Aristote - Le Traité de l'âme - Peri Psyche - LIVRE II: L'ÂME, LES SENS ET LES SENSATIONS.
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Aristote - Le Traité de l'âme - Peri Psyche - LIVRE II: L'ÂME, LES SENS ET LES SENSATIONS.
Chapitre 1: Ce qu'est l'âme.
En voilà assez sur les doctrines traditionnelles de nos prédécesseurs au sujet de l’âme. Reprenons de nouveau la question comme à son point de départ et efforçons-nous de déterminer ce qu’est l’âme et quelle peut être sa définition la plus générale. L’un des genres de l’Être est, disons-nous, la substance; or la substance, c’est, en un premier sens, la matière, c’est-à-dire ce qui, par soi, n’est pas une chose déterminée; en un second sens, c’est la figure et la forme, suivant laquelle, dès lors, la matière est appelée un être déterminé; et, en un troisième sens, c’est le composé de la matière et de la forme Or la matière est puissance, et la forme, entéléchie, et ce dernier terme se dit en deux sens: l’entéléchie est soit comme la science, soit comme l’exercice de la science. Mais ce que l’opinion commune reconnaît, par dessus tout, comme des substances, ce sont les corps, et, parmi eux, les corps naturels, car ces derniers sont principes des autres, Des corps naturels, les uns ont la vie et les autres ne l’ont pas: et par "vie" nous entendons le fait de se nourrir, de grandir et de dépérir par soi-même. Il en résulte que tout corps naturel ayant la vie en partage sera une substance, et substance au sens de substance composée. Et puis qu’il s’agit là, en outré, d’un corps d’une certaine qualité, c’est-à-dire d’un corps possédant la vie, le corps ne sera pas identique à l’âme, car le corps animé n’est pas un attribut d’un sujet, mais il est plutôt lui-même substrat et matière. Par suite, l’âme est nécessairement substance, en ce sens qu’elle est la forme d’un corps naturel ayant la vie en puissance. Mais la substance formelle est entéléchie; l’âme est donc l’entéléchie d’un corps de cette nature. Mais l’entéléchie se prend en un double sens; elle est tantôt comme la science, tantôt comme l’exercice de la science, Il est ainsi manifeste que l’âme est une entéléchie comme la science, car le sommeil aussi bien que la veille impliquent la présence de l’âme, la veille étant une chose analogue à l’exercice de la science, et le sommeil, à la possession de la science, sans l’exercice. Or l’antériorité dans l’ordre de la génération appartient, dans le même individu, à la science. C’est pourquoi l’âme est, en définitive, une entéléchie première d’un corps naturel ayant la vie en puissance, c’est-à-dire d’un corps organisé. Et les parties de la plante sont aussi des organes, mais extrêmement simples: par exemple, la feuille est l’abri du péricarpe, et le péri carpe, du fruit; les racines sont l’analogue de la bouche, car toutes deux absorbent la nourriture. Si donc c’est une définition générale, applicable à toute espèce d’âme, que nous avons à formuler, nous dirons que l’âme est l’entéléchie première d’un corps naturel organisé. C’est aussi pourquoi il n’y a pas à rechercher si l’âme et le corps sont une seule chose, pas plus qu’on ne le fait pour la cire et l’empreinte, ni d’une manière générale, pour la matière d’une chose quelconque et e dont elle est la matière. Car l’Un et l’Être se prennent en plusieurs acceptions, mais leur sens fondamental c’est l’entéléchie. Nous avons donc défini, en termes généraux, ce qu’est l'âme: elle est une substance au sens de forme, c’est-à-dire la quiddité d’un corps d’une qualité déterminée. Supposons, par exemple, qu’un instrument, tel que la hache, fût un corps naturel: la quiddité de la hache serait sa substance, et ce serait son âme; car si la substance était séparée de la hache, il n’y aurait plus de hache, sinon par homonymie Mais, en réalité, ce n’est qu’une hache En effet, ce n’est pas d’un corps de cette sorte que l’âme est la quiddité et la ‘forme, mais d’un corps naturel de telle qualité c’est-à-dire ayant un principe de mouvement et de repos en lui-même. Appliquons maintenant ce que nous venons de dire aux parties du corps vivant. Si l’œil, en effet, était un animal, la vue serait son âme: car c’est là la substance formelle de l’œil. Or l’œil est la matière de la vue, et la vue venant à faire défaut, il n’y a plus d’œil, sinon par homonymie, comme un oeil de pierre ou un oeil dessiné. Il faut ainsi étendre ce qui est vrai des parties, à l’ensemble du corps vivant. En effet, ce que la partie de l’âme est à la partie du corps, la sensibilité tout entière l’est à l’ensemble du corps sentant, en tant que tel.
D’autre part, ce n’est pas le corps séparé de son âme qui est en puissance capable de vivre: c’est celui qui la possède encore. Ce n’est pas davantage la semence et le fruit, lesquels sont, en puissance seulement, un corps de telle qualité.
Ainsi donc, c’est comme le tranchant de la hache et la vision que la veille aussi est entéléchie; tandis que c’est comme la vue et le pouvoir de l’outil que l’âme est entéléchie; le corps, lui, est seulement ce qui est en puissance Mais de même que l’œil est la pupille jointe à la vue, ainsi, dans le cas qui nous occupe, l’animal est l’âme jointe au corps. L’âme n’est donc pas séparable du corps, tout au moins certaines parties de l’âme, si l’âme est naturellement partageable: cela n’est pas douteux. En effet, pour certaines parties du corps, leur entéléchie est celle des parties elles-mêmes. Cependant rien n’empêche que certaines autres parties, du moins, ne soient séparables, en raison de ce qu’elles ne sont les entéléchies d’aucun corps. De plus, on ne voit pas bien si l’âme est l’entéléchie du corps, comme le pilote, du bateau. Ce que nous venons de dire doit suffire pour un exposé en résumé et une esquisse d’une définition générale de l’âme.
En voilà assez sur les doctrines traditionnelles de nos prédécesseurs au sujet de l’âme. Reprenons de nouveau la question comme à son point de départ et efforçons-nous de déterminer ce qu’est l’âme et quelle peut être sa définition la plus générale. L’un des genres de l’Être est, disons-nous, la substance; or la substance, c’est, en un premier sens, la matière, c’est-à-dire ce qui, par soi, n’est pas une chose déterminée; en un second sens, c’est la figure et la forme, suivant laquelle, dès lors, la matière est appelée un être déterminé; et, en un troisième sens, c’est le composé de la matière et de la forme Or la matière est puissance, et la forme, entéléchie, et ce dernier terme se dit en deux sens: l’entéléchie est soit comme la science, soit comme l’exercice de la science. Mais ce que l’opinion commune reconnaît, par dessus tout, comme des substances, ce sont les corps, et, parmi eux, les corps naturels, car ces derniers sont principes des autres, Des corps naturels, les uns ont la vie et les autres ne l’ont pas: et par "vie" nous entendons le fait de se nourrir, de grandir et de dépérir par soi-même. Il en résulte que tout corps naturel ayant la vie en partage sera une substance, et substance au sens de substance composée. Et puis qu’il s’agit là, en outré, d’un corps d’une certaine qualité, c’est-à-dire d’un corps possédant la vie, le corps ne sera pas identique à l’âme, car le corps animé n’est pas un attribut d’un sujet, mais il est plutôt lui-même substrat et matière. Par suite, l’âme est nécessairement substance, en ce sens qu’elle est la forme d’un corps naturel ayant la vie en puissance. Mais la substance formelle est entéléchie; l’âme est donc l’entéléchie d’un corps de cette nature. Mais l’entéléchie se prend en un double sens; elle est tantôt comme la science, tantôt comme l’exercice de la science, Il est ainsi manifeste que l’âme est une entéléchie comme la science, car le sommeil aussi bien que la veille impliquent la présence de l’âme, la veille étant une chose analogue à l’exercice de la science, et le sommeil, à la possession de la science, sans l’exercice. Or l’antériorité dans l’ordre de la génération appartient, dans le même individu, à la science. C’est pourquoi l’âme est, en définitive, une entéléchie première d’un corps naturel ayant la vie en puissance, c’est-à-dire d’un corps organisé. Et les parties de la plante sont aussi des organes, mais extrêmement simples: par exemple, la feuille est l’abri du péricarpe, et le péri carpe, du fruit; les racines sont l’analogue de la bouche, car toutes deux absorbent la nourriture. Si donc c’est une définition générale, applicable à toute espèce d’âme, que nous avons à formuler, nous dirons que l’âme est l’entéléchie première d’un corps naturel organisé. C’est aussi pourquoi il n’y a pas à rechercher si l’âme et le corps sont une seule chose, pas plus qu’on ne le fait pour la cire et l’empreinte, ni d’une manière générale, pour la matière d’une chose quelconque et e dont elle est la matière. Car l’Un et l’Être se prennent en plusieurs acceptions, mais leur sens fondamental c’est l’entéléchie. Nous avons donc défini, en termes généraux, ce qu’est l'âme: elle est une substance au sens de forme, c’est-à-dire la quiddité d’un corps d’une qualité déterminée. Supposons, par exemple, qu’un instrument, tel que la hache, fût un corps naturel: la quiddité de la hache serait sa substance, et ce serait son âme; car si la substance était séparée de la hache, il n’y aurait plus de hache, sinon par homonymie Mais, en réalité, ce n’est qu’une hache En effet, ce n’est pas d’un corps de cette sorte que l’âme est la quiddité et la ‘forme, mais d’un corps naturel de telle qualité c’est-à-dire ayant un principe de mouvement et de repos en lui-même. Appliquons maintenant ce que nous venons de dire aux parties du corps vivant. Si l’œil, en effet, était un animal, la vue serait son âme: car c’est là la substance formelle de l’œil. Or l’œil est la matière de la vue, et la vue venant à faire défaut, il n’y a plus d’œil, sinon par homonymie, comme un oeil de pierre ou un oeil dessiné. Il faut ainsi étendre ce qui est vrai des parties, à l’ensemble du corps vivant. En effet, ce que la partie de l’âme est à la partie du corps, la sensibilité tout entière l’est à l’ensemble du corps sentant, en tant que tel.
D’autre part, ce n’est pas le corps séparé de son âme qui est en puissance capable de vivre: c’est celui qui la possède encore. Ce n’est pas davantage la semence et le fruit, lesquels sont, en puissance seulement, un corps de telle qualité.
Ainsi donc, c’est comme le tranchant de la hache et la vision que la veille aussi est entéléchie; tandis que c’est comme la vue et le pouvoir de l’outil que l’âme est entéléchie; le corps, lui, est seulement ce qui est en puissance Mais de même que l’œil est la pupille jointe à la vue, ainsi, dans le cas qui nous occupe, l’animal est l’âme jointe au corps. L’âme n’est donc pas séparable du corps, tout au moins certaines parties de l’âme, si l’âme est naturellement partageable: cela n’est pas douteux. En effet, pour certaines parties du corps, leur entéléchie est celle des parties elles-mêmes. Cependant rien n’empêche que certaines autres parties, du moins, ne soient séparables, en raison de ce qu’elles ne sont les entéléchies d’aucun corps. De plus, on ne voit pas bien si l’âme est l’entéléchie du corps, comme le pilote, du bateau. Ce que nous venons de dire doit suffire pour un exposé en résumé et une esquisse d’une définition générale de l’âme.
Re: Aristote - Le Traité de l'âme - Peri Psyche - LIVRE II: L'ÂME, LES SENS ET LES SENSATIONS.
Chapitre 2: Explication de la définition de l’âme.
Puisque c’est de données en elles-mêmes indistinctes, mais plus évidentes pour nous que provient ce qui est clair et logiquement plus connaissable, nous devons tenter de nouveau, de cette façon-là du moins, d’aborder l’étude de l’âme. Car non seule ment le discours exprimant la définition doit énoncer ce qui est en fait ainsi que procèdent la plupart des définitions, mais elle doit encore contenir la cause et la mettre en lumière. En fait, c’est sous forme de simples conclusions que les définitions sont d’ordinaire énoncées. Par exemple, qu’est-ce que la quadrature? C’est dans l’opinion commune la construction d’un rectangle équilatéral égal à’ un rectangle oblong donné. Mais une telle définition est seulement l’expression de la conclu sion. Dire, au contraire, que la quadrature est la découverte d’une moyenne, c’est indiquer la cause de l’objet défini. Nous posons donc, comme point de départ de notre enquête, que l’animé diffère de l’inanimé par la vie. Or le terme "Vie" reçoit plusieurs acceptions, et il suffit qu’une seule d’entre elles se trouve réalisée dans un sujet pour que nous disions qu’il vit: que ce soit, par exemple, l’intellect, la sensation, le mouvement et le repos selon le lieu, ou encore le mouvement de nutrition, le décroissement et l’accroissement. C’est aussi pourquoi tous les végétaux semblent bien avoir la vie, car il apparaît, en fait, qu’ils ont en eux-mêmes une faculté et un principe tel que, grâce à lui, ils reçoivent accroisse ment et décroissement selon des directions locales contraires. En effet, ce n’est pas seulement vers le haut qu’ils s’accroissent, à l’exclusion du bas, mais c’est pareillement dans ces deux directions; ils se développent ainsi progressivement de tous côtés et continuent à vivre aussi longtemps qu’ils sont capables d’absorber la nourriture. Cette faculté peut être séparée des autres, bien que les autres ne puissent l’être d’elle, chez les êtres mortels du moins. Le fait est manifeste dans les végétaux, car aucune des autres facultés de l’âme ne leur appartient. C’est donc en vertu de ce principe que tous les êtres vivants possèdent la vie. Quant à l’animal, c’est la sensation qui est à la base de son organisation même, en effet, les êtres qui ne se meuvent pas et qui ne se déplacent pas, du moment qu’ils possèdent la sensation, nous les appelons des animaux et non plus seulement des vivants. Maintenant, parmi les différentes sensations, il en est une qui appartient primordialement à tous les animaux: c’est le toucher. Et de même que la faculté nutritive peut être séparée du toucher et de toute sensation, ainsi le toucher peut l’être lui-même des autres sens (Par faculté nutritive, nous entendons cette partie de l’âme que les végétaux eux-mêmes ont en partage; les animaux, eux, possèdent manifestement tous, le sens du toucher). Mais pour quelle raison en est-il ainsi dans chacun de ces cas, nous en parlerons plus tard .
Pour l’instant, contentons-nous de dire que l’âme est le principe des fonctions que nous avons indiquées et qu’elle est définie par elles, savoir par les facultés motrice, sensitive, dianoétique, et par le mouvement. Mais chacune de ces facultés est-elle une âme ou seulement une partie de l’âme, et, si elle en est une partie, l’est-elle de façon à n’être séparable que logiquement ou à l’être aussi dans le lieu? Pour certaines d’entre elles, la solution n’est pas difficile à apercevoir, mais, pour d’autres, il y a difficulté. Ce qui se passe dans le cas des plantes, dont certaines, une fois divisées, continuent manifeste ment à vivre, bien que leurs parties soient séparées les unes des autres (ce qui implique que l’âme qui réside en elles est, dans chaque plante, une en entéléchie, mais multiple en puissance), nous le voyons se produire aussi, pour d’autres différences de l’âme, chez les insectes qui ont été segmentés. Et, en effet, chacun des segments possède la sensation et le mouvement local; et, s’il possède la sensation, il possède aussi l’imagination et le désir, car là où il y a sensation il y a aussi douleur et plaisir, et là où il y a douleur et plaisir, il y a aussi nécessairement appétit. Mais en ce qui touche l’intellect et la faculté théorétique, rien n’est encore évident pourtant il semble bien que ce soit là un genre de l’âme tout différent, et que seul il puisse être séparé du corps, comme l’éternel, du corruptible. Quant aux autres parties de l’âme, il est clair, d’après ce qui précède, qu’elles ne sont pas séparées de la façon dont certains philosophes le prétendent que pourtant elles soient logiquement distinctes, c’est ce qui est évident. En effet, la quiddité de la faculté sensitive est différente de celle de la faculté opinante puisque l’acte de sentir est autre que l’acte d’opiner. Et il en est de même pour chacune des autres facultés ci-dessus énumérées. De plus, certains animaux possèdent toutes ces facultés, certains autres quelques-unes seulement, d’autres enfin une seule (et c’est ce qui différenciera les animaux entre eux). Mais pour quelle raison en est-il ainsi, nous l’examinerons plus tard C’est à peu près le cas aussi pour les sensations certains animaux les ont toutes, d’autres quelques-unes seulement, d’autres enfin une seule, la plus indispensable, le toucher. Mais l’expression "ce par quoi nous vivons et percevons" se prend en un double sens, comme " ce par quoi nous connaissons ", autre expression qui désigne tantôt la science et tantôt l’âme (car c’est par l’un ou par l’autre de ces deux termes que nous disons, suivant le cas, connaître); c’est ainsi encore que "ce par quoi nous sommes en bonne santé signifie soit la santé, soit une certaine partie du corps, soit même le corps tout entier. Or, dans tous ces exemples, la science et la santé sont la figure, la forme en quelque sorte, la notion, et, pour ainsi dire, l’acte du sujet capable de recevoir, dans un cas, la science, et dans l’autre, la santé (car il semble bien que ce soit dans le patient, dans ce qui subit la disposition, que se réalise l’acte de l’agent);d’autre part, l’âme est, au sens primordial, ce par quoi nous vivons, percevons et pensons: il en résulte qu’elle sera notion et forme, et non pas matière et substrat. En effet la substance se prend, comme nous l’avons dit en trois sens, dont l’un désigne la forme, un autre la matière, un autre enfin le composé des deux, la matière étant puissance. et la forme, entéléchie; d’autre part, puisque c’est l’être animé qui est ici le composé de la matière et de la forme, le corps ne peut pas être I’entéléchie de l’âme; c’est l’âme qui est l’entéléchie d’un corps d’une certaine nature. Par conséquent, c’est à bon droit que des penseurs ont estimé que l’âme ne peut être ni sans un corps, ni un corps: car elle n’est pas un corps, mais quelque chose du corps. Et c’est pourquoi elle est dans un corps, et dans un corps d’une nature déterminée et nullement à la façon dont nos prédécesseurs l’adaptaient au corps, sans ajouter aucune détermination sur la nature et la qualité de ce corps, bien qu’il soit manifeste que n’importe quoi ne soit pas susceptible de recevoir n’importe quoi. C’est à un même résultat qu’aboutit d’ailleurs le raisonnement’: l’entéléchie de chaque chose survient naturellement dans ce qui est en puissance cette chose, autrement dit; dans la matière appropriée. Que l’âme soit donc une certaine entéléchie et la forme de ce qui possède la puissance d’avoir une nature déterminée, cela est évident d’après ce que nous venons de voir.
