Métier d'autrefois: Les Apothicaires
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Métier d'autrefois: Les Apothicaires
Métier d'autrefois: Les Apothicaires
(D’après des articles parus en 1877 et 1878)
Les connaissances pharmaceutiques que posséda le Moyen Age lui vinrent en partie de la Grèce et de Rome, en partie de l’Orient par les Arabes, qui furent aux neuvième, dixième, onzième et douzième siècles, les premiers pharmaciens comme les premiers médecins du monde.
Les vrais successeurs d’Hippocrate et de Galien, qui avaient résumé dans leurs livres célèbres toute la science grecque et romaine, furent les savants arabes : Geber, qui enseigna l’art de distiller ; Avicenne, Mesné, Sérapion Rhasès, qui découvrirent de nouveaux médicaments ; Averrhoès, Abenbitar, Abenguesit, etc., qui transmirent à l’Europe les remèdes de l’Orient.
Au treizième siècle, toutes les connaissances des Arabes se répandirent en Europe par suite des traductions et des travaux de Sylvaticus, Myrepsus, Platearius Cuba, Hermolaüs, Arnauld de Villeneuve, Raimond Lulle, etc.
Au retour de sa première croisade, vers l’an 1258, saint Louis ayant nommé Etienne Boileau prévôt du Châtelet de Paris, ce magistrat donna aux corporations une constitution régulière et disciplina les confréries, comme l’atteste le Livre des mestiers, recueil contenant les secrets de la vie industrielle au Moyen Age.
D’après ce livre, tuit cirier, tuit pevrier et tuit apoticaire, débitait sa marchandise non seulement chez lui, mais encore aux halles et sur le marché, le samedi de chaque semaine.
« Les droits de vente à domicile s’acquittaient en payant le pesage aux balances royales, tandis que l’étalage du samedi coûtait une obole. »
Une boutique d’apothicaire au XVIe siècle.
Dessin de Sellier, d’après Sandrart et Hartman.
Dessin de Sellier, d’après Sandrart et Hartman.
Les apothicaires étaient compris dans la nomenclature des personnes et métiers jouissant de l’exemption du guet.
C’est à peu près de cette époque que date ce qu’on pourrait appeler l’organisation de la pharmacie.
Le règlement que nous venons d’indiquer renfermait une erreur grave dont les conséquences allaient se faire sentir jusqu’à la fin du dix-huitième siècle, c’est-à-dire pendant près de cinq cents ans.
La sorte d’assimilation établie par Etienne Boileau entre les « pevriers et ciriers », autrement dit les épiciers, et les apothicaires, devait être très funeste aux progrès de la pharmacie, qui devint pour les apothicaires une profession bien plus mercantile que scientifique.
Il n’en fut pas ainsi partout en Europe.
Frédéric II, roi de Naples, puis empereur d’Allemagne, l’un des princes les plus éclairés du Moyen Age, avait établi une réglementation de la pharmacie très sérieuse et très intelligente, eu égard au siècle où elle fut décrétée.
Si l’on se rappelle que ce fut à son retour de Naples que Charles VIII réorganisa la pharmacie en France, il est impossible de ne pas attribuer aux règlements de Frédéric II une longue et persistante influence.
Notons aussi en passant que Frédéric II avait eu de nombreux rapports avec l’Orient, où les études pharmaceutiques étaient en grand honneur.
D’après les règlements de Frédéric II, tout aspirant apothicaire subissait un examen devant les médecins délégués qui lui permettaient ou défendaient d’ouvrir officine. Nul ne devait s’établir ailleurs que dans des villes populeuses, afin de mieux subir le contrôle de l’autorité.
A défaut de médecins ou de maîtres apothicaires jurés, deux personnes considérables assistaient à la composition des médicaments importants ; les bénéfices des apothicaires étaient soigneusement tarifés.
Il existait donc en Italie un véritable enseignement pharmaceutique dès le milieu du treizième siècle.
En Allemagne, on pourrait signaler plusieurs documents curieux.
Dans un édit du duché de Wurtemberg, rédigé par Gaspard Bauhin, on lit les sages dispositions qui suivent : « Le médecin en choses externes, nonobstant qu’il entende la chirurgie et la pharmacie, se servira des chirurgiens et apothicaires comme compagnons et amis, n’usurpant leurs états si ce n’est par grande nécessité.
