien délibéré soit au sens absolu, soit par rapport à une fin déterminée. La bonne délibération au sens absolu est dès lors celle qui mène à un résultat correct par rapport à la fin prise absolu ment, alors que la bonne délibération en un sens déterminé est celle qui n’aboutit à un résultat correct que par rapport à une fin elle-même déterminées. Si donc les hommes prudents ont pour caractère propre le fait d’avoir bien délibéré, la bonne délibération sera une rectitude en ce qui concerne ce qui est utile à la réalisation d’une fin, utilité dont la véritable conception est la prudence elle-même.
La recherche et la délibération diffèrent, car la délibération est une recherche s’appliquant à une certaine chose Nous devons aussi appréhender quelle est la nature de la bonne délibération, si elle est une forme de science ou opinion, ou justesse de coup d’oeil ou quelque autre genre différent.
Or elle n’est pas science (on ne cherche pas les choses qu’on sait, alors que la bonne délibération est une forme de délibération, et que celui qui délibère cherche et calcule). — Mais elle n’est pas davantage justesse de coup d’oeil, car la justesse de coup d’oeil a lieu indépendamment de tout calcul conscient, et d’une manière rapide, tandis que la délibération exige beaucoup de temps, et on dit que s’il faut exécuter avec rapidité ce qu’on a délibéré de faire, la délibération elle-même doit être lente. Autre raison la vivacité d’esprit est une chose différente de la bonne délibération ; or la vivacité d’esprit est une sorte de justesse de coup d’oeil. — La bonne délibération n’est pas non plus une forme quelconque d’opinion. Mais puisque celui qui délibère mal se trompe et que celui qui délibère bien délibère correctement, il est clair que la bonne délibération est une certaine rectitude. Mais on ne peut affirmer la rectitude ni de la science, ni de l’opinion pour la science, en effet, on ne peut pas parler de rectitude (pas plus que d’erreur), et pour l’opinion sa rectitude est vérité ; et en même temps, tout ce qui est objet d’opinion est déjà déterminé. Mais la bonne délibération ne va pas non plus sans calcul conscient. Il reste donc qu’elle est rectitude de pensée, car ce n’est pas encore une assertion, puisque l’opinion n’est pas une recherche mais est déjà une certaine assertion, tandis que l’homme qui délibère bien ou mal, recherche quelque chose et calcule.
Mais la bonne délibération étant une certaine rectitude de délibération, nous devons donc d’abord rechercher ce qu’est la délibération en général et sur quel objet elle porte. Et rectitude étant un terme à sens multiples, il est clair qu’il ne s’agit pas ici de toute rectitude quelle qu’elle soit. En effet, l’homme intempérant ou pervers s’il est habile, atteindra ce qu’il se propose à l’aide du calcul, de sorte qu’il aura délibéré correctement, alors que c’est un mal considérable qu’il s’est procuré : or on admet couramment qu’avoir bien délibéré est en soi-même un bien, car c’est cette sorte de rectitude de délibération qui est bonne délibération, à savoir celle qui tend à atteindre un bien.