Puisque c’est de données en elles-mêmes indistinctes, mais plus évidentes pour nous que provient ce qui est clair et logiquement plus connaissable, nous devons tenter de nouveau, de cette façon-là du moins, d’aborder l’étude de l’âme. Car non seule ment le discours exprimant la définition doit énoncer ce qui est en fait ainsi que procèdent la plupart des définitions, mais elle doit encore contenir la cause et la mettre en lumière. En fait, c’est sous forme de simples conclusions que les définitions sont d’ordinaire énoncées. Par exemple, qu’est-ce que la quadrature? C’est dans l’opinion commune la construction d’un rectangle équilatéral égal à’ un rectangle oblong donné. Mais une telle définition est seulement l’expression de la conclu sion. Dire, au contraire, que la quadrature est la découverte d’une moyenne, c’est indiquer la cause de l’objet défini. Nous posons donc, comme point de départ de notre enquête, que l’animé diffère de l’inanimé par la vie. Or le terme "Vie" reçoit plusieurs acceptions, et il suffit qu’une seule d’entre elles se trouve réalisée dans un sujet pour que nous disions qu’il vit: que ce soit, par exemple, l’intellect, la sensation, le mouvement et le repos selon le lieu, ou encore le mouvement de nutrition, le décroissement et l’accroissement. C’est aussi pourquoi tous les végétaux semblent bien avoir la vie, car il apparaît, en fait, qu’ils ont en eux-mêmes une faculté et un principe tel que, grâce à lui, ils reçoivent accroisse ment et décroissement selon des directions locales contraires. En effet, ce n’est pas seulement vers le haut qu’ils s’accroissent, à l’exclusion du bas, mais c’est pareillement dans ces deux directions; ils se développent ainsi progressivement de tous côtés et continuent à vivre aussi longtemps qu’ils sont capables d’absorber la nourriture. Cette faculté peut être séparée des autres, bien que les autres ne puissent l’être d’elle, chez les êtres mortels du moins. Le fait est manifeste dans les végétaux, car aucune des autres facultés de l’âme ne leur appartient. C’est donc en vertu de ce principe que tous les êtres vivants possèdent la vie. Quant à l’animal, c’est la sensation qui est à la base de son organisation même, en effet, les êtres qui ne se meuvent pas et qui ne se déplacent pas, du moment qu’ils possèdent la sensation, nous les appelons des animaux et non plus seulement des vivants. Maintenant, parmi les différentes sensations, il en est une qui appartient primordialement à tous les animaux: c’est le toucher. Et de même que la faculté nutritive peut être séparée du toucher et de toute sensation, ainsi le toucher peut l’être lui-même des autres sens (Par faculté nutritive, nous entendons cette partie de l’âme que les végétaux eux-mêmes ont en partage; les animaux, eux, possèdent manifestement tous, le sens du toucher). Mais pour quelle raison en est-il ainsi dans chacun de ces cas, nous en parlerons plus tard .
Pour l’instant, contentons-nous de dire que l’âme est le principe des fonctions que nous avons indiquées et qu’elle est définie par elles, savoir par les facultés motrice, sensitive, dianoétique, et par le mouvement. Mais chacune de ces facultés est-elle une âme ou seulement une partie de l’âme, et, si elle en est une partie, l’est-elle de façon à n’être séparable que logiquement ou à l’être aussi dans le lieu? Pour certaines d’entre elles, la solution n’est pas difficile à apercevoir, mais, pour d’autres, il y a difficulté. Ce qui se passe dans le cas des plantes, dont certaines, une fois divisées, continuent manifeste ment à vivre, bien que leurs parties soient séparées les unes des autres (ce qui implique que l’âme qui réside en elles est, dans chaque plante, une en entéléchie, mais multiple en puissance), nous le voyons se produire aussi, pour d’autres différences de l’âme, chez les insectes qui ont été segmentés. Et, en effet, chacun des segments possède la sensation et le mouvement local; et, s’il possède la sensation, il possède aussi l’imagination et le désir, car là où il y a sensation il y a aussi douleur et plaisir, et là où il y a douleur et plaisir, il y a aussi nécessairement appétit. Mais en ce qui touche l’intellect et la faculté théorétique, rien n’est encore évident pourtant il semble bien que ce soit là un genre de l’âme tout différent, et que seul il puisse être séparé du corps, comme l’éternel, du corruptible. Quant aux autres parties de l’âme, il est clair, d’après ce qui précède, qu’elles ne sont pas séparées de la façon dont certains philosophes le prétendent que pourtant elles soient logiquement distinctes, c’est ce qui est évident. En effet, la quiddité de la faculté sensitive est différente de celle de la faculté opinante puisque l’acte de sentir est autre que l’acte d’opiner. Et il en est de même pour chacune des autres facultés ci-dessus énumérées. De plus, certains animaux possèdent toutes ces facultés, certains autres quelques-unes seulement, d’autres enfin une seule (et c’est ce qui différenciera les animaux entre eux). Mais pour quelle raison en est-il ainsi, nous l’examinerons plus tard C’est à peu près le cas aussi pour les sensations certains animaux les ont toutes, d’autres quelques-unes seulement, d’autres enfin une seule, la plus indispensable, le toucher. Mais l’expression "ce par quoi nous vivons et percevons" se prend en un double sens, comme " ce par quoi nous connaissons ", autre expression qui désigne tantôt la science et tantôt l’âme (car c’est par l’un ou par l’autre de ces deux termes que nous disons, suivant le cas, connaître); c’est ainsi encore que "ce par quoi nous sommes en bonne santé signifie soit la santé, soit une certaine partie du corps, soit même le corps tout entier. Or, dans tous ces exemples, la science et la santé sont la figure, la forme en quelque sorte, la notion, et, pour ainsi dire, l’acte du sujet capable de recevoir, dans un cas, la science, et dans l’autre, la santé (car il semble bien que ce soit dans le patient, dans ce qui subit la disposition, que se réalise l’acte de l’agent);d’autre part, l’âme est, au sens primordial, ce par quoi nous vivons, percevons et pensons: il en résulte qu’elle sera notion et forme, et non pas matière et substrat. En effet la substance se prend, comme nous l’avons dit en trois sens, dont l’un désigne la forme, un autre la matière, un autre enfin le composé des deux, la matière étant puissance. et la forme, entéléchie; d’autre part, puisque c’est l’être animé qui est ici le composé de la matière et de la forme, le corps ne peut pas être I’entéléchie de l’âme; c’est l’âme qui est l’entéléchie d’un corps d’une certaine nature. Par conséquent, c’est à bon droit que des penseurs ont estimé que l’âme ne peut être ni sans un corps, ni un corps: car elle n’est pas un corps, mais quelque chose du corps. Et c’est pourquoi elle est dans un corps, et dans un corps d’une nature déterminée et nullement à la façon dont nos prédécesseurs l’adaptaient au corps, sans ajouter aucune détermination sur la nature et la qualité de ce corps, bien qu’il soit manifeste que n’importe quoi ne soit pas susceptible de recevoir n’importe quoi. C’est à un même résultat qu’aboutit d’ailleurs le raisonnement’: l’entéléchie de chaque chose survient naturellement dans ce qui est en puissance cette chose, autrement dit; dans la matière appropriée. Que l’âme soit donc une certaine entéléchie et la forme de ce qui possède la puissance d’avoir une nature déterminée, cela est évident d’après ce que nous venons de voir.
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Chapitre 3: Les facultés des vivants.
Les facultés de l'âme dont nous venons de parler appartiennent toutes à certains êtres vivants comme nous l'avons dit. Elles sont les facultés nutritives, désirantes, sensitives, locomotrices et noétiques. Les plantes ne possèdent que la faculté nutritive. D'autres vivants possèdent celle-ci et de plus, la faculté sensitive; et, s’ils possèdent la faculté sensitive, ils possèdent aussi la faculté désirante, car sont du désir l’appétit, le courage et la volonté; or les animaux possèdent, tous, au moins l’un des sens, savoir le toucher, et là où il y a sensation, il y a aussi plaisir et douleur, et ce qui cause le plaisir et la douleur et les êtres qui possèdent ces états ont aussi l’appétit, car l’appétit est le désir de l’agréable. De plus, tous les animaux ont la sensation de l’aliment, car le toucher est le sens de l’aliment. En effet, des choses sèches, humides, chaudes et froides constituent exclusivement la nourriture de tous les animaux (et ces qualités sont perçues par le toucher, tandis que les autres sensibles ne le sont pas, sauf par accident), car le son, la couleur, ni l’odeur ne contribuent en rien à l’alimentation; quant à la saveur, elle est l’une des qualités tangibles. Or la faim et la soif sont appétit, la faim, du sec et du chaud, la soif, du froid et de l’humide; et la saveur est en quelque sorte un assaisonnement de ces qua lités. Nous aurons à éclaircir ces points dans la suite. Pour l’instant, qu’il nous suffise de dire qu’à ceux des animaux qui possèdent le toucher, le désir appartient également. Quant à savoir s’ils possèdent l’imagination, la question est douteuse et elle sera à examiner plus tard. A certains animaux appartient en outre la faculté de locomotion, d’autres ont encore la faculté noétique et l’intellect par exemple l’homme et tout autre être vivant, s’il en existe, qui soit d’une nature semblable ou supérieure. Il est donc évident que s’il y a une notion commune de l’âme, ce ne peut être que de la même façon qu’il y en a une de la figure; car, dans ce dernier cas, il n’y a pas de figure en dehors du triangle et des figures qui lui sont consécutives, et, dans le cas qui nous occupe, il n’y a pas d’âme non plus en dehors des âmes que nous avons énumérées. Cependant les figures elles-mêmes pourraient être dominées par une notion commune qui s’applique rait à toutes; mais, par contre, elle ne conviendrait proprement à aucune. De même pour les âmes que nous avons énumérées. Aussi est-il ridicule de rechercher, par dessus ces choses et par-dessus d’autres, une définition commune, qui ne sera la définition propre d’aucune réalité, et de ne pas, laissant de côté une telle définition, s’attacher au propre et à l’espèce indivisible Et le cas de l’âme est tout à fait semblable à celui des figures: toujours, en effet, l’antérieur est contenu en puissance dans ce qui lui est consécutif, aussi bien pour les figures que pour les êtres animés: par exemple, dans le quadrilatère est contenu le triangle, et dans l’âme sensitive, la nutritive. Par conséquent, pour chaque classe d’êtres, il faut rechercher quelle espèce d’âme lui appartient, quelle est, par exemple, l’âme de la plante, et celle de l’homme ou celle de l’animal. Mais par quelle raison expliquer une consécution de ce genre dans les âmes: c’est ce qu’il faudra examiner. Sans l’âme nutritive, en effet, il n’y a pas d’âme sensitive, tandis que, chez les plantes, l’âme nutritive existe séparément de l’âme sensitive. De même encore, sans le toucher, aucun autre sens n’existe, tandis que le toucher existe sans les autres sens, car beaucoup d’animaux ne possèdent ni la vue, ni l’ouïe, ni la sensation de l’odeur. De plus, parmi les êtres sentants, les uns possèdent la faculté de locomotion, et les autres ne l’ont pas. En dernier lieu, certains animaux, et c’est le petit nombre, possèdent le raisonnement et la pensée, car ceux des êtres corruptibles qui sont doués du raisonnement ont aussi les autres facultés, tandis que ceux qui possèdent l’une quelconque de ces dernières ne possèdent pas tous le raisonnement: au contraire, certains n’ont même pas l’imagination, d’autres ‘vivent seulement par elle. Quant à ce qui concerne l’esprit théorétique, c’est une autre question. Ainsi donc, parler de chacune de ces espèces d’âmes en particulier est évidemment aussi la façon la mieux appropriée de parler de l’âme.
Les facultés de l'âme dont nous venons de parler appartiennent toutes à certains êtres vivants comme nous l'avons dit. Elles sont les facultés nutritives, désirantes, sensitives, locomotrices et noétiques. Les plantes ne possèdent que la faculté nutritive. D'autres vivants possèdent celle-ci et de plus, la faculté sensitive; et, s’ils possèdent la faculté sensitive, ils possèdent aussi la faculté désirante, car sont du désir l’appétit, le courage et la volonté; or les animaux possèdent, tous, au moins l’un des sens, savoir le toucher, et là où il y a sensation, il y a aussi plaisir et douleur, et ce qui cause le plaisir et la douleur et les êtres qui possèdent ces états ont aussi l’appétit, car l’appétit est le désir de l’agréable. De plus, tous les animaux ont la sensation de l’aliment, car le toucher est le sens de l’aliment. En effet, des choses sèches, humides, chaudes et froides constituent exclusivement la nourriture de tous les animaux (et ces qualités sont perçues par le toucher, tandis que les autres sensibles ne le sont pas, sauf par accident), car le son, la couleur, ni l’odeur ne contribuent en rien à l’alimentation; quant à la saveur, elle est l’une des qualités tangibles. Or la faim et la soif sont appétit, la faim, du sec et du chaud, la soif, du froid et de l’humide; et la saveur est en quelque sorte un assaisonnement de ces qua lités. Nous aurons à éclaircir ces points dans la suite. Pour l’instant, qu’il nous suffise de dire qu’à ceux des animaux qui possèdent le toucher, le désir appartient également. Quant à savoir s’ils possèdent l’imagination, la question est douteuse et elle sera à examiner plus tard. A certains animaux appartient en outre la faculté de locomotion, d’autres ont encore la faculté noétique et l’intellect par exemple l’homme et tout autre être vivant, s’il en existe, qui soit d’une nature semblable ou supérieure. Il est donc évident que s’il y a une notion commune de l’âme, ce ne peut être que de la même façon qu’il y en a une de la figure; car, dans ce dernier cas, il n’y a pas de figure en dehors du triangle et des figures qui lui sont consécutives, et, dans le cas qui nous occupe, il n’y a pas d’âme non plus en dehors des âmes que nous avons énumérées. Cependant les figures elles-mêmes pourraient être dominées par une notion commune qui s’applique rait à toutes; mais, par contre, elle ne conviendrait proprement à aucune. De même pour les âmes que nous avons énumérées. Aussi est-il ridicule de rechercher, par dessus ces choses et par-dessus d’autres, une définition commune, qui ne sera la définition propre d’aucune réalité, et de ne pas, laissant de côté une telle définition, s’attacher au propre et à l’espèce indivisible Et le cas de l’âme est tout à fait semblable à celui des figures: toujours, en effet, l’antérieur est contenu en puissance dans ce qui lui est consécutif, aussi bien pour les figures que pour les êtres animés: par exemple, dans le quadrilatère est contenu le triangle, et dans l’âme sensitive, la nutritive. Par conséquent, pour chaque classe d’êtres, il faut rechercher quelle espèce d’âme lui appartient, quelle est, par exemple, l’âme de la plante, et celle de l’homme ou celle de l’animal. Mais par quelle raison expliquer une consécution de ce genre dans les âmes: c’est ce qu’il faudra examiner. Sans l’âme nutritive, en effet, il n’y a pas d’âme sensitive, tandis que, chez les plantes, l’âme nutritive existe séparément de l’âme sensitive. De même encore, sans le toucher, aucun autre sens n’existe, tandis que le toucher existe sans les autres sens, car beaucoup d’animaux ne possèdent ni la vue, ni l’ouïe, ni la sensation de l’odeur. De plus, parmi les êtres sentants, les uns possèdent la faculté de locomotion, et les autres ne l’ont pas. En dernier lieu, certains animaux, et c’est le petit nombre, possèdent le raisonnement et la pensée, car ceux des êtres corruptibles qui sont doués du raisonnement ont aussi les autres facultés, tandis que ceux qui possèdent l’une quelconque de ces dernières ne possèdent pas tous le raisonnement: au contraire, certains n’ont même pas l’imagination, d’autres ‘vivent seulement par elle. Quant à ce qui concerne l’esprit théorétique, c’est une autre question. Ainsi donc, parler de chacune de ces espèces d’âmes en particulier est évidemment aussi la façon la mieux appropriée de parler de l’âme.
Re: Aristote - Le Traité de l'âme - Peri Psyche - LIVRE II: L'ÂME, LES SENS ET LES SENSATIONS.
Chapitre 4: La faculté végétative ou nutritive.
