Livre XXXII : Les événements des années 199 à 197
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Livre XXXII : Les événements des années 199 à 197
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Plan
1ère partie: [32,1-9] Politique étrangère et intérieure de Rome (199-198)
2ème partie: [32,10-25] Deuxième année de guerre contre la Macédoine (198)
3ème partie: [32,26-31] Affaires intérieures et affaires de Gaule (198)
4ème partie: [32, 32-40] Affaires de Grèce (fin de l'année 197-196)
Crédits
La traduction a été reprise à celle de la Collection des Auteurs latins sous la direction de M. Nisard, Oeuvres de Tite-Live, t. II, Paris, Firmin Didot, 1864. Cette traduction a toutefois été légèrement modifiée. On a notamment modernisé l'orthographe, adapté les noms propres aux usages actuels, introduit les divisions modernes en paragraphes et ajouté des intertitres généralement repris à A. Flobert, Tite-Live. Histoire romaine. La libération de la Grèce. Livres XXXI à XXXV, Paris, 1997 (Garnier- Flammarion - GF 989).
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1ère partie: [32,1-9] Politique étrangère et intérieure de Rome (199-198)
[32,1] Entrée en charge des consuls (15 mars 199). Conjuration des prodiges
(1) Les consuls et les préteurs, étant entrés en charge aux ides de mars, tirèrent les provinces au sort. (2) L. Cornélius Lentulus obtint l'Italie, P. Villius la Macédoine. Quant aux préteurs, L. Quinctius eut la juridiction de la ville; Cn. Baebius fut désigné pour Ariminum; L. Valérius, pour la Sicile; L. Villius, pour la Sardaigne.
(3) Le consul Lentulus eut ordre de lever des légions nouvelles; Villius devait prendre l'armée de P. Sulpicius, mais on lui permit d'enrôler autant d'hommes qu'il le jugerait à propos pour la compléter. (4) Le préteur Baebius devait prendre le commandement des légions qui avaient été sous les ordres du consul C. Aurélius, et les conserver jusqu'au moment où Lentulus viendrait le remplacer avec ses recrues. (5) Aussitôt après l'arrivée de ce consul en Gaule, tous les soldats licenciés devaient être renvoyés dans leurs foyers, à l'exception de cinq mille alliés, qui resteraient aux environs d'Ariminum. Ce nombre était jugé suffisant pour garder cette province.
(6) On prorogea dans leurs commandements les préteurs de l'année précédente: Cn. Sergius, pour distribuer des terres aux soldats, qui avaient longtemps fait la guerre en Espagne, en Sicile et en Sardaigne; (7) Q. Minucius, pour achever dans le Bruttium les poursuites qu'il avait exercées avec tant de zèle et d'intégrité pendant sa préture (8) contre les profanateurs de Locres. Il était chargé d'envoyer dans cette ville, pour y faire subir leur peine, ceux qu'il avait fait conduire dans les prisons de Rome, comme convaincus de sacrilège; de veiller à la restitution de tous les objets enlevés du temple de Proserpine et de prescrire les expiations convenables.
(9) On recommença ensuite, par décret des pontifes, les Féries latines, parce que des ambassadeurs étaient venus se plaindre au sénat qu'on ne leur eût pas, suivant l'usage, donné leur part des victimes immolées sur le mont Albain.
(10) On reçut de Suessa la nouvelle que deux portes de cette ville et le mur qui s'étendait de l'une à l'autre avaient été frappés de la foudre; d'autres envoyés racontèrent que le feu du ciel était aussi tombé à Formies et à Ostie, sur le temple de Jupiter; à Véliterne, sur les temples d'Apollon et de Sancus, et qu'il était poussé un cheveu à Hercule dans son temple. (11) Du Bruttium, le propréteur Minucius manda qu'il était né un poulain à cinq pieds et trois poulets à trois pattes. (12) Peu après, le proconsul P. Sulpicius écrivit de Macédoine une lettre où il parlait, entre autres particularités, d'un laurier qui avait poussé à la poupe d'un vaisseau long. (13) À l'occasion des premiers prodiges, le sénat avait décrété que les consuls offriraient les grandes victimes à ceux des dieux qu'ils jugeraient à propos d'apaiser. (14) Mais pour le dernier, on appela des haruspices à la curie: d'après leur réponse, on ordonna un jour de supplications et l'on célébra des sacrifices à tous les autels.
[32,2] Expédition des affaires courantes
(1) Cette année, les Carthaginois apportèrent à Rome le premier argent du tribut qui leur avait été imposé. (2) Les questeurs déclarèrent que cet argent n'était pas de bon aloi; et lorsqu'on en fit l'essai, on y trouva un quart d'alliage. Les Carthaginois firent donc un emprunt à Rome pour compléter le paiement. (3) Ils demandèrent ensuite au sénat la restitution de leurs otages: on voulut bien leur en rendre cent, et on leur fit espérer la délivrance des autres, si Carthage demeurait fidèle aux traités. (4) Ils sollicitèrent alors pour les otages retenus leur transfert de Norba, où ils se trouvaient fort mal, dans un autre séjour; on les fit passer à Signia et à Férentinum.
(5) Les habitants de Gadès obtinrent aussi sur leur demande qu'on ne leur enverrait pas de préfet; ce qui était contraire à la capitulation signée par eux avec L. Marcius Septimus lorsqu'ils s'étaient soumis au peuple romain. (6) Les députés de Narnia se plaignaient de ce que le nombre des colons était insuffisant et de ce que plusieurs étrangers, se mêlant à la population, se donnaient pour de véritables colons. On enjoignit au consul L. Cornélius de nommer des triumvirs pour examiner l'affaire. (7) Les magistrats choisis furent les frères P. et Sex. Aelius, surnommés tous deux Paetus, et Cn. Cornélius Lentulus. La faveur accordée à ceux de Narnia et qui avait pour but de compléter le nombre des colons, fut réclamée par ceux de Cosa; mais on la leur refusa.
[32,3] Insubordination dans l'armée de Macédoine
(1) Après avoir réglé les affaires qui les retenaient à Rome, les consuls partirent pour leurs provinces.
(2) P. Villius, à son arrivée en Macédoine, trouva les soldats mutinés. L'irritation était vive et durait déjà depuis quelque temps; on ne s'était pas assez occupé de la comprimer dans l'origine. (3) C'étaient deux mille hommes, qui, après la défaite d'Hannibal, avaient été transportés comme volontaires d'Afrique en Sicile, et environ un an après en Macédoine. Ils prétendaient n'avoir pas été maîtres du choix. "Leurs tribuns, disaient-ils, les avaient embarqués malgré eux; (4) mais d'ailleurs, que leur service fût volontaire ou forcé, le temps en était expiré; il était juste qu'il y eût un terme aux fatigues de la guerre. (5) Il y avait plusieurs années qu'ils n'avaient vu l'Italie; ils avaient vieilli sous les armes en Sicile, en Afrique, en Macédoine; ils étaient épuisés par les travaux et les campagnes, affaiblis par leurs nombreuses blessures." (6) Le consul leur déclara "qu'ils pouvaient espérer de voir leur demande de congé accueillie, s'ils la présentaient avec modération. Mais ni les motifs qu'ils alléguaient, ni aucun autre, ne justifiaient une sédition. (7) S'ils voulaient rentrer dans l'ordre et obéir à leur général, il écrirait au sénat pour leur congé. La soumission était un plus sûr moyen que la révolte d'obtenir ce qu'ils désiraient."
[32,4] Philippe abandonne le siège de Thaumaci en Thessalie (fin de l'automne 200)
(1) Philippe concentrait alors tous ses efforts sur Thaumaci qu'il assiégeait; il avait fait ouvrir des tranchées et construire des mantelets; il se disposait à battre les murs avec le bélier. (2) L'arrivée subite des Étoliens l'obligea de renoncer à son entreprise. Sous la conduite d'Archidamus, ils traversèrent les lignes des Macédoniens, se jetèrent dans la place et attaquèrent jour et nuit dans des sorties continuelles les portes et les ouvrages de l'ennemi. La nature même des lieux les favorisait. (3) Lorsqu'on arrive des Thermopyles et du golfe Maliaque par Lamia, on aperçoit Thaumaci sur les hauteurs nommées Coela, qui dominent le défilé; (4) mais quand on passe par les chemins rocailleux de la Thessalie, ou qu'on suit les sinuosités de ses vallées, on voit tout à coup, en approchant de la ville, se dérouler à ses pieds, comme une vaste mer, une plaine immense dont l'oeil a peine à embrasser l'étendue. (5) C'est cet admirable point de vue qui a valu à Thaumaci le nom qu'il porte. La ville doit sa sûreté, non seulement à son élévation, mais encore à ce que le rocher sur lequel elle est assise est taillé à pic de tous côtés. (6) Ces difficultés, et la certitude que cette conquête, tout importante qu'elle pouvait être, le paierait mal des peines et des travaux qu'elle pourrait lui coûter, déterminèrent Philippe à lever le siège. (7) L'hiver approchait d'ailleurs, lorsqu'il s'éloigna pour ramener ses troupes dans leurs quartiers en Macédoine.
[32,5] Reprise des hostilités (printemps 199); Philippe en Chaonie
(1) Là son armée eut tout le temps nécessaire pour réparer ses forces et reprendre courage. (2) Mais Philippe, tout en profitant de la saison pour délasser son corps fatigué de tant de marches et de tant de combats, n'avait l'esprit que plus tourmenté sur l'issue définitive d'une guerre où il avait à craindre non seulement les ennemis qui le pressaient par terre et par mer, (3) mais ses alliés et ses sujets mêmes, dont les uns pouvaient le trahir dans l'espoir d'obtenir l'amitié de Rome et les autres se laisser séduire par l'attrait d'un changement.
(4) Il envoya donc des ambassadeurs en Achaïe, pour exiger en son nom le serment que les habitants s'étaient engagés à lui prêter chaque année, et pour remettre en même temps aux Achéens Orchomène, Héraea et la Triphylie; aux Éléens, Aliphéra. (5) Ces derniers prétendaient que cette ville n'avait jamais fait partie de la Triphylie, et qu'elle devait leur être rendue, parce qu'elle était une de celles que l'assemblée générale des Arcadiens avait désignées pour concourir à la fondation de Mégalopolis. (6) Par ces restitutions, Philippe consolidait son alliance avec les Achéens. (7) Quant aux Macédoniens, il s'assura leur attachement par la punition d'Héraclide: voyant que les crimes nombreux dont il était chargé l'avaient rendu l'objet de la haine publique, il le fit jeter dans les fers à la grande satisfaction de ses sujets.
(8) Puis il s'occupa plus activement que jamais des préparatifs de la guerre; (9) il exerça aux armes et les Macédoniens et les troupes mercenaires. Au commencement du printemps, il fit partir avec Athénagoras tous les auxiliaires étrangers et ce qu'il avait de troupes légères pour aller par l'Épire en Chaonie occuper les défilés qui sont près d'Antigonéia et que les Grecs appellent Stena. (10) Peu de jours après, il se mit lui-même en marche avec le gros de l'armée. Après avoir reconnu l'assiette du pays, il jugea qu'il ne pouvait trouver une position meilleure pour se fortifier que les bords de l'Aoos. (11) Ce fleuve coule dans une vallée resserrée entre deux montagnes, dont l'une est nommée par les habitants Méropos, et l'autre Asnaos; il n'offre qu'un étroit sentier sur ses rives. Philippe enjoignit à Athénagoras de s'établir sur l'Asnaos avec les troupes légères et de s'y retrancher; il alla camper lui-même sur le Méropos. (12) Il plaça des détachements peu nombreux du côté où se trouvaient des rochers à pic, défendit les endroits plus accessibles par des fossés, des retranchements et des tours, (13) et fit placer dans les endroits convenables un grand nombre de machines, pour repousser l'ennemi à coups de traits. Il éleva sa tente en avant des fortifications, sur la hauteur la plus en vue, afin d'intimider les ennemis et d'encourager des Macédoniens par cette marque de confiance.
[32,6] Incertitude sur l'activité militaire du consul P.Villius
(1) Le consul avait été instruit par l'Épirote Charopus de la nature des défilés qu'occupait le roi avec son armée. Après avoir passé l'hiver à Corcyre, il débarqua sur le continent aux premiers jours du printemps et marcha droit à l'ennemi. (2) Parvenu à cinq milles environ du camp de Philippe, il se retrancha; puis, laissant ses légions, il s'avança en personne avec quelques troupes légères pour reconnaître les lieux. Le lendemain il tint conseil (3) afin de savoir s'il fallait, malgré les obstacles sans nombre et les périls qu'il pourrait rencontrer, tenter le passage à travers les défilés occupés par l'ennemi, ou faire un détour et pénétrer en Macédoine par le chemin qu'avait suivi Sulpicius l'année précédente, (4) Plusieurs jours s'écoulèrent sans qu'il prît un parti; pendant ce temps il apprit que T. Quinctius avait été nommé consul, que le sort lui avait assigné la province de Macédoine, et qu'il s'était déjà transporté en toute diligence à Corcyre.
(5) Si l'on en croit Valérius Antias, Villius entra dans le défilé; mais, forcé de prendre un détour parce que le roi gardait tous les passages, il suivit la vallée au milieu de laquelle coule l'Aoos, (6) jeta un pont à la hâte sur le fleuve, passa sur la rive où campait l'ennemi et livra bataille. Le roi fut vaincu, mis en fuite et chassé de son camp. (7) Douze mille Macédoniens périrent dans cette action; deux mille deux cents prisonniers, cent trente-deux étendards et deux cent trente chevaux tombèrent au pouvoir des Romains; au fort de la mêlée, Villius avait fait voeu de bâtir un temple à Jupiter, s'il était vainqueur. (8) Mais tous les autres historiens grecs et latins que j'ai lus s'accordent à dire que Villius ne fit rien de mémorable, et laissa tout le poids de la guerre au consul T. Quinctius, son successeur.
[32,7] Défaite du préteur en Gaule (199). Élections pour l'année 198
(1) Tandis que ces événements se passaient en Macédoine, L. Lentulus, l'autre consul, qui était resté à Rome, tint les comices pour la nomination des censeurs. (2) Plusieurs personnages illustres se portaient candidats; on choisit P. Cornélius Scipion l'Africain et P. Aelius Paetus. (3) L'accord le plus parfait régna entre ces deux magistrats; ils nommèrent aux places vacantes du sénat sans noter aucun sénateur d'infamie; ils affermèrent les droits sur les marchandises à Capoue, à Pouzzoles et au port de Castrum, qui est maintenant une ville; ils envoyèrent dans ce port trois cents colons, nombre fixé par le sénat; ils vendirent le territoire de Capoue qui s'étend au pied du mont Tifate.
(4) Vers le même temps, L. Manlius Acidinus, qui avait obtenu du sénat les honneurs de l'ovation à son retour de l'Espagne, fut contraint, par l'opposition du tribun du peuple P. Porcius Laeca, d'entrer dans la ville comme un simple citoyen; il porta au trésor public douze cents livres pesant d'argent et trente livres d'or environ.
(5) La même année Cn. Baebius Tamphilus, qui avait reçu la province de la Gaule de C. Aurélius, consul de l'année précédente, entra témérairement sur les terres des Gaulois Insubres, fut enveloppé par eux avec presque toute son armée et perdit plus de six mille sept cents hommes: (6) et cet échec venait d'un ennemi qu'on avait cessé de craindre! Cette circonstance obligea le consul L. Lentulus à sortir de Rome. (7) Il trouva la province dans une grande confusion et les soldats consternés; il adressa de vifs reproches au préteur et lui ordonna de quitter la province et de retourner à Rome.
(8) Lentulus n'eut pas le temps de se signaler par quelque exploit; la nécessité de tenir les comices le rappela dans la ville; car les tribuns du peuple, M. Fulvius et Manius Curius, y mettaient obstacle (9) en ne permettant pas à T. Quinctius Flamininus de briguer le consulat au sortir de la questure. (10) "Déjà, disaient-ils, on méprisait l'édilité et la préture; les nobles, au lieu de donner des preuves de leur capacité en parcourant successivement toutes les magistratures, prétendaient tout d'abord au consulat; ils franchissaient ainsi les dignités intermédiaires et passaient du dernier rang au premier."
(11) Du Champ de Mars la contestation fut portée au sénat. Les Pères conscrits décidèrent que, "lorsqu'un candidat briguait une charge que la loi lui permettait d'obtenir, il devait être libre au peuple d'en revêtir qui bon lui semblerait." (12) Les tribuns se soumirent à cette décision. On nomma consuls Sex. Aelius Paetus et T. Quinctius Flamininus. (13) Puis on assembla les comices pour le choix des préteurs, et le peuple désigna L. Cornélius Mérula, M. Claudius Marcellus, M. Porcius Caton et C. Helvius, qui avaient été édiles plébéiens. Ces préteurs célébrèrent les Jeux Plébéiens et donnèrent à cette occasion un festin public en l'honneur de Jupiter. (14) Les édiles curules C. Valérius Flaccus, flamine de Jupiter, et C. Cornélius Céthégus firent représenter les Jeux Romains avec une grande magnificence. (15) Les deux Sulpicius Galba, Servius et Caius, qui étaient pontifes, moururent cette année: on les remplaça par M. Aemilius Lépidus et Cn. Cornélius Scipion.
[32,8] Réception au sénat des ambassadeurs du roi Attale (printemps 198)
(1) À peine entrés en charge, les consuls Sex. Aelius Paetus et T. Quinctius Flamininus assemblèrent le sénat au Capitole. Les Pères conscrits décidèrent que ces deux magistrats se partageraient entre eux, à l'amiable ou par la voie du sort, les provinces de Macédoine et d'Italie. (2) Celui qui aurait la Macédoine devait, pour compléter les cadres de ses légions, lever trois mille soldats romains, trois cents chevaliers, et parmi les alliés du nom latin cinq mille hommes de pied et cinq cents chevaux. (3) On décréta pour l'autre consul la formation d'une armée toute nouvelle. L. Lentulus, consul de l'année précédente, fut prorogé dans son commandement; il eut ordre de ne point quitter la province et de n'en pas éloigner les vieilles troupes, que le consul n'y fût arrivé avec les nouvelles légions.
(4) Les consuls s'en remirent au sort: Aelius eut l'Italie et Quinctius la Macédoine. (5) Parmi les préteurs, L. Cornélius Mérula fut désigné pour Rome, M. Claudius pour la Sicile, M. Porcius pour la Sardaigne, C. Helvius pour la Gaule. (6) Puis on commença les levées; outre les armées consulaires, les préteurs avaient ordre d'enrôler aussi de leur côté. (7) Marcellus devait conduire en Sicile quatre mille fantassins et trois cents cavaliers latins, et Caton en Sardaigne trois mille hommes d'infanterie et deux cents de cavalerie, choisis parmi les mêmes alliés. (8) Chacun d'eux, en arrivant dans sa province, devait congédier les vieilles troupes, fantassins et cavaliers.
(9) Les ambassadeurs du roi Attale furent ensuite introduits dans le sénat par les consuls. Ils exposèrent que leur maître avait toujours aidé la république de sa flotte et de toutes ses troupes de terre et de mer, qu'il avait exécuté jusqu'à ce jour avec zèle et dévouement tout ce que les consuls lui avaient enjoint; "mais, ajoutèrent-ils, il craignait (10) que le roi Antiochus ne lui permît plus de rendre les mêmes services aux Romains; son royaume se trouvant dégarni de flottes et d'armées avait été envahi par le monarque syrien; (11) aussi conjurait-il les Pères conscrits de lui envoyer des renforts pour protéger ses états, s'ils voulaient s'assurer la coopération de sa flotte dans la guerre de Macédoine; sinon, il demandait la permission de rappeler ses forces de terre et de mer pour se défendre."
(12) Le sénat fit répondre aux ambassadeurs que, "si le roi Attale avait mis ses armées et sa flotte à la disposition des généraux romains, on lui en savait gré. (13) Mais on ne pouvait envoyer des secours à Attale contre Antiochus, allié et ami du peuple romain, pas plus qu'on ne songeait à retenir les troupes d'Attale si ses intérêts ne le permettaient point. (14) Rome, en acceptant les secours de ses alliés, leur laissait toujours le droit d'en régler l'usage, et de fixer l'époque où devait commencer et finir le service des auxiliaires qu'ils voulaient bien lui fournir. (15) Seulement une députation irait annoncer au roi Antiochus que les troupes d'Attale devaient seconder les opérations de l'armée romaine contre Philippe, leur ennemi commun; (16) qu'Antiochus ferait une chose agréable au peuple comme au sénat en respectant les états d'Attale et en cessant toute hostilité: car il était convenable que deux rois alliés et amis du peuple romain fussent en paix l'un avec l'autre."