— Mais il est possible d’atteindre même le bien par un faux syllogisme, et d’atteindre ce qu’il est de notre devoir de faire, mais en se servant non pas du moyen qui convient, mais à l’aide d’un moyen terme erroné Par conséquent, cet état, en vertu duquel on atteint ce que le devoir prescrit mais non cependant par la voie requise, n’est toujours pas bonne délibération. — On peut aussi arriver au but par une délibération de longue durée, alors qu’un autre l’atteindra rapidement : dans le premier cas, ce n’est donc pas encore une bonne délibération, laquelle est rectitude eu égard à ce qui est utile, portant à la fois sur la fin à atteindre, la manière et le temps — En outre, on peut avoir bien délibéré soit au sens absolu, soit par rapport à une fin déterminée. La bonne délibération au sens absolu est dès lors celle qui mène à un résultat correct par rapport à la fin prise absolu ment, alors que la bonne délibération en un sens déterminé est celle qui n’aboutit à un résultat correct que par rapport à une fin elle-même déterminées. Si donc les hommes prudents ont pour caractère propre le fait d’avoir bien délibéré, la bonne délibération sera une rectitude en ce qui concerne ce qui est utile à la réalisation d’une fin, utilité dont la véritable conception est la prudence elle-même.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VI
CHAPITRE 11 : Les vertus intellectuelles mineures, suite L’intelligence et le jugement
L’intelligence aussi et la perspicacité, qui nous font dire des gens qu’ils sont intelligents et perspicaces, ne sont pas absolument la même chose que la science ou l’opinion (car, dans ce dernier cas, tout le monde serait intelligent), et. ne sont pas davantage quelqu’une des sciences particulières, comme la médecine, science des choses relatives à la santé, ou la géométrie, science des grandeurs. Car l’intelligence ne roule ni sur les êtres éternels et immobiles, ni sur rien de ce qui devient, mais seulement. sur les choses pouvant être objet de doute et de délibération. Aussi porte-t-elle sur les mêmes objets que la prudence, bien qu’intelligence et prudence ne soient pas identiques. La prudence est, en effet, directive (car elle a pour fin de déterminer ce qu’il est de notre devoir de faire ou de ne pas faire) tandis que l’intelligence est seulement judicative (car il y a identité entre intelligence et perspicacité, entre un homme intelligent et un homme perspicace).
L’intelligence ne consiste ni à posséder la prudence, ni à l’acquérir. Mais de même que apprendre s’appelle comprendre quand on exerce la faculté de connaître scientifiquement ainsi comprendre s’applique à l’exercice de la faculté d’opinion, quand il s’agit de porter un jugement sur ce qu’une autre personne énonce dans des matières relevant de la prudence, et par jugement j’entends un jugement fondé, car bien est la même chose que fondé. Et l’emploi du terme intelligence pour désigner la qualité des gens perspicaces est venu de l’intelligence au sens d’apprendre, car nous prenons souvent apprendre au sens de comprendre.
Ce qu’on appelle enfin jugement qualité d’après laquelle nous disons des gens qu’ils ont un bon jugement ou qu’ils ont du jugement, est la correcte discrimination de ce qui est équitable. Ce qui le montre bien, c’est le fait que nous disons que l’homme équitable est surtout favorablement disposé pour autrui et que montrer dans certains cas de la largeur d’esprit est équitable. Et dans la largeur d’esprit on fait preuve de jugement en appréciant correctement ce qui est équitable ; et juger correctement c’est juger ce qui est vraiment équitable
L’intelligence aussi et la perspicacité, qui nous font dire des gens qu’ils sont intelligents et perspicaces, ne sont pas absolument la même chose que la science ou l’opinion (car, dans ce dernier cas, tout le monde serait intelligent), et. ne sont pas davantage quelqu’une des sciences particulières, comme la médecine, science des choses relatives à la santé, ou la géométrie, science des grandeurs. Car l’intelligence ne roule ni sur les êtres éternels et immobiles, ni sur rien de ce qui devient, mais seulement. sur les choses pouvant être objet de doute et de délibération. Aussi porte-t-elle sur les mêmes objets que la prudence, bien qu’intelligence et prudence ne soient pas identiques. La prudence est, en effet, directive (car elle a pour fin de déterminer ce qu’il est de notre devoir de faire ou de ne pas faire) tandis que l’intelligence est seulement judicative (car il y a identité entre intelligence et perspicacité, entre un homme intelligent et un homme perspicace).
L’intelligence ne consiste ni à posséder la prudence, ni à l’acquérir. Mais de même que apprendre s’appelle comprendre quand on exerce la faculté de connaître scientifiquement ainsi comprendre s’applique à l’exercice de la faculté d’opinion, quand il s’agit de porter un jugement sur ce qu’une autre personne énonce dans des matières relevant de la prudence, et par jugement j’entends un jugement fondé, car bien est la même chose que fondé. Et l’emploi du terme intelligence pour désigner la qualité des gens perspicaces est venu de l’intelligence au sens d’apprendre, car nous prenons souvent apprendre au sens de comprendre.