Quand on se propose de faire porter son examen sur les différentes facultés, il est indispensable de saisir d’abord l’essence de chacune d’elles, et de ne rechercher qu’ensuite, de cette façon, les propriétés dérivées et les autres. Mais s’il faut définir ce qu’est chacune de ces facultés, par exemple ce qu’est la faculté intellectuelle, ou la faculté sensitive, ou la faculté nutritive, auparavant encore il faut établir ce qu’est l’acte de penser et ce qu’est l’acte de sentir, puisque les actes et les opérations sont logiquement antérieurs aux puissances. Et, s’il en est ainsi, comme il faut encore, avant ces actes, avoir étudié leurs opposés, c’est de ces derniers que, toujours pour la même raison, nous devrons d’abord traiter: et par opposés, j’entends l’aliment, le sensible et l’intelligible C’est donc de l’aliment et de la génération que nous devons d’abord parler. En effet, l’âme nutritive appartient aussi aux êtres animés autres que l’homme, elle est la première et la plus commune des facultés de l’âme, et c’est par elle que la vie appartient à tous les êtres. Ses fonctions sont la génération et l’usage de l’aliment. Car la plus naturelle des fonctions pour tout être vivant qui est achevé et qui n’est pas incomplet ou dont la génération n’est pas spontanée, c’est de créer un autre être semblable à lui, l’animal un animal, et la plante une plante, de façon à participer à l’éternel et au divin, dans la mesure du possible. Car tel est l’objet du désir de tous les êtres, la fin de leur naturelle activité. Or le terme "fin" est pris en un double sens: c’est, d’une part, le but lui-même, et, d’autre part, l’être pour qui ce but est une fin. Puis donc qu’il est impossible pour l’individu de participer à l’éternel et au divin d’une façon continue, par le fait qu’aucun être corruptible ne peut demeurer le même et numériquement un, c’est seulement dans la mesure où il peut y avoir part que chaque être y participe, l’un plus, l’autre moins; et il demeure ainsi non pas lui-même, mais semblable à lui-même, non pas numériquement un, mais spécifiquement un L’âme est cause et principe du corps vivant. Ces termes, "cause" et "principe", se prennent en plusieurs acceptions, mais l’âme est pareillement cause selon les trois modes que nous avons déterminés; elle est, en effet, l’origine du mouvement elle est la fin, et c’est aussi comme la substance formelle des corps animés que l’âme est cause. Qu’elle soit cause comme substance formelle, c’est évident, car la cause de l’être est, pour toutes choses, la substance formelle: or c’est la vie qui, chez tous les êtres vivants, constitue être, et la cause et le principe de leur vie, c’est l’âme, De plus, la forme de l’être en puissance, c'est l’entéléchie. Il est manifeste que, comme fin aussi, l’âme est cause. De même, en effet, que l’intellect agit en vue d’une chose, c’est ainsi qu’agit la nature, et cette chose est sa fin Or une fin de ce genre chez les animaux, c’est l’âme, et cela est conforme à la nature, car tous les corps naturels vivants sont de simples instruments de l’âme, aussi bien ceux des plantes que ceux des animaux: c’est donc que l’âme est bien leur fin. On sait que le terme "fin" est pris en un double sens d’une part, le but lui-même, et, d’autre part, l’être pour qui ce but est une fin. Mais, en outre, le principe premier du mouvement local, c’est aussi l’âme; seulement, tous les êtres vivants ne possèdent par cette faculté. L’altération et l’accroissement sont encore dus à l’âme: en effet, la sensation semble bien être une c altération, et nul être n’est capable de sentir s’il n’a l’âme en partage. Il en est de même en ce qui concerne l’accroissement et le décroissement, car rien ne décroît, ni ne croît naturellement qui ne soit nourri, et rien n’est nourri qui n’ait la vie en partage. Il y a un sujet dans lequel EMPÉDOCLE ne s’est pas exprimé comme il convient: c’est quand il a ajouté que l’accroissement se produit, chez les plantes, vers le bas. par le développement de la racine, parce que la terre se porte naturellement dans cette direction, et vers le haut, parce que le feu se porte de même dans cette direction opposée En effet, EMPÉDOCLE n’entend pas avec exactitude le haut et le bas: en fait, le haut et le bas ne sont pas les mêmes pour chaque être que pour l’Univers mais ce qu’est la tête aux animaux, les racines le sont aux plantes, s’il est vrai qu’il faille juger de la différence et de l’identité des organes par leurs fonctions. De plus dans ce système qu’est-ce qui assure l’union du feu et de la terre se portant dans des directions contraires? Ils se sépareront, en effet, s’il n’existe pas quelque principe pour les en empêcher. Mais si ce principe existe, c’est lui qui est l’âme et la cause de l’accroissement et de la nutrition. Certains philosophes pensent, de leur côté, que la nature du feu est, au sens absolu, la cause de la nutrition et de l’accroissement; car il apparaît, en fait, que c’est le seul des corps ou des éléments qui se nourrisse et s’accroisse, et, dès lors, l’on serait tenté de supposer que, tant chez les plantes que chez les animaux, le feu est la cause opérative. Mais s’il est, en un sens, une cause adjuvante il n’est pourtant pas une cause proprement dite: c’est plutôt l’âme qui joue ce rôle. En effet, l’accroissement du feu se fait à l’infini, aussi longtemps qu’il y a du combustible; par contre, pour tous les êtres dont la constitution est naturelle, il existe une limite et une proportion de la grandeur comme de l’accroisse ment: or ces déterminations relèvent de l’âme mais non du feu, et de la forme plutôt que de la matière. La même faculté de l’âme étant à la fois nutritive et génératrice, ç’est de la nutrition qu’il est nécessaire de traiter d’abord, car la faculté en question se définit par rapport aux autres au moyen de cette fonction. On pense d’ordinaire que le contraire est l’aliment du contraire; non pas que tout contraire soit l’aliment de tout contraire’: il faut pour cela des contraires qui ont non seulement une génération réciproque, mais encore un accroissement réciproque. (Car beaucoup de choses s’engendrent réciproquement, mais toutes ne sont pas des quantités: c’est ainsi que le sain provient du malade.) Il apparaît aussi que même ces derniers contraires ne sont pas réciproquement aliment de la même façon: l’eau, par exemple, est aliment du feu, tandis que le feu n’alimente pas l’eau. C’est donc surtout des corps simples, semble-t-il, qu’on peut dire que l’un des deux contraires est aliment, et l’autre alimenté. Mais cette théorie soulève une difficulté. Certains philosophes soutiennent, en effet, que le semblable est nourri, aussi bien qu’accru, par le semblable; les autres, ainsi que nous l’avons dit admettent universellement que le contraire est alimenté par le contraire, attendu, selon eux, que le semblable ne peut pâtir sous l’action du semblable, tandis que la nourriture est changée et digérée, et que le change ment a lieu, dans tous les cas, vers l’opposé ou l’intermédiaire. De plus ajoutent-ils l’aliment pâtit sous l’action de l’alimenté, et non celui-ci sous l’action de l’aliment, de même que ce n’est pas le charpentier qui pâtit sous l’action de la matière, mais bien cette dernière sous l’action du charpentier, le charpentier, lui, passant seulement à l’activité, en partant de l’inaction. Mais qu’entend-on par aliment? Est-ce ce qui s’ajoute à l’être nourri, en dernier lieu, ou en premier lieu? Gela fait une différence Si les deux sont des aliments, mais l’un non digéré, et l’autre digéré, dans l’un et l’autre sens on pourra parler d’aliment: car, en tant que l’aliment est non digéré, le contraire est nourri par le contraire, mais, en tant que l’aliment est digéré, le semblable est nourri par le semblable. Par conséquent, il est clair qu’en un certain sens, ces philosophes ont, les uns et les autres, à la fois, tort et raison. Mais puisque nul être ne se nourrit s’il n’a la vie en partage, ce qui est nourri ce sera le corps animé, en tant qu’animé, de sorte que l’aliment aussi est relatif à l’être animé, et cela non par accident. Mais la quiddité de l’aliment est autre que celle de l’accroissant En effet, en tant que l’animé est une quantité, l’aliment est un accroissant, mais en tant que l’animé est individu et substance, l’aliment est une nourriture. Car la nourriture conserve la substance de l’animé, qui continue d’exister aussi long temps qu’il se nourrit. De plus, l’aliment est l’agent de la génération : génération non pas de l’être nourri lui-même, mais d’un être semblable à l’être nourri: déjà, en effet, la substance de l’être nourri existe, et d’ailleurs aucun être ne s’engendre lui-même, mais il assure seulement sa conservation. Il en résulte qu’un tel principe de l’âme est une faculté capable de conserver l’être, en tant que tel, qui la possède, et l’aliment ne fait que procurer à cette faculté son activité. Aussi l’être privé de nourriture n’est-il plus capable de vivre. Comme il y a donc trois facteurs pour la nutrition, savoir l’être qui est nourri, ce par quoi il se nourrit et ce qui le nourrit: d’une part, ce qui le nourrit, c’est l’âme première d’autre part l’être nourri, c’est le corps qui possède cette âme, enfin ce par quoi il est nourri, c’est l’aliment. Et puisqu’il est juste de dénommer toute chose d’après sa fin, et que la fin est ici d’engendrer un être semblable à soi, l’âme première sera l’âme génératrice d’un être semblable à celui qui la possède. L’expression "ce par quoi l’être se nourrit" est prise en un double sens, qui est aussi celui de "ce par quoi l’on gouverne", autre expression qui signifie à la fois la main et le gouvernail, l’une étant motrice et mue, et l’autre, mû seulement. Nous pouvons ici appliquer cette analogie en nous rappelant que tout aliment doit pouvoir être digéré, et que c’est le chaud qui opère la digestion: c’est pourquoi tout animé possède de la chaleur.
Tel est donc, schématiquement, ce que nous avions à dire de l’aliment. Nous aurons des éclaircissements à donner plus tard à son sujet, dans les ouvrages qui lui seront consacrés.
Quand on se propose de faire porter son examen sur les différentes facultés, il est indispensable de saisir d’abord l’essence de chacune d’elles, et de ne rechercher qu’ensuite, de cette façon, les propriétés dérivées et les autres. Mais s’il faut définir ce qu’est chacune de ces facultés, par exemple ce qu’est la faculté intellectuelle, ou la faculté sensitive, ou la faculté nutritive, auparavant encore il faut établir ce qu’est l’acte de penser et ce qu’est l’acte de sentir, puisque les actes et les opérations sont logiquement antérieurs aux puissances. Et, s’il en est ainsi, comme il faut encore, avant ces actes, avoir étudié leurs opposés, c’est de ces derniers que, toujours pour la même raison, nous devrons d’abord traiter: et par opposés, j’entends l’aliment, le sensible et l’intelligible C’est donc de l’aliment et de la génération que nous devons d’abord parler. En effet, l’âme nutritive appartient aussi aux êtres animés autres que l’homme, elle est la première et la plus commune des facultés de l’âme, et c’est par elle que la vie appartient à tous les êtres. Ses fonctions sont la génération et l’usage de l’aliment. Car la plus naturelle des fonctions pour tout être vivant qui est achevé et qui n’est pas incomplet ou dont la génération n’est pas spontanée, c’est de créer un autre être semblable à lui, l’animal un animal, et la plante une plante, de façon à participer à l’éternel et au divin, dans la mesure du possible. Car tel est l’objet du désir de tous les êtres, la fin de leur naturelle activité. Or le terme "fin" est pris en un double sens: c’est, d’une part, le but lui-même, et, d’autre part, l’être pour qui ce but est une fin. Puis donc qu’il est impossible pour l’individu de participer à l’éternel et au divin d’une façon continue, par le fait qu’aucun être corruptible ne peut demeurer le même et numériquement un, c’est seulement dans la mesure où il peut y avoir part que chaque être y participe, l’un plus, l’autre moins; et il demeure ainsi non pas lui-même, mais semblable à lui-même, non pas numériquement un, mais spécifiquement un L’âme est cause et principe du corps vivant. Ces termes, "cause" et "principe", se prennent en plusieurs acceptions, mais l’âme est pareillement cause selon les trois modes que nous avons déterminés; elle est, en effet, l’origine du mouvement elle est la fin, et c’est aussi comme la substance formelle des corps animés que l’âme est cause. Qu’elle soit cause comme substance formelle, c’est évident, car la cause de l’être est, pour toutes choses, la substance formelle: or c’est la vie qui, chez tous les êtres vivants, constitue être, et la cause et le principe de leur vie, c’est l’âme, De plus, la forme de l’être en puissance, c'est l’entéléchie. Il est manifeste que, comme fin aussi, l’âme est cause. De même, en effet, que l’intellect agit en vue d’une chose, c’est ainsi qu’agit la nature, et cette chose est sa fin Or une fin de ce genre chez les animaux, c’est l’âme, et cela est conforme à la nature, car tous les corps naturels vivants sont de simples instruments de l’âme, aussi bien ceux des plantes que ceux des animaux: c’est donc que l’âme est bien leur fin. On sait que le terme "fin" est pris en un double sens d’une part, le but lui-même, et, d’autre part, l’être pour qui ce but est une fin. Mais, en outre, le principe premier du mouvement local, c’est aussi l’âme; seulement, tous les êtres vivants ne possèdent par cette faculté. L’altération et l’accroissement sont encore dus à l’âme: en effet, la sensation semble bien être une c altération, et nul être n’est capable de sentir s’il n’a l’âme en partage. Il en est de même en ce qui concerne l’accroissement et le décroissement, car rien ne décroît, ni ne croît naturellement qui ne soit nourri, et rien n’est nourri qui n’ait la vie en partage. Il y a un sujet dans lequel EMPÉDOCLE ne s’est pas exprimé comme il convient: c’est quand il a ajouté que l’accroissement se produit, chez les plantes, vers le bas. par le développement de la racine, parce que la terre se porte naturellement dans cette direction, et vers le haut, parce que le feu se porte de même dans cette direction opposée En effet, EMPÉDOCLE n’entend pas avec exactitude le haut et le bas: en fait, le haut et le bas ne sont pas les mêmes pour chaque être que pour l’Univers mais ce qu’est la tête aux animaux, les racines le sont aux plantes, s’il est vrai qu’il faille juger de la différence et de l’identité des organes par leurs fonctions. De plus dans ce système qu’est-ce qui assure l’union du feu et de la terre se portant dans des directions contraires? Ils se sépareront, en effet, s’il n’existe pas quelque principe pour les en empêcher. Mais si ce principe existe, c’est lui qui est l’âme et la cause de l’accroissement et de la nutrition. Certains philosophes pensent, de leur côté, que la nature du feu est, au sens absolu, la cause de la nutrition et de l’accroissement; car il apparaît, en fait, que c’est le seul des corps ou des éléments qui se nourrisse et s’accroisse, et, dès lors, l’on serait tenté de supposer que, tant chez les plantes que chez les animaux, le feu est la cause opérative. Mais s’il est, en un sens, une cause adjuvante il n’est pourtant pas une cause proprement dite: c’est plutôt l’âme qui joue ce rôle. En effet, l’accroissement du feu se fait à l’infini, aussi longtemps qu’il y a du combustible; par contre, pour tous les êtres dont la constitution est naturelle, il existe une limite et une proportion de la grandeur comme de l’accroisse ment: or ces déterminations relèvent de l’âme mais non du feu, et de la forme plutôt que de la matière. La même faculté de l’âme étant à la fois nutritive et génératrice, ç’est de la nutrition qu’il est nécessaire de traiter d’abord, car la faculté en question se définit par rapport aux autres au moyen de cette fonction. On pense d’ordinaire que le contraire est l’aliment du contraire; non pas que tout contraire soit l’aliment de tout contraire’: il faut pour cela des contraires qui ont non seulement une génération réciproque, mais encore un accroissement réciproque. (Car beaucoup de choses s’engendrent réciproquement, mais toutes ne sont pas des quantités: c’est ainsi que le sain provient du malade.) Il apparaît aussi que même ces derniers contraires ne sont pas réciproquement aliment de la même façon: l’eau, par exemple, est aliment du feu, tandis que le feu n’alimente pas l’eau. C’est donc surtout des corps simples, semble-t-il, qu’on peut dire que l’un des deux contraires est aliment, et l’autre alimenté. Mais cette théorie soulève une difficulté. Certains philosophes soutiennent, en effet, que le semblable est nourri, aussi bien qu’accru, par le semblable; les autres, ainsi que nous l’avons dit admettent universellement que le contraire est alimenté par le contraire, attendu, selon eux, que le semblable ne peut pâtir sous l’action du semblable, tandis que la nourriture est changée et digérée, et que le change ment a lieu, dans tous les cas, vers l’opposé ou l’intermédiaire. De plus ajoutent-ils l’aliment pâtit sous l’action de l’alimenté, et non celui-ci sous l’action de l’aliment, de même que ce n’est pas le charpentier qui pâtit sous l’action de la matière, mais bien cette dernière sous l’action du charpentier, le charpentier, lui, passant seulement à l’activité, en partant de l’inaction. Mais qu’entend-on par aliment? Est-ce ce qui s’ajoute à l’être nourri, en dernier lieu, ou en premier lieu? Gela fait une différence Si les deux sont des aliments, mais l’un non digéré, et l’autre digéré, dans l’un et l’autre sens on pourra parler d’aliment: car, en tant que l’aliment est non digéré, le contraire est nourri par le contraire, mais, en tant que l’aliment est digéré, le semblable est nourri par le semblable. Par conséquent, il est clair qu’en un certain sens, ces philosophes ont, les uns et les autres, à la fois, tort et raison. Mais puisque nul être ne se nourrit s’il n’a la vie en partage, ce qui est nourri ce sera le corps animé, en tant qu’animé, de sorte que l’aliment aussi est relatif à l’être animé, et cela non par accident. Mais la quiddité de l’aliment est autre que celle de l’accroissant En effet, en tant que l’animé est une quantité, l’aliment est un accroissant, mais en tant que l’animé est individu et substance, l’aliment est une nourriture. Car la nourriture conserve la substance de l’animé, qui continue d’exister aussi long temps qu’il se nourrit. De plus, l’aliment est l’agent de la génération : génération non pas de l’être nourri lui-même, mais d’un être semblable à l’être nourri: déjà, en effet, la substance de l’être nourri existe, et d’ailleurs aucun être ne s’engendre lui-même, mais il assure seulement sa conservation. Il en résulte qu’un tel principe de l’âme est une faculté capable de conserver l’être, en tant que tel, qui la possède, et l’aliment ne fait que procurer à cette faculté son activité. Aussi l’être privé de nourriture n’est-il plus capable de vivre. Comme il y a donc trois facteurs pour la nutrition, savoir l’être qui est nourri, ce par quoi il se nourrit et ce qui le nourrit: d’une part, ce qui le nourrit, c’est l’âme première d’autre part l’être nourri, c’est le corps qui possède cette âme, enfin ce par quoi il est nourri, c’est l’aliment. Et puisqu’il est juste de dénommer toute chose d’après sa fin, et que la fin est ici d’engendrer un être semblable à soi, l’âme première sera l’âme génératrice d’un être semblable à celui qui la possède. L’expression "ce par quoi l’être se nourrit" est prise en un double sens, qui est aussi celui de "ce par quoi l’on gouverne", autre expression qui signifie à la fois la main et le gouvernail, l’une étant motrice et mue, et l’autre, mû seulement. Nous pouvons ici appliquer cette analogie en nous rappelant que tout aliment doit pouvoir être digéré, et que c’est le chaud qui opère la digestion: c’est pourquoi tout animé possède de la chaleur.
Tel est donc, schématiquement, ce que nous avions à dire de l’aliment. Nous aurons des éclaircissements à donner plus tard à son sujet, dans les ouvrages qui lui seront consacrés.
Re: Aristote - Le Traité de l'âme - Peri Psyche - LIVRE II: L'ÂME, LES SENS ET LES SENSATIONS.
Chapitre 5: La faculté sensitive.