[32,9] Conjuration des prodiges. Départ des armées consulaires (avril 198)
(1) Le consul T. Quinctius, en procédant à ses levées, eut soin d'y comprendre les soldats d'une valeur éprouvée, qui avaient servi en Espagne et en Afrique. Il se disposait ensuite à partir pour son département, lorsque l'annonce de plusieurs prodiges et la nécessité de les expier le retinrent à Rome. (2) La foudre était tombée à Véies sur la voie publique; à Lanuvium, sur le forum et le temple de Jupiter; à Ardée, sur le temple d'Hercule; à Capoue, sur la mer, les tours et le temple qu'on appelle Blanc. (3) Le ciel avait paru tout en feu à Arrétium; à Vélitres, la terre s'était affaissée et un gouffre s'était ouvert sur un espace de trois arpents. On parlait aussi d'un agneau à deux têtes, né dans la ville de Suessa Aurunca, et d'un porc à tête humaine, né à Sinuessa. (4) À l'occasion de ces prodiges, il y eut un jour de supplications. Les consuls satisfirent aux exigences du culte sacré, et lorsqu'on eut apaisé les dieux, ils partirent pour leurs provinces. Aelius se rendit en Gaule avec le préteur Helvius, (5) lui remit l'armée que lui livra L. Lentulus et qu'il devait licencier, et se disposa à combattre avec les légions nouvelles qu'il avait amenées. Aucune action d'éclat ne signala son commandement.
(6) Son collègue T. Quinctius partit de Brindes plus tôt que ne l'avaient fait ses prédécesseurs et débarqua à Corcyre avec huit mille fantassins et huit cents chevaux. (7) De Corcyre il passa sur une quinquérème en Épire, abordant au point de la côte le plus rapproché, et se rendit en toute hâte au camp romain. (8) Il prit la place de Villius, attendit quelques jours l'arrivée des troupes qu'il avait laissées à Corcyre, puis tint conseil pour savoir s'il marcherait droit à l'ennemi et forcerait son camp, (9) ou si, renonçant à tenter une entreprise si difficile et si périlleuse, il ferait un détour et entrerait en Macédoine par la Dassarétie et le Lyncos. (10) Ce dernier avis l'eût emporté; mais Quinctius craignit de laisser échapper l'ennemi en s'éloignant de la mer, et de perdre l'été sans aucun résultat, si le roi songeait à se réfugier dans les déserts et les bois, comme il l'avait déjà fait. (11) Il se détermina donc, quoi qu'il arrivât, à attaquer les ennemis, malgré l'avantage de leur position. Mais ses idées étaient plus arrêtées sur le projet en lui-même que sur les moyens de l'exécuter.
Plan
1ère partie: [32,1-9] Politique étrangère et intérieure de Rome (199-198)
2ème partie: [32,10-25] Deuxième année de guerre contre la Macédoine (198)
3ème partie: [32,26-31] Affaires intérieures et affaires de Gaule (198)
4ème partie: [32, 32-40] Affaires de Grèce (fin de l'année 197-196)
Crédits
La traduction a été reprise à celle de la Collection des Auteurs latins sous la direction de M. Nisard, Oeuvres de Tite-Live, t. II, Paris, Firmin Didot, 1864. Cette traduction a toutefois été légèrement modifiée. On a notamment modernisé l'orthographe, adapté les noms propres aux usages actuels, introduit les divisions modernes en paragraphes et ajouté des intertitres généralement repris à A. Flobert, Tite-Live. Histoire romaine. La libération de la Grèce. Livres XXXI à XXXV, Paris, 1997 (Garnier- Flammarion - GF 989).
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1ère partie: [32,1-9] Politique étrangère et intérieure de Rome (199-198)
[32,1] Entrée en charge des consuls (15 mars 199). Conjuration des prodiges
(1) Les consuls et les préteurs, étant entrés en charge aux ides de mars, tirèrent les provinces au sort. (2) L. Cornélius Lentulus obtint l'Italie, P. Villius la Macédoine. Quant aux préteurs, L. Quinctius eut la juridiction de la ville; Cn. Baebius fut désigné pour Ariminum; L. Valérius, pour la Sicile; L. Villius, pour la Sardaigne.
(3) Le consul Lentulus eut ordre de lever des légions nouvelles; Villius devait prendre l'armée de P. Sulpicius, mais on lui permit d'enrôler autant d'hommes qu'il le jugerait à propos pour la compléter. (4) Le préteur Baebius devait prendre le commandement des légions qui avaient été sous les ordres du consul C. Aurélius, et les conserver jusqu'au moment où Lentulus viendrait le remplacer avec ses recrues. (5) Aussitôt après l'arrivée de ce consul en Gaule, tous les soldats licenciés devaient être renvoyés dans leurs foyers, à l'exception de cinq mille alliés, qui resteraient aux environs d'Ariminum. Ce nombre était jugé suffisant pour garder cette province.
(6) On prorogea dans leurs commandements les préteurs de l'année précédente: Cn. Sergius, pour distribuer des terres aux soldats, qui avaient longtemps fait la guerre en Espagne, en Sicile et en Sardaigne; (7) Q. Minucius, pour achever dans le Bruttium les poursuites qu'il avait exercées avec tant de zèle et d'intégrité pendant sa préture (8) contre les profanateurs de Locres. Il était chargé d'envoyer dans cette ville, pour y faire subir leur peine, ceux qu'il avait fait conduire dans les prisons de Rome, comme convaincus de sacrilège; de veiller à la restitution de tous les objets enlevés du temple de Proserpine et de prescrire les expiations convenables.
(9) On recommença ensuite, par décret des pontifes, les Féries latines, parce que des ambassadeurs étaient venus se plaindre au sénat qu'on ne leur eût pas, suivant l'usage, donné leur part des victimes immolées sur le mont Albain.
(10) On reçut de Suessa la nouvelle que deux portes de cette ville et le mur qui s'étendait de l'une à l'autre avaient été frappés de la foudre; d'autres envoyés racontèrent que le feu du ciel était aussi tombé à Formies et à Ostie, sur le temple de Jupiter; à Véliterne, sur les temples d'Apollon et de Sancus, et qu'il était poussé un cheveu à Hercule dans son temple. (11) Du Bruttium, le propréteur Minucius manda qu'il était né un poulain à cinq pieds et trois poulets à trois pattes. (12) Peu après, le proconsul P. Sulpicius écrivit de Macédoine une lettre où il parlait, entre autres particularités, d'un laurier qui avait poussé à la poupe d'un vaisseau long. (13) À l'occasion des premiers prodiges, le sénat avait décrété que les consuls offriraient les grandes victimes à ceux des dieux qu'ils jugeraient à propos d'apaiser. (14) Mais pour le dernier, on appela des haruspices à la curie: d'après leur réponse, on ordonna un jour de supplications et l'on célébra des sacrifices à tous les autels.
[32,2] Expédition des affaires courantes
(1) Cette année, les Carthaginois apportèrent à Rome le premier argent du tribut qui leur avait été imposé. (2) Les questeurs déclarèrent que cet argent n'était pas de bon aloi; et lorsqu'on en fit l'essai, on y trouva un quart d'alliage. Les Carthaginois firent donc un emprunt à Rome pour compléter le paiement. (3) Ils demandèrent ensuite au sénat la restitution de leurs otages: on voulut bien leur en rendre cent, et on leur fit espérer la délivrance des autres, si Carthage demeurait fidèle aux traités. (4) Ils sollicitèrent alors pour les otages retenus leur transfert de Norba, où ils se trouvaient fort mal, dans un autre séjour; on les fit passer à Signia et à Férentinum.
(5) Les habitants de Gadès obtinrent aussi sur leur demande qu'on ne leur enverrait pas de préfet; ce qui était contraire à la capitulation signée par eux avec L. Marcius Septimus lorsqu'ils s'étaient soumis au peuple romain. (6) Les députés de Narnia se plaignaient de ce que le nombre des colons était insuffisant et de ce que plusieurs étrangers, se mêlant à la population, se donnaient pour de véritables colons. On enjoignit au consul L. Cornélius de nommer des triumvirs pour examiner l'affaire. (7) Les magistrats choisis furent les frères P. et Sex. Aelius, surnommés tous deux Paetus, et Cn. Cornélius Lentulus. La faveur accordée à ceux de Narnia et qui avait pour but de compléter le nombre des colons, fut réclamée par ceux de Cosa; mais on la leur refusa.
[32,3] Insubordination dans l'armée de Macédoine
(1) Après avoir réglé les affaires qui les retenaient à Rome, les consuls partirent pour leurs provinces.
(2) P. Villius, à son arrivée en Macédoine, trouva les soldats mutinés. L'irritation était vive et durait déjà depuis quelque temps; on ne s'était pas assez occupé de la comprimer dans l'origine. (3) C'étaient deux mille hommes, qui, après la défaite d'Hannibal, avaient été transportés comme volontaires d'Afrique en Sicile, et environ un an après en Macédoine. Ils prétendaient n'avoir pas été maîtres du choix. "Leurs tribuns, disaient-ils, les avaient embarqués malgré eux; (4) mais d'ailleurs, que leur service fût volontaire ou forcé, le temps en était expiré; il était juste qu'il y eût un terme aux fatigues de la guerre. (5) Il y avait plusieurs années qu'ils n'avaient vu l'Italie; ils avaient vieilli sous les armes en Sicile, en Afrique, en Macédoine; ils étaient épuisés par les travaux et les campagnes, affaiblis par leurs nombreuses blessures." (6) Le consul leur déclara "qu'ils pouvaient espérer de voir leur demande de congé accueillie, s'ils la présentaient avec modération. Mais ni les motifs qu'ils alléguaient, ni aucun autre, ne justifiaient une sédition. (7) S'ils voulaient rentrer dans l'ordre et obéir à leur général, il écrirait au sénat pour leur congé. La soumission était un plus sûr moyen que la révolte d'obtenir ce qu'ils désiraient."
[32,4] Philippe abandonne le siège de Thaumaci en Thessalie (fin de l'automne 200)
(1) Philippe concentrait alors tous ses efforts sur Thaumaci qu'il assiégeait; il avait fait ouvrir des tranchées et construire des mantelets; il se disposait à battre les murs avec le bélier. (2) L'arrivée subite des Étoliens l'obligea de renoncer à son entreprise. Sous la conduite d'Archidamus, ils traversèrent les lignes des Macédoniens, se jetèrent dans la place et attaquèrent jour et nuit dans des sorties continuelles les portes et les ouvrages de l'ennemi. La nature même des lieux les favorisait. (3) Lorsqu'on arrive des Thermopyles et du golfe Maliaque par Lamia, on aperçoit Thaumaci sur les hauteurs nommées Coela, qui dominent le défilé; (4) mais quand on passe par les chemins rocailleux de la Thessalie, ou qu'on suit les sinuosités de ses vallées, on voit tout à coup, en approchant de la ville, se dérouler à ses pieds, comme une vaste mer, une plaine immense dont l'oeil a peine à embrasser l'étendue. (5) C'est cet admirable point de vue qui a valu à Thaumaci le nom qu'il porte. La ville doit sa sûreté, non seulement à son élévation, mais encore à ce que le rocher sur lequel elle est assise est taillé à pic de tous côtés. (6) Ces difficultés, et la certitude que cette conquête, tout importante qu'elle pouvait être, le paierait mal des peines et des travaux qu'elle pourrait lui coûter, déterminèrent Philippe à lever le siège. (7) L'hiver approchait d'ailleurs, lorsqu'il s'éloigna pour ramener ses troupes dans leurs quartiers en Macédoine.
[32,5] Reprise des hostilités (printemps 199); Philippe en Chaonie
(1) Là son armée eut tout le temps nécessaire pour réparer ses forces et reprendre courage. (2) Mais Philippe, tout en profitant de la saison pour délasser son corps fatigué de tant de marches et de tant de combats, n'avait l'esprit que plus tourmenté sur l'issue définitive d'une guerre où il avait à craindre non seulement les ennemis qui le pressaient par terre et par mer, (3) mais ses alliés et ses sujets mêmes, dont les uns pouvaient le trahir dans l'espoir d'obtenir l'amitié de Rome et les autres se laisser séduire par l'attrait d'un changement.
(4) Il envoya donc des ambassadeurs en Achaïe, pour exiger en son nom le serment que les habitants s'étaient engagés à lui prêter chaque année, et pour remettre en même temps aux Achéens Orchomène, Héraea et la Triphylie; aux Éléens, Aliphéra. (5) Ces derniers prétendaient que cette ville n'avait jamais fait partie de la Triphylie, et qu'elle devait leur être rendue, parce qu'elle était une de celles que l'assemblée générale des Arcadiens avait désignées pour concourir à la fondation de Mégalopolis. (6) Par ces restitutions, Philippe consolidait son alliance avec les Achéens. (7) Quant aux Macédoniens, il s'assura leur attachement par la punition d'Héraclide: voyant que les crimes nombreux dont il était chargé l'avaient rendu l'objet de la haine publique, il le fit jeter dans les fers à la grande satisfaction de ses sujets.
(8) Puis il s'occupa plus activement que jamais des préparatifs de la guerre; (9) il exerça aux armes et les Macédoniens et les troupes mercenaires. Au commencement du printemps, il fit partir avec Athénagoras tous les auxiliaires étrangers et ce qu'il avait de troupes légères pour aller par l'Épire en Chaonie occuper les défilés qui sont près d'Antigonéia et que les Grecs appellent Stena. (10) Peu de jours après, il se mit lui-même en marche avec le gros de l'armée. Après avoir reconnu l'assiette du pays, il jugea qu'il ne pouvait trouver une position meilleure pour se fortifier que les bords de l'Aoos. (11) Ce fleuve coule dans une vallée resserrée entre deux montagnes, dont l'une est nommée par les habitants Méropos, et l'autre Asnaos; il n'offre qu'un étroit sentier sur ses rives. Philippe enjoignit à Athénagoras de s'établir sur l'Asnaos avec les troupes légères et de s'y retrancher; il alla camper lui-même sur le Méropos. (12) Il plaça des détachements peu nombreux du côté où se trouvaient des rochers à pic, défendit les endroits plus accessibles par des fossés, des retranchements et des tours, (13) et fit placer dans les endroits convenables un grand nombre de machines, pour repousser l'ennemi à coups de traits. Il éleva sa tente en avant des fortifications, sur la hauteur la plus en vue, afin d'intimider les ennemis et d'encourager des Macédoniens par cette marque de confiance.
[32,6] Incertitude sur l'activité militaire du consul P.Villius
(1) Le consul avait été instruit par l'Épirote Charopus de la nature des défilés qu'occupait le roi avec son armée. Après avoir passé l'hiver à Corcyre, il débarqua sur le continent aux premiers jours du printemps et marcha droit à l'ennemi. (2) Parvenu à cinq milles environ du camp de Philippe, il se retrancha; puis, laissant ses légions, il s'avança en personne avec quelques troupes légères pour reconnaître les lieux. Le lendemain il tint conseil (3) afin de savoir s'il fallait, malgré les obstacles sans nombre et les périls qu'il pourrait rencontrer, tenter le passage à travers les défilés occupés par l'ennemi, ou faire un détour et pénétrer en Macédoine par le chemin qu'avait suivi Sulpicius l'année précédente, (4) Plusieurs jours s'écoulèrent sans qu'il prît un parti; pendant ce temps il apprit que T. Quinctius avait été nommé consul, que le sort lui avait assigné la province de Macédoine, et qu'il s'était déjà transporté en toute diligence à Corcyre.
(5) Si l'on en croit Valérius Antias, Villius entra dans le défilé; mais, forcé de prendre un détour parce que le roi gardait tous les passages, il suivit la vallée au milieu de laquelle coule l'Aoos, (6) jeta un pont à la hâte sur le fleuve, passa sur la rive où campait l'ennemi et livra bataille. Le roi fut vaincu, mis en fuite et chassé de son camp. (7) Douze mille Macédoniens périrent dans cette action; deux mille deux cents prisonniers, cent trente-deux étendards et deux cent trente chevaux tombèrent au pouvoir des Romains; au fort de la mêlée, Villius avait fait voeu de bâtir un temple à Jupiter, s'il était vainqueur. (8) Mais tous les autres historiens grecs et latins que j'ai lus s'accordent à dire que Villius ne fit rien de mémorable, et laissa tout le poids de la guerre au consul T. Quinctius, son successeur.
[32,7] Défaite du préteur en Gaule (199). Élections pour l'année 198
(1) Tandis que ces événements se passaient en Macédoine, L. Lentulus, l'autre consul, qui était resté à Rome, tint les comices pour la nomination des censeurs. (2) Plusieurs personnages illustres se portaient candidats; on choisit P. Cornélius Scipion l'Africain et P. Aelius Paetus. (3) L'accord le plus parfait régna entre ces deux magistrats; ils nommèrent aux places vacantes du sénat sans noter aucun sénateur d'infamie; ils affermèrent les droits sur les marchandises à Capoue, à Pouzzoles et au port de Castrum, qui est maintenant une ville; ils envoyèrent dans ce port trois cents colons, nombre fixé par le sénat; ils vendirent le territoire de Capoue qui s'étend au pied du mont Tifate.
(4) Vers le même temps, L. Manlius Acidinus, qui avait obtenu du sénat les honneurs de l'ovation à son retour de l'Espagne, fut contraint, par l'opposition du tribun du peuple P. Porcius Laeca, d'entrer dans la ville comme un simple citoyen; il porta au trésor public douze cents livres pesant d'argent et trente livres d'or environ.
(5) La même année Cn. Baebius Tamphilus, qui avait reçu la province de la Gaule de C. Aurélius, consul de l'année précédente, entra témérairement sur les terres des Gaulois Insubres, fut enveloppé par eux avec presque toute son armée et perdit plus de six mille sept cents hommes: (6) et cet échec venait d'un ennemi qu'on avait cessé de craindre! Cette circonstance obligea le consul L. Lentulus à sortir de Rome. (7) Il trouva la province dans une grande confusion et les soldats consternés; il adressa de vifs reproches au préteur et lui ordonna de quitter la province et de retourner à Rome.
(8) Lentulus n'eut pas le temps de se signaler par quelque exploit; la nécessité de tenir les comices le rappela dans la ville; car les tribuns du peuple, M. Fulvius et Manius Curius, y mettaient obstacle (9) en ne permettant pas à T. Quinctius Flamininus de briguer le consulat au sortir de la questure. (10) "Déjà, disaient-ils, on méprisait l'édilité et la préture; les nobles, au lieu de donner des preuves de leur capacité en parcourant successivement toutes les magistratures, prétendaient tout d'abord au consulat; ils franchissaient ainsi les dignités intermédiaires et passaient du dernier rang au premier."
(11) Du Champ de Mars la contestation fut portée au sénat. Les Pères conscrits décidèrent que, "lorsqu'un candidat briguait une charge que la loi lui permettait d'obtenir, il devait être libre au peuple d'en revêtir qui bon lui semblerait." (12) Les tribuns se soumirent à cette décision. On nomma consuls Sex. Aelius Paetus et T. Quinctius Flamininus. (13) Puis on assembla les comices pour le choix des préteurs, et le peuple désigna L. Cornélius Mérula, M. Claudius Marcellus, M. Porcius Caton et C. Helvius, qui avaient été édiles plébéiens. Ces préteurs célébrèrent les Jeux Plébéiens et donnèrent à cette occasion un festin public en l'honneur de Jupiter. (14) Les édiles curules C. Valérius Flaccus, flamine de Jupiter, et C. Cornélius Céthégus firent représenter les Jeux Romains avec une grande magnificence. (15) Les deux Sulpicius Galba, Servius et Caius, qui étaient pontifes, moururent cette année: on les remplaça par M. Aemilius Lépidus et Cn. Cornélius Scipion.
[32,8] Réception au sénat des ambassadeurs du roi Attale (printemps 198)
(1) À peine entrés en charge, les consuls Sex. Aelius Paetus et T. Quinctius Flamininus assemblèrent le sénat au Capitole. Les Pères conscrits décidèrent que ces deux magistrats se partageraient entre eux, à l'amiable ou par la voie du sort, les provinces de Macédoine et d'Italie. (2) Celui qui aurait la Macédoine devait, pour compléter les cadres de ses légions, lever trois mille soldats romains, trois cents chevaliers, et parmi les alliés du nom latin cinq mille hommes de pied et cinq cents chevaux. (3) On décréta pour l'autre consul la formation d'une armée toute nouvelle. L. Lentulus, consul de l'année précédente, fut prorogé dans son commandement; il eut ordre de ne point quitter la province et de n'en pas éloigner les vieilles troupes, que le consul n'y fût arrivé avec les nouvelles légions.