Ce qu’on appelle enfin jugement qualité d’après laquelle nous disons des gens qu’ils ont un bon jugement ou qu’ils ont du jugement, est la correcte discrimination de ce qui est équitable. Ce qui le montre bien, c’est le fait que nous disons que l’homme équitable est surtout favorablement disposé pour autrui et que montrer dans certains cas de la largeur d’esprit est équitable. Et dans la largeur d’esprit on fait preuve de jugement en appréciant correctement ce qui est équitable ; et juger correctement c’est juger ce qui est vraiment équitable
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VI
CHAPITRE 12 : Relations des vertus dianoétiques entre elles et avec la prudence
Toutes les dispositions dont il a été question convergent, comme cela est normal, vers la même chose En effet, nous attribuons jugement, intelligence, prudence et raison intuitive indifféremment aux mêmes individus quand nous disons qu’ils ont atteint l’âge du jugement et de la raison et qu’ils sont prudents et intelligents. Car toutes ces facultés portent sur les choses ultimes et particulières et c’est en étant capable de juger des choses rentrant dans le domaine de l’homme prudent qu’on est intelligent, bienveillant et favorablement disposé pour les autres, les actions équitables étant communes à tous les gens de bien dans leurs rapports avec autrui. Or toutes les actions que nous devons accomplir rentrent dans les choses particulières et ultimes, car l’homme prudent doit connaître les faits particuliers, et de leur côté l’intelligence et le jugement roulent sur les actions à accomplir, lesquelles sont des choses ultimes. La raison intuitive s’applique aussi aux choses particulières, dans les deux sens à la fois, puisque les termes premiers aussi bien que les derniers sont du domaine de la raison intuitive et non de la discursion : dans les démonstrations, la raison intuitive appréhende les termes immobiles et premiers, et dans les raisonnements d’ordre pratique, elle appréhende le fait dernier et contingent, c’est-à-dire la prémisse mineure puisque ces faits-là sont principes de la fin à atteindre les cas particuliers servant de point de départ pour atteindre les universels. Nous devons donc avoir une perception des cas particuliers, et cette perception est raison intuitive.
C’est pourquoi on pense d’ordinaire que ces états sont des qualités naturelles, et, bien que personne ne soit philosophe naturellement, qu’on possède naturellement jugement, intelligence et raison intuitive. Une preuve, c’est que nous croyons que ces dispositions accompagnent les différents âges de la vie, et que tel âge déterminé apporte avec lui raison intuitive e jugement, convaincus que nous sommes que la nature en est la cause. — Voilà pourquoi encore la raison intuitive est à la fois principe et fin, choses qui sont en même temps l’origine et l’objet des démonstrations — Par conséquent, les paroles et les opinions indémontrées des gens d’expérience, des vieil lards et des personnes douées de sagesse pratique sont tout aussi dignes d’attention que celles qui s’appuient sur des démonstrations, car l’expérience leur a donné une vue exercée qui leur permet de voir correctement les choses.
Toutes les dispositions dont il a été question convergent, comme cela est normal, vers la même chose En effet, nous attribuons jugement, intelligence, prudence et raison intuitive indifféremment aux mêmes individus quand nous disons qu’ils ont atteint l’âge du jugement et de la raison et qu’ils sont prudents et intelligents. Car toutes ces facultés portent sur les choses ultimes et particulières et c’est en étant capable de juger des choses rentrant dans le domaine de l’homme prudent qu’on est intelligent, bienveillant et favorablement disposé pour les autres, les actions équitables étant communes à tous les gens de bien dans leurs rapports avec autrui. Or toutes les actions que nous devons accomplir rentrent dans les choses particulières et ultimes, car l’homme prudent doit connaître les faits particuliers, et de leur côté l’intelligence et le jugement roulent sur les actions à accomplir, lesquelles sont des choses ultimes. La raison intuitive s’applique aussi aux choses particulières, dans les deux sens à la fois, puisque les termes premiers aussi bien que les derniers sont du domaine de la raison intuitive et non de la discursion : dans les démonstrations, la raison intuitive appréhende les termes immobiles et premiers, et dans les raisonnements d’ordre pratique, elle appréhende le fait dernier et contingent, c’est-à-dire la prémisse mineure puisque ces faits-là sont principes de la fin à atteindre les cas particuliers servant de point de départ pour atteindre les universels. Nous devons donc avoir une perception des cas particuliers, et cette perception est raison intuitive.