Ces points une fois définis, parlons, en général, de toute sensation. La sensation résulte d’un mouvement subi et d’une passion, ainsi que nous l’avons remarqué car, dans l’opinion courante, elle est une sorte d’altération. Certains philosophes disent aussi que le semblable pâtit sous l’action du semblable; en quel sens cela est possible ou impossible, c’est ce que nous avons expliqué dans notre discussion générale de l’action et de la passion. Mais voici une difficulté: pourquoi, des organes sensoriels eux-mêmes n’y a-t-il pas sensation, et pourquoi, sans les sensibles extérieurs, les sens ne produisent-ils pas de sensation, alors qu’ils contiennent pourtant le feu, la terre et les autres éléments, lesquels sont objets de sensation soit en eux-mêmes, soit dans leurs accidents? C’est donc évidemment que la faculté sensitive n’existe pas en acte, mais en puissance seulement. Aussi en est-il comme du combustible, qui ne brûle pas de lui-même sans le comburant: car il se brûlerait lui-même, et le feu en entéléchie n’aurait nullement besoin d’exister. Et puisque nous prenons le terme "sentir" en un double sens (car nous disons que l’être qui a la puissance d’entendre et de voir, entend et voit, même s’il lui arrive d’être endormi, et nous le disons également de l’être qui entend et voit déjà en acte), c’est en un double sens qu’on doit aussi parler de la sensation: il y a la sensation en puissance et la sensation en acte. [De même encore pour le sensible, il y a ce qui est en puissance et ce qui est en acte]. Exprimons-nous donc d’abord comme s’il y avait identité entre pâtir et être mû, d’une part, et agir, d’autre part, car le mouvement est un certain acte, quoique imparfait, ainsi que nous l’avons expliqué ailleurs. Or toutes choses pâtissent et sont mues sous l’action d’un agent, et d’un agent en acte. D’où, en un sens, le semblable pâtit sous l’action du semblable, mais, en un autre sens, c’est sous l’action du dissemblable, comme nous l’avons expliqué. Car ce qui pâtit, c’est le dissemblable, mais une fois qu’il a pâti, il est semblable. Mais il faut encore poser des distinctions en ce qui concerne puissance et entéléchie, car, dans la présente discussion, c’est sans préciser que nous venons d’en parler. En un sens, en effet, un être est savant à la façon dont nous dirions qu’un homme est savant, parce que l’homme rentre dans la classe des êtres qui sont savants et possèdent la science; mais, en un autre sens, nous appelons savant celui qui a déjà t science de la grammaire. Or chacun d’eux n’est pas en puissance de la même manière, mais le premier est en puissance parce que son genre et sa matière sont d’une nature de telle sorte, et l’autre, parce que, à volonté, il est capable d’exercer sa science, si aucun obstacle extérieur ne l’en empêche. Enfin celui qui exerce déjà sa science est un savant en entéléchie, et il sait, au sens propre, que cette chose-ci est l’A. Les deux premiers sont donc, l’un et l’autre, savants en puissance; seulement l’un actualise sa puissance après avoir subi une altération causée par l’étude, et avoir passé, à plusieurs reprises, d’un état contraire, à son opposé tandis que l’autre actualise sa puissance, en passant, d’une manière différente, de la simple possession de la sensation ou de la grammaire, sans l’exercice, à leur exercice même: Le terme "pâtir" n’est pas davantage un terme simple: en un sens, c’est une certaine corruption sous l’action du con traire, tandis que, en un autre sens, c’est plutôt la conservation de l’être en puissance par l’être en entéléchie dont la ressemblance avec lui est du même ordre que la relation de la puissance à l’entéléchie En effet, c’est par l’exercice de la science que devient savant en acte l’être qui possède la science et ce passage ou bien n'est pas du tout une altération (car c’est un progrès en lui-même et vers son entéléchie), ou bien est un autre genre d’altération Aussi n’est-il pas exact de dire que le pensant, quand il pense, subit une altération, pas plus que l’architecte quand il construit. Donc, l’agent qui fait passer à l’entéléchie ce qui est en puissance, dans le cas de l’être intelligent et pensant, mérite de recevoir non pas le nom d’enseignement, mais un autre nom Quant à l’être qui, partant de la pure puissance, apprend et reçoit la science de la part de l’être en entéléchie et capable d’enseigner, il faut dire ou bien qu’il n’en pâtit pas plus que le précédent, comme on vient de le dire de celui-ci, ou bien qu’il existe deux sortes d’altération: l’une est un changement vers les dispositions privatives, et l’autre vers les états positifs et la nature même du sujet. Pour l’être sensitif, le premier changement se produit sous l’action du générateur: une fois engendré, il possède dès lors la sensation, à la façon d’une science. La sensation en acte, elle, correspond à l’exercice de la science, avec cette différence toutefois que, pour la première, les agents producteurs de l’acte sont extérieurs: ce sont, par exemple, le visible et le sonore, aussi bien que les sensibles restants. La raison de cette différence est que ce sont des choses individuelles dont il y a sensation en acte, tandis que la science porte sur les universaux; et ces derniers sont, en un sens dans l’âme elle-même. C’est pourquoi penser dépend du sujet lui-même,.à sa volonté, tandis que sentir ne dépend pas de lui: la présence du sensible est alors nécessaire. Il en est de même en ce qui concerne les disciplines qui ont les sensibles pour objet, et ce, pour la même raison, savoir que les sensibles font partie des choses individuelles et de choses extérieures. Mais l’occasion d’éclaircir ces points s’offrira encore plus tard. Pour l’instant, qu’il nous suffise d’avoir établi la distinction suivante: que l’expression "être en puissance" n'est pas simple; mais, tantôt, c’est au sens où nous dirions que l’enfant est, en puissance, chef d’armée, et, tantôt, au sens où nous le dirions de l’adulte: or c’est en ce dernier sens qu’il faut l’entendre de la faculté sensitive. Mais puis qu ces puissances différentes n’ont pas reçu de noms distincts, et que, d’ailleurs, nous a avons déterminé, à leur sujet, qu’elles sont autres et la façon dont elles sont autres, nous sommes bien obligé de nous servir de "pâtir" et de "être altéré" comme de termes propres. Or la faculté sensitive est, en puissance, telle que le sensible est déjà en entéléchie, ainsi que nous l’avons dit elle pâtit donc en tant qu n’est pas semblable, mais, quand elle a pâti, elle est devenue semblable au sensible et elle est telle que lui.
Ces points une fois définis, parlons, en général, de toute sensation. La sensation résulte d’un mouvement subi et d’une passion, ainsi que nous l’avons remarqué car, dans l’opinion courante, elle est une sorte d’altération. Certains philosophes disent aussi que le semblable pâtit sous l’action du semblable; en quel sens cela est possible ou impossible, c’est ce que nous avons expliqué dans notre discussion générale de l’action et de la passion. Mais voici une difficulté: pourquoi, des organes sensoriels eux-mêmes n’y a-t-il pas sensation, et pourquoi, sans les sensibles extérieurs, les sens ne produisent-ils pas de sensation, alors qu’ils contiennent pourtant le feu, la terre et les autres éléments, lesquels sont objets de sensation soit en eux-mêmes, soit dans leurs accidents? C’est donc évidemment que la faculté sensitive n’existe pas en acte, mais en puissance seulement. Aussi en est-il comme du combustible, qui ne brûle pas de lui-même sans le comburant: car il se brûlerait lui-même, et le feu en entéléchie n’aurait nullement besoin d’exister. Et puisque nous prenons le terme "sentir" en un double sens (car nous disons que l’être qui a la puissance d’entendre et de voir, entend et voit, même s’il lui arrive d’être endormi, et nous le disons également de l’être qui entend et voit déjà en acte), c’est en un double sens qu’on doit aussi parler de la sensation: il y a la sensation en puissance et la sensation en acte. [De même encore pour le sensible, il y a ce qui est en puissance et ce qui est en acte]. Exprimons-nous donc d’abord comme s’il y avait identité entre pâtir et être mû, d’une part, et agir, d’autre part, car le mouvement est un certain acte, quoique imparfait, ainsi que nous l’avons expliqué ailleurs. Or toutes choses pâtissent et sont mues sous l’action d’un agent, et d’un agent en acte. D’où, en un sens, le semblable pâtit sous l’action du semblable, mais, en un autre sens, c’est sous l’action du dissemblable, comme nous l’avons expliqué. Car ce qui pâtit, c’est le dissemblable, mais une fois qu’il a pâti, il est semblable. Mais il faut encore poser des distinctions en ce qui concerne puissance et entéléchie, car, dans la présente discussion, c’est sans préciser que nous venons d’en parler. En un sens, en effet, un être est savant à la façon dont nous dirions qu’un homme est savant, parce que l’homme rentre dans la classe des êtres qui sont savants et possèdent la science; mais, en un autre sens, nous appelons savant celui qui a déjà t science de la grammaire. Or chacun d’eux n’est pas en puissance de la même manière, mais le premier est en puissance parce que son genre et sa matière sont d’une nature de telle sorte, et l’autre, parce que, à volonté, il est capable d’exercer sa science, si aucun obstacle extérieur ne l’en empêche. Enfin celui qui exerce déjà sa science est un savant en entéléchie, et il sait, au sens propre, que cette chose-ci est l’A. Les deux premiers sont donc, l’un et l’autre, savants en puissance; seulement l’un actualise sa puissance après avoir subi une altération causée par l’étude, et avoir passé, à plusieurs reprises, d’un état contraire, à son opposé tandis que l’autre actualise sa puissance, en passant, d’une manière différente, de la simple possession de la sensation ou de la grammaire, sans l’exercice, à leur exercice même: Le terme "pâtir" n’est pas davantage un terme simple: en un sens, c’est une certaine corruption sous l’action du con traire, tandis que, en un autre sens, c’est plutôt la conservation de l’être en puissance par l’être en entéléchie dont la ressemblance avec lui est du même ordre que la relation de la puissance à l’entéléchie En effet, c’est par l’exercice de la science que devient savant en acte l’être qui possède la science et ce passage ou bien n'est pas du tout une altération (car c’est un progrès en lui-même et vers son entéléchie), ou bien est un autre genre d’altération Aussi n’est-il pas exact de dire que le pensant, quand il pense, subit une altération, pas plus que l’architecte quand il construit. Donc, l’agent qui fait passer à l’entéléchie ce qui est en puissance, dans le cas de l’être intelligent et pensant, mérite de recevoir non pas le nom d’enseignement, mais un autre nom Quant à l’être qui, partant de la pure puissance, apprend et reçoit la science de la part de l’être en entéléchie et capable d’enseigner, il faut dire ou bien qu’il n’en pâtit pas plus que le précédent, comme on vient de le dire de celui-ci, ou bien qu’il existe deux sortes d’altération: l’une est un changement vers les dispositions privatives, et l’autre vers les états positifs et la nature même du sujet. Pour l’être sensitif, le premier changement se produit sous l’action du générateur: une fois engendré, il possède dès lors la sensation, à la façon d’une science. La sensation en acte, elle, correspond à l’exercice de la science, avec cette différence toutefois que, pour la première, les agents producteurs de l’acte sont extérieurs: ce sont, par exemple, le visible et le sonore, aussi bien que les sensibles restants. La raison de cette différence est que ce sont des choses individuelles dont il y a sensation en acte, tandis que la science porte sur les universaux; et ces derniers sont, en un sens dans l’âme elle-même. C’est pourquoi penser dépend du sujet lui-même,.à sa volonté, tandis que sentir ne dépend pas de lui: la présence du sensible est alors nécessaire. Il en est de même en ce qui concerne les disciplines qui ont les sensibles pour objet, et ce, pour la même raison, savoir que les sensibles font partie des choses individuelles et de choses extérieures. Mais l’occasion d’éclaircir ces points s’offrira encore plus tard. Pour l’instant, qu’il nous suffise d’avoir établi la distinction suivante: que l’expression "être en puissance" n'est pas simple; mais, tantôt, c’est au sens où nous dirions que l’enfant est, en puissance, chef d’armée, et, tantôt, au sens où nous le dirions de l’adulte: or c’est en ce dernier sens qu’il faut l’entendre de la faculté sensitive. Mais puis qu ces puissances différentes n’ont pas reçu de noms distincts, et que, d’ailleurs, nous a avons déterminé, à leur sujet, qu’elles sont autres et la façon dont elles sont autres, nous sommes bien obligé de nous servir de "pâtir" et de "être altéré" comme de termes propres. Or la faculté sensitive est, en puissance, telle que le sensible est déjà en entéléchie, ainsi que nous l’avons dit elle pâtit donc en tant qu n’est pas semblable, mais, quand elle a pâti, elle est devenue semblable au sensible et elle est telle que lui.
Re: Aristote - Le Traité de l'âme - Peri Psyche - LIVRE II: L'ÂME, LES SENS ET LES SENSATIONS.
Chapitre 6: Les objets des sens.
Dans l’étude de chaque sens, il faut traiter d’abord des sensibles. "Le sensible" désigne trois espèces d’objets: deux de ces espèces sont, disons- nous, perceptibles par soi, tandis que la troisième l’est par accident. Des deux premières espèces, l’une est le sensible propre à chaque sens, et l’autre, le sensible commun à tous. J’entends par sensible propre celui qui ne peut être senti par un autre sens et au sujet duquel il est impossible de se tromper: par exemple, la vue est sens de la couleur, l’ouïe, du son, et le goût, de la saveur. Le toucher, lui, a pour objet plusieurs différences. Mais chaque sens, du moins, juge de ses sensibles propres et ne se trompe pas sur le fait même de la couleur ou du son, mais seulement sur la nature et le lieu de l’objet coloré, ou sur la nature et le lieu de l’objet sonore. Tels sont donc les sensibles qu’on dit être propres à chaque sens. Les sensibles communs sont le mouvement, le repos, le nombre, la figure, la grandeur; car les sensibles de ce genre ne sont propres à aucun sens, mais sont communs à tous. C’est ainsi qu’un mouvement déterminé est sensible tant au toucher qu’à la vue. On dit qu’il y a sensible par accident si, par exemple, on perçoit le blanc comme étant le fils de Diarès. C’est par accident, en effet, que l’on perçoit ce dernier, parce qu’au blanc est accidentellement uni l’objet senti. C’est pourquoi aussi, le sujet sentant ne subit aucune passion de la part de ce sensible en tant que tel. De plus, des deux espèces de sensibles par soi, ce sont les sensibles propres qui sont des sensibles proprement dits, et c’est à eux qu’est adaptée naturellement la substance de chaque sens.
Dans l’étude de chaque sens, il faut traiter d’abord des sensibles. "Le sensible" désigne trois espèces d’objets: deux de ces espèces sont, disons- nous, perceptibles par soi, tandis que la troisième l’est par accident. Des deux premières espèces, l’une est le sensible propre à chaque sens, et l’autre, le sensible commun à tous. J’entends par sensible propre celui qui ne peut être senti par un autre sens et au sujet duquel il est impossible de se tromper: par exemple, la vue est sens de la couleur, l’ouïe, du son, et le goût, de la saveur. Le toucher, lui, a pour objet plusieurs différences. Mais chaque sens, du moins, juge de ses sensibles propres et ne se trompe pas sur le fait même de la couleur ou du son, mais seulement sur la nature et le lieu de l’objet coloré, ou sur la nature et le lieu de l’objet sonore. Tels sont donc les sensibles qu’on dit être propres à chaque sens. Les sensibles communs sont le mouvement, le repos, le nombre, la figure, la grandeur; car les sensibles de ce genre ne sont propres à aucun sens, mais sont communs à tous. C’est ainsi qu’un mouvement déterminé est sensible tant au toucher qu’à la vue. On dit qu’il y a sensible par accident si, par exemple, on perçoit le blanc comme étant le fils de Diarès. C’est par accident, en effet, que l’on perçoit ce dernier, parce qu’au blanc est accidentellement uni l’objet senti. C’est pourquoi aussi, le sujet sentant ne subit aucune passion de la part de ce sensible en tant que tel. De plus, des deux espèces de sensibles par soi, ce sont les sensibles propres qui sont des sensibles proprement dits, et c’est à eux qu’est adaptée naturellement la substance de chaque sens.
Re: Aristote - Le Traité de l'âme - Peri Psyche - LIVRE II: L'ÂME, LES SENS ET LES SENSATIONS.
Chapitre 7: Le sens de la vue et son objet.