Quand le médecin sera aux champs, il prendra les drogues dont il aura besoin chez les apothicaires, sans acheter drogues particulières à soi, ou en faire son profit et trafic, laissant au reste à tous malades, tant des champs que de la ville, leur franche volonté de se servir de tel apothicaire ou chirurgien qu’il leur plaira. »
Défense était encore faite aux apothicaires « de faire aucunes compositions d’importance, qu’elles ne soient dispensées en présence du médecin, qui en soussignait la description et visitation, et en cotait la date et la quantité. »
Dans Le Moyen Age et la Renaissance, Paul Lacroix écrit :
Au Moyen Age et jusqu’à une époque rapprochée de la nôtre, les boutiques pharmaceutiques demeuraient ouvertes dans toute la largeur de l’ogive qui encadrait leur devanture. Un ou plusieurs réchauds posés sur le sol opéraient la coction des préparations officinales, tandis que les substances se réduisaient en poudre ou subissaient les mélanges prescrits dans d’énormes mortiers de fonte placés aux angles extérieurs de l’officine. Les drogues se trouvaient comme aujourd’hui sur des planches étagées ; mais au lieu de bocaux en cristal, de vases en fines porcelaines, c’étaient des espèces d’amphores en terre cuite et de petites caisses en bois blanc, étiquetées d’après le formulaire de Galien ou celui de Mesué, dont l’image décorait ordinairement les panneaux extérieurs de la devanture. Une niche d’honneur pratiquée au fond de la boutique était occupée, soit par la statue du Rédempteur, soit par celle de saint Christophe ou de saint Côme, ou de la Vierge. Les apothicaires calvinistes avaient placé Mercure dans cette niche, au grand scandale des catholiques romains.
La boutique que présente notre gravure appartenait à un maître apothicaire d’une certaine importance, à un maître apothicaire juré, patenté, exerçant sa profession au grand jour.
Mais durant tout le Moyen Age, à côté de ces respectables apothicaires, il y en eut d’autres qui faisaient un commerce plus que suspect, qui tenaient à la fois de l’alchimiste et du sorcier, dont on retrouve la main dans bien des crimes, et qui eussent mérité, sans nulle exagération, le nom d’empoisonneurs.
Shakespeare, dans une de ses plus célèbres tragédies, fait apparaître une image singulièrement vivante de cette physionomie sinistre.
Molière, un peu moins d’un siècle plus tard, peindra l’apothicaire comique du siècle de Louis XIV.
A l’époque de Shakespeare, cependant, la pharmacie n’était plus ce qu’elle avait été au Moyen Age : elle avait pris part aux progrès des quinzième et seizième siècles.
C’est l’époque de Jean Renou, « la perle de tous les pharmacographes d’Europe. » On pourrait signaler, vers ce temps, une série de publications vraiment savantes.
Nombre d’apothicaires composèrent des mémoires, traités et autres livres qui témoignent d’une science réelle. A partir de 1550 surtout, ces publications sont très nombreuses.
« Le bon apothicaire, dit Gazzoni, dans sa Piazza universale, doit vivre dans la crainte de Dieu ; être charitable, pieux, humain, affable, disposé à rendre service ; d’un caractère facile, libérral avec les pauvres, loyal, toujours prêt à porter secours aux malades en danger. Il ne doit être ni charlatan, ni cupide, ni buveur, ni dissolu. »
Un arrêt du Parlement de Paris, de 1536, s’exprime ainsi au sujet du métier d’apothicaire :
« Le fait et estat d’apoticairerie est de plus grande conséquence que tous les autres estats qu’ils soient. La plus grande partie dudit estat consiste en poudres, drogues, confitures, sucres et autres compositions qui se débitent et distribuent pour les corps humains et pour le recouvrement de la santé des malades. Il est donc très nécessaire que ceux qui s’entremettent dudit estat soient personnages sages, sçavants, fidèles, experimentez de longtemps, et connoissant bien avant la marchandise dont ils dont lesdites compositions. »
Les apothicaires voulurent-ils, à cette époque, pousser trop loin leurs prétentions ? L’extrait suivant du Myrouel des apothicaires le ferait croire.