C’est pourquoi on pense d’ordinaire que ces états sont des qualités naturelles, et, bien que personne ne soit philosophe naturellement, qu’on possède naturellement jugement, intelligence et raison intuitive. Une preuve, c’est que nous croyons que ces dispositions accompagnent les différents âges de la vie, et que tel âge déterminé apporte avec lui raison intuitive e jugement, convaincus que nous sommes que la nature en est la cause. — Voilà pourquoi encore la raison intuitive est à la fois principe et fin, choses qui sont en même temps l’origine et l’objet des démonstrations — Par conséquent, les paroles et les opinions indémontrées des gens d’expérience, des vieil lards et des personnes douées de sagesse pratique sont tout aussi dignes d’attention que celles qui s’appuient sur des démonstrations, car l’expérience leur a donné une vue exercée qui leur permet de voir correctement les choses.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VI
CHAPITRE 13 : Utilité de la sagesse théorique et de la sagesse pratique (ou prudence) — Rapports des deux sagesses
Nous avons donc établi quelle est la nature de la prudence et de la sagesse théorique, et quelles sont en fait leurs sphères respectives ; et nous avons montré que chacune d’elles est vertu d’une partie différente de l’âme.
Mais on peut se poser la question de savoir quelle est l’utilité de ces vertus. La sagesse théorique, en effet n’étudie aucun des moyens qui peuvent rendre un homme heureux puisqu’elle ne porte en aucun cas sur un devenir) la prudence, par contre, remplit bien ce rôle mais en vue de quoi avons-nous besoin d’elle ? La prudence a sans doute pour objet les choses justes, belles et bonnes pour l’homme, mais ce sont là des choses qu’un homme de bien accomplit naturellement. Notre action n’est en rien facilitée par la connaissance que nous avons de ces choses s’il est vrai que les vertus sont des dispositions du caractère, pas plus que ne nous sert la connaissance des choses saines ou des choses en bon état, en prenant ces expressions non pas au sens de productrices de santé, mais comme un résultat de l’état de santé car nous ne sommes rendus en rien plus aptes à nous bien porter ou à être en bon état, par le fait de posséder l’art médical ou celui de la gymnastique.
Mais si, d’un autre côté on doit poser qu’un homme est prudent non pas afin de connaître les vérités morales, mais afin de devenir vertueux, alors, pour ceux qui le sont déjà, la prudence ne saurait servir à rien. Bien plus, elle ne servira pas davantage o à ceux qui ne le sont pas, car peu importera qu’on possède soi-même la prudence ou qu’on suive seule ment les conseils d’autres qui la possèdent : il nous suffirait de faire ce que nous faisons en ce qui concerne notre santé, car tout en souhaitant de nous bien porter, nous n’apprenons pas pour autant l’art médical.
Ajoutons à cela qu’on peut trouver étrange que la prudence, bien qu’inférieure à la sagesse théorique ait une autorité supérieure à celle de cette dernière, puisque l’art qui produit une chose quelconque gouverne et régit tout ce qui concerne cette chose.
Telles sont donc les questions que nous devons discuter, car jusqu’ici nous n’avons fait que poser des problèmes. D’abord nous soutenons que la sagesse et la prudence sont nécessairement désirables en elles-mêmes, en tant du moins qu’elles sont vertus respectives de chacune des deux parties de l’âme, et cela même si ni l’une ni l’autre ne produisent rien. — Secondement ces vertus produisent en réalité quelque chose, non pas au sens où la médecine produit la santé, mais au sens où l’état de santé est cause de la santé : c’est de cette façon que la sagesse produit le bonheur, car étant une partie de la vertu totale par sa simple possession et par son exercice elle rend un homme heureux.
En outre l’oeuvre propre de l’homme n’est complètement achevé qu’en conformité avec la prudence aussi bien qu’avec la vertu morale : la vertu morale, en effet, assure la rectitude du but que nous poursuivons, et la prudence celle des moyens pour parvenir à ce but. — Quant à la quatrième partie de l’âme, la nutritive, elle n’a aucune vertu de cette sorte, car son action ou son inaction n’est nullement en son pouvoir.