L’objet de la vue, c’est le visible. Or le visible est, en premier lieu, la couleur, et, en second lieu, une espèce d’objet qu’il est possible de décrire par le discours, mais qui, en fait, n’a pas de nom ce que nous disons là deviendra clair surtout par la suite. Le visible, en effet, est couleur et la couleur, c’est ce qui est à la surface du visible par soi et quand je dis "par soi ", j’entends non pas ce qui est visible par son essence, mais ce qui est visible parce qu’il contient en lui-même la cause de sa visibilité, Toute couleur a en elle le pouvoir de mettre en mouvement le diaphane en acte, et ce pouvoir constitue sa nature C’est pourquoi la couleur n’est pas visible sans le secours de la lumière, et c’est seulement dans la lumière que la couleur de tout objet est perçue. Aussi est-ce de la lumière qu’il faut d’abord expliquer la nature. Il y a donc du diaphane. Et par diaphane, j’entends ce qui, bien que visible, n’est pas visible par soi, à. proprement parler, mais à l’aide d’une couleur étrangère: tels sont l’air, l’eau et un grand nombre de corps solides Car ce n’est ni en tant qu’eau, ni en tant qu’air qu’ils sont diaphanes, mais parce que, dans l’un comme dans l’autre élément, se trouve contenue une même nature, laquelle est aussi présente dans le corps éternel situé dans la région supérieure de l’Univers. La lumière est l’acte de cette substance, du diaphane en tant que diaphane, et là où’ le diaphane est présent seulement en puissance, là aussi existe l’obscurité. La lumière, elle, est comme la couleur du diaphane, quand le diaphane est réalisé en entéléchie sous l’action du feu ou de quelque chose qui ressemble au corps situé dans la région supérieure, car à cette dernière substance appartient aussi un attribut qui est un et identique avec celui du feu Nous- venons ainsi d’indiquer la nature du diaphane et celle de la lumière: à savoir, que la lumière n’est ni du feu, ni, en général, un corps, ni une émanation d’aucun corps (car, même ainsi, elle serait une sorte de corps), mais qu’elle est, en réalité, la présence du feu ou de quelque chose de ce genre, dans le diaphane: car il n’est pas possible que deux corps coexistent dans le même lieu. On admet généralement d’ailleurs que la lumière est le contraire de l’obscurité. Mais, en réalité, l’obscurité est la privation, dans le diaphane, d’une disposition de cette nature; il en résulte évidemment que la lumière est la présence de cette disposition. Et ce n’est pas à bon droit qu’EMPÉDOCLE (ou tout autre, s’il en fut, qui a professé la même opinion) prétend que la lumière se transporte et s’étend, à un moment donné, entre la Terre et ce qui l’environne, mais que nous ne nous en apercevons pas. Cette doctrine, en effet, contredit non seulement l’évidence de la raison, mais encore les faits: sans doute, pour une courte distance, ce mouvement pourrait nous échapper, mais que, de l’Orient à l’Occident, il passe inaperçu, c’est là une supposition par trop forte. Le réceptacle de la couleur doit être l’incolore, comme celui du son, le silencieux. Or l’incolore comprend, d’une part, le diaphane, et, d’autre part, l’invisible ou ce qui est faiblement visible, comme paraît bien être l’obscur. Cette dernière qualité est celle du diaphane, non pas quand il est diaphane en entéléchie, mais quand il l’est en puissance; car c’est la même nature qui tantôt est obscurité, et tantôt lumière. Mais tout ce qui est visible ne l’est pas a dans la lumière: c’est seulement vrai de la couleur propre de chaque corps. Certaines choses, en effet, ne sont pas visibles dans la lumière, mais c’est dans l’obscurité seulement qu’elles produisent une sensation: telles sont les choses qui apparaissent en feu et brillantes (elles ne sont pas désignées par un terme commun), telles que l’agaric, la corne, les têtes de poisson, les écailles et les yeux; seulement, d’aucune de ces choses on ne perçoit la couleur propre. Quant à la raison pour laquelle ces objets sont perçus dans l’obscurité, c’est une autre question. Pour l’instant, ce qui est tout au moins évident c’est que ce qui est vu à la lumière, c’est la couleur. Et c’est aussi pourquoi la couleur n’est pas perçue sans le secours de la lumière. En effet, la quiddité de la couleur, c’est, pour elle, disions-nous, d’être capable de mouvoir le diaphane en acte; et l’entéléchie du diaphane est la lumière. La preuve de ce que nous venons de dire résulte avec évidence de ce qui suit: si on place l’objet coloré sur l’organe même de la vue, on ne le verra pas; en fait, la couleur meut le diaphane, par exemple l’air, et celui-ci, qui est continu meut à son tour l’organe sensoriel. DÉMOCRITE a tort, en effet, de penser que, si l’espace intermédiaire devenait vide, on pourrait voir nette ment même une fourmi qui se trouverait dans le Ciel. C’est là une chose impossible. C’est seulement, en effet, quand le sensitif subit une certaine modification que la vision se produit. Or. que ce soit la couleur elle-même, qui étant l’objet d’une vision immédiate j, produise cette modification, voilà qui est inadmissible. Reste donc qu’elle ne puisse le faire que par un intermédiaire: l’existence d’un intermédiaire en résulte ainsi nécessairement. Mais si cet espace intermédiaire devenait vide, bien loin qu’on put voir avec netteté, on ne verrait absolument rien. Nous avons donc expliqué pour quelle raison la couleur doit être vue dans la lumière. Quant au feu, il est visible à la fois dans l’obscurité et dans la lumière: et il en doit être nécessairement ainsi, puisque c’est grâce à lui que le diaphane en puissance devient diaphane en acte. Le raisonnement est encore le même pour le son et l’odeur aucun d’eux, en effet, ne produit de sensation par le contact avec l’organe sensoriel lui- même; mais sous l’action du son et de l’odeur, l’intermédiaire est mû, et il meut lui-même à son tour les organes sensoriels respectifs. Si, par contre, c’est sur l’organe sensoriel lui-même qu’on place l’objet sonore ou l’objet odorant, aucune sensation ne se produira. Pour le toucher et le goût, il en est de même, en dépit des apparences. Quelle est la raison de cette différence apparente, c’est ce que nous montrerons plus loin. L’intermédiaire des sons est l’air, celui des odeurs n’a pas de nom. Il y a, en effet, une propriété commune à l’air et à l’eau, et cette propriété, qui réside également dans l’un et dans l’autre, est à l’objet odorant dans la même relation que le diaphane à la couleur. Car il apparaît, en fait, que les animaux aquatiques, eux aussi, possèdent la sensation de l’odeur; mais l’homme et les animaux terrestres doués de la respiration sont incapables d’éprouver de sensations olfactives sans respirer. La raison de ces faits sera aussi expliquée plus tard.
L’objet de la vue, c’est le visible. Or le visible est, en premier lieu, la couleur, et, en second lieu, une espèce d’objet qu’il est possible de décrire par le discours, mais qui, en fait, n’a pas de nom ce que nous disons là deviendra clair surtout par la suite. Le visible, en effet, est couleur et la couleur, c’est ce qui est à la surface du visible par soi et quand je dis "par soi ", j’entends non pas ce qui est visible par son essence, mais ce qui est visible parce qu’il contient en lui-même la cause de sa visibilité, Toute couleur a en elle le pouvoir de mettre en mouvement le diaphane en acte, et ce pouvoir constitue sa nature C’est pourquoi la couleur n’est pas visible sans le secours de la lumière, et c’est seulement dans la lumière que la couleur de tout objet est perçue. Aussi est-ce de la lumière qu’il faut d’abord expliquer la nature. Il y a donc du diaphane. Et par diaphane, j’entends ce qui, bien que visible, n’est pas visible par soi, à. proprement parler, mais à l’aide d’une couleur étrangère: tels sont l’air, l’eau et un grand nombre de corps solides Car ce n’est ni en tant qu’eau, ni en tant qu’air qu’ils sont diaphanes, mais parce que, dans l’un comme dans l’autre élément, se trouve contenue une même nature, laquelle est aussi présente dans le corps éternel situé dans la région supérieure de l’Univers. La lumière est l’acte de cette substance, du diaphane en tant que diaphane, et là où’ le diaphane est présent seulement en puissance, là aussi existe l’obscurité. La lumière, elle, est comme la couleur du diaphane, quand le diaphane est réalisé en entéléchie sous l’action du feu ou de quelque chose qui ressemble au corps situé dans la région supérieure, car à cette dernière substance appartient aussi un attribut qui est un et identique avec celui du feu Nous- venons ainsi d’indiquer la nature du diaphane et celle de la lumière: à savoir, que la lumière n’est ni du feu, ni, en général, un corps, ni une émanation d’aucun corps (car, même ainsi, elle serait une sorte de corps), mais qu’elle est, en réalité, la présence du feu ou de quelque chose de ce genre, dans le diaphane: car il n’est pas possible que deux corps coexistent dans le même lieu. On admet généralement d’ailleurs que la lumière est le contraire de l’obscurité. Mais, en réalité, l’obscurité est la privation, dans le diaphane, d’une disposition de cette nature; il en résulte évidemment que la lumière est la présence de cette disposition. Et ce n’est pas à bon droit qu’EMPÉDOCLE (ou tout autre, s’il en fut, qui a professé la même opinion) prétend que la lumière se transporte et s’étend, à un moment donné, entre la Terre et ce qui l’environne, mais que nous ne nous en apercevons pas. Cette doctrine, en effet, contredit non seulement l’évidence de la raison, mais encore les faits: sans doute, pour une courte distance, ce mouvement pourrait nous échapper, mais que, de l’Orient à l’Occident, il passe inaperçu, c’est là une supposition par trop forte. Le réceptacle de la couleur doit être l’incolore, comme celui du son, le silencieux. Or l’incolore comprend, d’une part, le diaphane, et, d’autre part, l’invisible ou ce qui est faiblement visible, comme paraît bien être l’obscur. Cette dernière qualité est celle du diaphane, non pas quand il est diaphane en entéléchie, mais quand il l’est en puissance; car c’est la même nature qui tantôt est obscurité, et tantôt lumière. Mais tout ce qui est visible ne l’est pas a dans la lumière: c’est seulement vrai de la couleur propre de chaque corps. Certaines choses, en effet, ne sont pas visibles dans la lumière, mais c’est dans l’obscurité seulement qu’elles produisent une sensation: telles sont les choses qui apparaissent en feu et brillantes (elles ne sont pas désignées par un terme commun), telles que l’agaric, la corne, les têtes de poisson, les écailles et les yeux; seulement, d’aucune de ces choses on ne perçoit la couleur propre. Quant à la raison pour laquelle ces objets sont perçus dans l’obscurité, c’est une autre question. Pour l’instant, ce qui est tout au moins évident c’est que ce qui est vu à la lumière, c’est la couleur. Et c’est aussi pourquoi la couleur n’est pas perçue sans le secours de la lumière. En effet, la quiddité de la couleur, c’est, pour elle, disions-nous, d’être capable de mouvoir le diaphane en acte; et l’entéléchie du diaphane est la lumière. La preuve de ce que nous venons de dire résulte avec évidence de ce qui suit: si on place l’objet coloré sur l’organe même de la vue, on ne le verra pas; en fait, la couleur meut le diaphane, par exemple l’air, et celui-ci, qui est continu meut à son tour l’organe sensoriel. DÉMOCRITE a tort, en effet, de penser que, si l’espace intermédiaire devenait vide, on pourrait voir nette ment même une fourmi qui se trouverait dans le Ciel. C’est là une chose impossible. C’est seulement, en effet, quand le sensitif subit une certaine modification que la vision se produit. Or. que ce soit la couleur elle-même, qui étant l’objet d’une vision immédiate j, produise cette modification, voilà qui est inadmissible. Reste donc qu’elle ne puisse le faire que par un intermédiaire: l’existence d’un intermédiaire en résulte ainsi nécessairement. Mais si cet espace intermédiaire devenait vide, bien loin qu’on put voir avec netteté, on ne verrait absolument rien. Nous avons donc expliqué pour quelle raison la couleur doit être vue dans la lumière. Quant au feu, il est visible à la fois dans l’obscurité et dans la lumière: et il en doit être nécessairement ainsi, puisque c’est grâce à lui que le diaphane en puissance devient diaphane en acte. Le raisonnement est encore le même pour le son et l’odeur aucun d’eux, en effet, ne produit de sensation par le contact avec l’organe sensoriel lui- même; mais sous l’action du son et de l’odeur, l’intermédiaire est mû, et il meut lui-même à son tour les organes sensoriels respectifs. Si, par contre, c’est sur l’organe sensoriel lui-même qu’on place l’objet sonore ou l’objet odorant, aucune sensation ne se produira. Pour le toucher et le goût, il en est de même, en dépit des apparences. Quelle est la raison de cette différence apparente, c’est ce que nous montrerons plus loin. L’intermédiaire des sons est l’air, celui des odeurs n’a pas de nom. Il y a, en effet, une propriété commune à l’air et à l’eau, et cette propriété, qui réside également dans l’un et dans l’autre, est à l’objet odorant dans la même relation que le diaphane à la couleur. Car il apparaît, en fait, que les animaux aquatiques, eux aussi, possèdent la sensation de l’odeur; mais l’homme et les animaux terrestres doués de la respiration sont incapables d’éprouver de sensations olfactives sans respirer. La raison de ces faits sera aussi expliquée plus tard.
Re: Aristote - Le Traité de l'âme - Peri Psyche - LIVRE II: L'ÂME, LES SENS ET LES SENSATIONS.
Chapitre 8: Le sens de l’ouïe et son objet.
Maintenant, pour commencer, établissons des distinctions au sujet du son et de l’ouïe. Le son se dit en un double sens: il y a le son en acte et le son en puissance. Pour certaines choses, en effet, nous disons qu’elles n’ont pas de son par exemple l’éponge, la laine; pour d’autres, qu’elles possèdent le son: c’est le cas de l’airain et, en général, de tous les corps durs et lisses, parce qu’ils ont la puissance d’émettre des sons, c’est-à-dire de rendre, dans le milieu qui est intermédiaire entre l’objet sonore et l’organe de l’ouïe, un son en acte. La production du son en acte est toujours celle de quelque chose, par rapport à quelque chose, et dans quelque chose, car c’est un choc qui est la cause productrice du son. C’est pourquoi aussi, il est impossible que d’un unique objet provienne un son, car la distinction entre le corps frappant et le corps frappé a pour con séquence que ce qui résonne ne résonne que lorsqu’il est en rapport avec quelque chose. De plus, le choc n’a pas lieu sans un mouvement de translation Mais, comme nous l’avons dit ce n’est pas le choc de deux corps pris au hasard qui constitue le son. La laine, en effet, ne rend aucun son si on la frappe, au contraire de ce qui se passe pour l’airain et pour tous les corps lisses et creux: l’airain, c’est parce qu’il est lisse, tandis que les corps creux produisent, par répercussion, une série de chocs à la suite du premier, l’air qui a été mis en mouvement étant dans l’impossibilité de s’échapper. De plus le son est entendu dans l’air et aussi dans l’eau, quoique moins distinctement. Toutefois la condition déterminante du son n’est ni l’air, ni l’eau: ce qu’il faut, c’est que se produise un choc de solides l’un contre l’autre et contre l’air. Cette dernière condition est remplie, quand l’air, une fois frappé résiste et ne se disperse pas. De là vient qu’il doit être frappé rapidement et fortement pour résonner. Le mouvement du corps frappant, en effet, doit prévenir la dispersion de l’air, comme si l’on frappait un tas ou une rangée de grains de sable se mouvant avec rapidité. L’écho se produit quand l’air, maintenu en une seule masse par une cavité qui le limite et l’empêche de se disperser, renvoie l’air comme une balle. Il semble que l’écho se produit toujours, mais qu’il n’est pas toujours distinct, car il se passe pour le son ce qui se passe pour la lumière: en effet, la lumière est toujours réfléchie (sinon la lumière ne se diffuserait pas partout, mais l’obscurité régnerait en dehors des lieux éclairés par le Soleil), mais elle n’est pas toujours réfléchie d’une façon aussi parfaite que par l’eau, l’airain ou tout autre corps poli, de manière à produire dans tous les cas une ombre, caractère par lequel nous définissons communément la lumière. On dit avec raison que le vide est la cause déterminante de l’audition, car, dans l’opinion commune, le vide c’est l’air, lequel est bien la cause efficiente de l’audition, quand il est mû comme une masse continue et une, Mais, en raison de sa friabilité, il ne rend aucun son, à moins que le corps frappé ne a soit lisse: l’air devient alors un, grâce en même temps à la nature de la surface; car la surface du poli est une. Est donc sonore le corps capable de mettre en mouvement une masse d’air, laquelle est une par continuité jusqu’à l’organe de l’ouïe. Il existe une masse d’air qui est dans une union naturelle avec l’organe de l’ouïe Et par le fait que cet organe se trouve dans l’air si l’air extérieur est mis en mouvement, l’air intérieur de l’oreille est mû lui aussi. De là vient que l’animal n’entend pas en tous les points de son corps, et que l’air non plus ne le pénètre pas partout. Car ce n’est même pas en tous ses points que la partie du corps elle-même qui doit se mouvoir et émettre un son, renferme de l’air Ainsi donc, en lui-même, l’air est silencieux parce qu’il s’émiette facilement; mais quand il est empêché de s’émietter, son mouvement est un son. Quant à l’air qui réside dans les oreilles, il y a été emprisonné pour y être immobile, de façon à perce voir avec exactitude toutes les différences du mouvement C’est pour cela aussi que nous entendons même dans l’eau, parce que non seulement elle ne pénètre pas dans l’air qui est en union naturelle avec l’oreille, mais elle ne peut même pas entrer dans l’oreille, à cause des spirales. Et quand cela vient à se produire, on n’entend pas, pas plus d’ailleurs que dans le cas où la membrane auditive est endommagée, comme cela se passe pour la vue quand l’enveloppe de la pupille’ est malade. Mais nous avons un signe pour reconnaître si l’on entend ou non: c’est que l’oreille saine résonne perpétuellement comme une corne car l’air emprisonné dans les oreilles se meut perpétuellement d’un mouvement propre. Pourtant le son reste quelque chose d’étranger et n’est pas propre à l’oreille même Et c’est pour cela qu’on dit communément que nous entendons par le moyen du vide et de ce qui résonne: c’est que nous entendons, en effet, par l’organe qui contient de l’air, et un air délimité. Est-ce le corps frappé ou le corps frappant qui émet le son? N’est-ce pas plutôt l’un et l’autre, quoique d’une manière différente? En effet, le son est un mouvement, de ce qui peut être mû de la même façon que ces balles qui rebondissent dès surfaces polies quand on les lance avec force. Ainsi, comme nous l’avons indiqué ce n’est pas que tout corps émette un son quand il est frappé ou frappant: il n’y aura pas de son, par exemple, si une aiguille frappe une aiguille. Ce qu’il faut, c’est que le corps frappé soit plan, de telle sorte que l’air, rebondisse et vibre en une seule masse. Les différences des corps sonores se manifestent dans le son en acte De même, en effet, que, sans le secours de la lumière, on ne voit pas les couleurs, de même, sans le secours du son, on ne saisit pas l’aigu et le grave, termes qui dérivent, par métaphore, des objets tangibles. Car l’aigu meut le sens en peu de temps et plus durablement, et le grave, lentement et plus passagèrement. Il n’en faut cependant pas conclure que l’aigu est le rapide, et le grave le lent, mais c’est seulement tantôt grâce à la rapidité, tantôt grâce à la lenteur que se réalise un mouvement de cette sorte. Et il semble y avoir une certaine analogie avec ce qu’est, pour le toucher, l’aigu et l’obtus. Car l’aigu fait en quelque sorte une piqûre, et l’obtus une poussée, par le fait que l’un meut en peu de temps, et l’autre lentement, de sorte que c’est seulement par voie de conséquence que l’un est rapide, et l'autre lent. En ce qui concerne le son, restons-en là. La voix elle, est un certain son de l’être animé. Aucun des êtres inanimés, en effet, ne possède la voix; c’est seulement par analogie que certains sont dits avoir une voix: tel est le cas de la flûte, de la lyre et de tous les autres êtres inanimés qui ont registre, son musical et langage. Ils semblent, en effet, doués de voix, parce que la voix possède aussi ces caractères. Mais, en outre, un, grand nombre d’animaux n’ont pas de voix, par exemple ceux qui n’ont pas de sang, ni, même parmi ceux qui ont du sang, les poissons. Et cela est rationnel, s’il est vrai que le son est un certain mouvement de l’air. Quant aux poissons qui, dit-on, possèdent la voix comme ceux de l’Achéloüs, en réalité ils émettent seulement des sons par leurs branchies ou par quelque autre organe de ce genre. Or la voix est le son rendu par un animal, mais non pas au moyen de n’importe quelle partie de son corps. Mais puisque toute chose sonore émet des sons, par le choc de quelque chose contre quelque chose et en quelque chose, qui est l’air, il est rationnel que seuls possèdent la voix les êtres qui reçoivent l’air en eux. En effet, la nature se sert de l’air respiré en vue de deux fins, comme elle se sert de la langue à la fois en vue du goût et en vue du langage articulé: de ces deux dernières fonctions, le goût est nécessaire à la vie (c’est pour quoi d’ailleurs il appartient à un plus grand nombre d’animaux), alors que l’expression de la pensée n’est qu’en vue du bien-être il en est de même dans le cas du souffle, dont la nature se sert, d’une part, comme d’une condition nécessaire à la vie (la cause en sera indiquée ailleurs), pour régulariser la chaleur intérieure, et, d’autre part, pour produire la voix et réaliser ainsi le bien-être. L’organe de la respiration est le larynx e, et cette partie du corps n’existe elle-même qu’en vue du poumon; car c’est dans ce dernier organe que les animaux pédestres entretiennent une plus grande quantité de chaleur que les autres. La région qui environne le cœur est aussi la première à avoir besoin de la respiration. C’est pourquoi il est nécessaire que l’air pénètre à l’intérieur de l’être qui respire. La voix est ainsi le choc de l’air respiré contre ce qu’on appelle la trachée-artère, et ce choc est produit par l’âme qui réside dans ces parties du corps, En effet, ainsi que nous l’avons dit tout son émis par l’animal n’est pas voix (car on peut encore faire du bruit avec la langue, ou même en toussant); ce qu’il faut, c’est que le corps qui frappe soit animé et que quelque représentation accompagne son action. Car la voix est assurément un son pourvu de signification, et elle n’est pas uniquement le bruit de l’air respiré, comme la toux: en fait, elle est un choc, produit au moyen de cet air, de l’air contenu dans la trachée-artère, a contre la trachée elle-même. Et la preuve, c’est que nous ne pouvons parler ni pendant l’inspiration, ni pendant l’expiration, mais seulement quand nous retenons notre respiration: car les mouvements se font avec l’air ainsi retenu On voit clairement aussi’ pourquoi les poissons sont aphones: c’est qu’ils ne possèdent pas de larynx, et ils ne possèdent pas cette partie du corps parce qu’ils ne reçoivent pas l’air en eux, ni ne respirent. Quant à savoir pour quelle raison, c’est une autre question.