« Souventes fois, dit cet ouvrage, paru à Lyon en 1539, ils abusent et contrefont les médecins là où les plus saiges sont bien empeschez, dont plusieurs souvent perdent la vie à cause que les apothicaires veulent faire et contrefaire du médecin, desquels Dieu nous veuille deffendre, car plusieurs maulx en viennent et font souvent des cemetieres boussus avant leur terme. »
Ce qui est certain, c’est que ce fut à peu près vers ce moment que la lutte entre les médecins et les apothicaires devint très vive.
En 1553 parut le pamphlet que Sébastien Colin, médecin à Tours, publia sous le nom de Lisset Benancio, son anagramme, et sous ce titre : Déclaration des abus et tromperies que font les apothicaires ; fort utile à ung chascun studieux et curieux de sa santé.
Les apothicaires, qui avaient becs et ongles, répondirent par la Déclaration des abus et ignorances des médecins ; oeuvre très utile et profitable à ung chascun studieux et curieux de sa santé (composé par Pierre Braillier, marchand apothicaire de Lyon, en 1557).
Dans ces deux écrits, comme dans bien d’autres, ce ne sont que mordantes railleries contre « les abus, tromperies et ignorances » que médecins et apothicaires se reprochaient mutuellement.
En 1560, les médecins parurent obtenir gain de cause ; les apothicaires furent de nouveau et formellement réunis aux épiciers, ce qui était pour eux une grande humiliation.
Si les médecins, en effet, parlaient au nom de la majesté de la médecine, les apothicaires ne croyaient pas combattre sous un moins noble étendard. Partout, on retrouve des traces de l’antagonisme profond qui exista pendant des siècles entre les médecins et les apothicaires.
Le Français né malin s’amusait volontiers de ces querelles. Les auteurs comiques n’avaient garde de négliger cet élément de gaieté.
Conformément à un arrêt du Parlement du 1er août 1556, les médecins, chirurgiens, apothicaires, devaient, à Paris, « s’assembler aux quatre termes de l’an, à chacun terme trois jours, à sçavoir les mercredy, vendredy et samedy consécutivement, ès écoles de médecine, et aviser entre eux à ce qui sera bon et salutaire pour le peuple, à ce que les pauvres puissent être aidez et secourus en leurs maladies, à prix et frais modérés, leur ordonnant et baillant médecines salubres et profitables, s’enquérant diligemment si les apothicaires, épiciers et herboristes sont fournis suffisamment de ce qui appartient pour les fournitures de la ville. »
La même assemblée devait aussi « aviser du temps et des maladies courantes pour l’année, pour, selon la disposition d’icelle, aviser et arbitrer en commun des remèdes propres et convenables à la guérison desdites maladies. »
Jeton de la confrérie des apothicaires
Lorsqu’un apothicaire venait à mourir, sa veuve pouvait continuer son commerce, mais sous la réserve expresse que les serviteurs employés dans la boutique de l’apothicaire défunt seraient examinés par les délégués de la Faculté, médecins et gardes-apothicaires.
Les apothicaires de Paris étaient considérés comme ayant sur ceux de la province une véritable supériorité, encore bien qu’il y eût certaines villes, telles que Lyon, Montpellier, Poitiers, qui étaient, au point de vue de la médecine et de l’apothicairerie, tout particulièrement renommées.
Les examens pour exercer la profession d’apothicaire en dehors de Paris étaient moins sévères et moins solennels que les examens exigés des aspirants qui avaient l’intention d’exercer à Paris.
Le plus souvent, pour ces examens en quelque sorte inférieurs, les députés de la Faculté s’en remettaient aux jurés apothicaires, qui, pour les lieux où il n’y avait pas de jurande, devaient examiner gratuitement les candidats, à peine de cinq cents livres d’amende.
Nous ne rappelons ici que les dispositions principales qui régissaient la compagnie des apothicaires.
Plus on avança, plus cette réglementation devint stricte et minutieuse, on pourrait dire excessive.
A tout instant de nouveaux arrêts, réclamés par les médecins contre les apothicaires, aggravaient pour ceux-ci l’état de dépendance et de sujétion dans lequel leurs « bons maîtres » entendaient les maintenir.
Sans cesse la Faculté avait recours au Parlement.
Celui-ci statuait en souverain juge sur des questions où il semblerait que sa compétence pût être quelque peu discutée.