En ce qui regarde enfin le fait que la prudence ne nous rend en rien plus aptes à accomplir les actions nobles et justes, il nous faut reprendre d’un peu plus haut en partant d’un principe qui est le suivant. De même que nous disons de certains qui accomplissent des actions justes, qu’ils ne sont pas encore des hommes justes, ceux qui font, par exemple, ce qui est prescrit par les lois, soit malgré eux, soit par ignorance, soit pour tout autre motif, mais non pas simplement en vue d’accomplir l’action (bien qu’ils fassent assurément ce qu’il faut faire, et tout ce que l’homme vertueux est tenu de faire), ainsi, semble-t- il bien, il existe un certain état d’esprit dans lequel on accomplit ces différentes actions de façon à être homme de bien, je veux dire qu’on les fait par choix délibéré et en vue des actions mêmes qu’on accomplit. Or la vertu morale assure bien la rectitude du choix, mais accomplir les actes tendant naturellement à la réalisation de la fin que nous avons choisie, c’est là une chose qui ne relève plus de la vertu, mais d’une autre potentialité. — Mais il nous faut insister sur ce point et parler plus clairement. Il existe une certaine puissance, appelée habileté et celle-ci est telle qu’elle est capable de faire les choses tendant au but que nous nous proposons et de les atteindre. Si le but est noble, c’est une puissance digne d’éloges, mais s’il est pervers, elle n’est que rouerie et c’est pourquoi nous appelons habiles les hommes prudents aussi bien que les roués. La prudence n’est pas la puissance dont nous parlons, mais elle n’existe pas sans cette puissance. Mais ladite disposition ne se réalise pas pour cet "oeil de l’âme" sans l’aide de la vertu : nous l’avons dit et cela est d’ailleurs évident. En effet, les syllogismes de l’action ont comme principe : "Puisque la fin, c’est-à-dire le Souverain Bien, est de telle nature", (quoi que ce puisse être d’ailleurs, et nous pouvons prendre à titre d’exemple la première chose venue) ; mais ce Souverain Bien ne se manifeste qu’aux yeux de l’homme de bien car la méchanceté fausse l’esprit et nous induit en erreur sur les principes de la conduite La conséquence évidente, c’est l’impossibilité d’être prudent sans être vertueux.
Examinons donc de nouveau encore la nature de la vertu.
Le cas de la vertu est, en effet, voisin de celui de la prudence dans ses rapports avec l’habileté. Sans qu’il y ait à cet égard identité, il y a du moins ressemblance, et la vertu naturelle entretient un rapport de même sorte avec la vertu au sens strict. Tout le monde admet, en effet, que chaque type de caractère appartient à son possesseur en quelque sorte par nature (car nous sommes justes, ou enclins à la tempérance, ou braves, et ainsi de suite, dès le moment de notre naissance). Mais pourtant nous cherchons quelque chose d’autre, à savoir le bien au sens strict et voulons que de telles qualités nous appartiennent d’une autre façon. En effet, même les enfants et les bêtes possèdent les dispositions naturelles, mais, faute d’être accompagnées de raison, ces dispositions nous apparaissent comme nocives. De toute façon, il y a une chose qui tombe semble-t-il sous le sens, c’est que, tout comme il arrive à un organisme vigoureux mais privé de la vue, de tomber lourdement quand il se meut, parce qu’il n’y voit pas, ainsi en est-il dans le cas des dispositions dont nous parlons une fois au contraire que la raison est venue alors dans le domaine de l’action morale c’est un change ment radical, et la disposition qui n’avait jusqu’ici qu’une ressemblance avec la vertu sera alors vertu au sens strict. Par conséquent, de même que pour la partie opinante on distingue deux sortes de qua lités, l’habileté et la prudence, ainsi aussi pour la partie morale de l’âme il existe deux types de vertus, la vertu naturelle et la vertu proprement dite, et de ces deux vertus la vertu proprement dite ne se produit pas sans être accompagnée de prudence. C’est pourquoi certains prétendent que toutes les vertus sont des formes de prudence, et SOCRATE, dans sa méthode d’investigation avait raison en un sens et tort en un autre : en pensant que toutes les vertus sont des formes de la prudence, il commettait une erreur, mais en disant qu’elles ne pouvaient exister sans la prudence, il avait entièrement raison. Et la preuve, c’est que tout le monde aujourd’hui en définissant la vertu après avoir indiqué la disposition qu’elle est et précisé les choses qu’elle a pour objet, ajoute qu’elle est une disposition conforme à la droite règle, et la droite règle est celle qui est selon la prudence. Il apparaît dès lors que tous les hommes pressentent en quelque sorte obscurément que la disposition présentant ce caractère est vertu, je veux dire la disposition selon la prudence.