Maintenant, pour commencer, établissons des distinctions au sujet du son et de l’ouïe. Le son se dit en un double sens: il y a le son en acte et le son en puissance. Pour certaines choses, en effet, nous disons qu’elles n’ont pas de son par exemple l’éponge, la laine; pour d’autres, qu’elles possèdent le son: c’est le cas de l’airain et, en général, de tous les corps durs et lisses, parce qu’ils ont la puissance d’émettre des sons, c’est-à-dire de rendre, dans le milieu qui est intermédiaire entre l’objet sonore et l’organe de l’ouïe, un son en acte. La production du son en acte est toujours celle de quelque chose, par rapport à quelque chose, et dans quelque chose, car c’est un choc qui est la cause productrice du son. C’est pourquoi aussi, il est impossible que d’un unique objet provienne un son, car la distinction entre le corps frappant et le corps frappé a pour con séquence que ce qui résonne ne résonne que lorsqu’il est en rapport avec quelque chose. De plus, le choc n’a pas lieu sans un mouvement de translation Mais, comme nous l’avons dit ce n’est pas le choc de deux corps pris au hasard qui constitue le son. La laine, en effet, ne rend aucun son si on la frappe, au contraire de ce qui se passe pour l’airain et pour tous les corps lisses et creux: l’airain, c’est parce qu’il est lisse, tandis que les corps creux produisent, par répercussion, une série de chocs à la suite du premier, l’air qui a été mis en mouvement étant dans l’impossibilité de s’échapper. De plus le son est entendu dans l’air et aussi dans l’eau, quoique moins distinctement. Toutefois la condition déterminante du son n’est ni l’air, ni l’eau: ce qu’il faut, c’est que se produise un choc de solides l’un contre l’autre et contre l’air. Cette dernière condition est remplie, quand l’air, une fois frappé résiste et ne se disperse pas. De là vient qu’il doit être frappé rapidement et fortement pour résonner. Le mouvement du corps frappant, en effet, doit prévenir la dispersion de l’air, comme si l’on frappait un tas ou une rangée de grains de sable se mouvant avec rapidité. L’écho se produit quand l’air, maintenu en une seule masse par une cavité qui le limite et l’empêche de se disperser, renvoie l’air comme une balle. Il semble que l’écho se produit toujours, mais qu’il n’est pas toujours distinct, car il se passe pour le son ce qui se passe pour la lumière: en effet, la lumière est toujours réfléchie (sinon la lumière ne se diffuserait pas partout, mais l’obscurité régnerait en dehors des lieux éclairés par le Soleil), mais elle n’est pas toujours réfléchie d’une façon aussi parfaite que par l’eau, l’airain ou tout autre corps poli, de manière à produire dans tous les cas une ombre, caractère par lequel nous définissons communément la lumière. On dit avec raison que le vide est la cause déterminante de l’audition, car, dans l’opinion commune, le vide c’est l’air, lequel est bien la cause efficiente de l’audition, quand il est mû comme une masse continue et une, Mais, en raison de sa friabilité, il ne rend aucun son, à moins que le corps frappé ne a soit lisse: l’air devient alors un, grâce en même temps à la nature de la surface; car la surface du poli est une. Est donc sonore le corps capable de mettre en mouvement une masse d’air, laquelle est une par continuité jusqu’à l’organe de l’ouïe. Il existe une masse d’air qui est dans une union naturelle avec l’organe de l’ouïe Et par le fait que cet organe se trouve dans l’air si l’air extérieur est mis en mouvement, l’air intérieur de l’oreille est mû lui aussi. De là vient que l’animal n’entend pas en tous les points de son corps, et que l’air non plus ne le pénètre pas partout. Car ce n’est même pas en tous ses points que la partie du corps elle-même qui doit se mouvoir et émettre un son, renferme de l’air Ainsi donc, en lui-même, l’air est silencieux parce qu’il s’émiette facilement; mais quand il est empêché de s’émietter, son mouvement est un son. Quant à l’air qui réside dans les oreilles, il y a été emprisonné pour y être immobile, de façon à perce voir avec exactitude toutes les différences du mouvement C’est pour cela aussi que nous entendons même dans l’eau, parce que non seulement elle ne pénètre pas dans l’air qui est en union naturelle avec l’oreille, mais elle ne peut même pas entrer dans l’oreille, à cause des spirales. Et quand cela vient à se produire, on n’entend pas, pas plus d’ailleurs que dans le cas où la membrane auditive est endommagée, comme cela se passe pour la vue quand l’enveloppe de la pupille’ est malade. Mais nous avons un signe pour reconnaître si l’on entend ou non: c’est que l’oreille saine résonne perpétuellement comme une corne car l’air emprisonné dans les oreilles se meut perpétuellement d’un mouvement propre. Pourtant le son reste quelque chose d’étranger et n’est pas propre à l’oreille même Et c’est pour cela qu’on dit communément que nous entendons par le moyen du vide et de ce qui résonne: c’est que nous entendons, en effet, par l’organe qui contient de l’air, et un air délimité. Est-ce le corps frappé ou le corps frappant qui émet le son? N’est-ce pas plutôt l’un et l’autre, quoique d’une manière différente? En effet, le son est un mouvement, de ce qui peut être mû de la même façon que ces balles qui rebondissent dès surfaces polies quand on les lance avec force. Ainsi, comme nous l’avons indiqué ce n’est pas que tout corps émette un son quand il est frappé ou frappant: il n’y aura pas de son, par exemple, si une aiguille frappe une aiguille. Ce qu’il faut, c’est que le corps frappé soit plan, de telle sorte que l’air, rebondisse et vibre en une seule masse. Les différences des corps sonores se manifestent dans le son en acte De même, en effet, que, sans le secours de la lumière, on ne voit pas les couleurs, de même, sans le secours du son, on ne saisit pas l’aigu et le grave, termes qui dérivent, par métaphore, des objets tangibles. Car l’aigu meut le sens en peu de temps et plus durablement, et le grave, lentement et plus passagèrement. Il n’en faut cependant pas conclure que l’aigu est le rapide, et le grave le lent, mais c’est seulement tantôt grâce à la rapidité, tantôt grâce à la lenteur que se réalise un mouvement de cette sorte. Et il semble y avoir une certaine analogie avec ce qu’est, pour le toucher, l’aigu et l’obtus. Car l’aigu fait en quelque sorte une piqûre, et l’obtus une poussée, par le fait que l’un meut en peu de temps, et l’autre lentement, de sorte que c’est seulement par voie de conséquence que l’un est rapide, et l'autre lent. En ce qui concerne le son, restons-en là. La voix elle, est un certain son de l’être animé. Aucun des êtres inanimés, en effet, ne possède la voix; c’est seulement par analogie que certains sont dits avoir une voix: tel est le cas de la flûte, de la lyre et de tous les autres êtres inanimés qui ont registre, son musical et langage. Ils semblent, en effet, doués de voix, parce que la voix possède aussi ces caractères. Mais, en outre, un, grand nombre d’animaux n’ont pas de voix, par exemple ceux qui n’ont pas de sang, ni, même parmi ceux qui ont du sang, les poissons. Et cela est rationnel, s’il est vrai que le son est un certain mouvement de l’air. Quant aux poissons qui, dit-on, possèdent la voix comme ceux de l’Achéloüs, en réalité ils émettent seulement des sons par leurs branchies ou par quelque autre organe de ce genre. Or la voix est le son rendu par un animal, mais non pas au moyen de n’importe quelle partie de son corps. Mais puisque toute chose sonore émet des sons, par le choc de quelque chose contre quelque chose et en quelque chose, qui est l’air, il est rationnel que seuls possèdent la voix les êtres qui reçoivent l’air en eux. En effet, la nature se sert de l’air respiré en vue de deux fins, comme elle se sert de la langue à la fois en vue du goût et en vue du langage articulé: de ces deux dernières fonctions, le goût est nécessaire à la vie (c’est pour quoi d’ailleurs il appartient à un plus grand nombre d’animaux), alors que l’expression de la pensée n’est qu’en vue du bien-être il en est de même dans le cas du souffle, dont la nature se sert, d’une part, comme d’une condition nécessaire à la vie (la cause en sera indiquée ailleurs), pour régulariser la chaleur intérieure, et, d’autre part, pour produire la voix et réaliser ainsi le bien-être. L’organe de la respiration est le larynx e, et cette partie du corps n’existe elle-même qu’en vue du poumon; car c’est dans ce dernier organe que les animaux pédestres entretiennent une plus grande quantité de chaleur que les autres. La région qui environne le cœur est aussi la première à avoir besoin de la respiration. C’est pourquoi il est nécessaire que l’air pénètre à l’intérieur de l’être qui respire. La voix est ainsi le choc de l’air respiré contre ce qu’on appelle la trachée-artère, et ce choc est produit par l’âme qui réside dans ces parties du corps, En effet, ainsi que nous l’avons dit tout son émis par l’animal n’est pas voix (car on peut encore faire du bruit avec la langue, ou même en toussant); ce qu’il faut, c’est que le corps qui frappe soit animé et que quelque représentation accompagne son action. Car la voix est assurément un son pourvu de signification, et elle n’est pas uniquement le bruit de l’air respiré, comme la toux: en fait, elle est un choc, produit au moyen de cet air, de l’air contenu dans la trachée-artère, a contre la trachée elle-même. Et la preuve, c’est que nous ne pouvons parler ni pendant l’inspiration, ni pendant l’expiration, mais seulement quand nous retenons notre respiration: car les mouvements se font avec l’air ainsi retenu On voit clairement aussi’ pourquoi les poissons sont aphones: c’est qu’ils ne possèdent pas de larynx, et ils ne possèdent pas cette partie du corps parce qu’ils ne reçoivent pas l’air en eux, ni ne respirent. Quant à savoir pour quelle raison, c’est une autre question.
Re: Aristote - Le Traité de l'âme - Peri Psyche - LIVRE II: L'ÂME, LES SENS ET LES SENSATIONS.
Chapitre 9: Le sens de l’odorat et son objet.
Ce qui concerne l’odeur et l’odorat est moins facile à déterminer que ce que nous avons déjà exposé, Car on n’aperçoit pas aussi clairement la nature de l’odeur que celle du son ou de la couleur. La cause en est que cette sensation n’est pas en nous bien subtile mais qu’elle est même inférieure à celle d’un grand nombre d’animaux. En effet, l’homme sent les odeurs médiocrement, et il ne saisit aucune odeur indépendamment de la douleur et du plaisir, ce qui prouve bien que l’organe sensoriel manque de finesse. II est raisonnable dé penser que c’est de cette même façon que les animaux aux yeux secs perçoivent les couleurs, et que les différences des couleurs ne leur apparaissent que par la crainte ou l’absence de crainte qu’ils en reçoivent. Et telle est aussi la façon dont l’espèce humaine perçoit les odeurs. Il semble, en effet, que l’odorat présente une analogie avec le goût, et que, pareillement, les espèces des saveurs sont analogues à celles de l’odeur seulement notre sens du goût est plus subtil, parce que le goût est une sorte de toucher; or le toucher est, chez l’homme, le sens le plus développé. Pour les autres sens, en effet, l’homme le cède à beaucoup d’animaux, mais, pour la finesse du toucher, il est de loin supérieur à tous les autres. Et c’est pourquoi il est le plus intelligent des animaux. Une preuve, c’est que, à s’en tenir même à l’espèce humaine, c’est grâce à l’organe de ce sens, et à rien d’autre, qu’il y a des hommes bien doués et des hommes mal doués: car les hommes à chair dure sont mal doués sous le rapport de l’intelligence, et les hommes à chair tendre; bien doués. De même que la saveur est tantôt douce, tantôt amère, ainsi en est-il des odeurs. Mais certains objets ont une odeur et une saveur analogues: j ‘entends, par exemple, qu’ils ont une odeur douce et une saveur douce; pour d’autres, c’est le contraire. De même encore une odeur est aigre, irritante, acide ou grasse. Mais, comme nous l’avons dit, par le fait que les odeurs ne sont pas, à beaucoup près, aussi faciles à discerner que les saveurs, c’est de celles-ci qu’elles ont pris leurs noms, en vertu de la ressemblance des choses, L’odeur douce, en effet, vient du safran et du miel, et l’odeur aigre, du thym et de choses de ce genre. Et il en est ainsi dans tous les autres cas. Et de même que l’ouïe (et chacun des sens) est sens soit du sonore, soit du non sonore, et la vue soit du visible, soit de l’invisible, ainsi l’odorat est sens, à la fois, de l’odorant et de l’inodore. Une chose est inodore soit parce qu’elle ne peut avoir absolument aucune odeur, soit parce qu’elle a une odeur faible ou médiocre. Même ambiguïté pour le terme "insipide". L’odorat s’exerce, lui aussi, au moyen d’un intermédiaire, savoir l’air ou même l’eau, car les animaux aquatiques également (aussi bien ceux qui ont du sang que ceux qui n’ont pas de sang) semblent percevoir l’odeur, comme les animaux qui vivent dans l’air: certains d’entre eux en effet, se dirigent de loin vers leur nourriture, quand ils se trouvent attirés par l’odeur. Aussi y a-t-il une difficulté manifeste dans le fait que, la perception de l’odeur s’effectuant chez tous les animaux de la même manière, l’homme est le seul à ne pouvoir sentir qu’en aspirant l’air: si, au lieu d’aspirer, il exhale ou retient son souffle, il ne sent rien, ni de loin, ni de près, quand bien même le corps odorant serait placé à. l’intérieur, sur la narine même. (Que l’objet placé sur l’organe sensoriel lui-même ne puisse être perçu, ç’est là une règle commune à tous les animaux; mais ne pouvoir sentir sans aspirer, cela est propre à l’homme: le fait est évident pour qui en tente l’expérience). Il en résulte que les animaux qui n’ont pas de sang devraient, puisqu’ils ne respirent pas, posséder quelque sens autre que ceux dont nous avons parlé Mais, en réalité, c’est impossible, puisque c’est l’odeur qu’ils perçoivent: car la sensation de l’odorant, de ce qui sent mauvais et de ce qui sent bon, ne peut être que l’odorat De plus il apparaît, en fait, que ces animaux périssent sous l’action des mêmes odeurs puissantes qui font périr l'homme, par exemple celles du bitume, du soufre et des substances de ce genre. Il est donc nécessaire qu’ils perçoivent les odeurs, tout en ne respirant pas. En réalité, il semble bien que, chez l'homme, l’organe olfactif diffère de celui des autres animaux, comme ses yeux diffèrent- de ceux des animaux qui ont les yeux secs. Car les yeux de l’homme ont pour cloison et, en quelque sorte, pour enveloppe, les paupières, et, si on ne les remue pas ou si on ne les relève pas, on ne voit pas, au lieu que les animaux aux yeux secs ne possèdent rien de tel, mais voient immédiatement ce qui arrive dans le diaphane, Ainsi, semble-t-il, l’organe olfactif, chez certains animaux, a est à découvert comme l’œil de ces animaux aux yeux secs, tandis que, chez d’autres, qui reçoivent l’air en eux, il possède un opercule, qui s’écarte quand ils respirent, grâce la dilatation des veines et des pores. Telle est la raison aussi pour laquelle les animaux qui respirent ne sentent pas l’odeur dans l’humide: car il leur faut, pour sentir, respirer, ce qu’il leur est impossible de faire dans l’humide. L’odeur est relative au sec comme la saveur l’est à l’humide, et l’organe olfactif est, en puissance, sec aussi.