Nous ne citerons pour exemple que l’argumentation qui suit, et qui est extraite d’un jugement rendu contre les propagateurs de l’antimoine :
« Et en vérité, de première rencontre semble que nature ait voulu cacher en la terre comme en ses entrailles les choses minérales, pour en ôter aux hommes l’usage ; outre ce, l’on tient pour certain que cette matière est plus estrange et moins utile que le plomb, duquel ne peut estre tiré médicament gracieux et profitable au corps de l’homme, comme estant certe espèce composée de sec et de froid contraire au corps humain, qui veut la chaleur et l’humidité. »
Les arguments qu’on pourrait appeler mythologiques étaient aussi tout à fait en faveur ; en voici un échantillon :
« Il faut douter de tous nouveaux inventeurs ou promoteurs en médicament inaccoutumés, non pas pour indifféremment rejeter ceux qui inventent ou renouvellent quelque chose qui puisse estre profitable ; et certes anciennement tels hommes ont été réputez comme fut Esculapius, qui fut du temps de la guerre de Troye estimé fils de Phoebus, néanmoins peint et représenté avec une longue barbe, semblant plus vieil et ancien que son père, qui estoit pour démontrer qu’il faut du temps et longue expérience en ceux qui se mêlent de cette profession, ce qui seroit contraire aux appellans. »
Le rédacteur du jugement ne s’arrête pas en si bon chemin, et cite Hippocrate, Marcus, Cato, Pline, Mithridate, « qui a composé le mithridat qui porte son nom, en la composition duquel y a cinquante-quatre simples. » Etc.
Toute cette réglementation n’empêchait ni les apothicaires d’être charlatans, ni le charlatanisme de se donner carrière.
A-t-il cessé tout à fait d’en être ainsi ? Un simple coup d’oeil sur les annonces des journaux fixerait le lecteur sur ce point délicat ; c’était néanmoins au temps jadis bien autre chose qu’aujourd’hui.
On en jugera par l’extrait suivant d’une bien curieuse préface placée en tête d’un livre de médecine et de pharmacie dédié au roi Louis XIII :
« Celui qui a reçu de la main libérale de Dieu le tallent, dit l’auteur, ne le doit ensepvelir en terre, de peur qu’il ne soit coulpable de l’ire d’iceluy. C’est ce qui m’a obligé à faire part au public, soubs les puissantes aisles de vostre royalle authorité et les heureux et favorables auspices de vostre sacré nom (l’amour des bons et la crainte des pervers), des secrets plus remarquables qu’il a pleu à Dieu me donner en la cognoissance de la médecine par-dessus l’usage commun. »
Comme on le pense bien, il y a un point que n’oubliaient pas les praticiens, c’était celui des honoraires, et volontiers, en dédiant leurs livres à de grands personnages, ils rappelaient, par exemple, que « l’empereur Auguste, ayant esté guéri par Anthoine Musa d’une estrange maladie, luy donna des présents d’une grande valeur ; et non content, il voulut encore l’honorer de la dignité de chevalier de son ordre ; que le monarque des Persans Darius donna deux grosses chaînes d’or de grand prix au médecin Demades pour luy avoir descouvert un secret en médecine, et que la reyne sa femme luy fit présent de deux burettes ou bouteilles d’or massif. »
Aussi bien, pouvait-on trop payer les merveilleuses préparations des apothicaires et de leurs émules ? Ce n’étaient que remèdes souverains, panacées toutes puissantes, onguents magistraux, eaux admirables « pour restaurer les forces cheutes et pour refaire et restaurer les esprits vitaux et animaux, qui se peut comparer à l’élixir de vie. »
Rien de plus varié que ces médicaments, rien de plus compliqué que leur préparation.
Veut-on savoir, par exemple, comment se préparait l’eau de chapon, « comparable à l’élixir de vie » ?