Mais il nous faut aller un peu plus loin : ce n’est pas seulement la disposition conforme à la droite règle qui est vertu, il faut encore que la disposition soit intimement unie à la droite règle : or dans ce domaine la prudence est une droite règle — Ainsi donc, SOCRATE pensait que les vertus sont des règles (puisqu’elles sont toutes selon lui des formes de science), tandis que, à notre avis à nous, les vertus sont intimement unies à une règle.
On voit ainsi clairement, d’après ce que nous venons de dire, qu’il n’est pas possible d’être homme de bien au sens strict, sans prudence, ni prudent sans la vertu morale. Mais en outre on pourrait de cette façon réfuter l’argument dialectique qui tendrait à établir que les vertus existent séparément les unes des autres, sous prétexte que le même homme n’est pas naturellement le plus apte à les pratiquer toutes, de sorte qu’il aura déjà acquis l’une et n’aura pas encore acquis l’autre. Cela est assurément possible pour ce qui concerne les vertus naturelles ; par contre, en ce qui regarde celles auxquelles nous devons le nom d’homme de bien proprement dit, c’est une chose a impossible, car en même temps que la prudence, qui est une seule vertu, toutes les autres seront données. — Et il est clair que, même si la prudence n’avait pas de portée pratique, on aurait tout de même besoin d’elle, parce qu’elle est la vertu de cette partie de l’intellect à laquelle elle appartient ; et aussi, que le choix délibéré ne sera pas correct sans prudence, pas plus que sans vertu morale, car la vertu morale est ordonnée à la fin, et la prudence nous fait accomplir les actions conduisant à la fin.
Il n’en est pas moins vrai que la prudence ne détient pas la suprématie sur la sagesse théorique c’est-à-dire sur la partie meilleure de l’intellect, pas plus que l’art médical n’a la suprématie sur la santé l’art médical ne dispose pas de la santé, mais veille a la faire naître ; il formule donc des prescriptions en vue de la santé, mais non à elle. En outre, on pourrait aussi bien dire que la politique gouverne les dieux, sous prétexte que ses prescriptions s’appliquent à toutes les affaires de la cité.
Nous avons donc établi quelle est la nature de la prudence et de la sagesse théorique, et quelles sont en fait leurs sphères respectives ; et nous avons montré que chacune d’elles est vertu d’une partie différente de l’âme.
Mais on peut se poser la question de savoir quelle est l’utilité de ces vertus. La sagesse théorique, en effet n’étudie aucun des moyens qui peuvent rendre un homme heureux puisqu’elle ne porte en aucun cas sur un devenir) la prudence, par contre, remplit bien ce rôle mais en vue de quoi avons-nous besoin d’elle ? La prudence a sans doute pour objet les choses justes, belles et bonnes pour l’homme, mais ce sont là des choses qu’un homme de bien accomplit naturellement. Notre action n’est en rien facilitée par la connaissance que nous avons de ces choses s’il est vrai que les vertus sont des dispositions du caractère, pas plus que ne nous sert la connaissance des choses saines ou des choses en bon état, en prenant ces expressions non pas au sens de productrices de santé, mais comme un résultat de l’état de santé car nous ne sommes rendus en rien plus aptes à nous bien porter ou à être en bon état, par le fait de posséder l’art médical ou celui de la gymnastique.
Mais si, d’un autre côté on doit poser qu’un homme est prudent non pas afin de connaître les vérités morales, mais afin de devenir vertueux, alors, pour ceux qui le sont déjà, la prudence ne saurait servir à rien. Bien plus, elle ne servira pas davantage o à ceux qui ne le sont pas, car peu importera qu’on possède soi-même la prudence ou qu’on suive seule ment les conseils d’autres qui la possèdent : il nous suffirait de faire ce que nous faisons en ce qui concerne notre santé, car tout en souhaitant de nous bien porter, nous n’apprenons pas pour autant l’art médical.