(4) Les consuls s'en remirent au sort: Aelius eut l'Italie et Quinctius la Macédoine. (5) Parmi les préteurs, L. Cornélius Mérula fut désigné pour Rome, M. Claudius pour la Sicile, M. Porcius pour la Sardaigne, C. Helvius pour la Gaule. (6) Puis on commença les levées; outre les armées consulaires, les préteurs avaient ordre d'enrôler aussi de leur côté. (7) Marcellus devait conduire en Sicile quatre mille fantassins et trois cents cavaliers latins, et Caton en Sardaigne trois mille hommes d'infanterie et deux cents de cavalerie, choisis parmi les mêmes alliés. (8) Chacun d'eux, en arrivant dans sa province, devait congédier les vieilles troupes, fantassins et cavaliers.
(9) Les ambassadeurs du roi Attale furent ensuite introduits dans le sénat par les consuls. Ils exposèrent que leur maître avait toujours aidé la république de sa flotte et de toutes ses troupes de terre et de mer, qu'il avait exécuté jusqu'à ce jour avec zèle et dévouement tout ce que les consuls lui avaient enjoint; "mais, ajoutèrent-ils, il craignait (10) que le roi Antiochus ne lui permît plus de rendre les mêmes services aux Romains; son royaume se trouvant dégarni de flottes et d'armées avait été envahi par le monarque syrien; (11) aussi conjurait-il les Pères conscrits de lui envoyer des renforts pour protéger ses états, s'ils voulaient s'assurer la coopération de sa flotte dans la guerre de Macédoine; sinon, il demandait la permission de rappeler ses forces de terre et de mer pour se défendre."
(12) Le sénat fit répondre aux ambassadeurs que, "si le roi Attale avait mis ses armées et sa flotte à la disposition des généraux romains, on lui en savait gré. (13) Mais on ne pouvait envoyer des secours à Attale contre Antiochus, allié et ami du peuple romain, pas plus qu'on ne songeait à retenir les troupes d'Attale si ses intérêts ne le permettaient point. (14) Rome, en acceptant les secours de ses alliés, leur laissait toujours le droit d'en régler l'usage, et de fixer l'époque où devait commencer et finir le service des auxiliaires qu'ils voulaient bien lui fournir. (15) Seulement une députation irait annoncer au roi Antiochus que les troupes d'Attale devaient seconder les opérations de l'armée romaine contre Philippe, leur ennemi commun; (16) qu'Antiochus ferait une chose agréable au peuple comme au sénat en respectant les états d'Attale et en cessant toute hostilité: car il était convenable que deux rois alliés et amis du peuple romain fussent en paix l'un avec l'autre."
[32,9] Conjuration des prodiges. Départ des armées consulaires (avril 198)
(1) Le consul T. Quinctius, en procédant à ses levées, eut soin d'y comprendre les soldats d'une valeur éprouvée, qui avaient servi en Espagne et en Afrique. Il se disposait ensuite à partir pour son département, lorsque l'annonce de plusieurs prodiges et la nécessité de les expier le retinrent à Rome. (2) La foudre était tombée à Véies sur la voie publique; à Lanuvium, sur le forum et le temple de Jupiter; à Ardée, sur le temple d'Hercule; à Capoue, sur la mer, les tours et le temple qu'on appelle Blanc. (3) Le ciel avait paru tout en feu à Arrétium; à Vélitres, la terre s'était affaissée et un gouffre s'était ouvert sur un espace de trois arpents. On parlait aussi d'un agneau à deux têtes, né dans la ville de Suessa Aurunca, et d'un porc à tête humaine, né à Sinuessa. (4) À l'occasion de ces prodiges, il y eut un jour de supplications. Les consuls satisfirent aux exigences du culte sacré, et lorsqu'on eut apaisé les dieux, ils partirent pour leurs provinces. Aelius se rendit en Gaule avec le préteur Helvius, (5) lui remit l'armée que lui livra L. Lentulus et qu'il devait licencier, et se disposa à combattre avec les légions nouvelles qu'il avait amenées. Aucune action d'éclat ne signala son commandement.
(6) Son collègue T. Quinctius partit de Brindes plus tôt que ne l'avaient fait ses prédécesseurs et débarqua à Corcyre avec huit mille fantassins et huit cents chevaux. (7) De Corcyre il passa sur une quinquérème en Épire, abordant au point de la côte le plus rapproché, et se rendit en toute hâte au camp romain. (8) Il prit la place de Villius, attendit quelques jours l'arrivée des troupes qu'il avait laissées à Corcyre, puis tint conseil pour savoir s'il marcherait droit à l'ennemi et forcerait son camp, (9) ou si, renonçant à tenter une entreprise si difficile et si périlleuse, il ferait un détour et entrerait en Macédoine par la Dassarétie et le Lyncos. (10) Ce dernier avis l'eût emporté; mais Quinctius craignit de laisser échapper l'ennemi en s'éloignant de la mer, et de perdre l'été sans aucun résultat, si le roi songeait à se réfugier dans les déserts et les bois, comme il l'avait déjà fait. (11) Il se détermina donc, quoi qu'il arrivât, à attaquer les ennemis, malgré l'avantage de leur position. Mais ses idées étaient plus arrêtées sur le projet en lui-même que sur les moyens de l'exécuter.
Dernière édition par Belain le Sam 15 Avr 2017, 19:11, édité 1 fois
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Re: Livre XXXII : Les événements des années 199 à 197
2ème partie: [32,10-25] Deuxième année de guerre contre la Macédoine (198)
[32,10] Vaine tentative de Philippe pour instaurer la paix (deuxième quinzaine de juin 198)
(1) Quarante jours s'écoulèrent sans que les Romains atteignissent l'ennemi qui était en leur présence. Cette inaction donna à Philippe l'espoir d'obtenir la paix par l'entremise des Épirotes. (2) Il tint conseil à ce sujet et choisit pour négociateurs le général Pausanias et le commandant de la cavalerie Alexandre. Ces deux officiers ménagèrent une entrevue entre le consul et le roi sur les bords de l'Aoos, à l'endroit où les rives de ce fleuve sont le plus resserrées. (3) Le consul exigeait que le roi retirât ses garnisons des cités libres; qu'il rendît aux peuples dont il avait pillé le territoire et les villes, les objets qu'on aurait encore en nature, et que, pour les autres, il en payât la valeur d'après les évaluations d'experts.
(4) Philippe voulait qu'on établit des distinctions entre les cités. "Il s'engageait à délivrer celles qui étaient sa conquête propre; mais il ne pouvait renoncer à la possession héréditaire et légitime de celles que lui avaient laissées ses ancêtres. (5) Pour les états avec lesquels il avait été en guerre et qui avaient à se plaindre de quelques dommages, il offrait une réparation déterminée par tel peuple neutre qu'ils choisiraient." (6) Le consul répondit "qu'il n'était besoin pour cela ni d'arbitre ni de juge. Pouvait-on douter que tous les torts ne fussent du côté de celui qui avait commencé les hostilités? Philippe n'avait été attaqué par personne, et c'était lui qui, partout, avait été l'agresseur." (7) Lorsqu'il fut question de désigner les états qui seraient rendus à la liberté, le consul nomma d'abord la Thessalie. Le roi ne put maîtriser son indignation et s'écria: "Quelle condition plus dure m'imposeriez-vous, T. Quinctius, si j'étais vaincu? " Puis il sortit brusquement. (8) La bataille se serait engagée aussitôt à coups de traits, si le fleuve n'eût séparé les deux armées.
(9) Le lendemain les avant-postes s'attaquèrent: plusieurs escarmouches se livrèrent d'abord dans une plaine dont l'étendue admettait ces sortes d'actions; (10) bientôt les troupes royales s'étant repliées dans des gorges étroites et rocailleuses, les Romains, emportés par l'ardeur du combat, y pénétrèrent aussi. (11) Ils avaient pour eux la tactique, la discipline militaire et les armes qui conviennent dans la lutte corps à corps; l'ennemi avait pour lui l'avantage de la position et le secours des catapultes et des machines installées sur presque tous les rochers comme sur les murs d'une ville. (12) Il y eut de part et d'autre un grand nombre de blessés; on compta même quelques morts, comme dans une action régulière. La nuit mit fin au combat.
[32,11] Une légion romaine part dans la montagne sous la conduite d'un berger épirote
(1) Les choses en étaient là quand un pâtre, envoyé par Charopus, chef des Épirotes, se présenta devant le consul. (2) "Il faisait paître, dit-il, ses troupeaux dans le défilé où était assis le camp du roi; il connaissait toutes les gorges et tous les sentiers des montagnes. (3) Si on voulait lui confier quelques hommes, il les conduirait par un chemin sûr et facile à une hauteur d'où l'on dominait les ennemis."
(4) Prévenu, le consul envoie demander à Charopus s'il est d'avis que, dans une affaire si grave, il puisse se fier à un pâtre. Il le peut, répond Charopus, mais en ne se livrant point à la merci du pâtre et en restant maître des événements. (5) Quinctius voulait plus qu'il n'osait: l'espérance et la crainte se partageaient son coeur. L'autorité de Charopus fixa ses irrésolutions; il se décida à tenter la chance qu'on lui offrait. (6) Afin d'éloigner tout soupçon de l'ennemi, il ne cessa, les deux jours suivants, de le harceler sur tous les points: ses soldats étaient en ordre de bataille et des troupes fraîches remplaçaient continuellement celles qui étaient fatiguées.
(7) Puis il fit choix de quatre mille hommes de pied et de trois cents chevaux. Le tribun des soldats, qui commandait ce détachement, avait ordre de se porter en avant avec la cavalerie, tant qu'il le pourrait. Dès que les chemins seraient impraticables aux chevaux, il devait chercher un terrain uni et les y poster; puis suivre avec l'infanterie, la route indiquée par le guide; (8) et lorsque, suivant la promesse du pâtre, on serait parvenu au-dessus des ennemis, employer la fumée pour signal, et attendre pour pousser le cri du combat que le consul eût répondu et lui eût fait connaître que l'action était engagée. (9) On ne devait marcher que la nuit, il faisait alors clair de lune: le jour on prendrait la nourriture et le repos nécessaire. De brillantes promesses furent faites au guide, s'il tenait parole; cependant il fut remis enchaîné au tribun. (10) Après avoir ainsi congédié le détachement, le consul redoubla d'efforts pour enlever les positions des Macédoniens.
[32,12] Victoire romaine (25 juin 198)
(1) Cependant, au bout de trois jours, les Romains avaient gagné la hauteur vers laquelle ils s'étaient dirigés, et ils l'occupaient: ils en avertirent le consul par les signaux convenus. Celui-ci partagea ses troupes en trois corps et s'avança par le milieu de la vallée avec le centre de l'armée; les deux ailes devaient attaquer le camp à droite et à gauche. Les ennemis ne marchèrent pas avec moins de résolution: (2) emportés par une ardeur belliqueuse, ils sortirent de leurs retranchements. Mais bientôt la valeur, la tactique et la supériorité des armes assurèrent l'avantage aux Romains. (3) Aussi les Macédoniens, ayant beaucoup de blessés et de morts, rentrèrent dans leurs positions fortifiées par l'art ou la nature; et tout le danger fut pour les Romains, qui s'étaient avancés témérairement dans des lieux défavorables et des défilés où la retraite n'était pas facile.
(4) Leur imprudence ne serait pas restée impunie, si les cris que les soldats du roi entendirent derrière eux et l'attaque qui commença aussitôt n'eussent troublé leurs esprits d'une terreur soudaine. (5) Les uns s'enfuirent en désordre; les autres soutinrent le combat moins par courage que faute d'issues pour s'échapper; mais, pressés par l'ennemi en tête et en queue, ils furent bientôt enveloppés. (6) L'armée entière pouvait être anéantie, si les vainqueurs eussent poursuivi les fuyards; (7) mais la cavalerie fut arrêtée par les défilés et la difficulté des lieux, l'infanterie par le poids de ses armes. (8) Le roi s'enfuit d'abord à toute bride sans regarder en arrière: au bout de cinq milles, pensant, avec raison, que l'ennemi n'avait pu le suivre par ces chemins presque impraticables, il fit halte sur une éminence et envoya des officiers dans toutes les directions pour visiter les collines et les vallées, et rallier les fuyards.
(9) Il ne perdit pas plus de deux mille hommes; le reste de l'armée se réunit en un seul corps, comme si on eût marché sous un même étendard, et se dirigea en masse vers la Thessalie. (10) Les Romains, après avoir poursuivi les vaincus, tant qu'ils avaient pu le faire sans danger, massacrant ceux qu'ils atteignaient et les dépouillant ensuite, revinrent piller le camp du roi, où ils n'entrèrent qu'avec peine, bien qu'il ne fût pas défendu. Puis ils passèrent la nuit dans leur propre camp.
[32,13] Philippe ravage la Thessalie. Révolte des Étoliens (été 198)
(1) Le lendemain, le consul continua la poursuite en s'engageant dans l'étroite vallée où le fleuve s'est creusé un lit. (2) Philippe était arrivé le premier jour au camp de Pyrrhus; l'endroit qu'on appelle ainsi est situé dans la Triphylie des Molosses. Le jour suivant, pressé par la crainte, il fit une marche forcée et gagna la chaîne du Lyncon: (3) ce sont des montagnes d'Épire qui s'étendent entre la Macédoine et la Thessalie. Le versant oriental descend vers la Thessalie, le versant septentrional fait face à la Macédoine. Elles sont couvertes de forêts épaisses, mais leurs sommets les plus élevés offrent de vastes plaines et des sources d'eaux vives.
(4) Le roi y établit ses quartiers pour quelques jours, ne sachant s'il irait directement s'enfermer dans son royaume ou s'il essaierait de rentrer en Thessalie. (5) Il se décida enfin à descendre en Thessalie avec son armée et gagna Tricca par le chemin le plus court; puis il parcourut rapidement les villes qui se trouvaient sur son passage, (6) entraînant avec lui ceux qui étaient en état de le suivre, incendiant les places fortes, laissant aux habitants la liberté d'emporter avec eux tout ce qu'ils pouvaient prendre de leurs effets, et abandonnant le reste au pillage de ses soldats. (7) En un mot tout ce qu'on pouvait éprouver de plus cruel de la part d'un ennemi, Philippe ne l'épargna point à ses alliés. (8) Il souffrait lui-même de se livrer à de pareils excès; mais ce pays allait bientôt appartenir aux Romains, et il voulait au moins ne pas y laisser à leur merci les personnes de ses alliés. (9) Ce fut ainsi qu'il dévasta les places de Phacium, d'Iresia, d'Euhydrium, d'Érétrie et de Pharsale-laVieille. II se présenta sous les murs de Phères, qui lui ferma ses portes; comme il fallait du temps pour la forcer, et qu'il était pressé, il renonça à cette entreprise et passa en Macédoine, car on disait que les Étoliens aussi la menaçaient.
(10) À la nouvelle du combat livré sur les bords de l'Aoos, ils avaient d'abord ravagé les terres voisines qui s'étendent aux environs de Sperchia et du lieu appelé le Long-Bourg; puis entrant en Thessalie, ils emportèrent du premier assaut Ctiménès et Angéia. (11) Ils poussèrent jusqu'à Métropolis, en dévastant les campagnes; mais les habitants accoururent pour défendre leurs murailles, et les Étoliens furent repoussés. De là ils allèrent attaquer Callithéra; ils soutinrent avec plus de fermeté le choc des assiégés (12) qui avaient fait une sortie, les rejetèrent dans l'enceinte des murs; se bornant à ce succès, parce qu'ils ne pouvaient espérer de se rendre maîtres de la place, ils se retirèrent, prirent les bourgs de Teuma et de Célathara qu'ils livrèrent au pillage, (13) reçurent la soumission d'Acharrae, (14) et par la terreur de leurs armes forcèrent les habitants de Xyniae à s'enfuir.
Cette troupe d'exilés rencontra le détachement qui allait tenir garnison à Thamuaci pour assurer les approvisionnements et qui massacra impitoyablement cette multitude confuse d'hommes sans armes, entremêlés de femmes et d'enfants. Xynia, qui était déserte, fut livrée au pillage. Puis les Étoliens prirent le château fort de Cyphère, dont la position avantageuse domine la Dolopie. (15) Tout cela fut l'ouvrage de quelques jours. Amynander et les Athamans ne restèrent pas non plus en repos, lorsqu'ils eurent appris la victoire des Romains.
[32,14] Les alliés se rendent maîtres de la Thessalie
(1) Amynander, qui n'avait pas une grande confiance dans ses soldats, demanda au consul un léger renfort et marcha sur Gomphi. Sur sa route il emporta d'assaut la place forte de Phaeca, située entre Gomphi et l'étroit défilé qui sépare la Thessalie de l'Athamanie. (2) Ensuite il attaqua Gomphi dont les habitants se défendirent quelques jours avec beaucoup de vigueur; mais quand il eut dressé ses échelles le long des murs, la crainte les contraignit à se rendre. (3) La soumission de cette ville répandit une grande terreur en Thessalie, et l'on vit capituler successivement les garnisons d'Argenta, de Phérinium, de Timarum, de Lyginae, de Stymon, de Lampsum et d'autres places voisines moins connues.
(4) Tandis que les Athamans et les Étoliens venaient, sans rien craindre du côté de la Macédoine, recueillir le fruit de la victoire des Romains, et que la Thessalie était ravagée par trois armées à la fois, sans pouvoir distinguer ses ennemis de ses alliés, (5) le consul franchit le défilé que la fuite de Philippe avait ouvert devant lui, et pénétra en Épire. Il savait bien que les Épirotes, à l'exception de Charopus leur chef, n'avaient pas embrassé son parti; (6) mais voyant que le désir de réparer leurs torts les faisait redoubler d'efforts pour exécuter ses ordres, il eut plus égard à leurs dispositions présentes que passées, et la facilité même avec laquelle il leur pardonna lui concilia tous les coeurs pour l'avenir.
(7) Il envoya ensuite des dépêches à Corcyre pour que les bâtiments de transport vinssent mouiller dans le golfe d'Ambracie, poursuivit sa marche à petites journées et alla camper au bout de quatre jours sur le mont Cercétius où il se fit rejoindre par Amynander et ses Athamans; (8) non qu'il eût besoin de son secours, mais il voulait le prendre pour guide en Thessalie. Ce fut dans le même but qu'il reçut au nombre de ses auxiliaires la plupart des Épirotes qui s'offrirent à lui volontairement.
[32,15] Prise de Phaloria; reddition d'autres villes thessaliennes
(1) La première ville de Thessalie qu'il attaqua fut Phaloria. Elle avait pour garnison deux mille Macédoniens, qui se défendirent avec beaucoup de vigueur, tant qu'ils eurent des armes et que les murailles purent les protéger. (2) Mais le consul, persuadé que la soumission du reste de la Thessalie dépendait du succès de cette première entreprise, pressa le siège jour et nuit sans relâche, et ses efforts triomphèrent de la résistance des Macédoniens. (3) Après la prise de Phaloria, il reçut les députés de Métropolis et de Ciérium qui envoyaient offrir leur soumission et demander grâce: il leur pardonna, mais il incendia Phaloria et la livra au pillage. (4) Puis il marcha sur Égine; mais voyant que cette place, bien que défendue par une faible garnison, était presque imprenable, il fit lancer seulement quelques traits sur le poste le plus avancé et tourna vers Gomphi. (5) Il descendit dans les plaines de la Thessalie, où bientôt son armée manqua de tout, parce qu'il avait ménagé les terres des Épirotes. Il s'assura donc d'abord si c'était à Leucade ou dans le golfe d'Ambracie que ses bâtiments de transport étaient mouillés; et quand il sut que c'était près d'Ambracie, il envoya tour à tour chaque cohorte pour s'approvisionner.
(6) La route qui mène de Gomphi à Ambracie est embarrassée et difficile, mais très courte. (7) Peu de jours suffirent pour transporter les provisions de la mer au camp et y ramener l'abondance. (8) Le consul partit ensuite pour Atrax, qui est à dix milles environ de Larissa: les habitants sont originaires de la Perrhébie; la ville est située sur les bords du Pénée. (9) Les Thessaliens ne s'effrayèrent pas à l'approche des Romains: si Philippe n'osait pas s'avancer dans leur pays, il avait établi son camp dans la vallée de Tempé, et il envoyait à l'occasion des secours sur tous les points menacés par l'ennemi.