Ce qui concerne l’odeur et l’odorat est moins facile à déterminer que ce que nous avons déjà exposé, Car on n’aperçoit pas aussi clairement la nature de l’odeur que celle du son ou de la couleur. La cause en est que cette sensation n’est pas en nous bien subtile mais qu’elle est même inférieure à celle d’un grand nombre d’animaux. En effet, l’homme sent les odeurs médiocrement, et il ne saisit aucune odeur indépendamment de la douleur et du plaisir, ce qui prouve bien que l’organe sensoriel manque de finesse. II est raisonnable dé penser que c’est de cette même façon que les animaux aux yeux secs perçoivent les couleurs, et que les différences des couleurs ne leur apparaissent que par la crainte ou l’absence de crainte qu’ils en reçoivent. Et telle est aussi la façon dont l’espèce humaine perçoit les odeurs. Il semble, en effet, que l’odorat présente une analogie avec le goût, et que, pareillement, les espèces des saveurs sont analogues à celles de l’odeur seulement notre sens du goût est plus subtil, parce que le goût est une sorte de toucher; or le toucher est, chez l’homme, le sens le plus développé. Pour les autres sens, en effet, l’homme le cède à beaucoup d’animaux, mais, pour la finesse du toucher, il est de loin supérieur à tous les autres. Et c’est pourquoi il est le plus intelligent des animaux. Une preuve, c’est que, à s’en tenir même à l’espèce humaine, c’est grâce à l’organe de ce sens, et à rien d’autre, qu’il y a des hommes bien doués et des hommes mal doués: car les hommes à chair dure sont mal doués sous le rapport de l’intelligence, et les hommes à chair tendre; bien doués. De même que la saveur est tantôt douce, tantôt amère, ainsi en est-il des odeurs. Mais certains objets ont une odeur et une saveur analogues: j ‘entends, par exemple, qu’ils ont une odeur douce et une saveur douce; pour d’autres, c’est le contraire. De même encore une odeur est aigre, irritante, acide ou grasse. Mais, comme nous l’avons dit, par le fait que les odeurs ne sont pas, à beaucoup près, aussi faciles à discerner que les saveurs, c’est de celles-ci qu’elles ont pris leurs noms, en vertu de la ressemblance des choses, L’odeur douce, en effet, vient du safran et du miel, et l’odeur aigre, du thym et de choses de ce genre. Et il en est ainsi dans tous les autres cas. Et de même que l’ouïe (et chacun des sens) est sens soit du sonore, soit du non sonore, et la vue soit du visible, soit de l’invisible, ainsi l’odorat est sens, à la fois, de l’odorant et de l’inodore. Une chose est inodore soit parce qu’elle ne peut avoir absolument aucune odeur, soit parce qu’elle a une odeur faible ou médiocre. Même ambiguïté pour le terme "insipide". L’odorat s’exerce, lui aussi, au moyen d’un intermédiaire, savoir l’air ou même l’eau, car les animaux aquatiques également (aussi bien ceux qui ont du sang que ceux qui n’ont pas de sang) semblent percevoir l’odeur, comme les animaux qui vivent dans l’air: certains d’entre eux en effet, se dirigent de loin vers leur nourriture, quand ils se trouvent attirés par l’odeur. Aussi y a-t-il une difficulté manifeste dans le fait que, la perception de l’odeur s’effectuant chez tous les animaux de la même manière, l’homme est le seul à ne pouvoir sentir qu’en aspirant l’air: si, au lieu d’aspirer, il exhale ou retient son souffle, il ne sent rien, ni de loin, ni de près, quand bien même le corps odorant serait placé à. l’intérieur, sur la narine même. (Que l’objet placé sur l’organe sensoriel lui-même ne puisse être perçu, ç’est là une règle commune à tous les animaux; mais ne pouvoir sentir sans aspirer, cela est propre à l’homme: le fait est évident pour qui en tente l’expérience). Il en résulte que les animaux qui n’ont pas de sang devraient, puisqu’ils ne respirent pas, posséder quelque sens autre que ceux dont nous avons parlé Mais, en réalité, c’est impossible, puisque c’est l’odeur qu’ils perçoivent: car la sensation de l’odorant, de ce qui sent mauvais et de ce qui sent bon, ne peut être que l’odorat De plus il apparaît, en fait, que ces animaux périssent sous l’action des mêmes odeurs puissantes qui font périr l'homme, par exemple celles du bitume, du soufre et des substances de ce genre. Il est donc nécessaire qu’ils perçoivent les odeurs, tout en ne respirant pas. En réalité, il semble bien que, chez l'homme, l’organe olfactif diffère de celui des autres animaux, comme ses yeux diffèrent- de ceux des animaux qui ont les yeux secs. Car les yeux de l’homme ont pour cloison et, en quelque sorte, pour enveloppe, les paupières, et, si on ne les remue pas ou si on ne les relève pas, on ne voit pas, au lieu que les animaux aux yeux secs ne possèdent rien de tel, mais voient immédiatement ce qui arrive dans le diaphane, Ainsi, semble-t-il, l’organe olfactif, chez certains animaux, a est à découvert comme l’œil de ces animaux aux yeux secs, tandis que, chez d’autres, qui reçoivent l’air en eux, il possède un opercule, qui s’écarte quand ils respirent, grâce la dilatation des veines et des pores. Telle est la raison aussi pour laquelle les animaux qui respirent ne sentent pas l’odeur dans l’humide: car il leur faut, pour sentir, respirer, ce qu’il leur est impossible de faire dans l’humide. L’odeur est relative au sec comme la saveur l’est à l’humide, et l’organe olfactif est, en puissance, sec aussi.
Re: Aristote - Le Traité de l'âme - Peri Psyche - LIVRE II: L'ÂME, LES SENS ET LES SENSATIONS.
Chapitre 10: Le sens du goût et son objet.
Le sapide est une sorte de tangible, et telle est la raison pour laquelle il n’est pas perçu par le moyen d’un’ corps intermédiaire étranger car le toucher ne l’est pas davantage. Et le corps dans lequel résidé la saveur, le sapide, est dans l’humide pris comme sa matière or l’humide est un certain tangible. C’est pourquoi, même si nous vivions dans l’humide, nous percevrions le doux qui y serait introduit, et la sensation ne nous arriverait pas par l’intermédiaire de l’eau, mais par le fait du mélange du sapide avec l’humide, comme pour un breuvage La couleur, au contraire, ce n’est pas de cette façon, c’est-à-dire par le fait d’un mélange qu’elle est perçue, pas plus d’ailleurs que par des effluves. Rien donc dans les saveurs qui corresponde à l’intermédiaire; mais de même que le visible est la couleur, ainsi le sapide est la saveur. Seulement, rien ne produit une sensation de saveur sans humidité; mais la cause productrice doit contenir de l’humidité en acte ou en puissance: tel est le salé, car il se dissout lui-même facilement et exerce une action dissolvante sur la langue. Comme la vue est sens du visible et de l’invisible (car l’obscurité est invisible, mais la vue la discerne aussi), et, en outre, de ce qui est trop brillant (et qui est également invisible, bien qu’autrement que l’obscurité); que l’ouïe est, de même, sens du son et du silence (le premier étant audible, et le second inaudible), et, en outre, du son intense, à la façon dont la vue l’est du brillant (car, si le son faible est inaudible, le son fort et violent, d’une certaine façon l’est aussi); et on appelle invisible, soit ce qui n’est absolument pas visible (au sens où s’applique aussi, dans d’autres cas, le terme "impossible"), soit ce qui étant naturellement visible ne l’est pas en fait, ou l’est médiocrement, comme cela se passe respectivement pour l’animal apode et le fruit sans noyau, ainsi en est-il pour le goût, sens du sapide et de l’insipide, l’insipide étant ce qui possède une saveur faible, ou médiocre, ou destructive du goût. Et il semble bien que le principe du sapide soit le potable et le non potable, car l’un et l’autre sont une sorte de sapide seulement le dernier est une saveur faible et destructive du goût, tandis que le premier est conforme à sa nature. Le potable est d’ailleurs commun au toucher et au goût. Mais puisque le sapide est humide, il est indispensable que l’organe sensoriel qui le perçoit ne soit ni humide en entéléchie, ni pourtant incapable de devenir humide. En effet, l’organe du goût subit une passion sous l’action du sapide en tant que sapide est donc nécessaire que soit humidifié ce qui peut l’être sans dommage pour sa substance tout en n’étant pas humide en acte, savoir l’organe gustatif. La preuve, c’est que la langue ne perçoit la saveur ni quand elle est trop sèche, ni quand elle est trop humide: dans ce dernier cas, en effet, le contact se produit avec l'humidité primitive comme il arrive à l’homme qui, après avoir goûté une saveur puissante, en goûte une autre, ou aux malades à qui tout parait amer, parce que c’est avec la langue pleine d’une humidité de cette sorte qu’ils perçoivent.
Dans les saveurs, comme aussi dans les couleurs, on distingue, d’une part, les espèces simples, qui sont les contraires, savoir le doux et l’amer; d’autre part, les espèces dérivées, soit du premier, comme l’onctueux, soit du second, comme le salé; enfin, intermédiaires entre ces dernières saveurs, l’aigre, l’âpre, l’astringent et l’acide à peu de chose près, telles paraissent être, en effet, les différences des saveurs. Il en résulte que la faculté gustative est ce qui est tel en puissance, et le sapide est la cause qui la fait passer à l’entéléchie.
Le sapide est une sorte de tangible, et telle est la raison pour laquelle il n’est pas perçu par le moyen d’un’ corps intermédiaire étranger car le toucher ne l’est pas davantage. Et le corps dans lequel résidé la saveur, le sapide, est dans l’humide pris comme sa matière or l’humide est un certain tangible. C’est pourquoi, même si nous vivions dans l’humide, nous percevrions le doux qui y serait introduit, et la sensation ne nous arriverait pas par l’intermédiaire de l’eau, mais par le fait du mélange du sapide avec l’humide, comme pour un breuvage La couleur, au contraire, ce n’est pas de cette façon, c’est-à-dire par le fait d’un mélange qu’elle est perçue, pas plus d’ailleurs que par des effluves. Rien donc dans les saveurs qui corresponde à l’intermédiaire; mais de même que le visible est la couleur, ainsi le sapide est la saveur. Seulement, rien ne produit une sensation de saveur sans humidité; mais la cause productrice doit contenir de l’humidité en acte ou en puissance: tel est le salé, car il se dissout lui-même facilement et exerce une action dissolvante sur la langue. Comme la vue est sens du visible et de l’invisible (car l’obscurité est invisible, mais la vue la discerne aussi), et, en outre, de ce qui est trop brillant (et qui est également invisible, bien qu’autrement que l’obscurité); que l’ouïe est, de même, sens du son et du silence (le premier étant audible, et le second inaudible), et, en outre, du son intense, à la façon dont la vue l’est du brillant (car, si le son faible est inaudible, le son fort et violent, d’une certaine façon l’est aussi); et on appelle invisible, soit ce qui n’est absolument pas visible (au sens où s’applique aussi, dans d’autres cas, le terme "impossible"), soit ce qui étant naturellement visible ne l’est pas en fait, ou l’est médiocrement, comme cela se passe respectivement pour l’animal apode et le fruit sans noyau, ainsi en est-il pour le goût, sens du sapide et de l’insipide, l’insipide étant ce qui possède une saveur faible, ou médiocre, ou destructive du goût. Et il semble bien que le principe du sapide soit le potable et le non potable, car l’un et l’autre sont une sorte de sapide seulement le dernier est une saveur faible et destructive du goût, tandis que le premier est conforme à sa nature. Le potable est d’ailleurs commun au toucher et au goût. Mais puisque le sapide est humide, il est indispensable que l’organe sensoriel qui le perçoit ne soit ni humide en entéléchie, ni pourtant incapable de devenir humide. En effet, l’organe du goût subit une passion sous l’action du sapide en tant que sapide est donc nécessaire que soit humidifié ce qui peut l’être sans dommage pour sa substance tout en n’étant pas humide en acte, savoir l’organe gustatif. La preuve, c’est que la langue ne perçoit la saveur ni quand elle est trop sèche, ni quand elle est trop humide: dans ce dernier cas, en effet, le contact se produit avec l'humidité primitive comme il arrive à l’homme qui, après avoir goûté une saveur puissante, en goûte une autre, ou aux malades à qui tout parait amer, parce que c’est avec la langue pleine d’une humidité de cette sorte qu’ils perçoivent.
Dans les saveurs, comme aussi dans les couleurs, on distingue, d’une part, les espèces simples, qui sont les contraires, savoir le doux et l’amer; d’autre part, les espèces dérivées, soit du premier, comme l’onctueux, soit du second, comme le salé; enfin, intermédiaires entre ces dernières saveurs, l’aigre, l’âpre, l’astringent et l’acide à peu de chose près, telles paraissent être, en effet, les différences des saveurs. Il en résulte que la faculté gustative est ce qui est tel en puissance, et le sapide est la cause qui la fait passer à l’entéléchie.
Re: Aristote - Le Traité de l'âme - Peri Psyche - LIVRE II: L'ÂME, LES SENS ET LES SENSATIONS.
Chapitre 11: Le sens du toucher et son objet.
Ce qu’on peut dire du tangible, on peut le dire du toucher. Si, en effet, le toucher n’est pas un seul sens mais plusieurs sens, il est nécessaire par là même que les sensibles tangibles soient multiples. Mais la question se pose d’abord de savoir si, en fait, il y a plusieurs sens du toucher ou un seul. En outre, quel est l’organe de la faculté du toucher? Est-ce la chair, et, chez les autres êtres qui n ‘ont pas de chair, l’analogue de la chair? Ou bien n’en est-il rien, mais la chair est-elle seulement l’intermédiaire, l’organe sensoriel premier étant, en réalité, quelque autre organe interne? Et, en effet, toute sensation semble bien être sensation d’une seule contrariété: pour la vue, par exemple, celle du blanc et du noir, pour l’ouïe, de l’aigu et du grave, pour le goût, de l’amer et du doux; dans le tangible, au contraire, sont comprises plusieurs contrariétés: le chaud et le froid, le sec et l’humide, le dur et le mou, et ainsi de suite. On peut apporter un semblant de réponse à cette difficulté : c’est de dire que les autres sens saisissent, eux aussi, des contrariétés multiples par exemple, dans la voix, on trouve non seulement l’aigu et le grave, mais encore l’intensité et la faiblesse, la douceur et la rudesse de la voix et autres déterminations de cette sorte. Et il y a aussi, en ce qui concerne la couleur, d’autres différences analogues. Cela est vrai, mais quelle est la chose unique qui serait substrat du toucher, comme le son est substrat de l’ouïe, c’est ce qu’on ne voit pas. D’autre part, l'organe sensoriel est-il interne, ou n’en est-il rien, mais est-ce immédiatement la chair elle-même? Aucune indication ne semble pouvoir être tirée de ce que la sensation naît en même temps que le contact. Car, de fait, si on étend autour de la chair une sorte de membrane qu’on a préparée, celle-ci, au moment même du contact, n’en transmet pas moins la sensation; pourtant il est évident que l’organe sensoriel n’est pas dans cette membrane. Et même si la membrane venait à s’unir naturellement à la chair, la sensation serait transmise encore plus rapidement. C’est pourquoi cette partie du corps Semble se comporter à la façon d’une enveloppe d’air qui adhèrerait naturellement à nous Nous croirions alors, en effet, percevoir par un seul organe le son, la couleur et l’odeur, et que la vue, l’ouïe et l’odorat constituent un seul sens. Mais, en réalité, par le fait que les milieux, à travers lesquels les mouvements se produisent, sont séparés de notre corps, les organes sensoriels dont nous venons de parler sont manifestement distincts l’un de l’autre. Mais, pour le toucher, ce point n’est pas, pour l’instant, bien clair. Il est, en effet, impossible de constituer le corps animé à partir de l’air ou de l’eau, puisqu’il doit être quelque chose de solide. Reste que ce soit un mixte de terre et de ces éléments, comme tendent à l’être la chair et son analogue. Il est donc nécessaire que le corps naturellement adhérent à l’organisme soit l’intermédiaire de la faculté du toucher, à travers lequel se produit la multiplicité des sensations. Et ce qui prouve bien leur multiplicité, c’est le cas du toucher quand il s’exerce par la langue: car cette même partie du corps qui perçoit la saveur, perçoit aussi tous les tangibles. Si donc le reste de la chair pouvait aussi avoir la sensation de la saveur, le goût et le toucher nous paraîtraient former un seul et même sens: si, en fait, ils sont deux, c’est parce que leurs organes ne sont pas inter changeables. Mais voici une difficulté. S’il est vrai que tout corps a une profondeur, c’est-à-dire la troisième dimension, et que, un corps quelconque étant inter posé entre deux autres corps, il n’est pas possible que ces deux corps soient en contact réciproque; si, d’autre part, l’humide n’existe pas indépendamment d’un corps ni le mouillé’ non plus, mais s’il est nécessaire qu’ils soient eau ou tout au moins con tiennent de l’eau; si, par suite, les corps qui sont en contact réciproque dans l’eau, étant donné que leurs surfaces externes ne sont pas sèches, doivent avoir entre eux l’eau dont leurs extrémités sont couvertes; si tout cela est vrai, il est impossible qu’un corps entre, dans l’eau, véritablement en contact avec un autre, et pas davantage dans l’air (car l’air se comporte de la même façon envers les corps qui s’y trouvent, que l’eau envers les corps qui sont dans l’eau; mais ce fait échappe davantage à notre attention, comme il arrive aux animaux qui vivent dans l’eau de ne pas s’apercevoir qu’un corps mouillé touche un autre corps mouillé). Le problème est alors le suivant: c’est de savoir si, pour tous les sensibles, la sensation a lieu de la même façon, ou bien si c’est d’une certaine façon pour les uns et d’une autre façon pour les autres, comme on croit communément aujourd’hui que le goût et le toucher s’exercent par le contact, et les autres sens, à distance. Mais cette distinction n’est pas fondée; en réalité, même le dur et le mou, c’est à travers d’autres corps que nous les percevons, exactement comme le sonore, le visible et l’odorant; seulement, pour ces derniers, la perception se fait à distance, tandis que pour les autres, elle se fait de près: c’est pourquoi la présence d’un intermédiaire nous échappe alors. De toute façon, en effet, nous percevons toutes choses par un milieu; seulement, dans ces cas, on ne s’en doute pas. Pourtant, comme nous l’avons dit aussi précédemment, si c’était par une membrane que nous percevions tous les tangibles sans nous rendre compte de son interposition, nous nous comporterions de la même manière que nous le faisons maintenant dans l’eau et dans l’air: car nous croyons bien, en fait, toucher les sensibles eux- mêmes, et qu’il n’existe aucun milieu intermédiaire. Mais il y a une différence entre le tangible, d’une part, et les visibles et les sonores, d’autre part: ces derniers, nous les percevons parce que l’intermédiaire produit m’i certain effet sur nous; pour les tangibles, au contraire, la perception ne s’effectue pas sous l’action de l’intermédiaire, mais en même temps que l’intermédiaire, à la façon de l’homme frappé à travers son bouclier: ce n’est pas que le bouclier, une fois le coup reçu, ait frappé l’homme à son tour, mais, en fait, les deux coups se sont trouvés portés simultanément. D’une façon générale, il semble bien que, pour la chair, et la langue, ce que l’air et l’eau sont aux organes de la vue, de l’ouïe et de l’odorat, elles le soient, comme eux, à l’organe sensoriel correspondant. Et en supposant l’organe sensoriel lui-même en contact avec un sensible, ni dans un cas, ni dans l’autre, il ne pourra se produire de sensation, par exemple si un corps blanc est placé sur la surface de l'œil. Par où il est évident aussi que c’est à l’intérieur que se trouve la faculté tactile, car c’est de cette façon-là seule ment qu’il en sera pour ce sens comme pour les autres sens: en effet, dans le cas de ces derniers, les corps placés sur l’organe sensoriel ne sont pas perçus, tandis que, placés sur la chair, ils sont perçus; d’où il suit que la chair n’est que l’intermédiaire du toucher. Les différences tangibles sont donc celles du corps en tant que corps par ces différences, j ‘entends celles qui définissent les éléments le chaud et le froid, le sec et l’humide, dont nous avons parlé antérieurement, dans le traité des Éléments. L’organe sensoriel de ces tangibles est celui du toucher, autrement dit cette partie du corps dans laquelle le sens appelé toucher réside primitivement. C’est cette partie qui est en puissance ces qualités: sentir, en effet, c’est pâtir en quelque chose, de sorte que l’agent fait cette partie semblable à lui en acte, alors qu’elle l’était en puissance C’est pourquoi ce qui est, à un degré égal à celui de l’organe, chaud ou froid, dur ou mou, nous ne le percevons pas, mais seulement les qualités en excès, ce qui implique que le sens est comme une sorte de médium entre les contrariétés dans les sensibles. Et c’est pour cela qu’il juge les sensibles, car le milieu est capable de juger, puisqu’il devient, par rapport à chacun des deux extrêmes, l’autre. Et de même que ce qui doit percevoir le blanc et le noir doit n’être en acte ni l’un ni l’autre, mais être en puissance tous les deux (et il en est ainsi pour les autres organes sensoriels), de même, en ce qui concerne le toucher, l’organe ne doit être en acte ni chaud ni froid. De plus, de même que la vue, disions-nous, est, d’une certaine façon, sens du visible et de l’invisible (et, pareille ment aussi, les sens restants à l’égard de leurs opposés) de même aussi le toucher est sens du tangible et du non tangible. Est non tangible soit ce qui ne possède qu’à un très faible degré une différence des choses tangibles comme l’air, par exemple, soit les tangibles en excès, comme les corps destructeurs. Tel est donc, pour chaque sens en particulier, notre exposé en résumé.