Ajoutons à cela qu’on peut trouver étrange que la prudence, bien qu’inférieure à la sagesse théorique ait une autorité supérieure à celle de cette dernière, puisque l’art qui produit une chose quelconque gouverne et régit tout ce qui concerne cette chose.
Telles sont donc les questions que nous devons discuter, car jusqu’ici nous n’avons fait que poser des problèmes. D’abord nous soutenons que la sagesse et la prudence sont nécessairement désirables en elles-mêmes, en tant du moins qu’elles sont vertus respectives de chacune des deux parties de l’âme, et cela même si ni l’une ni l’autre ne produisent rien. — Secondement ces vertus produisent en réalité quelque chose, non pas au sens où la médecine produit la santé, mais au sens où l’état de santé est cause de la santé : c’est de cette façon que la sagesse produit le bonheur, car étant une partie de la vertu totale par sa simple possession et par son exercice elle rend un homme heureux.
En outre l’oeuvre propre de l’homme n’est complètement achevé qu’en conformité avec la prudence aussi bien qu’avec la vertu morale : la vertu morale, en effet, assure la rectitude du but que nous poursuivons, et la prudence celle des moyens pour parvenir à ce but. — Quant à la quatrième partie de l’âme, la nutritive, elle n’a aucune vertu de cette sorte, car son action ou son inaction n’est nullement en son pouvoir.
En ce qui regarde enfin le fait que la prudence ne nous rend en rien plus aptes à accomplir les actions nobles et justes, il nous faut reprendre d’un peu plus haut en partant d’un principe qui est le suivant. De même que nous disons de certains qui accomplissent des actions justes, qu’ils ne sont pas encore des hommes justes, ceux qui font, par exemple, ce qui est prescrit par les lois, soit malgré eux, soit par ignorance, soit pour tout autre motif, mais non pas simplement en vue d’accomplir l’action (bien qu’ils fassent assurément ce qu’il faut faire, et tout ce que l’homme vertueux est tenu de faire), ainsi, semble-t- il bien, il existe un certain état d’esprit dans lequel on accomplit ces différentes actions de façon à être homme de bien, je veux dire qu’on les fait par choix délibéré et en vue des actions mêmes qu’on accomplit. Or la vertu morale assure bien la rectitude du choix, mais accomplir les actes tendant naturellement à la réalisation de la fin que nous avons choisie, c’est là une chose qui ne relève plus de la vertu, mais d’une autre potentialité. — Mais il nous faut insister sur ce point et parler plus clairement. Il existe une certaine puissance, appelée habileté et celle-ci est telle qu’elle est capable de faire les choses tendant au but que nous nous proposons et de les atteindre. Si le but est noble, c’est une puissance digne d’éloges, mais s’il est pervers, elle n’est que rouerie et c’est pourquoi nous appelons habiles les hommes prudents aussi bien que les roués. La prudence n’est pas la puissance dont nous parlons, mais elle n’existe pas sans cette puissance. Mais ladite disposition ne se réalise pas pour cet "oeil de l’âme" sans l’aide de la vertu : nous l’avons dit et cela est d’ailleurs évident. En effet, les syllogismes de l’action ont comme principe : "Puisque la fin, c’est-à-dire le Souverain Bien, est de telle nature", (quoi que ce puisse être d’ailleurs, et nous pouvons prendre à titre d’exemple la première chose venue) ; mais ce Souverain Bien ne se manifeste qu’aux yeux de l’homme de bien car la méchanceté fausse l’esprit et nous induit en erreur sur les principes de la conduite La conséquence évidente, c’est l’impossibilité d’être prudent sans être vertueux.
Examinons donc de nouveau encore la nature de la vertu.