[32,16] Entrée en action de la marine de guerre; attaque d'Érétrie (mai 198)
(1) À peu près au moment où le consul alla prendre pour la première fois position en face de Philippe dans les gorges de l'Épire, (2) son frère L. Quinctius, à qui le sénat avait confié le commandement de la flotte et la défense des côtes, aborda à Corcyre avec deux quinquérèmes; (3) mais apprenant que la flotte était partie, il remit aussitôt à la voile. Arrivé dans l'île de Samè, il renvoya L. Apustius, dont il était le successeur, (4) et se dirigea vers le cap Malée, mais avec lenteur, obligé souvent de traîner à la remorque les navires chargés des provisions. (5) Il quitta bientôt le cap Malée avec trois quinquérèmes légères, laissant au reste de la flotte l'ordre de le suivre avec toute la diligence possible, et il arriva le premier au Pirée, où il trouva les vaisseaux que le lieutenant L. Apustius y avait laissés pour la défense d'Athènes.
(6) Dans le même temps deux flottes partirent d'Asie, l'une de vingt-quatre quinquérèmes avec le roi Attale, l'autre de vingt vaisseaux pontés fournis par les Rhodiens et commandée par Acésimbrotos. (7) Elles opérèrent leur jonction à la hauteur d'Andros, et firent voile vers l'Eubée, qui n'est séparée de cette île que par un petit bras de mer. (8) Elles ravagèrent d'abord le territoire de Carystos; mais un renfort envoyé de Chalcis en toute hâte ayant mis la place à l'abri d'une surprise, elles s'approchèrent d'Érétrie. (9) L. Quinctius, apprenant l'arrivée du roi Attale, les rejoignit près de cette ville avec les bâtiments qui étaient dans le Pirée et laissa pour sa flotte, qui devait arriver dans ce port, l'ordre de cingler vers l'Eubée.
(10) Érétrie fut vivement pressée. Outre que les navires des trois flottes réunies avaient à bord toutes les machines de guerre et tous les instruments propres à battre une place, les campagnes voisines fournissaient assez de matériaux pour construire de nouveaux ouvrages. (11) Les assiégés se défendirent d'abord avec courage; enfin, épuisés de fatigues, couverts de blessures et voyant une partie de leurs murs renversés par les travaux de l'ennemi, ils songèrent à se rendre. (12) Mais il y avait dans la ville une garnison macédonienne qu'ils redoutaient autant que les Romains.
Philoclès, lieutenant de Philippe, leur faisait savoir de Chalcis qu'il arriverait à propos à leur secours, s'ils prolongeaient le siège. (13) Cette alternative de craintes et d'espérances les obligea de chercher à gagner plus de temps qu'ils n'auraient voulu et qu'ils ne le pouvaient; (14) mais quand ils apprirent que Philoclès avait été repoussé et qu'il était rentré en désordre à Chalcis, ils envoyèrent implorer la pitié et la protection d'Attale. (15) L'attente de la paix leur fit négliger le soin de la défense: ils se contentèrent d'établir des postes à l'endroit où la brèche était ouverte et ne s'occupèrent point du reste des remparts. Quinctius dirigea donc pendant la nuit une attaque du côté qui était le moins surveillé, et entra dans la place par escalade.
(16) Tous les habitants se réfugièrent en foule dans la citadelle avec leurs femmes et leurs enfants, et bientôt ils capitulèrent. On ne trouva que peu d'or et d'argent; (17) mais le nombre des statues, des tableaux peints par d'anciens maîtres et des chefs-d'oeuvre de toute espèce fut très considérable pour une ville de cette étendue et de cette importance.
[32,17] Prise de Carystos. Le consul attaque vainement Atrax
(1) On retourna ensuite vers Carystos; mais les habitants n'attendirent pas que les troupes fussent débarquées; ils abandonnèrent la ville et se réfugièrent en foule dans la citadelle. (2) De là ils envoyèrent implorer la merci des Romains. On accorda sur-le-champ la vie et la liberté aux Carystiens; quant aux Macédoniens, on exigea, pour les laisser partir, une somme de trois cents pièces d'or par tête et la remise de leurs armes. (3) Ils payèrent cette rançon, furent désarmés et transportés en Béotie. La flotte, qui venait de prendre en si peu de jours deux villes importantes de l'Eubée, doubla le cap Sounion en Attique, et aborda au port de Cenchrées, l'un des entrepôts de Corinthe.
(4) Cependant le consul voyait le siège d'Atrax traîner en longueur et devenir plus meurtrier qu'on ne le pensait: c'est au moment où il s'y était le moins attendu qu'il rencontrait le plus de résistance. (5) Il avait cru en effet que toute la difficulté serait d'abattre le mur, et qu'une fois la brèche ouverte aux soldats, on n'aurait plus qu'à poursuivre et à massacrer des fuyards, comme il arrive ordinairement dans les villes prises d'assaut. (6) Mais lorsque les béliers eurent abattu un pan de murailles et que les Romains furent entrés dans la ville par la brèche même, il leur fallut commencer pour ainsi dire un nouveau travail, comme s'ils n'eussent rien fait.
(7) Les Macédoniens qui formaient la garnison étaient nombreux et tous gens d'élite. Persuadués qu'il serait très glorieux pour eux de défendre la ville par leurs bras et leur valeur plutôt qu'à l'abri des murailles, (8) ils se réunirent en masse, formèrent sur plusieurs rangs de profondeur un bataillon impénétrable, et lorsqu'ils virent que les Romains avaient franchi la brèche, ils les attaquèrent au milieu des décombres où la retraite était difficile et les repoussèrent. (9) Le consul fut vivement irrité. Cet affront pouvait non seulement retarder la prise d'une seule ville, mais influer sur l'issue de la guerre, qui dépendait souvent des circonstances les plus légères. (10) Il fit donc déblayer la place, qui était embarrassée des décombres de la muraille, et avancer une tour très élevée, à plusieurs étages, renfermant un grand nombre de soldats; (11) puis il envoya ses cohortes l'une après l'autre contre la phalange macédonienne pour l'enfoncer, s'il était possible.
(12) Mais l'ouverture étroite que présentait la brèche faite au mur était favorable au genre d'armes et à la tactique de l'ennemi. (13) Ses rangs serrés étaient hérissés d'une forêt de longues sarisses, et la masse compacte de ses boucliers formait comme une tortue contre laquelle les Romains lancèrent en vain leurs petits javelots. Ils tirèrent ensuite l'épée, (14) mais ils ne pouvaient approcher des Macédoniens et couper leurs sarisses. S'ils parvenaient à en couper ou à en briser quelques-unes, ces tronçons aigus s'arrêtaient au milieu des fers de celles qui restaient entières et comblaient pour ainsi dire les vides. (15) Puis la partie du mur qui n'était pas renversée couvrait à droite et à gauche les flancs des Macédoniens, et ils n'avaient pas un long espace à parcourir pour se replier ou pour charger, mouvements qui mettent presque toujours le désordre dans les rangs. (16) Une circonstance fortuite vint encore ranimer leur courage. Tandis qu'on faisait avancer la tour sur la plate-forme, dont le sol n'était pas bien affermi, (17) une des roues s'enfonça dans une ornière profonde et fit pencher la tour au point que l'ennemi crut qu'elle allait tomber et que les Romains qui étaient montés éprouvèrent un moment de vertige.
[32,18] Combats en Phocide
(1) Le consul voyait tous ses efforts inutiles, et ce ne fut pas sans un vif déplaisir qu'il entendit faire une comparaison défavorable à ses soldats et à leurs armes. (2) Il ne voyait d'ailleurs aucune espérance prochaine de réduire la place, aucun moyen d'hiverner loin de la mer, dans un pays ruiné par les maux de la guerre. (3) Il renonça donc au siège, et comme toute la côte de l'Acarnanie et de l'Étolie ne lui offrait point de port assez spacieux pour recevoir en même temps tous les bâtiments de transport chargés des provisions de l'armée et fournir des quartiers d'hiver à ses légions, (4) il alla s'établir dans Anticyre, ville de Phocide, sur le golfe corinthien, dont la situation lui parut la plus conforme à ses vues, (5) et qui, sans trop l'éloigner de la Thessalie et des postes ennemis, avait en face le Péloponnèse, qui n'en était séparé que par un petit bras de mer, par derrière l'Étolie et l'Acarnanie, à droite et à gauche, la Locride et la Béotie. (6) En Phocide il emporta d'emblée, sans combat, la ville de Phanotée.
Le siège d'Anticyre ne l'arrêta pas longtemps. Il reprit ensuite Ambrysus et Hyampolis. (7) Daulis, située sur une éminence très élevée, n'avait rien à craindre d'une escalade ou d'un siège régulier. (8) À force de harceler la garnison à coups de traits, les Romains l'attirèrent hors des murs; puis fuyant ou revenant à la charge tour à tour, et engageant des escarmouches sans résultat, ils leur inspirèrent un tel mépris et une telle sécurité, qu'un jour enfin ils les repoussèrent jusqu'aux portes et se précipitèrent pêle-mêle avec eux dans la ville. (9) Six autres places moins connues de la Phocide capitulèrent plutôt par frayeur que par la puissance des armes romaines. Élatée ferma ses portes, et la force seule semblait devoir la contraindre à recevoir dans ses murs le général romain et ses légions.
[32,19] La conférence de Sicyone (fin del'été 198)
(1) Le consul avait formé le siège d'Élatée, lorsqu'il vit briller l'espoir d'une conquête plus importante: c'était celle de la ligue Achéenne, qu'il fallait détacher de l'alliance de Philippe et faire entrer dans le parti de Rome. (2) Cycliadas, chef de la faction qui tenait pour le roi de Macédoine, venait d'être chassé. Le nouveau préteur était Aristaenus, qui conseillait de se joindre aux Romains. (3) La flotte romaine était mouillée à Cenchrées avec Attale et les Rhodiens, et tous de concert se disposaient à faire le siège de Corinthe. (4) Le consul jugea qu'avant de se jeter dans cette entreprise, il serait bon d'envoyer une ambassade aux Achéens pour leur promettre, s'ils passaient de Philippe aux Romains, qu'on ferait entrer Corinthe dans la ligue Achéenne. (5) D'après son conseil, les députés devaient parler au nom de son frère L. Quinctius, d'Attale, des Rhodiens et des Athéniens. Ce fut à Sicyone qu'on leur donna audience.
(6) Il n'y avait pas unité de vues parmi les Achéens. Ils craignaient le tyran de Lacédémone, dont les hostilités continuelles causaient chez eux de grands dommages; ils avaient peur de la puissance romaine; (7) ils étaient attachés aux Macédoniens par des bienfaits anciens et récents; mais le roi leur était suspect; ils connaissaient trop sa cruauté et sa perfidie (8) pour le juger d'après la conduite qu'il avait alors adoptée par circonstance, et ils prévoyaient bien qu'après la guerre ils trouveraient en lui un maître plus impérieux que jamais. (9) Non seulement on manquait de vues arrêtées, soit dans les sénats particuliers, soit dans l'assemblée générale de la nation; (10) mais chaque citoyen même, après y avoir réfléchi, n'était pas bien sûr de ce qu'il voulait, de ce qu'il souhaitait.
Ce fut au milieu de ces irrésolutions qu'ils donnèrent audience aux ambassadeurs et leur accordèrent la parole. (11) L'envoyé romain L. Calpurnius fut entendu le premier; après lui les députés du roi Attale, puis ceux des Rhodiens. (12) Les ambassadeurs de Philippe parlèrent ensuite. On entendit en dernier lieu les Athéniens, qui se chargèrent de réfuter les assertions des Macédoniens. Ils se livrèrent aux plus violentes invectives contre le roi; car aucun peuple n'en avait souffert de plus nombreux ni de plus sanglants outrages. (13) L'assemblée se sépara vers le coucher du soleil; les discours successifs de tous ces députés avaient occupé la journée entière.
[32,20] Intervention du préteur Aristaenus
(1) Le lendemain il y eut une nouvelle réunion: suivant l'usage établi chez les Grecs, le héraut invita au nom des magistrats ceux qui voudraient ouvrir un avis à prendre la parole; mais personne ne se présenta. Les Achéens se regardaient les uns les autres et un profond silence régna longtemps dans l'assemblée. (2) Cela n'avait rien d'étonnant. Si le choc de tant d'intérêts divers avait dû naturellement plonger les esprits dans une sorte de torpeur, tous ces discours consacrés pendant un jour entier à développer et à mettre en évidence les difficultés qu'on rencontrait de toutes parts n'avaient pu qu'augmenter l'embarras.
(3) Enfin le préteur de la ligue, Aristaenus, voulant empêcher qu'on se séparât sans avoir rien dit, s'écria: "Achéens, qu'est devenue cette chaleur qui vous animait au milieu des festins et dans les réunions, lorsqu'on venait à parler de Philippe et des Romains, et que vous vous portiez presque à des voies de fait? (4) Aujourd'hui, que vous êtes assemblés expressément pour cet objet, que vous avez entendu les députés des deux partis, que vos magistrats vous demandent une décision, que le héraut vous invite à parler, vous restez muets. (5) Si le salut commun ne vous touche point, l'intérêt particulier, qui fait pencher chacun de vous pour Philippe ou pour les Romains, ne peut-il vous arracher une parole? (6) Certes, il n'est ici personne qui soit assez absurde pour ignorer que le moment de se prononcer et d'ouvrir l'avis qu'on préfère ou qu'on juge le meilleur, est celui où rien n'est encore arrêté. Lorsqu'une fois on aura pris une résolution, il faudra que tout le monde, même ceux qui l'auront désapprouvée, la défende comme un pacte utile et salutaire."
(7) Cette allocution du préteur ne fit aucun effet: non seulement personne ne prit la parole, mais on n'entendit pas même le plus léger frémissement, le plus faible murmure dans une assemblée si nombreuse, composée de tant de peuples divers.
[32,21] Le préteur présente les arguments en faveur de l'alliance avec Rome
"(1) Chefs de la ligue Achéenne, reprit alors Aristaenus, vous n'avez assurément pas perdu ni le sens ni la parole; mais aucun de vous ne veut, à ses risques et périls, proposer une mesure d'intérêt public. Et moi aussi je garderais peut-être le silence si j'étais un homme privé; comme préteur, je pense, ou qu'il aurait fallu ne pas donner audience aux ambassadeurs, ou qu'on ne peut les congédier sans réponse. (2) Mais cette réponse, comment puis-je la faire sans un décret émané de vous? Tous appelés à cette assemblée, personne ne veut ou n'ose ouvrir un avis quelconque; eh bien! consultons les discours prononcés hier par les députés. (3) Pour nous former une opinion, supposons qu'ils n'ont point demandé ce qui était dans leurs intérêts, mais qu'ils nous conseillaient ce qu'ils jugeaient utile à notre cause."
"(4) Les Romains, les Rhodiens et Attale sollicitent notre alliance et notre amitié, et ils voudraient que, dans la guerre soutenue par eux contre Philippe, nous devinssions leurs auxiliaires. (5) Philippe nous rappelle l'alliance que nous avons faite avec lui et nos serments; tantôt il exige que nous nous rangions sous ses drapeaux; tantôt il se déclare content si nous restons neutres."
"(6) Personne n'a-t-il deviné pourquoi ceux qui ne sont pas encore nos alliés sont plus exigeants que notre allié même? Il ne faut attribuer cette différence ni à la modération de Philippe, ni à l'insolence des Romains: (7) ce sont les ports de l'Achaïe qui enhardissent les uns dans leurs demandes, et diminuent la confiance de l'autre. De Philippe nous ne voyons que l'ambassadeur; mais les Romains ont leur flotte mouillée à Cenchrées, étalant avec orgueil les dépouilles des villes de l'Eubée, et nous apercevons le consul au-delà du détroit qui nous sépare de lui, courant sans obstacle avec ses légions la Phocide et la Locride. (8) Et vous vous étonneriez de l'embarras qu'éprouve Cléomédon, l'envoyé de Philippe, pour nous engager à prendre les armes contre les Romains en faveur du roi?"
"(9) Mais si, en vertu de ce même traité et de ces serments, dont il nous a rappelé la sainteté, nous lui demandions que son maître nous protégeât également contre Nabis et les Lacédémoniens, et contre les Romains, loin de nous envoyer un secours pour nous sauver, il ne saurait même que nous répondre. (10) Non, il ne serait pas de meilleure foi que Philippe lui-même ne l'a été l'année dernière. Quand il promit de faire la guerre à Nabis, n'était-ce pas pour attirer notre jeunesse sous ses drapeaux et l'emmener en Eubée? (11) Mais voyant que nous lui refusions cet appui et que nous ne voulions pas nous engager dans sa querelle avec les Romains, il ne s'est pas inquiété de cette alliance qu'il fait valoir aujourd'hui, et il a laissé ravager et dévaster nos terres par Nabis et les Lacédémoniens."
"(12) Je dois l'avouer, le discours de Cléomédon m'a paru peu conséquent dans ses différentes parties. Il cherchait à diminuer l'importance de la guerre que les Romains faisaient à Philippe, et il assurait qu'elle aurait le même résultat que la précédente. (13) Pourquoi donc Philippe réclame-t-il de loin notre secours, plutôt que de venir en personne défendre d'anciens alliés contre Nabis et contre les Romains tout à la fois? Que dis-je d'anciens alliés? n'a-t-il pas laissé prendre Érétrie et Carystos, et toutes les villes de la Thessalie? et la Locride et la Phocide? (14) Aujourd'hui même ne voit-il pas avec indifférence le siége d'Élatée? Pourquoi a-t-il quitté les gorges de l'Épire et cette position inexpugnable sur les bords de l'Aoos, qui fermait l'entrée de ses états? Devait-il, par force, par crainte ou volontairement, abandonner le défilé qu'il occupait et se retirer au fond de la Macédoine? (15) Si c'est volontairement qu'il a livré tant d'alliés aux dévastations de l'ennemi, peut-il trouver mauvais que ses alliés songent aussi à leurs intérêts? Mais si c'est par crainte, il doit aussi excuser nos terreurs. S'il n'a reculé que par suite d'une défaite, comment nous autres Achéens résisterions-nous aux armes romaines, dites, Cléomédon, quand vous, Macédoniens, n'y avez pu résister?"
"(16) Faut-il croire, comme vous le dites, que les Romains ne déploient pas plus de troupes et plus d'énergie dans cette guerre que dans la précédente, quand nos yeux nous disent le contraire? (17) Précédemment, ils n'ont fait qu'aider les Étoliens de leur flotte; ils n'avaient pas à leur tête un consul; ils n'avaient point envoyé une armée consulaire; les alliés de Philippe tremblaient pour leurs villes maritimes et l'alarme régnait sur les côtes; mais à l'intérieur on redoutait si peu les armes romaines que Philippe put dévaster l'Étolie, qui implorait en vain les secours de Rome."
"(18) Aujourd'hui que les Romains sont débarrassés de la guerre punique, qui durant seize années déchira, pour ainsi dire, les entrailles de l'Italie, ce n'est pas un renfort qu'ils ont envoyé pour seconder les opérations militaires des Étoliens; ils se sont chargés eux-mêmes de conduire la guerre et ont attaqué la Macédoine par terre et par mer à la fois: (19) voilà déjà le troisième consul qui presse Philippe avec acharnement. Sulpicius lui a livré bataille au sein même de la Macédoine, l'a battu et mis en fuite; puis il a ravagé la plus riche partie de son royaume. (20) Aujourd'hui Quinctius l'a forcé dans les gorges de l'Épire, malgré les difficultés du terrain, les fortifications que le roi y avait élevées et le grand nombre de ses troupes; il l'a chassé de son camp, l'a poursuivi dans sa fuite jusqu'en Thessalie et s'est rendu maître, presque sous ses yeux, de ses garnisons et des villes de son parti."
"(21) Mais supposons qu'il n'y ait rien de vrai dans les reproches de cruauté, d'avarice et de débauche que les députés athéniens ont adressés naguère au roi; ne nous occupons pas des sacrilèges commis en Attique contre les dieux du ciel et des enfers; (22) laissons là les souffrances de Cios et d'Abydos, dont les habitants sont loin de nous. (23) Oublions, si vous le voulez, nos propres malheurs, les massacres et les pillages exercés à Messène au sein même du Péloponnèse; la mort de Caritélès, notre hôte de Cyparissia, égorgé dans un festin au mépris des droits et de la justice; l'assassinat des deux Aratus de Sicyone, le père et le fils, et surtout du premier, de cet infortuné vieillard que Philippe se plaisait à nommer son père; (24) enfin l'enlèvement de l'épouse du jeune Aratus, qu'il fit transporter en Macédoine pour assouvir sa passion."