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Ce qu’on peut dire du tangible, on peut le dire du toucher. Si, en effet, le toucher n’est pas un seul sens mais plusieurs sens, il est nécessaire par là même que les sensibles tangibles soient multiples. Mais la question se pose d’abord de savoir si, en fait, il y a plusieurs sens du toucher ou un seul. En outre, quel est l’organe de la faculté du toucher? Est-ce la chair, et, chez les autres êtres qui n ‘ont pas de chair, l’analogue de la chair? Ou bien n’en est-il rien, mais la chair est-elle seulement l’intermédiaire, l’organe sensoriel premier étant, en réalité, quelque autre organe interne? Et, en effet, toute sensation semble bien être sensation d’une seule contrariété: pour la vue, par exemple, celle du blanc et du noir, pour l’ouïe, de l’aigu et du grave, pour le goût, de l’amer et du doux; dans le tangible, au contraire, sont comprises plusieurs contrariétés: le chaud et le froid, le sec et l’humide, le dur et le mou, et ainsi de suite. On peut apporter un semblant de réponse à cette difficulté : c’est de dire que les autres sens saisissent, eux aussi, des contrariétés multiples par exemple, dans la voix, on trouve non seulement l’aigu et le grave, mais encore l’intensité et la faiblesse, la douceur et la rudesse de la voix et autres déterminations de cette sorte. Et il y a aussi, en ce qui concerne la couleur, d’autres différences analogues. Cela est vrai, mais quelle est la chose unique qui serait substrat du toucher, comme le son est substrat de l’ouïe, c’est ce qu’on ne voit pas. D’autre part, l'organe sensoriel est-il interne, ou n’en est-il rien, mais est-ce immédiatement la chair elle-même? Aucune indication ne semble pouvoir être tirée de ce que la sensation naît en même temps que le contact. Car, de fait, si on étend autour de la chair une sorte de membrane qu’on a préparée, celle-ci, au moment même du contact, n’en transmet pas moins la sensation; pourtant il est évident que l’organe sensoriel n’est pas dans cette membrane. Et même si la membrane venait à s’unir naturellement à la chair, la sensation serait transmise encore plus rapidement. C’est pourquoi cette partie du corps Semble se comporter à la façon d’une enveloppe d’air qui adhèrerait naturellement à nous Nous croirions alors, en effet, percevoir par un seul organe le son, la couleur et l’odeur, et que la vue, l’ouïe et l’odorat constituent un seul sens. Mais, en réalité, par le fait que les milieux, à travers lesquels les mouvements se produisent, sont séparés de notre corps, les organes sensoriels dont nous venons de parler sont manifestement distincts l’un de l’autre. Mais, pour le toucher, ce point n’est pas, pour l’instant, bien clair. Il est, en effet, impossible de constituer le corps animé à partir de l’air ou de l’eau, puisqu’il doit être quelque chose de solide. Reste que ce soit un mixte de terre et de ces éléments, comme tendent à l’être la chair et son analogue. Il est donc nécessaire que le corps naturellement adhérent à l’organisme soit l’intermédiaire de la faculté du toucher, à travers lequel se produit la multiplicité des sensations. Et ce qui prouve bien leur multiplicité, c’est le cas du toucher quand il s’exerce par la langue: car cette même partie du corps qui perçoit la saveur, perçoit aussi tous les tangibles. Si donc le reste de la chair pouvait aussi avoir la sensation de la saveur, le goût et le toucher nous paraîtraient former un seul et même sens: si, en fait, ils sont deux, c’est parce que leurs organes ne sont pas inter changeables. Mais voici une difficulté. S’il est vrai que tout corps a une profondeur, c’est-à-dire la troisième dimension, et que, un corps quelconque étant inter posé entre deux autres corps, il n’est pas possible que ces deux corps soient en contact réciproque; si, d’autre part, l’humide n’existe pas indépendamment d’un corps ni le mouillé’ non plus, mais s’il est nécessaire qu’ils soient eau ou tout au moins con tiennent de l’eau; si, par suite, les corps qui sont en contact réciproque dans l’eau, étant donné que leurs surfaces externes ne sont pas sèches, doivent avoir entre eux l’eau dont leurs extrémités sont couvertes; si tout cela est vrai, il est impossible qu’un corps entre, dans l’eau, véritablement en contact avec un autre, et pas davantage dans l’air (car l’air se comporte de la même façon envers les corps qui s’y trouvent, que l’eau envers les corps qui sont dans l’eau; mais ce fait échappe davantage à notre attention, comme il arrive aux animaux qui vivent dans l’eau de ne pas s’apercevoir qu’un corps mouillé touche un autre corps mouillé). Le problème est alors le suivant: c’est de savoir si, pour tous les sensibles, la sensation a lieu de la même façon, ou bien si c’est d’une certaine façon pour les uns et d’une autre façon pour les autres, comme on croit communément aujourd’hui que le goût et le toucher s’exercent par le contact, et les autres sens, à distance. Mais cette distinction n’est pas fondée; en réalité, même le dur et le mou, c’est à travers d’autres corps que nous les percevons, exactement comme le sonore, le visible et l’odorant; seulement, pour ces derniers, la perception se fait à distance, tandis que pour les autres, elle se fait de près: c’est pourquoi la présence d’un intermédiaire nous échappe alors. De toute façon, en effet, nous percevons toutes choses par un milieu; seulement, dans ces cas, on ne s’en doute pas. Pourtant, comme nous l’avons dit aussi précédemment, si c’était par une membrane que nous percevions tous les tangibles sans nous rendre compte de son interposition, nous nous comporterions de la même manière que nous le faisons maintenant dans l’eau et dans l’air: car nous croyons bien, en fait, toucher les sensibles eux- mêmes, et qu’il n’existe aucun milieu intermédiaire. Mais il y a une différence entre le tangible, d’une part, et les visibles et les sonores, d’autre part: ces derniers, nous les percevons parce que l’intermédiaire produit m’i certain effet sur nous; pour les tangibles, au contraire, la perception ne s’effectue pas sous l’action de l’intermédiaire, mais en même temps que l’intermédiaire, à la façon de l’homme frappé à travers son bouclier: ce n’est pas que le bouclier, une fois le coup reçu, ait frappé l’homme à son tour, mais, en fait, les deux coups se sont trouvés portés simultanément. D’une façon générale, il semble bien que, pour la chair, et la langue, ce que l’air et l’eau sont aux organes de la vue, de l’ouïe et de l’odorat, elles le soient, comme eux, à l’organe sensoriel correspondant. Et en supposant l’organe sensoriel lui-même en contact avec un sensible, ni dans un cas, ni dans l’autre, il ne pourra se produire de sensation, par exemple si un corps blanc est placé sur la surface de l'œil. Par où il est évident aussi que c’est à l’intérieur que se trouve la faculté tactile, car c’est de cette façon-là seule ment qu’il en sera pour ce sens comme pour les autres sens: en effet, dans le cas de ces derniers, les corps placés sur l’organe sensoriel ne sont pas perçus, tandis que, placés sur la chair, ils sont perçus; d’où il suit que la chair n’est que l’intermédiaire du toucher. Les différences tangibles sont donc celles du corps en tant que corps par ces différences, j ‘entends celles qui définissent les éléments le chaud et le froid, le sec et l’humide, dont nous avons parlé antérieurement, dans le traité des Éléments. L’organe sensoriel de ces tangibles est celui du toucher, autrement dit cette partie du corps dans laquelle le sens appelé toucher réside primitivement. C’est cette partie qui est en puissance ces qualités: sentir, en effet, c’est pâtir en quelque chose, de sorte que l’agent fait cette partie semblable à lui en acte, alors qu’elle l’était en puissance C’est pourquoi ce qui est, à un degré égal à celui de l’organe, chaud ou froid, dur ou mou, nous ne le percevons pas, mais seulement les qualités en excès, ce qui implique que le sens est comme une sorte de médium entre les contrariétés dans les sensibles. Et c’est pour cela qu’il juge les sensibles, car le milieu est capable de juger, puisqu’il devient, par rapport à chacun des deux extrêmes, l’autre. Et de même que ce qui doit percevoir le blanc et le noir doit n’être en acte ni l’un ni l’autre, mais être en puissance tous les deux (et il en est ainsi pour les autres organes sensoriels), de même, en ce qui concerne le toucher, l’organe ne doit être en acte ni chaud ni froid. De plus, de même que la vue, disions-nous, est, d’une certaine façon, sens du visible et de l’invisible (et, pareille ment aussi, les sens restants à l’égard de leurs opposés) de même aussi le toucher est sens du tangible et du non tangible. Est non tangible soit ce qui ne possède qu’à un très faible degré une différence des choses tangibles comme l’air, par exemple, soit les tangibles en excès, comme les corps destructeurs. Tel est donc, pour chaque sens en particulier, notre exposé en résumé.
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Re: Aristote - Le Traité de l'âme - Peri Psyche - LIVRE II: L'ÂME, LES SENS ET LES SENSATIONS.
Chapitre 12: Les sensations et leur fonctionnement.
D’une façon générale, pour toute sensation, il faut comprendre que le sens est le réceptacle des formes sensibles sans la matière, comme la cire reçoit l’empreinte de l’anneau sans le fer ni l’or, et reçoit le sceau d’or ou d’airain, mais non en tant qu’or ou airain; il en est de même pour le sens: pour chaque sensible, il pâtit sous l’action de ce qui possède couleur, saveur ou son, non pas en tant que chacun de ces objets est dit être une chose particulière, mais en tant qu’il est de telle qualité’ et en vertu de sa forme. L’organe sensoriel premier est celui dans lequel réside une puissance de cette nature. Organe et faculté sont donc identiques, mais leur essence est différente: car le sentant doit être une certaine étendue, tandis que ni la quiddité de la faculté sensible, ni le sens lui-même ne sont de l’étendue, mais bien une certaine forme et une puissance du sentant. On voit clairement, d’après cela, pourquoi alors les excès dans les sensibles détruisent les organes sensoriels. En effet, si le mouvement est trop fort pour l’organe, la forme (ce qui, disions-nous, est le sens) est dissoute, à la façon de l’harmonie et du ton, quand les cordes sont frappées trop fortement. Cela explique aussi pourquoi les plantes n’ont pas la sensation, bien qu’elles aient une des parties de l’âme et qu’elles pâtissent en quelque degré sous l’action des tangibles; et, en effet, elles peuvent devenir, par exemple, froides ou chaudes. La cause en est qu’elles n’ont pas de médium, ni de principe capable de recevoir les formes des sensibles sans leur matière; au contraire, quand elles pâtissent, elles reçoivent également la matière. On pourrait se demander enfin si une chose incapable de percevoir l’odeur peut subir une certaine passion sous l’action de l’odeur, ou si une chose incapable de voir peut pâtir sous l’action de la couleur; et de même pour les autres sens. Mais si l’objet de l’odorat est l’odeur, l’effet que produit l’odeur, si elle doit en produire un, est seulement l’olfaction. Il en résulte qu’aucun des êtres incapables de percevoir une odeur n’est capable de pâtir sous l’action de l’odeur (et l’on peut en dire autant des autres sens), et que, même pour les êtres capables de sentir, aucun d’eux ne pâtit que dans la mesure où chacun est lui-même capable de percevoir Et cela est encore évident de la façon suivante. Ni la lumière et l’obscurité, ni le son, ni l’odeur ne produisent aucun effet sur les corps, mais bien les objets dans lesquels résident ces qualités par exemple, c’est l’air, qui accompagne le tonnerre, qui déchire le bois. Pourtant dira-t-on les tangibles et les saveurs agissent sinon, en effet, sous l’action de quel facteur les êtres inanimés pâti raient-ils et seraient-ils altérés? Dirons-nous donc que les autres sensibles agissent aussi? N’est-ce pas plutôt répondons-nous que tout corps ne peut pâtir sous l’action de l’odeur et du son, et que seuls pâtissent ceux qui sont d’une forme indéterminée et n’ont aucune consistance, par exemple l’air? L’air, en effet, devient odorant comme ayant subi une certaine modification Qu’est-ce donc que l’odeur.
D’une façon générale, pour toute sensation, il faut comprendre que le sens est le réceptacle des formes sensibles sans la matière, comme la cire reçoit l’empreinte de l’anneau sans le fer ni l’or, et reçoit le sceau d’or ou d’airain, mais non en tant qu’or ou airain; il en est de même pour le sens: pour chaque sensible, il pâtit sous l’action de ce qui possède couleur, saveur ou son, non pas en tant que chacun de ces objets est dit être une chose particulière, mais en tant qu’il est de telle qualité’ et en vertu de sa forme. L’organe sensoriel premier est celui dans lequel réside une puissance de cette nature. Organe et faculté sont donc identiques, mais leur essence est différente: car le sentant doit être une certaine étendue, tandis que ni la quiddité de la faculté sensible, ni le sens lui-même ne sont de l’étendue, mais bien une certaine forme et une puissance du sentant. On voit clairement, d’après cela, pourquoi alors les excès dans les sensibles détruisent les organes sensoriels. En effet, si le mouvement est trop fort pour l’organe, la forme (ce qui, disions-nous, est le sens) est dissoute, à la façon de l’harmonie et du ton, quand les cordes sont frappées trop fortement. Cela explique aussi pourquoi les plantes n’ont pas la sensation, bien qu’elles aient une des parties de l’âme et qu’elles pâtissent en quelque degré sous l’action des tangibles; et, en effet, elles peuvent devenir, par exemple, froides ou chaudes. La cause en est qu’elles n’ont pas de médium, ni de principe capable de recevoir les formes des sensibles sans leur matière; au contraire, quand elles pâtissent, elles reçoivent également la matière. On pourrait se demander enfin si une chose incapable de percevoir l’odeur peut subir une certaine passion sous l’action de l’odeur, ou si une chose incapable de voir peut pâtir sous l’action de la couleur; et de même pour les autres sens. Mais si l’objet de l’odorat est l’odeur, l’effet que produit l’odeur, si elle doit en produire un, est seulement l’olfaction. Il en résulte qu’aucun des êtres incapables de percevoir une odeur n’est capable de pâtir sous l’action de l’odeur (et l’on peut en dire autant des autres sens), et que, même pour les êtres capables de sentir, aucun d’eux ne pâtit que dans la mesure où chacun est lui-même capable de percevoir Et cela est encore évident de la façon suivante. Ni la lumière et l’obscurité, ni le son, ni l’odeur ne produisent aucun effet sur les corps, mais bien les objets dans lesquels résident ces qualités par exemple, c’est l’air, qui accompagne le tonnerre, qui déchire le bois. Pourtant dira-t-on les tangibles et les saveurs agissent sinon, en effet, sous l’action de quel facteur les êtres inanimés pâti raient-ils et seraient-ils altérés? Dirons-nous donc que les autres sensibles agissent aussi? N’est-ce pas plutôt répondons-nous que tout corps ne peut pâtir sous l’action de l’odeur et du son, et que seuls pâtissent ceux qui sont d’une forme indéterminée et n’ont aucune consistance, par exemple l’air? L’air, en effet, devient odorant comme ayant subi une certaine modification Qu’est-ce donc que l’odeur.
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