Le cas de la vertu est, en effet, voisin de celui de la prudence dans ses rapports avec l’habileté. Sans qu’il y ait à cet égard identité, il y a du moins ressemblance, et la vertu naturelle entretient un rapport de même sorte avec la vertu au sens strict. Tout le monde admet, en effet, que chaque type de caractère appartient à son possesseur en quelque sorte par nature (car nous sommes justes, ou enclins à la tempérance, ou braves, et ainsi de suite, dès le moment de notre naissance). Mais pourtant nous cherchons quelque chose d’autre, à savoir le bien au sens strict et voulons que de telles qualités nous appartiennent d’une autre façon. En effet, même les enfants et les bêtes possèdent les dispositions naturelles, mais, faute d’être accompagnées de raison, ces dispositions nous apparaissent comme nocives. De toute façon, il y a une chose qui tombe semble-t-il sous le sens, c’est que, tout comme il arrive à un organisme vigoureux mais privé de la vue, de tomber lourdement quand il se meut, parce qu’il n’y voit pas, ainsi en est-il dans le cas des dispositions dont nous parlons une fois au contraire que la raison est venue alors dans le domaine de l’action morale c’est un change ment radical, et la disposition qui n’avait jusqu’ici qu’une ressemblance avec la vertu sera alors vertu au sens strict. Par conséquent, de même que pour la partie opinante on distingue deux sortes de qua lités, l’habileté et la prudence, ainsi aussi pour la partie morale de l’âme il existe deux types de vertus, la vertu naturelle et la vertu proprement dite, et de ces deux vertus la vertu proprement dite ne se produit pas sans être accompagnée de prudence. C’est pourquoi certains prétendent que toutes les vertus sont des formes de prudence, et SOCRATE, dans sa méthode d’investigation avait raison en un sens et tort en un autre : en pensant que toutes les vertus sont des formes de la prudence, il commettait une erreur, mais en disant qu’elles ne pouvaient exister sans la prudence, il avait entièrement raison. Et la preuve, c’est que tout le monde aujourd’hui en définissant la vertu après avoir indiqué la disposition qu’elle est et précisé les choses qu’elle a pour objet, ajoute qu’elle est une disposition conforme à la droite règle, et la droite règle est celle qui est selon la prudence. Il apparaît dès lors que tous les hommes pressentent en quelque sorte obscurément que la disposition présentant ce caractère est vertu, je veux dire la disposition selon la prudence.
Mais il nous faut aller un peu plus loin : ce n’est pas seulement la disposition conforme à la droite règle qui est vertu, il faut encore que la disposition soit intimement unie à la droite règle : or dans ce domaine la prudence est une droite règle — Ainsi donc, SOCRATE pensait que les vertus sont des règles (puisqu’elles sont toutes selon lui des formes de science), tandis que, à notre avis à nous, les vertus sont intimement unies à une règle.
On voit ainsi clairement, d’après ce que nous venons de dire, qu’il n’est pas possible d’être homme de bien au sens strict, sans prudence, ni prudent sans la vertu morale. Mais en outre on pourrait de cette façon réfuter l’argument dialectique qui tendrait à établir que les vertus existent séparément les unes des autres, sous prétexte que le même homme n’est pas naturellement le plus apte à les pratiquer toutes, de sorte qu’il aura déjà acquis l’une et n’aura pas encore acquis l’autre. Cela est assurément possible pour ce qui concerne les vertus naturelles ; par contre, en ce qui regarde celles auxquelles nous devons le nom d’homme de bien proprement dit, c’est une chose a impossible, car en même temps que la prudence, qui est une seule vertu, toutes les autres seront données. — Et il est clair que, même si la prudence n’avait pas de portée pratique, on aurait tout de même besoin d’elle, parce qu’elle est la vertu de cette partie de l’intellect à laquelle elle appartient ; et aussi, que le choix délibéré ne sera pas correct sans prudence, pas plus que sans vertu morale, car la vertu morale est ordonnée à la fin, et la prudence nous fait accomplir les actions conduisant à la fin.
Il n’en est pas moins vrai que la prudence ne détient pas la suprématie sur la sagesse théorique c’est-à-dire sur la partie meilleure de l’intellect, pas plus que l’art médical n’a la suprématie sur la santé l’art médical ne dispose pas de la santé, mais veille a la faire naître ; il formule donc des prescriptions en vue de la santé, mais non à elle. En outre, on pourrait aussi bien dire que la politique gouverne les dieux, sous prétexte que ses prescriptions s’appliquent à toutes les affaires de la cité.
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