"Oublions encore le déshonneur de tant de jeunes filles, de tant de mères; (25) admettons que nous n'avons pas affaire à Philippe, dont la cruauté vous épouvante au point de vous rendre tous muets: car je ne puis expliquer autrement votre silence lorsque vous êtes assemblés pour délibérer. Supposons que c'est avec Antigone, le plus doux et le plus juste des rois, et celui qui nous a rendu à tous le plus de services, que nous sommes en contestation. (26) Eh bien!, nous demanderait-il ce qu'il serait impossible de faire? Le Péloponnèse est une presqu'île, rattachée au continent par un isthme étroit; la guerre la plus facile à faire contre ce pays, celle à laquelle il est le plus exposé, c'est la guerre maritime. (27) S'il arrive que cent vaisseaux pontés, plus cinquante bâtiments légers, et trente bateaux isséens se mettent à ravager les côtes et à former le siège des villes situées presque sur le rivage, chercherons-nous un asile dans l'intérieur, comme si le feu de la guerre n'allait pas pénétrer à l'intérieur et n'embrasait pas le coeur même du pays? (28) Lorsque Nabis et les Lacédémoniens nous presseront du côté de la terre, et la flotte romaine du côté de la mer, comment pourrons-nous implorer la protection du roi et l'appui des Macédoniens? Réduits à nos propres forces, défendrons-nous contre les Romains les villes qui seront assiégées? Nous avons si bien défendu Dymè dans la guerre précédente! (29) Les désastres des autres peuples nous fournissent assez de leçons; ne cherchons pas à servir aussi de leçon aux autres."
"(30) N'allez pas, parce que les Romains viennent eux-mêmes demander votre amitié, dédaigner une alliance que vous deviez tant souhaiter et rechercher avec tant d'empressement. (31) C'est peut-être, dira-t-on, la crainte qu'ils éprouvent sur une terre étrangère, et le désir de se cacher à l'ombre de votre protection tutélaire, qui les force à se ménager un abri dans votre amitié, afin d'être admis dans vos ports et de s'assurer des provisions? (32) Eh quoi! ne sont-ils pas maîtres de la mer? Et ne leur suffit-il pas d'aborder un pays pour le soumettre aussitôt à leur puissance? Ce qu'ils vous demandent, ils peuvent vous l'imposer par la force; c'est parce qu'ils veulent vous épargner qu'ils ne permettent pas que vous vous exposiez à une perte certaine. (33) Cette neutralité, que Cléomédon vous représentait naguère comme un moyen terme et comme la mesure la plus sage que vous puissiez prendre, ce n'est pas un moyen terme, c'est une chose impossible. (34) Il nous faut, en effet, ou accepter, ou rejeter l'alliance des Romains; et d'ailleurs que deviendrons-nous, lorsque nous n'avons d'amis sûrs nulle part, ayant attendu les événements pour prendre conseil de la fortune? Nous ne pourrons qu'être la proie du vainqueur."
"(35) N'allez pas, je vous le répète, dédaigner, parce qu'on vous l'offre, une alliance que vous deviez appeler de tous vos voeux. Si vous avez aujourd'hui le choix entre ces deux alternatives, vous ne l'aurez pas toujours, et vous ne retrouverez pas souvent, vous ne trouverez bientôt plus une aussi belle occasion. (36) Il y a longtemps déjà que vous désirez vous séparer de Philippe, mais vous ne l'osez pas: eh bien! sans qu'il vous en coûte ni fatigue ni péril, voici des libérateurs qui ont passé la mer pour vous avec des flottes et des armées considérables. (37) Rejeter leur alliance, c'est faire acte de folie; mais il faut les avoir pour amis ou pour ennemis: choisissez."
[32,22] Les Achéens se prononcent pour l'alliance avec Rome
(1) Ce discours du préteur fut suivi d'un long murmure: les uns l'approuvaient, les autres s'emportaient sans ménagement contre ces approbations. (2) Bientôt ce ne fut plus une altercation d'homme à homme, mais de peuple à peuple. Les magistrats mêmes de la ligue, qu'on appelle damiurges et qui sont au nombre de dix, se livraient à de vifs débats entre eux à l'exemple de la multitude. (3) Cinq déclaraient qu'ils allaient proposer une alliance avec les Romains et recueillir les suffrages; les cinq autres invoquaient contre leurs collègues les termes de la loi qui défendaient aux magistrats de présenter, et à l'assemblée générale d'adopter, aucune proposition qui fût contraire au traité fait avec Philippe. La journée se passa encore tout entière en contestations.
(4) L'assemblée n'avait plus pour se décider qu'un seul jour: la loi exigeait en effet que tout décret fût rendu le troisième jour. L'animosité fut si vive que les pères portèrent presque les mains sur leurs enfants. (5) Un certain Pisias, de Pellène, avait pour fils un damiurge, nommé Memnon, l'un de ceux qui s'opposaient à ce qu'on lût le décret et à ce qu'on recueillît les suffrages. (6) Il le conjura longtemps de laisser aux Achéens la liberté de pourvoir à leur salut, l'engageant à renoncer à une opposition qui devait perdre toute sa nation. (7) Comme ses prières ne produisaient aucun effet, il fit serment de le traiter, non plus comme un fils, mais comme un ennemi, et de le poignarder de sa propre main. (8) Cette menace décida enfin le magistrat à se joindre le lendemain aux partisans de la délibération.
Ils se trouvèrent alors les plus nombreux et firent leur proposition. L'assemblée presque tout entière semblait disposée à y donner son assentiment, et il était facile de prévoir quel serait le résultat, (9) lorsque ceux de Dymè et de Mégalopolis, ainsi que quelques Argiens, se levèrent avant que le décret fût rendu et quittèrent l'assemblée sans que leur départ excitât la moindre surprise, ni le moindre murmure de désapprobation. (10) Les Mégalopolitains, chassés jadis de leur patrie par les Lacédémoniens, y avaient été rétablis par Antigone; quant aux Dyméens, naguère, après la prise et le pillage de leur ville par l'armée romaine, Philippe les avait fait racheter partout où l'esclavage les avait dispersés, et leur avait rendu tout à la fois leur liberté et leur patrie. (11) Enfin les Argiens croyaient que les rois de Macédoine étaient originaires de leur pays, et d'ailleurs la plupart d'entre eux étaient personnellement unis à Philippe par les liens de l'hospitalité ou par ceux d'une étroite familiarité. (12) Tels furent les motifs qui les décidèrent à sortir d'une assemblée qui était disposée à faire alliance avec Rome; et leur retraite parut justifiée par les obligations signalées et toutes récentes qu'ils avaient aux rois de Macédoine.
[32,23] Échec des alliés devant Sicyone
(1) Les autres peuples de la ligue achéenne, appelés à donner leurs suffrages, confirmèrent sur-le-champ par un décret l'alliance avec Attale et les Rhodiens/ (2) Le traité avec les Romains, ne pouvant être ratifié sans un plébiscite, fut ajourné à l'époque où l'on pourrait envoyer des ambassadeurs à Rome. (3) Pour le moment, on résolut que trois députés se rendraient auprès de L. Quinctius et que toute l'armée de la ligue marcherait sur Corinthe. Le général romain avait pris Cenchrées et assiégeait déjà la ville même.
(4) Les Achéens établirent leur camp en face de la porte qui conduit à Sicyone; les Romains pressaient la place du côté de Cenchrées, et Attale, qui avait fait passer l'isthme à ses troupes, dirigeait ses attaques du côté du port de Léchaeum, situé sur l'autre mer. On déploya d'abord peu de vigueur; on espérait qu'une sédition éclaterait à l'intérieur entre les habitants et la garnison du roi. (5) Mais ils étaient tous animés d'un même esprit; les Macédoniens défendaient la ville comme leur commune patrie, et les Corinthiens obéissaient au commandant de la garnison, Androsthénès, comme ils eussent obéi â un de leurs concitoyens investi par leurs suffrages d'une autorité légitime.
Les assiégeants virent donc qu'ils n'avaient plus d'espoir que dans la force de leurs armes et l'activité de leurs travaux. (6) Ils élevèrent sur plusieurs points des terrasses pour rendre l'accès des remparts plus facile. (7) Bientôt le bélier eut ouvert une brèche du côté où les Romains battaient la muraille. Ce point se trouvait aussi sans défense. Les Macédoniens accoururent pour le protéger de leurs armes, et engagèrent avec les Romains une lutte acharnée. (8) La supériorité du nombre leur permit d'abord de repousser sans peine l'ennemi; mais les Romains, s'étant fortifiés du secours des Achéens et d'Attale, rétablirent le combat, et ils auraient, sans aucun doute, débusqué facilement de leurs positions les Macédoniens et les Grecs, (9) s'ils n'eussent été arrêtés par les transfuges italiens qui étaient en grand nombre dans la place. Les uns étaient passés de l'armée d'Hannibal dans les rangs des Macédoniens, parce qu'ils redoutaient la vengeance des Romains; les autres étaient des soldats de marine, qui avaient naguère abandonné leurs vaisseaux pour accepter un service dont ils espéraient plus d'honneur. Tous savaient qu'ils n'avaient point de salut à attendre si les Romains étaient vainqueurs, et cette pensée leur inspirait plutôt de la rage que de l'audace.
(10) Vis-à-vis de Sicyone est un promontoire consacré à Junon Acraea; il s'avance assez loin dans la mer et n'est séparé de Corinthe que par un trajet de sept mille pas environ. (11) Philoclès, l'un des lieutenants de Philippe, y conduisit quinze cents soldats par la Béotie. Il y trouva des barques venues de Corinthe pour recevoir ce renfort et le transporter à Léchaeum. (12) Attale conseilla alors de brûler les ouvrages qu'on avait élevés et de renoncer aussitôt au siège. Quinctius n'en montra, au contraire, que plus de fermeté et de persévérance. Mais quand il vit les renforts du roi établis en avant de toutes les portes, et la difficulté qu'on aurait à soutenir les sorties des assiégés, il adopta l'avis d'Attale. (13) Ce fut donc un échec. On congédia les Achéens et l'on se remit en mer; Attale fit voile vers le Pirée, les Romains vers Corcyre.
[32,24] Reddition d'Élatée, assiégée par l'armée consulaire
(1) Tandis que ces opérations occupaient l'armée navale, le consul, qui était en Phocide et campait devant Élatée, eut des pourparlers avec les principaux de la ville pour les engager à se soumettre. (2) Ceux-ci lui répondirent qu'ils ne pouvaient rien et que la garnison royale était plus nombreuse et plus forte que les habitants. Il fit alors commencer les travaux de siège sur tous les points et donner un assaut général. (3) Aux premiers coups de bélier toute la partie du mur qui s'étendait entre deux tours s'écroula avec un fracas épouvantable et laissa la place à découvert. Aussitôt une cohorte romaine s'élança par la brèche qui venait d'être pratiquée. (4) De leur côté les assiégés, abandonnant leurs postes, accoururent de tous les points de la ville vers l'endroit que menaçait l'ennemi. (5) Mais pendant qu'une partie des Romains franchissait les ruines du mur, les autres dressaient des échelles contre les remparts qui étaient encore debout, et, profitant de ce que l'attention des ennemis était concentrée tout entière sur une seule attaque, ils escaladèrent le mur en plusieurs endroits et descendirent dans la ville l'épée à la main.
(6) À la nouvelle de cette surprise, les assiégés s'effrayèrent, quittèrent le poste où ils s'étaient réunis en masse et s'enfuirent en désordre vers la citadelle, suivis d'une multitude sans armes. Le consul, resté ainsi maître d'Élatée, (7) la livra au pillage; puis il envoya offrir aux Macédoniens la vie sauve, s'ils voulaient se retirer en livrant leurs armes, et aux habitants la liberté. Sa parole suffit, et peu de jours après il prit possession de la citadelle.
[32,25] Argos passe sous l'autorité macédonienne
(1) Cependant l'arrivée de Philoclès, lieutenant du roi en Achaïe, n'avait pas seulement fait lever le siège de Corinthe; elle avait engagé quelques-uns des principaux Argiens à lui livrer leur ville, après avoir sondé les dispositions du peuple. (2) C'était l'usage à Argos que, le jour des comices, les magistrats proclamassent d'abord, à titre d'heureux présage, les noms de Jupiter, d'Apollon et d'Hercule; et, depuis, une loi avait ordonné d'ajouter à ces noms celui de Philippe. (3) Mais, lorsque la ville eut fait alliance avec les Romains, le héraut crut devoir omettre le nom du roi. Des murmures éclatèrent alors dans l'assemblée; (4) bientôt mille voix répétèrent ce nom et réclamèrent pour le prince l'honneur que la loi lui avait accordé. Philippe fut enfin nommé au milieu d'applaudissements unanimes.
(5) Ce fut sur la foi de cet enthousiasme que les principaux Argiens mandèrent Philoclès. Ce lieutenant arriva la nuit, s'empara d'une hauteur nommée le fort de Larissa, qui domine la ville, et y mit garnison. Dès le point du jour il descendait, enseignes déployées, vers le Forum, situé au bas de l'éminence, lorsqu'il vit un corps ennemi qui marchait à sa rencontre. (6) C'était la garnison achéenne, récemment établie à Argos; elle se composait d'environ cinq cents jeunes gens, l'élite de toutes les cités de la ligue, commandés par Aenesidémus, de Dymè. (7) Philoclès leur envoya l'ordre de sortir de la ville. Incapables de résister aux Argiens seuls, qui avaient embrassé le parti des Macédoniens, ils pourraient encore moins, leur disait-il, tenir tête aux Argiens et aux Macédoniens réunis, puisque les Romains eux-mêmes avaient reculé devant ces derniers à Corinthe.
Ces paroles ne firent d'abord aucun effet ni sur les chefs ni sur les soldats. (8) La vue même des Argiens, qui arrivaient en grand nombre et les armes à la main du côté opposé, la certitude de succomber ne les eût pas empêchés de braver tous les hasards, si leur commandant eût partagé leur résolution. (9) Mais Aenesidémus ne voulut pas perdre, en même temps que la ville, cette élite de la jeunesse achéenne. Il traita avec Philoclès, obtint que ses soldats pourraient se retirer et resta lui-même sous les armes avec quelques amis dévoués au poste où il s'était arrêté. (10) Philoclès lui envoya demander alors quelles étaient ses intentions. Pour toute réponse l'Achéen se couvrit d'abord de son bouclier et se tint immobile; puis il s'écria "qu'il mourrait les armes à la main dans la place où il avait été chargé de tenir garnison." Aussitôt les Thraces reçurent ordre de l'attaquer à coups de traits, et il périt avec tous les siens.
(11) Ainsi, malgré l'alliance conclue entre les Achéens et les Romains, deux des villes les plus considérables de la ligue, Argos et Corinthe, tombèrent au pouvoir du roi de Macédoine. (12) Telles furent les opérations des Romains en Grèce sur terre et sur mer pendant cette campagne.
[32,10] Vaine tentative de Philippe pour instaurer la paix (deuxième quinzaine de juin 198)
(1) Quarante jours s'écoulèrent sans que les Romains atteignissent l'ennemi qui était en leur présence. Cette inaction donna à Philippe l'espoir d'obtenir la paix par l'entremise des Épirotes. (2) Il tint conseil à ce sujet et choisit pour négociateurs le général Pausanias et le commandant de la cavalerie Alexandre. Ces deux officiers ménagèrent une entrevue entre le consul et le roi sur les bords de l'Aoos, à l'endroit où les rives de ce fleuve sont le plus resserrées. (3) Le consul exigeait que le roi retirât ses garnisons des cités libres; qu'il rendît aux peuples dont il avait pillé le territoire et les villes, les objets qu'on aurait encore en nature, et que, pour les autres, il en payât la valeur d'après les évaluations d'experts.
(4) Philippe voulait qu'on établit des distinctions entre les cités. "Il s'engageait à délivrer celles qui étaient sa conquête propre; mais il ne pouvait renoncer à la possession héréditaire et légitime de celles que lui avaient laissées ses ancêtres. (5) Pour les états avec lesquels il avait été en guerre et qui avaient à se plaindre de quelques dommages, il offrait une réparation déterminée par tel peuple neutre qu'ils choisiraient." (6) Le consul répondit "qu'il n'était besoin pour cela ni d'arbitre ni de juge. Pouvait-on douter que tous les torts ne fussent du côté de celui qui avait commencé les hostilités? Philippe n'avait été attaqué par personne, et c'était lui qui, partout, avait été l'agresseur." (7) Lorsqu'il fut question de désigner les états qui seraient rendus à la liberté, le consul nomma d'abord la Thessalie. Le roi ne put maîtriser son indignation et s'écria: "Quelle condition plus dure m'imposeriez-vous, T. Quinctius, si j'étais vaincu? " Puis il sortit brusquement. (8) La bataille se serait engagée aussitôt à coups de traits, si le fleuve n'eût séparé les deux armées.
(9) Le lendemain les avant-postes s'attaquèrent: plusieurs escarmouches se livrèrent d'abord dans une plaine dont l'étendue admettait ces sortes d'actions; (10) bientôt les troupes royales s'étant repliées dans des gorges étroites et rocailleuses, les Romains, emportés par l'ardeur du combat, y pénétrèrent aussi. (11) Ils avaient pour eux la tactique, la discipline militaire et les armes qui conviennent dans la lutte corps à corps; l'ennemi avait pour lui l'avantage de la position et le secours des catapultes et des machines installées sur presque tous les rochers comme sur les murs d'une ville. (12) Il y eut de part et d'autre un grand nombre de blessés; on compta même quelques morts, comme dans une action régulière. La nuit mit fin au combat.
[32,11] Une légion romaine part dans la montagne sous la conduite d'un berger épirote
(1) Les choses en étaient là quand un pâtre, envoyé par Charopus, chef des Épirotes, se présenta devant le consul. (2) "Il faisait paître, dit-il, ses troupeaux dans le défilé où était assis le camp du roi; il connaissait toutes les gorges et tous les sentiers des montagnes. (3) Si on voulait lui confier quelques hommes, il les conduirait par un chemin sûr et facile à une hauteur d'où l'on dominait les ennemis."
(4) Prévenu, le consul envoie demander à Charopus s'il est d'avis que, dans une affaire si grave, il puisse se fier à un pâtre. Il le peut, répond Charopus, mais en ne se livrant point à la merci du pâtre et en restant maître des événements. (5) Quinctius voulait plus qu'il n'osait: l'espérance et la crainte se partageaient son coeur. L'autorité de Charopus fixa ses irrésolutions; il se décida à tenter la chance qu'on lui offrait. (6) Afin d'éloigner tout soupçon de l'ennemi, il ne cessa, les deux jours suivants, de le harceler sur tous les points: ses soldats étaient en ordre de bataille et des troupes fraîches remplaçaient continuellement celles qui étaient fatiguées.
(7) Puis il fit choix de quatre mille hommes de pied et de trois cents chevaux. Le tribun des soldats, qui commandait ce détachement, avait ordre de se porter en avant avec la cavalerie, tant qu'il le pourrait. Dès que les chemins seraient impraticables aux chevaux, il devait chercher un terrain uni et les y poster; puis suivre avec l'infanterie, la route indiquée par le guide; (8) et lorsque, suivant la promesse du pâtre, on serait parvenu au-dessus des ennemis, employer la fumée pour signal, et attendre pour pousser le cri du combat que le consul eût répondu et lui eût fait connaître que l'action était engagée. (9) On ne devait marcher que la nuit, il faisait alors clair de lune: le jour on prendrait la nourriture et le repos nécessaire. De brillantes promesses furent faites au guide, s'il tenait parole; cependant il fut remis enchaîné au tribun. (10) Après avoir ainsi congédié le détachement, le consul redoubla d'efforts pour enlever les positions des Macédoniens.
[32,12] Victoire romaine (25 juin 198)
(1) Cependant, au bout de trois jours, les Romains avaient gagné la hauteur vers laquelle ils s'étaient dirigés, et ils l'occupaient: ils en avertirent le consul par les signaux convenus. Celui-ci partagea ses troupes en trois corps et s'avança par le milieu de la vallée avec le centre de l'armée; les deux ailes devaient attaquer le camp à droite et à gauche. Les ennemis ne marchèrent pas avec moins de résolution: (2) emportés par une ardeur belliqueuse, ils sortirent de leurs retranchements. Mais bientôt la valeur, la tactique et la supériorité des armes assurèrent l'avantage aux Romains. (3) Aussi les Macédoniens, ayant beaucoup de blessés et de morts, rentrèrent dans leurs positions fortifiées par l'art ou la nature; et tout le danger fut pour les Romains, qui s'étaient avancés témérairement dans des lieux défavorables et des défilés où la retraite n'était pas facile.