Prends un chapon, dit la Pharmacie des dogmatiques, (ou plusieurs, comme il te plaira) viel, gras, effondré et couppé en morceaux ; jette-le dans une fiole de verre assez ample, y adjoustant : de santal citrin, de bois d’aloës, de clous de girofle, de noix muscade, de canelle, de fleurs de muscade, de galanga, d’écorce de citron, de zedoaria, de safran, de fleurs de rosmarin, de sauge, de bétoine, de lavende, de borrache, de buglosse, de roses rouges, de coral préparé, de grains de kermès, de vin de, Canarie, de sucre très blanc. On mettra le vaisseau bien fermé, à fin que rien n’évapore, au bain-marie fort chaud par huit à dix jours, jusques à ce que le chapon soit cuit par la forte de l’eau bouillante en très menues particules, qui seront exprimées par après dans les presses et distillées dans l’alembic.
Si, après cela, on n’était point guéri, ce n’était pas, il faut en convenir, faute d’ingrédients.
La décoction d’un vieux coq était recommandée pour l’opilation de la rate, du foie, du mésentère, la colique, le calcul, la fièvre quarte, etc.
Il y avait aussi de l’eau d’écrevisses, de l’eau de sautetelles, et vingt autres ; des sirops de coraux, de perles, d’hyacinthes, d’émeraudes et de saphirs ; des vins purgatifs de fleurs de prunier, de pêcher et de millepertuis.
L’extrait de crâne humain était recommandé « comme thrésor d’un grand prix contre l’épilepsie. »
Jeton d’apothicaire-droguiste.
Au droit, le laboratoire d’un apothicaire.
Au revers, un vieillard tenant les herbes d’une main et deux serpents de l’autre.
Au droit, le laboratoire d’un apothicaire.
Au revers, un vieillard tenant les herbes d’une main et deux serpents de l’autre.
On le mélangeait avec des sels « d’areste de boeuf, d’escorces de febves, d’absinthe, de fresne, de cétérach. »
L’extrait de foie de veau était employé contre les affections du foie ; l’extrait de poumon de renard, contre les maladies de poitrine ; l’extrait de cornes de cerf, « tant tendres que dures », contre la peste ; l’extrait d’yeux d’écrevisse et de coquilles d’oeufs de limace, contre les dysuries, etc.
L’emploi des métaux était aussi très usité.
Les remèdes, conformément à une division indiquée par Hippocrate, étaient distingués par les mots « altérants, incisifs, relâchants, purgatifs, rafraîchissants. »
En même temps on divisait les substances d’après l’action spéciale qui leur était attribuée.
Il y avait « les céphaliques, les hépatiques, les stomachiques, les diurétiques » et autres.
On pourra se faire une idée du prodigieux dérèglement d’imagination pharmaceutique auquel risquaient de conduire toutes ces hypothèses, par les lignes suivantes, empruntées au commentaire de Bauderou, médecin célèbre qui vivait au dix-septième siècle, sur l’aurea alexandrina :
L’opium est la base de cet électuaire ; mais on y fait entrer d’autres médicaments pour augmenter son action, et comme ces médicaments ont de mauvaises qualités, on en ajoute d’autres pour les corriger. Ce n’est pas tout encore : on entasse une quantité énorme de drogues, dont les unes sont chargées de diriger l’action de ce médicament vers la tête, les autres vers la poitrine, d’autres vers le coeur, l’estomac, la rate, le foie, les reins et plusieurs autres parties ; enfin ce seul médicament, destiné à combattre toutes les maladies, peut être regardé à juste titre comme une boutique entière d’apothicaire contenue dans un pot de faïence. » Ainsi, « la vertu rafraîchissante et narcotique de l’opium est augmentée par la jusquiame et l’écorce de mandragore, tandis que la qualité nuisible de ces dernières est corrigée par la myrrhe, l’euphorbe, le castor et les anacardes ; leur action est déterminée vers le cerveau par les moyens des clous de girofle, de la sauge, de la pivoine, du bois d’aloès et de l’encens ; ils pénètrent dans la poitrine et les poumons par le moyen du soufre, du thym, du pouillot et de la gomme adragant ; ils vont au coeur de l’addition des perles, de l’or, de l’argent, de l’os du coeur de cerf, etc. ».
De même qu’il existait des médicaments pour tous les goûts, il y en avait pour toutes les bourses.
C’est ainsi que, dans un traité de pharmacie du dix-septième siècle, nous remarquons successivement un grand antidote pectoral dédié aux riches, puis un petit antidote pectoral pour les gens de basse condition.
Il en est de même pour bien d’autres médicaments : il y a un grand antidote stomacal « pour les riches », un petit antidote hépatique pour gens « de moyenne condition », un petit antidote contre la peste pour le commun du peuple, un autre pour la populace.