(4) Leur imprudence ne serait pas restée impunie, si les cris que les soldats du roi entendirent derrière eux et l'attaque qui commença aussitôt n'eussent troublé leurs esprits d'une terreur soudaine. (5) Les uns s'enfuirent en désordre; les autres soutinrent le combat moins par courage que faute d'issues pour s'échapper; mais, pressés par l'ennemi en tête et en queue, ils furent bientôt enveloppés. (6) L'armée entière pouvait être anéantie, si les vainqueurs eussent poursuivi les fuyards; (7) mais la cavalerie fut arrêtée par les défilés et la difficulté des lieux, l'infanterie par le poids de ses armes. (8) Le roi s'enfuit d'abord à toute bride sans regarder en arrière: au bout de cinq milles, pensant, avec raison, que l'ennemi n'avait pu le suivre par ces chemins presque impraticables, il fit halte sur une éminence et envoya des officiers dans toutes les directions pour visiter les collines et les vallées, et rallier les fuyards.
(9) Il ne perdit pas plus de deux mille hommes; le reste de l'armée se réunit en un seul corps, comme si on eût marché sous un même étendard, et se dirigea en masse vers la Thessalie. (10) Les Romains, après avoir poursuivi les vaincus, tant qu'ils avaient pu le faire sans danger, massacrant ceux qu'ils atteignaient et les dépouillant ensuite, revinrent piller le camp du roi, où ils n'entrèrent qu'avec peine, bien qu'il ne fût pas défendu. Puis ils passèrent la nuit dans leur propre camp.
[32,13] Philippe ravage la Thessalie. Révolte des Étoliens (été 198)
(1) Le lendemain, le consul continua la poursuite en s'engageant dans l'étroite vallée où le fleuve s'est creusé un lit. (2) Philippe était arrivé le premier jour au camp de Pyrrhus; l'endroit qu'on appelle ainsi est situé dans la Triphylie des Molosses. Le jour suivant, pressé par la crainte, il fit une marche forcée et gagna la chaîne du Lyncon: (3) ce sont des montagnes d'Épire qui s'étendent entre la Macédoine et la Thessalie. Le versant oriental descend vers la Thessalie, le versant septentrional fait face à la Macédoine. Elles sont couvertes de forêts épaisses, mais leurs sommets les plus élevés offrent de vastes plaines et des sources d'eaux vives.
(4) Le roi y établit ses quartiers pour quelques jours, ne sachant s'il irait directement s'enfermer dans son royaume ou s'il essaierait de rentrer en Thessalie. (5) Il se décida enfin à descendre en Thessalie avec son armée et gagna Tricca par le chemin le plus court; puis il parcourut rapidement les villes qui se trouvaient sur son passage, (6) entraînant avec lui ceux qui étaient en état de le suivre, incendiant les places fortes, laissant aux habitants la liberté d'emporter avec eux tout ce qu'ils pouvaient prendre de leurs effets, et abandonnant le reste au pillage de ses soldats. (7) En un mot tout ce qu'on pouvait éprouver de plus cruel de la part d'un ennemi, Philippe ne l'épargna point à ses alliés. (8) Il souffrait lui-même de se livrer à de pareils excès; mais ce pays allait bientôt appartenir aux Romains, et il voulait au moins ne pas y laisser à leur merci les personnes de ses alliés. (9) Ce fut ainsi qu'il dévasta les places de Phacium, d'Iresia, d'Euhydrium, d'Érétrie et de Pharsale-laVieille. II se présenta sous les murs de Phères, qui lui ferma ses portes; comme il fallait du temps pour la forcer, et qu'il était pressé, il renonça à cette entreprise et passa en Macédoine, car on disait que les Étoliens aussi la menaçaient.
(10) À la nouvelle du combat livré sur les bords de l'Aoos, ils avaient d'abord ravagé les terres voisines qui s'étendent aux environs de Sperchia et du lieu appelé le Long-Bourg; puis entrant en Thessalie, ils emportèrent du premier assaut Ctiménès et Angéia. (11) Ils poussèrent jusqu'à Métropolis, en dévastant les campagnes; mais les habitants accoururent pour défendre leurs murailles, et les Étoliens furent repoussés. De là ils allèrent attaquer Callithéra; ils soutinrent avec plus de fermeté le choc des assiégés (12) qui avaient fait une sortie, les rejetèrent dans l'enceinte des murs; se bornant à ce succès, parce qu'ils ne pouvaient espérer de se rendre maîtres de la place, ils se retirèrent, prirent les bourgs de Teuma et de Célathara qu'ils livrèrent au pillage, (13) reçurent la soumission d'Acharrae, (14) et par la terreur de leurs armes forcèrent les habitants de Xyniae à s'enfuir.
Cette troupe d'exilés rencontra le détachement qui allait tenir garnison à Thamuaci pour assurer les approvisionnements et qui massacra impitoyablement cette multitude confuse d'hommes sans armes, entremêlés de femmes et d'enfants. Xynia, qui était déserte, fut livrée au pillage. Puis les Étoliens prirent le château fort de Cyphère, dont la position avantageuse domine la Dolopie. (15) Tout cela fut l'ouvrage de quelques jours. Amynander et les Athamans ne restèrent pas non plus en repos, lorsqu'ils eurent appris la victoire des Romains.
[32,14] Les alliés se rendent maîtres de la Thessalie
(1) Amynander, qui n'avait pas une grande confiance dans ses soldats, demanda au consul un léger renfort et marcha sur Gomphi. Sur sa route il emporta d'assaut la place forte de Phaeca, située entre Gomphi et l'étroit défilé qui sépare la Thessalie de l'Athamanie. (2) Ensuite il attaqua Gomphi dont les habitants se défendirent quelques jours avec beaucoup de vigueur; mais quand il eut dressé ses échelles le long des murs, la crainte les contraignit à se rendre. (3) La soumission de cette ville répandit une grande terreur en Thessalie, et l'on vit capituler successivement les garnisons d'Argenta, de Phérinium, de Timarum, de Lyginae, de Stymon, de Lampsum et d'autres places voisines moins connues.
(4) Tandis que les Athamans et les Étoliens venaient, sans rien craindre du côté de la Macédoine, recueillir le fruit de la victoire des Romains, et que la Thessalie était ravagée par trois armées à la fois, sans pouvoir distinguer ses ennemis de ses alliés, (5) le consul franchit le défilé que la fuite de Philippe avait ouvert devant lui, et pénétra en Épire. Il savait bien que les Épirotes, à l'exception de Charopus leur chef, n'avaient pas embrassé son parti; (6) mais voyant que le désir de réparer leurs torts les faisait redoubler d'efforts pour exécuter ses ordres, il eut plus égard à leurs dispositions présentes que passées, et la facilité même avec laquelle il leur pardonna lui concilia tous les coeurs pour l'avenir.
(7) Il envoya ensuite des dépêches à Corcyre pour que les bâtiments de transport vinssent mouiller dans le golfe d'Ambracie, poursuivit sa marche à petites journées et alla camper au bout de quatre jours sur le mont Cercétius où il se fit rejoindre par Amynander et ses Athamans; (8) non qu'il eût besoin de son secours, mais il voulait le prendre pour guide en Thessalie. Ce fut dans le même but qu'il reçut au nombre de ses auxiliaires la plupart des Épirotes qui s'offrirent à lui volontairement.
[32,15] Prise de Phaloria; reddition d'autres villes thessaliennes
(1) La première ville de Thessalie qu'il attaqua fut Phaloria. Elle avait pour garnison deux mille Macédoniens, qui se défendirent avec beaucoup de vigueur, tant qu'ils eurent des armes et que les murailles purent les protéger. (2) Mais le consul, persuadé que la soumission du reste de la Thessalie dépendait du succès de cette première entreprise, pressa le siège jour et nuit sans relâche, et ses efforts triomphèrent de la résistance des Macédoniens. (3) Après la prise de Phaloria, il reçut les députés de Métropolis et de Ciérium qui envoyaient offrir leur soumission et demander grâce: il leur pardonna, mais il incendia Phaloria et la livra au pillage. (4) Puis il marcha sur Égine; mais voyant que cette place, bien que défendue par une faible garnison, était presque imprenable, il fit lancer seulement quelques traits sur le poste le plus avancé et tourna vers Gomphi. (5) Il descendit dans les plaines de la Thessalie, où bientôt son armée manqua de tout, parce qu'il avait ménagé les terres des Épirotes. Il s'assura donc d'abord si c'était à Leucade ou dans le golfe d'Ambracie que ses bâtiments de transport étaient mouillés; et quand il sut que c'était près d'Ambracie, il envoya tour à tour chaque cohorte pour s'approvisionner.
(6) La route qui mène de Gomphi à Ambracie est embarrassée et difficile, mais très courte. (7) Peu de jours suffirent pour transporter les provisions de la mer au camp et y ramener l'abondance. (8) Le consul partit ensuite pour Atrax, qui est à dix milles environ de Larissa: les habitants sont originaires de la Perrhébie; la ville est située sur les bords du Pénée. (9) Les Thessaliens ne s'effrayèrent pas à l'approche des Romains: si Philippe n'osait pas s'avancer dans leur pays, il avait établi son camp dans la vallée de Tempé, et il envoyait à l'occasion des secours sur tous les points menacés par l'ennemi.
[32,16] Entrée en action de la marine de guerre; attaque d'Érétrie (mai 198)
(1) À peu près au moment où le consul alla prendre pour la première fois position en face de Philippe dans les gorges de l'Épire, (2) son frère L. Quinctius, à qui le sénat avait confié le commandement de la flotte et la défense des côtes, aborda à Corcyre avec deux quinquérèmes; (3) mais apprenant que la flotte était partie, il remit aussitôt à la voile. Arrivé dans l'île de Samè, il renvoya L. Apustius, dont il était le successeur, (4) et se dirigea vers le cap Malée, mais avec lenteur, obligé souvent de traîner à la remorque les navires chargés des provisions. (5) Il quitta bientôt le cap Malée avec trois quinquérèmes légères, laissant au reste de la flotte l'ordre de le suivre avec toute la diligence possible, et il arriva le premier au Pirée, où il trouva les vaisseaux que le lieutenant L. Apustius y avait laissés pour la défense d'Athènes.
(6) Dans le même temps deux flottes partirent d'Asie, l'une de vingt-quatre quinquérèmes avec le roi Attale, l'autre de vingt vaisseaux pontés fournis par les Rhodiens et commandée par Acésimbrotos. (7) Elles opérèrent leur jonction à la hauteur d'Andros, et firent voile vers l'Eubée, qui n'est séparée de cette île que par un petit bras de mer. (8) Elles ravagèrent d'abord le territoire de Carystos; mais un renfort envoyé de Chalcis en toute hâte ayant mis la place à l'abri d'une surprise, elles s'approchèrent d'Érétrie. (9) L. Quinctius, apprenant l'arrivée du roi Attale, les rejoignit près de cette ville avec les bâtiments qui étaient dans le Pirée et laissa pour sa flotte, qui devait arriver dans ce port, l'ordre de cingler vers l'Eubée.
(10) Érétrie fut vivement pressée. Outre que les navires des trois flottes réunies avaient à bord toutes les machines de guerre et tous les instruments propres à battre une place, les campagnes voisines fournissaient assez de matériaux pour construire de nouveaux ouvrages. (11) Les assiégés se défendirent d'abord avec courage; enfin, épuisés de fatigues, couverts de blessures et voyant une partie de leurs murs renversés par les travaux de l'ennemi, ils songèrent à se rendre. (12) Mais il y avait dans la ville une garnison macédonienne qu'ils redoutaient autant que les Romains.
Philoclès, lieutenant de Philippe, leur faisait savoir de Chalcis qu'il arriverait à propos à leur secours, s'ils prolongeaient le siège. (13) Cette alternative de craintes et d'espérances les obligea de chercher à gagner plus de temps qu'ils n'auraient voulu et qu'ils ne le pouvaient; (14) mais quand ils apprirent que Philoclès avait été repoussé et qu'il était rentré en désordre à Chalcis, ils envoyèrent implorer la pitié et la protection d'Attale. (15) L'attente de la paix leur fit négliger le soin de la défense: ils se contentèrent d'établir des postes à l'endroit où la brèche était ouverte et ne s'occupèrent point du reste des remparts. Quinctius dirigea donc pendant la nuit une attaque du côté qui était le moins surveillé, et entra dans la place par escalade.
(16) Tous les habitants se réfugièrent en foule dans la citadelle avec leurs femmes et leurs enfants, et bientôt ils capitulèrent. On ne trouva que peu d'or et d'argent; (17) mais le nombre des statues, des tableaux peints par d'anciens maîtres et des chefs-d'oeuvre de toute espèce fut très considérable pour une ville de cette étendue et de cette importance.
[32,17] Prise de Carystos. Le consul attaque vainement Atrax
(1) On retourna ensuite vers Carystos; mais les habitants n'attendirent pas que les troupes fussent débarquées; ils abandonnèrent la ville et se réfugièrent en foule dans la citadelle. (2) De là ils envoyèrent implorer la merci des Romains. On accorda sur-le-champ la vie et la liberté aux Carystiens; quant aux Macédoniens, on exigea, pour les laisser partir, une somme de trois cents pièces d'or par tête et la remise de leurs armes. (3) Ils payèrent cette rançon, furent désarmés et transportés en Béotie. La flotte, qui venait de prendre en si peu de jours deux villes importantes de l'Eubée, doubla le cap Sounion en Attique, et aborda au port de Cenchrées, l'un des entrepôts de Corinthe.
(4) Cependant le consul voyait le siège d'Atrax traîner en longueur et devenir plus meurtrier qu'on ne le pensait: c'est au moment où il s'y était le moins attendu qu'il rencontrait le plus de résistance. (5) Il avait cru en effet que toute la difficulté serait d'abattre le mur, et qu'une fois la brèche ouverte aux soldats, on n'aurait plus qu'à poursuivre et à massacrer des fuyards, comme il arrive ordinairement dans les villes prises d'assaut. (6) Mais lorsque les béliers eurent abattu un pan de murailles et que les Romains furent entrés dans la ville par la brèche même, il leur fallut commencer pour ainsi dire un nouveau travail, comme s'ils n'eussent rien fait.
(7) Les Macédoniens qui formaient la garnison étaient nombreux et tous gens d'élite. Persuadués qu'il serait très glorieux pour eux de défendre la ville par leurs bras et leur valeur plutôt qu'à l'abri des murailles, (8) ils se réunirent en masse, formèrent sur plusieurs rangs de profondeur un bataillon impénétrable, et lorsqu'ils virent que les Romains avaient franchi la brèche, ils les attaquèrent au milieu des décombres où la retraite était difficile et les repoussèrent. (9) Le consul fut vivement irrité. Cet affront pouvait non seulement retarder la prise d'une seule ville, mais influer sur l'issue de la guerre, qui dépendait souvent des circonstances les plus légères. (10) Il fit donc déblayer la place, qui était embarrassée des décombres de la muraille, et avancer une tour très élevée, à plusieurs étages, renfermant un grand nombre de soldats; (11) puis il envoya ses cohortes l'une après l'autre contre la phalange macédonienne pour l'enfoncer, s'il était possible.
(12) Mais l'ouverture étroite que présentait la brèche faite au mur était favorable au genre d'armes et à la tactique de l'ennemi. (13) Ses rangs serrés étaient hérissés d'une forêt de longues sarisses, et la masse compacte de ses boucliers formait comme une tortue contre laquelle les Romains lancèrent en vain leurs petits javelots. Ils tirèrent ensuite l'épée, (14) mais ils ne pouvaient approcher des Macédoniens et couper leurs sarisses. S'ils parvenaient à en couper ou à en briser quelques-unes, ces tronçons aigus s'arrêtaient au milieu des fers de celles qui restaient entières et comblaient pour ainsi dire les vides. (15) Puis la partie du mur qui n'était pas renversée couvrait à droite et à gauche les flancs des Macédoniens, et ils n'avaient pas un long espace à parcourir pour se replier ou pour charger, mouvements qui mettent presque toujours le désordre dans les rangs. (16) Une circonstance fortuite vint encore ranimer leur courage. Tandis qu'on faisait avancer la tour sur la plate-forme, dont le sol n'était pas bien affermi, (17) une des roues s'enfonça dans une ornière profonde et fit pencher la tour au point que l'ennemi crut qu'elle allait tomber et que les Romains qui étaient montés éprouvèrent un moment de vertige.
[32,18] Combats en Phocide
(1) Le consul voyait tous ses efforts inutiles, et ce ne fut pas sans un vif déplaisir qu'il entendit faire une comparaison défavorable à ses soldats et à leurs armes. (2) Il ne voyait d'ailleurs aucune espérance prochaine de réduire la place, aucun moyen d'hiverner loin de la mer, dans un pays ruiné par les maux de la guerre. (3) Il renonça donc au siège, et comme toute la côte de l'Acarnanie et de l'Étolie ne lui offrait point de port assez spacieux pour recevoir en même temps tous les bâtiments de transport chargés des provisions de l'armée et fournir des quartiers d'hiver à ses légions, (4) il alla s'établir dans Anticyre, ville de Phocide, sur le golfe corinthien, dont la situation lui parut la plus conforme à ses vues, (5) et qui, sans trop l'éloigner de la Thessalie et des postes ennemis, avait en face le Péloponnèse, qui n'en était séparé que par un petit bras de mer, par derrière l'Étolie et l'Acarnanie, à droite et à gauche, la Locride et la Béotie. (6) En Phocide il emporta d'emblée, sans combat, la ville de Phanotée.
Le siège d'Anticyre ne l'arrêta pas longtemps. Il reprit ensuite Ambrysus et Hyampolis. (7) Daulis, située sur une éminence très élevée, n'avait rien à craindre d'une escalade ou d'un siège régulier. (8) À force de harceler la garnison à coups de traits, les Romains l'attirèrent hors des murs; puis fuyant ou revenant à la charge tour à tour, et engageant des escarmouches sans résultat, ils leur inspirèrent un tel mépris et une telle sécurité, qu'un jour enfin ils les repoussèrent jusqu'aux portes et se précipitèrent pêle-mêle avec eux dans la ville. (9) Six autres places moins connues de la Phocide capitulèrent plutôt par frayeur que par la puissance des armes romaines. Élatée ferma ses portes, et la force seule semblait devoir la contraindre à recevoir dans ses murs le général romain et ses légions.
[32,19] La conférence de Sicyone (fin del'été 198)
(1) Le consul avait formé le siège d'Élatée, lorsqu'il vit briller l'espoir d'une conquête plus importante: c'était celle de la ligue Achéenne, qu'il fallait détacher de l'alliance de Philippe et faire entrer dans le parti de Rome. (2) Cycliadas, chef de la faction qui tenait pour le roi de Macédoine, venait d'être chassé. Le nouveau préteur était Aristaenus, qui conseillait de se joindre aux Romains. (3) La flotte romaine était mouillée à Cenchrées avec Attale et les Rhodiens, et tous de concert se disposaient à faire le siège de Corinthe. (4) Le consul jugea qu'avant de se jeter dans cette entreprise, il serait bon d'envoyer une ambassade aux Achéens pour leur promettre, s'ils passaient de Philippe aux Romains, qu'on ferait entrer Corinthe dans la ligue Achéenne. (5) D'après son conseil, les députés devaient parler au nom de son frère L. Quinctius, d'Attale, des Rhodiens et des Athéniens. Ce fut à Sicyone qu'on leur donna audience.
(6) Il n'y avait pas unité de vues parmi les Achéens. Ils craignaient le tyran de Lacédémone, dont les hostilités continuelles causaient chez eux de grands dommages; ils avaient peur de la puissance romaine; (7) ils étaient attachés aux Macédoniens par des bienfaits anciens et récents; mais le roi leur était suspect; ils connaissaient trop sa cruauté et sa perfidie (8) pour le juger d'après la conduite qu'il avait alors adoptée par circonstance, et ils prévoyaient bien qu'après la guerre ils trouveraient en lui un maître plus impérieux que jamais. (9) Non seulement on manquait de vues arrêtées, soit dans les sénats particuliers, soit dans l'assemblée générale de la nation; (10) mais chaque citoyen même, après y avoir réfléchi, n'était pas bien sûr de ce qu'il voulait, de ce qu'il souhaitait.
Ce fut au milieu de ces irrésolutions qu'ils donnèrent audience aux ambassadeurs et leur accordèrent la parole. (11) L'envoyé romain L. Calpurnius fut entendu le premier; après lui les députés du roi Attale, puis ceux des Rhodiens. (12) Les ambassadeurs de Philippe parlèrent ensuite. On entendit en dernier lieu les Athéniens, qui se chargèrent de réfuter les assertions des Macédoniens. Ils se livrèrent aux plus violentes invectives contre le roi; car aucun peuple n'en avait souffert de plus nombreux ni de plus sanglants outrages. (13) L'assemblée se sépara vers le coucher du soleil; les discours successifs de tous ces députés avaient occupé la journée entière.
[32,20] Intervention du préteur Aristaenus
(1) Le lendemain il y eut une nouvelle réunion: suivant l'usage établi chez les Grecs, le héraut invita au nom des magistrats ceux qui voudraient ouvrir un avis à prendre la parole; mais personne ne se présenta. Les Achéens se regardaient les uns les autres et un profond silence régna longtemps dans l'assemblée. (2) Cela n'avait rien d'étonnant. Si le choc de tant d'intérêts divers avait dû naturellement plonger les esprits dans une sorte de torpeur, tous ces discours consacrés pendant un jour entier à développer et à mettre en évidence les difficultés qu'on rencontrait de toutes parts n'avaient pu qu'augmenter l'embarras.
(3) Enfin le préteur de la ligue, Aristaenus, voulant empêcher qu'on se séparât sans avoir rien dit, s'écria: "Achéens, qu'est devenue cette chaleur qui vous animait au milieu des festins et dans les réunions, lorsqu'on venait à parler de Philippe et des Romains, et que vous vous portiez presque à des voies de fait? (4) Aujourd'hui, que vous êtes assemblés expressément pour cet objet, que vous avez entendu les députés des deux partis, que vos magistrats vous demandent une décision, que le héraut vous invite à parler, vous restez muets. (5) Si le salut commun ne vous touche point, l'intérêt particulier, qui fait pencher chacun de vous pour Philippe ou pour les Romains, ne peut-il vous arracher une parole? (6) Certes, il n'est ici personne qui soit assez absurde pour ignorer que le moment de se prononcer et d'ouvrir l'avis qu'on préfère ou qu'on juge le meilleur, est celui où rien n'est encore arrêté. Lorsqu'une fois on aura pris une résolution, il faudra que tout le monde, même ceux qui l'auront désapprouvée, la défende comme un pacte utile et salutaire."
(7) Cette allocution du préteur ne fit aucun effet: non seulement personne ne prit la parole, mais on n'entendit pas même le plus léger frémissement, le plus faible murmure dans une assemblée si nombreuse, composée de tant de peuples divers.
[32,21] Le préteur présente les arguments en faveur de l'alliance avec Rome
"(1) Chefs de la ligue Achéenne, reprit alors Aristaenus, vous n'avez assurément pas perdu ni le sens ni la parole; mais aucun de vous ne veut, à ses risques et périls, proposer une mesure d'intérêt public. Et moi aussi je garderais peut-être le silence si j'étais un homme privé; comme préteur, je pense, ou qu'il aurait fallu ne pas donner audience aux ambassadeurs, ou qu'on ne peut les congédier sans réponse. (2) Mais cette réponse, comment puis-je la faire sans un décret émané de vous? Tous appelés à cette assemblée, personne ne veut ou n'ose ouvrir un avis quelconque; eh bien! consultons les discours prononcés hier par les députés. (3) Pour nous former une opinion, supposons qu'ils n'ont point demandé ce qui était dans leurs intérêts, mais qu'ils nous conseillaient ce qu'ils jugeaient utile à notre cause."
"(4) Les Romains, les Rhodiens et Attale sollicitent notre alliance et notre amitié, et ils voudraient que, dans la guerre soutenue par eux contre Philippe, nous devinssions leurs auxiliaires. (5) Philippe nous rappelle l'alliance que nous avons faite avec lui et nos serments; tantôt il exige que nous nous rangions sous ses drapeaux; tantôt il se déclare content si nous restons neutres."
"(6) Personne n'a-t-il deviné pourquoi ceux qui ne sont pas encore nos alliés sont plus exigeants que notre allié même? Il ne faut attribuer cette différence ni à la modération de Philippe, ni à l'insolence des Romains: (7) ce sont les ports de l'Achaïe qui enhardissent les uns dans leurs demandes, et diminuent la confiance de l'autre. De Philippe nous ne voyons que l'ambassadeur; mais les Romains ont leur flotte mouillée à Cenchrées, étalant avec orgueil les dépouilles des villes de l'Eubée, et nous apercevons le consul au-delà du détroit qui nous sépare de lui, courant sans obstacle avec ses légions la Phocide et la Locride. (8) Et vous vous étonneriez de l'embarras qu'éprouve Cléomédon, l'envoyé de Philippe, pour nous engager à prendre les armes contre les Romains en faveur du roi?"
"(9) Mais si, en vertu de ce même traité et de ces serments, dont il nous a rappelé la sainteté, nous lui demandions que son maître nous protégeât également contre Nabis et les Lacédémoniens, et contre les Romains, loin de nous envoyer un secours pour nous sauver, il ne saurait même que nous répondre. (10) Non, il ne serait pas de meilleure foi que Philippe lui-même ne l'a été l'année dernière. Quand il promit de faire la guerre à Nabis, n'était-ce pas pour attirer notre jeunesse sous ses drapeaux et l'emmener en Eubée? (11) Mais voyant que nous lui refusions cet appui et que nous ne voulions pas nous engager dans sa querelle avec les Romains, il ne s'est pas inquiété de cette alliance qu'il fait valoir aujourd'hui, et il a laissé ravager et dévaster nos terres par Nabis et les Lacédémoniens."
"(12) Je dois l'avouer, le discours de Cléomédon m'a paru peu conséquent dans ses différentes parties. Il cherchait à diminuer l'importance de la guerre que les Romains faisaient à Philippe, et il assurait qu'elle aurait le même résultat que la précédente. (13) Pourquoi donc Philippe réclame-t-il de loin notre secours, plutôt que de venir en personne défendre d'anciens alliés contre Nabis et contre les Romains tout à la fois? Que dis-je d'anciens alliés? n'a-t-il pas laissé prendre Érétrie et Carystos, et toutes les villes de la Thessalie? et la Locride et la Phocide? (14) Aujourd'hui même ne voit-il pas avec indifférence le siége d'Élatée? Pourquoi a-t-il quitté les gorges de l'Épire et cette position inexpugnable sur les bords de l'Aoos, qui fermait l'entrée de ses états? Devait-il, par force, par crainte ou volontairement, abandonner le défilé qu'il occupait et se retirer au fond de la Macédoine? (15) Si c'est volontairement qu'il a livré tant d'alliés aux dévastations de l'ennemi, peut-il trouver mauvais que ses alliés songent aussi à leurs intérêts? Mais si c'est par crainte, il doit aussi excuser nos terreurs. S'il n'a reculé que par suite d'une défaite, comment nous autres Achéens résisterions-nous aux armes romaines, dites, Cléomédon, quand vous, Macédoniens, n'y avez pu résister?"
"(16) Faut-il croire, comme vous le dites, que les Romains ne déploient pas plus de troupes et plus d'énergie dans cette guerre que dans la précédente, quand nos yeux nous disent le contraire? (17) Précédemment, ils n'ont fait qu'aider les Étoliens de leur flotte; ils n'avaient pas à leur tête un consul; ils n'avaient point envoyé une armée consulaire; les alliés de Philippe tremblaient pour leurs villes maritimes et l'alarme régnait sur les côtes; mais à l'intérieur on redoutait si peu les armes romaines que Philippe put dévaster l'Étolie, qui implorait en vain les secours de Rome."
"(18) Aujourd'hui que les Romains sont débarrassés de la guerre punique, qui durant seize années déchira, pour ainsi dire, les entrailles de l'Italie, ce n'est pas un renfort qu'ils ont envoyé pour seconder les opérations militaires des Étoliens; ils se sont chargés eux-mêmes de conduire la guerre et ont attaqué la Macédoine par terre et par mer à la fois: (19) voilà déjà le troisième consul qui presse Philippe avec acharnement. Sulpicius lui a livré bataille au sein même de la Macédoine, l'a battu et mis en fuite; puis il a ravagé la plus riche partie de son royaume. (20) Aujourd'hui Quinctius l'a forcé dans les gorges de l'Épire, malgré les difficultés du terrain, les fortifications que le roi y avait élevées et le grand nombre de ses troupes; il l'a chassé de son camp, l'a poursuivi dans sa fuite jusqu'en Thessalie et s'est rendu maître, presque sous ses yeux, de ses garnisons et des villes de son parti."
"(21) Mais supposons qu'il n'y ait rien de vrai dans les reproches de cruauté, d'avarice et de débauche que les députés athéniens ont adressés naguère au roi; ne nous occupons pas des sacrilèges commis en Attique contre les dieux du ciel et des enfers; (22) laissons là les souffrances de Cios et d'Abydos, dont les habitants sont loin de nous. (23) Oublions, si vous le voulez, nos propres malheurs, les massacres et les pillages exercés à Messène au sein même du Péloponnèse; la mort de Caritélès, notre hôte de Cyparissia, égorgé dans un festin au mépris des droits et de la justice; l'assassinat des deux Aratus de Sicyone, le père et le fils, et surtout du premier, de cet infortuné vieillard que Philippe se plaisait à nommer son père; (24) enfin l'enlèvement de l'épouse du jeune Aratus, qu'il fit transporter en Macédoine pour assouvir sa passion."
"Oublions encore le déshonneur de tant de jeunes filles, de tant de mères; (25) admettons que nous n'avons pas affaire à Philippe, dont la cruauté vous épouvante au point de vous rendre tous muets: car je ne puis expliquer autrement votre silence lorsque vous êtes assemblés pour délibérer. Supposons que c'est avec Antigone, le plus doux et le plus juste des rois, et celui qui nous a rendu à tous le plus de services, que nous sommes en contestation. (26) Eh bien!, nous demanderait-il ce qu'il serait impossible de faire? Le Péloponnèse est une presqu'île, rattachée au continent par un isthme étroit; la guerre la plus facile à faire contre ce pays, celle à laquelle il est le plus exposé, c'est la guerre maritime. (27) S'il arrive que cent vaisseaux pontés, plus cinquante bâtiments légers, et trente bateaux isséens se mettent à ravager les côtes et à former le siège des villes situées presque sur le rivage, chercherons-nous un asile dans l'intérieur, comme si le feu de la guerre n'allait pas pénétrer à l'intérieur et n'embrasait pas le coeur même du pays? (28) Lorsque Nabis et les Lacédémoniens nous presseront du côté de la terre, et la flotte romaine du côté de la mer, comment pourrons-nous implorer la protection du roi et l'appui des Macédoniens? Réduits à nos propres forces, défendrons-nous contre les Romains les villes qui seront assiégées? Nous avons si bien défendu Dymè dans la guerre précédente! (29) Les désastres des autres peuples nous fournissent assez de leçons; ne cherchons pas à servir aussi de leçon aux autres."
"(30) N'allez pas, parce que les Romains viennent eux-mêmes demander votre amitié, dédaigner une alliance que vous deviez tant souhaiter et rechercher avec tant d'empressement. (31) C'est peut-être, dira-t-on, la crainte qu'ils éprouvent sur une terre étrangère, et le désir de se cacher à l'ombre de votre protection tutélaire, qui les force à se ménager un abri dans votre amitié, afin d'être admis dans vos ports et de s'assurer des provisions? (32) Eh quoi! ne sont-ils pas maîtres de la mer? Et ne leur suffit-il pas d'aborder un pays pour le soumettre aussitôt à leur puissance? Ce qu'ils vous demandent, ils peuvent vous l'imposer par la force; c'est parce qu'ils veulent vous épargner qu'ils ne permettent pas que vous vous exposiez à une perte certaine. (33) Cette neutralité, que Cléomédon vous représentait naguère comme un moyen terme et comme la mesure la plus sage que vous puissiez prendre, ce n'est pas un moyen terme, c'est une chose impossible. (34) Il nous faut, en effet, ou accepter, ou rejeter l'alliance des Romains; et d'ailleurs que deviendrons-nous, lorsque nous n'avons d'amis sûrs nulle part, ayant attendu les événements pour prendre conseil de la fortune? Nous ne pourrons qu'être la proie du vainqueur."
"(35) N'allez pas, je vous le répète, dédaigner, parce qu'on vous l'offre, une alliance que vous deviez appeler de tous vos voeux. Si vous avez aujourd'hui le choix entre ces deux alternatives, vous ne l'aurez pas toujours, et vous ne retrouverez pas souvent, vous ne trouverez bientôt plus une aussi belle occasion. (36) Il y a longtemps déjà que vous désirez vous séparer de Philippe, mais vous ne l'osez pas: eh bien! sans qu'il vous en coûte ni fatigue ni péril, voici des libérateurs qui ont passé la mer pour vous avec des flottes et des armées considérables. (37) Rejeter leur alliance, c'est faire acte de folie; mais il faut les avoir pour amis ou pour ennemis: choisissez."
[32,22] Les Achéens se prononcent pour l'alliance avec Rome
(1) Ce discours du préteur fut suivi d'un long murmure: les uns l'approuvaient, les autres s'emportaient sans ménagement contre ces approbations. (2) Bientôt ce ne fut plus une altercation d'homme à homme, mais de peuple à peuple. Les magistrats mêmes de la ligue, qu'on appelle damiurges et qui sont au nombre de dix, se livraient à de vifs débats entre eux à l'exemple de la multitude. (3) Cinq déclaraient qu'ils allaient proposer une alliance avec les Romains et recueillir les suffrages; les cinq autres invoquaient contre leurs collègues les termes de la loi qui défendaient aux magistrats de présenter, et à l'assemblée générale d'adopter, aucune proposition qui fût contraire au traité fait avec Philippe. La journée se passa encore tout entière en contestations.
(4) L'assemblée n'avait plus pour se décider qu'un seul jour: la loi exigeait en effet que tout décret fût rendu le troisième jour. L'animosité fut si vive que les pères portèrent presque les mains sur leurs enfants. (5) Un certain Pisias, de Pellène, avait pour fils un damiurge, nommé Memnon, l'un de ceux qui s'opposaient à ce qu'on lût le décret et à ce qu'on recueillît les suffrages. (6) Il le conjura longtemps de laisser aux Achéens la liberté de pourvoir à leur salut, l'engageant à renoncer à une opposition qui devait perdre toute sa nation. (7) Comme ses prières ne produisaient aucun effet, il fit serment de le traiter, non plus comme un fils, mais comme un ennemi, et de le poignarder de sa propre main. (8) Cette menace décida enfin le magistrat à se joindre le lendemain aux partisans de la délibération.
Ils se trouvèrent alors les plus nombreux et firent leur proposition. L'assemblée presque tout entière semblait disposée à y donner son assentiment, et il était facile de prévoir quel serait le résultat, (9) lorsque ceux de Dymè et de Mégalopolis, ainsi que quelques Argiens, se levèrent avant que le décret fût rendu et quittèrent l'assemblée sans que leur départ excitât la moindre surprise, ni le moindre murmure de désapprobation. (10) Les Mégalopolitains, chassés jadis de leur patrie par les Lacédémoniens, y avaient été rétablis par Antigone; quant aux Dyméens, naguère, après la prise et le pillage de leur ville par l'armée romaine, Philippe les avait fait racheter partout où l'esclavage les avait dispersés, et leur avait rendu tout à la fois leur liberté et leur patrie. (11) Enfin les Argiens croyaient que les rois de Macédoine étaient originaires de leur pays, et d'ailleurs la plupart d'entre eux étaient personnellement unis à Philippe par les liens de l'hospitalité ou par ceux d'une étroite familiarité. (12) Tels furent les motifs qui les décidèrent à sortir d'une assemblée qui était disposée à faire alliance avec Rome; et leur retraite parut justifiée par les obligations signalées et toutes récentes qu'ils avaient aux rois de Macédoine.
[32,23] Échec des alliés devant Sicyone
(1) Les autres peuples de la ligue achéenne, appelés à donner leurs suffrages, confirmèrent sur-le-champ par un décret l'alliance avec Attale et les Rhodiens/ (2) Le traité avec les Romains, ne pouvant être ratifié sans un plébiscite, fut ajourné à l'époque où l'on pourrait envoyer des ambassadeurs à Rome. (3) Pour le moment, on résolut que trois députés se rendraient auprès de L. Quinctius et que toute l'armée de la ligue marcherait sur Corinthe. Le général romain avait pris Cenchrées et assiégeait déjà la ville même.
(4) Les Achéens établirent leur camp en face de la porte qui conduit à Sicyone; les Romains pressaient la place du côté de Cenchrées, et Attale, qui avait fait passer l'isthme à ses troupes, dirigeait ses attaques du côté du port de Léchaeum, situé sur l'autre mer. On déploya d'abord peu de vigueur; on espérait qu'une sédition éclaterait à l'intérieur entre les habitants et la garnison du roi. (5) Mais ils étaient tous animés d'un même esprit; les Macédoniens défendaient la ville comme leur commune patrie, et les Corinthiens obéissaient au commandant de la garnison, Androsthénès, comme ils eussent obéi â un de leurs concitoyens investi par leurs suffrages d'une autorité légitime.
Les assiégeants virent donc qu'ils n'avaient plus d'espoir que dans la force de leurs armes et l'activité de leurs travaux. (6) Ils élevèrent sur plusieurs points des terrasses pour rendre l'accès des remparts plus facile. (7) Bientôt le bélier eut ouvert une brèche du côté où les Romains battaient la muraille. Ce point se trouvait aussi sans défense. Les Macédoniens accoururent pour le protéger de leurs armes, et engagèrent avec les Romains une lutte acharnée. (8) La supériorité du nombre leur permit d'abord de repousser sans peine l'ennemi; mais les Romains, s'étant fortifiés du secours des Achéens et d'Attale, rétablirent le combat, et ils auraient, sans aucun doute, débusqué facilement de leurs positions les Macédoniens et les Grecs, (9) s'ils n'eussent été arrêtés par les transfuges italiens qui étaient en grand nombre dans la place. Les uns étaient passés de l'armée d'Hannibal dans les rangs des Macédoniens, parce qu'ils redoutaient la vengeance des Romains; les autres étaient des soldats de marine, qui avaient naguère abandonné leurs vaisseaux pour accepter un service dont ils espéraient plus d'honneur. Tous savaient qu'ils n'avaient point de salut à attendre si les Romains étaient vainqueurs, et cette pensée leur inspirait plutôt de la rage que de l'audace.
(10) Vis-à-vis de Sicyone est un promontoire consacré à Junon Acraea; il s'avance assez loin dans la mer et n'est séparé de Corinthe que par un trajet de sept mille pas environ. (11) Philoclès, l'un des lieutenants de Philippe, y conduisit quinze cents soldats par la Béotie. Il y trouva des barques venues de Corinthe pour recevoir ce renfort et le transporter à Léchaeum. (12) Attale conseilla alors de brûler les ouvrages qu'on avait élevés et de renoncer aussitôt au siège. Quinctius n'en montra, au contraire, que plus de fermeté et de persévérance. Mais quand il vit les renforts du roi établis en avant de toutes les portes, et la difficulté qu'on aurait à soutenir les sorties des assiégés, il adopta l'avis d'Attale. (13) Ce fut donc un échec. On congédia les Achéens et l'on se remit en mer; Attale fit voile vers le Pirée, les Romains vers Corcyre.
[32,24] Reddition d'Élatée, assiégée par l'armée consulaire
(1) Tandis que ces opérations occupaient l'armée navale, le consul, qui était en Phocide et campait devant Élatée, eut des pourparlers avec les principaux de la ville pour les engager à se soumettre. (2) Ceux-ci lui répondirent qu'ils ne pouvaient rien et que la garnison royale était plus nombreuse et plus forte que les habitants. Il fit alors commencer les travaux de siège sur tous les points et donner un assaut général. (3) Aux premiers coups de bélier toute la partie du mur qui s'étendait entre deux tours s'écroula avec un fracas épouvantable et laissa la place à découvert. Aussitôt une cohorte romaine s'élança par la brèche qui venait d'être pratiquée. (4) De leur côté les assiégés, abandonnant leurs postes, accoururent de tous les points de la ville vers l'endroit que menaçait l'ennemi. (5) Mais pendant qu'une partie des Romains franchissait les ruines du mur, les autres dressaient des échelles contre les remparts qui étaient encore debout, et, profitant de ce que l'attention des ennemis était concentrée tout entière sur une seule attaque, ils escaladèrent le mur en plusieurs endroits et descendirent dans la ville l'épée à la main.
(6) À la nouvelle de cette surprise, les assiégés s'effrayèrent, quittèrent le poste où ils s'étaient réunis en masse et s'enfuirent en désordre vers la citadelle, suivis d'une multitude sans armes. Le consul, resté ainsi maître d'Élatée, (7) la livra au pillage; puis il envoya offrir aux Macédoniens la vie sauve, s'ils voulaient se retirer en livrant leurs armes, et aux habitants la liberté. Sa parole suffit, et peu de jours après il prit possession de la citadelle.