Mais ce n’était pas tout : lorsqu’ils pouvaient présenter un médicament sous le patronage d’un nom illustre, les médecins et apothicaires du temps n’y manquaient pas, comme on peut bien penser.
L’ouvrage que nous venons de citer mentionne « le vin antiparalytique », ou contre la paralysie, communiqué par les médecins ordinaires du très illustre prince le landgrave de Hesse, le « mélicrat vineux » fait avec beaucoup d’aromates et espices, « lequel a été communiqué », non plus par des gens faisant profession de médecine, mais par « le très illustre prince Frédéric, de bonne mémoire, électeur palatin. » On voit que les apothicaires s’honoraient, à l’occasion, en comptant jusqu’à des princes parmi leurs confrères.
Ce n’est pas là une assertion risquée.
En terminant son livre sur la Pharmacopée des dogmatiques réformée, Meyssonnier écrit ce qui suit :
« Tels beaux, rares et excellents remèdes seraient aujourd’hui beaucoup plus séans ès boutiques apoticaires qu’un si grand nombre de boëtes dorées, la plupart desquelles en beaucoup de lieux ne contient sinon du vent inutile.
Entre les boutiques les mieux ornées et garnies, soit publiques, soit particulières, qui se trouvent partout en Italie, Allemagne et autres pays, je n’en ai veu aucune qui fust à esgaler, tant s’en faut que je die à préférer, à celle qui est à Cassel dedans le chasteau du prince. Les seules médecins du prince, grands personnages et fort célèbres, ne travaillent pas incessamment à la parer et orner ; mais le prince mesme, à sçavoir Maurice, landgrave de Hessen (Hesse), ce grand et puissant prince, ne desdaigne point d’y mettre la main. Je puis asseurer qu’en cette boutique, la mieux polie et la plus exquise de toute l’Europe, j’ay avec plaisir veu plus de mille sortes d’extraicts magistères, essences, et autres préparations chymiques, sans les vulgaires, qui n’y manquent nullement. »
Enseigne d’un apothicaire du XVIIIe siècle, à Dieppe
Pouvait-on se recommander d’un nom impérial, c’était encore mieux.
C’est ainsi qu’au-dessus des grands électuaires d’oeuf pour les riches, ou des petits électuaires pour le vulgaire, il y avait l’électuaire, tout à fait souverain celui-là, de l’empereur Maximilien Ier ; et comme ce prince avait été empereur d’Allemagne, l’auteur n’oubliait pas de déclarer « que l’Allemagne s’attribue de droit cette prérogative de gloire, à savoir qu’elle est vraie nourrice de personnages de grand sçavoir et renom, et mère très fertile et bien heureuse à enfanter un nombre infiny d’excellents remèdes comme nouveaux fruits d’esprits. »
Par le simple toucher, - le remède était très simple - les rois de France, comme chacun le sait, avaient le privilège de guérir les écrouelles.
On disait de même, rapporte un traité de pharmacie, du roi catholique des Espagnes.
« Toutefois, ajoute-t-il, on n’a point veu encore les effects. »
Quelques-uns prétendaient aussi que le Grand Turc, de son côté, guérissait le cancer.
Parfois les remèdes avaient une religion. De ce nombre était, pour ne citer qu’un spécimen, le vin purgatif catholique.
A cette époque de médication à outrance, il fallait être, on l’avouera, singulièrement rebelle pour s’écrier, comme le fait la nourrice du Médecin malgré lui : « Pourquoi se faire saigner quand on n’a pas de maladie ? Je ne veux point faire de mon corps une boutique d’apothicaire. »
Les grandes dames opposaient moins de résistance, ainsi que l’attestent les lignes suivantes d’une lettre de Mme de Sévigné à sa fille (2 septembre 1676) : « J’avais auprès de moi, dit-elle, mon joli médecin qui me consolait beaucoup...
C’est lui qui m’a conseillé de mettre mes mains (Mme de Sévigné souffrait d’un rhumatisme) dans la vendange, et puis dans une gorge de veau, et, s’il en est encore besoin, de la moelle de cerf et de l’eau de la reine de Hongrie. »
Molière nous indique que les apothicaires des campagnes ne débitaient pas moins de remèdes que ceux des villes.
« J’avons dans notre village, dit le paysan Thibaut à Sganarelle, un apothicaire, révérence parler, qui li a donné (à ma femmeà je ne sais combien d’histoires ; et il m’en coûte plus d’eune douzaine de bons écus en lavements, ne v’s en déplaise, en aposthumes qu’on li a fait prendre en affection de jacinthe et en portions cordales. Mais tout ça n’a été que de l’onguent miton mitaine. »
Source: http://www.france-pittoresque.com
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Re: Métier d'autrefois: Les Apothicaires
Apothicaires au XVIIe siècle
(Récit paru au XIXe siècle)
Un Pileur, enseigne d’une ancienne boutique d’apothicaire
La gravure ci-dessus représente la statue en bois d’un pileur qui formait l’angle d’une maison aujourd’hui détruite, située autrefois près de la place Sainte-Croix, à Nantes.
La construction de cette maison était postérieure au règne de la duchesse Anne.
Le rez-de-chaussée était une apothicairerie, à laquelle le pileur servait d’enseigne.
Les anciens habitants se rappellent encore parfaitement l’aspect de cette boutique d’apothicaire. Le devant de la maison n’était pas plus fermé que celui de beaucoup de petits magasins d’épiceries en province.
Une demi-porte de deux pieds de large, s’ouvrant en dedans, donnait accès dans une chambre un peu noire.
Des deux côtés il y avait deux comptoirs se faisant face.
De grands pots en terre bleue, consacrés à la thériaque et à l’électuaire appelé mithridate, ornaient la devanture.
L’un des comptoirs était entouré d’un châssis vitré ; c’était là que se tenait la maîtresse de la maison.
Au-dessus de l’autre se trouvait suspendu un étui tel qu’il en existe encore un de cette époque dans la ville de Nantes : il contenait une seringue des canules et des pistons de rechange.
Cet instrument, qu’une bandoulière suspendait au cou, était celui que l’apothicaire emportait en ville.
Les poutres de la boutique étaient garnies de pièces curieuses d’histoire naturelle, telles que lézards empaillés, oeufs d’autruche, serpents de toute espèce.
Les poteries n’avaient aucune ressemblance avec nos poteries actuelles.
Le fond était garni de burettes à anche ; elles servaient à mettre les sirops.
Les étiquettes étaient peintes sur faïence ; on y lisait : Syrop alexandrin, Syrop de rhubarbe, Syrop de tortue ; celui-ci avait beaucoup de vogue.
A cette époque, le sirop de Maloët était très employé contre les toux, les catarrhes ; il a été ressuscité depuis, après un oubli de longue durée, sous le nom de sirop antiphlogistique.
Des deux côtés de l’apothicairerie on voyait des bocaux semblables à ceux qui garnissent actuellement l’intérieur de nos pharmacies ; seulement, au lieu des nouvelles étiquettes on lisait sur les bocaux : Yeux d’écrevisses, Ecailles d’huîtres, Coquilles d’oeufs, Vipères, Cloportes.
Ces bocaux étaient les uns très petits, et les autres très grands.
L’un d’eux était étiqueté Fragments précieux, et contenait des grenats, des émeraudes, des topazes, le tout en fragments assez petits pour ne pas être employés en bijouterie.
Ces substances entraient dans la composition d’un fameux électuaire, qui, si nôtre mémoire est fidèle, s’appelait électuaire d’Hyacinthe.
Il est encore employé aujourd’hui, mais réformé.
L’apothicaire était un vrai caméléon.
On le voyait tantôt dans sa boutique, le tablier vert passé devant lui, une paire de ciseaux pendue au côté, le gilet rond sous le tablier.
Il était l’homme important du quartier : c’était lui qui mettait le voisinage au courant des nouvelles du château et de l’évêché, ainsi que des décisions de la communauté des bourgeois.
Tantôt en frac noir, l’épée au côté s’il avait l’honneur d’être l’apothicaire du gouverneur de Bretagne, ayant dans la poche le petit poêlon d’argent à manche d’ébène, il allait dans les maisons qui la veille l’avaient fait prévenir pour préparer sur place la fameuse médecine noire, indispensable à la santé de nos pères, et dont ils regardaient l’usage comme devant être éternel.
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