[32,25] Argos passe sous l'autorité macédonienne
(1) Cependant l'arrivée de Philoclès, lieutenant du roi en Achaïe, n'avait pas seulement fait lever le siège de Corinthe; elle avait engagé quelques-uns des principaux Argiens à lui livrer leur ville, après avoir sondé les dispositions du peuple. (2) C'était l'usage à Argos que, le jour des comices, les magistrats proclamassent d'abord, à titre d'heureux présage, les noms de Jupiter, d'Apollon et d'Hercule; et, depuis, une loi avait ordonné d'ajouter à ces noms celui de Philippe. (3) Mais, lorsque la ville eut fait alliance avec les Romains, le héraut crut devoir omettre le nom du roi. Des murmures éclatèrent alors dans l'assemblée; (4) bientôt mille voix répétèrent ce nom et réclamèrent pour le prince l'honneur que la loi lui avait accordé. Philippe fut enfin nommé au milieu d'applaudissements unanimes.
(5) Ce fut sur la foi de cet enthousiasme que les principaux Argiens mandèrent Philoclès. Ce lieutenant arriva la nuit, s'empara d'une hauteur nommée le fort de Larissa, qui domine la ville, et y mit garnison. Dès le point du jour il descendait, enseignes déployées, vers le Forum, situé au bas de l'éminence, lorsqu'il vit un corps ennemi qui marchait à sa rencontre. (6) C'était la garnison achéenne, récemment établie à Argos; elle se composait d'environ cinq cents jeunes gens, l'élite de toutes les cités de la ligue, commandés par Aenesidémus, de Dymè. (7) Philoclès leur envoya l'ordre de sortir de la ville. Incapables de résister aux Argiens seuls, qui avaient embrassé le parti des Macédoniens, ils pourraient encore moins, leur disait-il, tenir tête aux Argiens et aux Macédoniens réunis, puisque les Romains eux-mêmes avaient reculé devant ces derniers à Corinthe.
Ces paroles ne firent d'abord aucun effet ni sur les chefs ni sur les soldats. (8) La vue même des Argiens, qui arrivaient en grand nombre et les armes à la main du côté opposé, la certitude de succomber ne les eût pas empêchés de braver tous les hasards, si leur commandant eût partagé leur résolution. (9) Mais Aenesidémus ne voulut pas perdre, en même temps que la ville, cette élite de la jeunesse achéenne. Il traita avec Philoclès, obtint que ses soldats pourraient se retirer et resta lui-même sous les armes avec quelques amis dévoués au poste où il s'était arrêté. (10) Philoclès lui envoya demander alors quelles étaient ses intentions. Pour toute réponse l'Achéen se couvrit d'abord de son bouclier et se tint immobile; puis il s'écria "qu'il mourrait les armes à la main dans la place où il avait été chargé de tenir garnison." Aussitôt les Thraces reçurent ordre de l'attaquer à coups de traits, et il périt avec tous les siens.
(11) Ainsi, malgré l'alliance conclue entre les Achéens et les Romains, deux des villes les plus considérables de la ligue, Argos et Corinthe, tombèrent au pouvoir du roi de Macédoine. (12) Telles furent les opérations des Romains en Grèce sur terre et sur mer pendant cette campagne.
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Re: Livre XXXII : Les événements des années 199 à 197
3ème partie: [32,26-31] Affaires intérieures et affaires de Gaule (198)
[32,26] Répression d'un soulèvement d'esclaves dans le Latium
(1) En Gaule, le consul Sex. Aelius ne fit rien d'important. (2) Il avait cependant deux armées à sa disposition; l'une, qu'il avait gardée quoiqu'il eût ordre de la licencier; c'était celle du proconsul L. Cornélius, dont il avait confié le commandement au préteur C. Helvius; l'autre, qu'il avait amenée avec lui dans la province. (3) Il passa presque toute l'année à faire rentrer dans leurs colonies les habitants de Crémone et de Plaisance, que les malheurs de la guerre avaient dispersés.
(4) Mais si, contre toute attente, la Gaule fut tranquille cette année, une révolte d'esclaves faillit éclater dans les environs de Rome. (5) Les otages des Carthaginois étaient gardés à Sétia; comme fils des principaux citoyens, ils avaient avec eux une foule considérable d'esclaves. (6) Le nombre en fut augmenté, à la suite de la dernière guerre d'Afrique, de quelques prisonniers carthaginois provenant du butin que plusieurs habitants de Sétia même avaient achetés.
(7) Ces misérables formèrent un complot, et détachèrent des émissaires pour soulever les esclaves dans le territoire de Sétia, et dans les environs de Norba et de Circéi. Après avoir pris toutes leurs mesures, ils résolurent de profiter des jeux qu'on allait célébrer prochainement à Sétia, pour attaquer le peuple occupé tout entier au spectacle. (8) Lorsqu'à la faveur du désordre et d'un massacre ils seraient maîtres de Sétia, ils devaient surprendre Norba et Circéi.
Cet infâme projet fut dénoncé, à Rome, au préteur urbain L. Cornélius Mérula. (9) Deux esclaves se présentèrent chez lui avant le jour, et lui racontèrent en détail tout ce qui avait été fait et tout ce qu'on devait faire. (10) Le préteur les garda chez lui, convoqua le sénat, lui communiqua ce qu'il venait d'apprendre, et reçut l'ordre de partir pour rechercher les coupables et étouffer cette conspiration. (11) Il prit avec lui cinq lieutenants, et, faisant prêter le serment militaire à tous ceux qu'il rencontrait sur sa route, ils les contraignit à prendre les armes et à le suivre. (12) Il rassembla ainsi à la hâte deux mille hommes environ et se rendit à Sétia, sans que personne sût où il allait.
(13) Dès son arrivée il fit saisir les chefs du complot; et, comme les esclaves s'étaient enfuis de la ville, il envoya dans les champs à leur poursuite. (14) La république fut redevable de cet important service à deux esclaves et à un citoyen libre. Ce dernier reçut, par ordre du sénat, à titre de récompense, une somme de cent mille as; chaque esclave eut vingt-cinq mille as et la liberté; le trésor public indemnisa leurs maîtres. (15) Peu après on fut informé qu'un reste de cette conspiration menaçait Préneste. (16) Le préteur L. Cornélius s'y rendit et fit exécuter environ cinq cents esclaves reconnus coupables.
On craignit à Rome que ces mouvements ne fussent excités par les otages et les prisonniers carthaginois. (17) On établit donc des postes dans les divers quartiers, on enjoignit aux magistrats inférieurs de les visiter, et aux triumvirs de la prison d'exercer une surveillance très active sur les lautumies; (18) enfin on fit écrire par le préteur aux villes latines qu'elles eussent à faire garder les otages dans des maisons particulières, sans leur permettre de paraître en public; à charger les prisonniers de fers pesant au moins dix livres et à les enfermer dans les prisons publiques et pas ailleurs.
[32,27] Élections à Rome pour l'année 197
(1) Cette même année, des ambassadeurs du roi Attale vinrent déposer au Capitole une couronne d'or du poids de deux cent quarante-six livres, et remercier le sénat de ce que les envoyés romains avaient obtenu par leur intervention qu'Antiochus retirât son armée des états de leur maître.
(2) Ce fut encore pendant cette campagne que le roi Masinissa envoya deux cents cavaliers, dix éléphants et deux cent mille boisseaux de blé aux troupes qui combattaient en Grèce. La Sicile et la Sardaigne leur fournirent aussi de nombreuses provisions et des vêtements. (3) La Sicile avait pour gouverneur M. Marcellus, la Sardaigne M. Porcius Caton, personnage intègre et vertueux, mais qui se montra trop rigoureux dans la répression de l'usure: (4) il bannit de l'île tous les usuriers, et diminua ou supprima les frais de représentation que les alliés payaient ordinairement au préteur.
(5) Le consul Sex. Aelius revint de la Gaule à Rome pour tenir les comices, et proclama consuls C. Cornélius Céthégus et Q. Minucius Rufus. (6) Deux jours après eurent lieu les comices prétoriens. On créa cette année, pour la première fois, six préteurs, car le nombre des provinces s'augmentait et l'empire romain s'étendait de jour en jour. (7) Ces six magistrats furent L. Manlius Vulso, C. Sempronius Tuditanus, M. Sergius Silus, M. Helvius, M. Minucius Rufus, L. Atilius: Sempronius et Helvius venaient d'être édiles plébéiens. (8) On nomma édiles curules Q. Minucius Thermus et Ti. Sempronius Longus. Les jeux Romains furent célébrés cette année pendant quatre jours.
[32,28] Attribution des postes. T. Quinctius Flamininus est maintenu en Grèce
(1) Le premier acte du consulat de C. Cornélius et de Q. Minucius fut de procéder à la répartition des provinces consulaires et prétoriennes. (2) On s'occupa d'abord de ces dernières, qui pouvaient être réglées par le sort. Sergius eut la juridiction de la ville, Minucius celle des étrangers. Atilius obtint la Sardaigne, Manlius la Sicile, Sempronius l'Espagne citérieure, Helvius l'Espagne ultérieure.
(3) Les consuls se disposaient à tirer au sort l'Italie et la Macédoine, lorsque les tribuns du peuple L. Oppius et Q. Fulvius s'y opposèrent. "La Macédoine, disaient-ils, était une province éloignée; (4) les principaux obstacles qui avaient entravé la guerre jusqu'à ce jour venaient de ce qu'on laissait à peine aux consuls le temps de commencer les opérations et qu'on les rappelait au fort même de leurs préparatifs. (5) Il y avait quatre ans déjà qu'on avait décrété la guerre de Macédoine. Sulpicius avait passé la plus grande partie de l'année à chercher le roi et son armée. Villius, qui avait pu joindre l'ennemi, avait été rappelé avant d'avoir livré bataille. (6) Quinctius, bien que retenu à Rome une grande partie de l'année par des affaires religieuses, avait cependant poussé la guerre avec tant de vigueur qu'il aurait pu la terminer s'il fût arrivé plus tôt dans sa province, ou si l'hiver eût été plus tardif. (7) Maintenant il était à peu près rentré dans ses quartiers; mais on disait qu'il faisait des préparatifs tels qu'à moins d'être supplanté par un successeur, il pouvait compter sur une victoire définitive pour la campagne prochaine."
(8) Ces arguments obligèrent les consuls à déclarer qu'ils s'en remettraient à la décision du sénat, pourvu que les tribuns en fissent autant. Sur le consentement des uns et des autres, les sénateurs décrétèrent, après libre discussion, que les deux consuls auraient l'Italie pour département. (9) Ils prorogèrent T. Quinctius dans son commandement jusqu'à ce qu'on lui envoyât un successeur. On donna deux légions à chaque consul et on les chargea de faire la guerre aux Gaulois cisalpins, qui avaient abandonné le parti des Romains.
(10) On arrêta qu'il serait envoyé à Quinctius, en Macédoine, un renfort de cinq mille hommes d'infanterie, trois cents chevaux et trois mille soldats de marine. (11) On laissa à la tête de la flotte L. Quinctius Flamininus, qui la commandait. Les préteurs désignés pour les Espagnes devaient emmener huit mille fantassins, tant des autres alliés que des Latins, et quatre cents cavaliers, afin de pouvoir renvoyer de leurs provinces les anciennes armées. On leur recommanda de fixer les limites de l'ultérieure et de la citérieure. (12) On envoya de plus comme lieutenants, en Macédoine, P. Sulpicius et P. Villius, qui avaient eu cette province en qualité de consuls.
[32,29] Conjuration des prodiges. Création de cinq nouvelles colonies
(1) Avant le départ des consuls et des préteurs pour leurs départements, on résolut d'expier les prodiges. Le temple de Vulcain et celui de Summanus à Rome, le mur et une porte de Frégènes avaient été frappés de la foudre; (2) à Frusinon, la nuit avait été éclairée d'une lueur soudaine; à Aefula il était né un agneau à deux têtes et à cinq pieds; à Formies deux loups étaient entrés dans l'enceinte de la ville et avaient sauvagement mordu plusieurs passants; à Rome un loup avait pénétré non seulement dans la ville, mais même dans le Capitole.
(3) Le tribun du peuple C. Acilius proposa une loi pour l'établissement de cinq colonies le long des côtes, deux à l'embouchure du Vulturne et du Literne, une à Pouzzoles, une au camp de Salerne, (4) la cinquième à Buxentum: trois cents familles devaient composer chacune de ces colonies. On nomma triumvirs pour veiller à ce soin, avec des pouvoirs qui devaient durer trois ans, M. Servilius Géminus, Q. Minucius Thermus, Ti. Sempronius Longus.
(5) Quand les levées et toutes les occupations civiles et religieuses qui retenaient les consuls furent terminées, ces magistrats partirent pour la Gaule. (6) Cornélius marcha par la route de droite contre les Insubres, qui étaient alors en armes et s'étaient associé les Cénomans; Q. Minucius se dirigea par la gauche vers la mer inférieure, conduisit son armée à Gênes et commença par attaquer les Ligures. (7) Les places de Clastidium et de Litubium, toutes deux en Ligurie, et deux peuplades liguriennes, les Céléiates et les Cerdiciates, firent leur soumission. Bientôt toute la Cispadane, moins les Gaulois Boiens et les Ligures Ilvates, fut réduite; (8) on faisait monter à quinze le nombre des villes et à vingt mille celui de leurs habitants. Le consul mena ensuite ses légions sur le territoire des Boiens.
[32,30] Soulèvement des Boiens et des Insubres, alliés aux Cénonans
(1) Il n'y avait pas longtemps que les Boiens avaient passé le Pô et fait leur jonction avec les Insubres et les Cénomans. (2) Ils avaient appris que les consuls devaient les attaquer à la tête de leurs légions réunies, et ils voulaient aussi rassembler toutes leurs forces pour être en état de leur tenir tête. (3) Mais à la nouvelle que l'un des deux consuls portait la flamme sur les terres des Boiens, la discorde éclata aussitôt dans les rangs de ces peuples. Les Boiens demandaient que l'armée tout entière les secourût dans leur détresse; les Insubres refusaient de laisser leur pays sans défense.
(4) Les confédérés se séparèrent donc: les Boiens coururent protéger leurs terres; les Insubres et les Cénomans allèrent prendre position sur les bords du Mincio. (5) Le consul Cornélius établit son camp sur ce fleuve, à cinq milles au-dessous de l'ennemi. (6) De là il envoya des émissaires dans les bourgs des Cénomans et à Brescia leur capitale, et acquit la certitude que, si la jeunesse du pays avait pris les armes, c'était sans l'aveu des anciens et qu'aucune décision publique n'avait autorisé les Cénomans à se joindre aux Insubres révoltés. (7) Il fit donc venir les principaux de la nation et mit tout en oeuvre pour les gagner et obtenir qu'ils se séparassent des Insubres, et que, levant leurs enseignes, ils se décidassent ou à rentrer chez eux, ou à passer du côté des Romains. (8) Il ne put réussir; mais il reçut leur parole qu'ils resteraient neutres dans le combat, ou que, si l'occasion se présentait, ils aideraient les Romains.
(9) Les Insubres ignoraient cette convention; ils avaient pourtant quelques soupçons et craignaient une trahison de la part de leurs alliés. Aussi lorsqu'ils se mirent en bataille, n'osèrent-ils leur confier aucune des deux ailes, de peur qu'un mouvement rétrograde, exécuté par eux avec perfidie, n'entraînât une déroute complète: ils les placèrent à la réserve derrière les enseignes. (10) Au commencement de l'action, le consul fit voeu d'élever un temple à Junon Sospita, si ce jour-là même il battait et dispersait les ennemis. Les soldats ne poussèrent qu'un seul cri: ils promettaient au consul de combler son espoir; puis ils tombèrent sur les Insubres (11) qui ne purent soutenir leur premier choc. Quelques auteurs prétendent qu'au milieu de la mêlée, les Cénomans attaquèrent aussi par derrière et causèrent une double alerte; que les ennemis laissèrent sur la place trente-cinq mille hommes (12) et que cinq mille sept cents prisonniers tombèrent au pouvoir des vainqueurs: de ce nombre était le général carthaginois Hamilcar, qui avait allumé cette guerre. Les Romains prirent en outre cent trente enseignes militaires et plus de deux cents chariots. (13) Les villes qui s'étaient jetées dans la révolte firent leur soumission.
[32,31] Pacification de la Gaule
(1) Le consul Minucius avait d'abord parcouru rapidement, en le dévastant, le territoire des Boiens; mais lorsqu'il vit qu'ils s'étaient séparés des Insubres afin de revenir défendre leurs foyers, il se tint dans son camp, persuadé qu'il faudrait bientôt livrer une bataille rangée. (2) Les Boiens, de leur côté, n'auraient pas reculé devant une action, si la nouvelle de la défaite des Insubres n'eût abattu leur courage. Ils abandonnèrent donc leur général et leur camp, se dispersèrent dans leurs bourgades, pour protéger chacun ses propriétés, et forcèrent leur ennemi à changer son plan d'opérations. (3) Minucius renonça à terminer la guerre par une action générale et se mit à ravager de nouveau les campagnes, à incendier les maisons, à forcer les bourgades: (4) dans cette dévastation, Clastidium fut livré aux flammes.
Puis il conduisit ses légions contre les Ligures Ilvates, les seuls qui tinssent encore. (5) Cette peuplade fit aussi sa soumission dès qu'elle eut appris que les Insubres avaient été vaincus en bataille rangée et que les Boiens étaient frappés de terreur au point de ne pas même oser courir les chances d'un combat. (6) Les consuls envoyèrent alors de la Gaule à Rome des lettres pour annoncer leurs succès. Le préteur urbain M. Sergius en fit lecture d'abord au sénat, puis, par ordre des sénateurs, devant l'assemblée du peuple. On décréta quatre jours de supplications.
[32,26] Répression d'un soulèvement d'esclaves dans le Latium
(1) En Gaule, le consul Sex. Aelius ne fit rien d'important. (2) Il avait cependant deux armées à sa disposition; l'une, qu'il avait gardée quoiqu'il eût ordre de la licencier; c'était celle du proconsul L. Cornélius, dont il avait confié le commandement au préteur C. Helvius; l'autre, qu'il avait amenée avec lui dans la province. (3) Il passa presque toute l'année à faire rentrer dans leurs colonies les habitants de Crémone et de Plaisance, que les malheurs de la guerre avaient dispersés.
(4) Mais si, contre toute attente, la Gaule fut tranquille cette année, une révolte d'esclaves faillit éclater dans les environs de Rome. (5) Les otages des Carthaginois étaient gardés à Sétia; comme fils des principaux citoyens, ils avaient avec eux une foule considérable d'esclaves. (6) Le nombre en fut augmenté, à la suite de la dernière guerre d'Afrique, de quelques prisonniers carthaginois provenant du butin que plusieurs habitants de Sétia même avaient achetés.
(7) Ces misérables formèrent un complot, et détachèrent des émissaires pour soulever les esclaves dans le territoire de Sétia, et dans les environs de Norba et de Circéi. Après avoir pris toutes leurs mesures, ils résolurent de profiter des jeux qu'on allait célébrer prochainement à Sétia, pour attaquer le peuple occupé tout entier au spectacle. (8) Lorsqu'à la faveur du désordre et d'un massacre ils seraient maîtres de Sétia, ils devaient surprendre Norba et Circéi.
Cet infâme projet fut dénoncé, à Rome, au préteur urbain L. Cornélius Mérula. (9) Deux esclaves se présentèrent chez lui avant le jour, et lui racontèrent en détail tout ce qui avait été fait et tout ce qu'on devait faire. (10) Le préteur les garda chez lui, convoqua le sénat, lui communiqua ce qu'il venait d'apprendre, et reçut l'ordre de partir pour rechercher les coupables et étouffer cette conspiration. (11) Il prit avec lui cinq lieutenants, et, faisant prêter le serment militaire à tous ceux qu'il rencontrait sur sa route, ils les contraignit à prendre les armes et à le suivre. (12) Il rassembla ainsi à la hâte deux mille hommes environ et se rendit à Sétia, sans que personne sût où il allait.
(13) Dès son arrivée il fit saisir les chefs du complot; et, comme les esclaves s'étaient enfuis de la ville, il envoya dans les champs à leur poursuite. (14) La république fut redevable de cet important service à deux esclaves et à un citoyen libre. Ce dernier reçut, par ordre du sénat, à titre de récompense, une somme de cent mille as; chaque esclave eut vingt-cinq mille as et la liberté; le trésor public indemnisa leurs maîtres. (15) Peu après on fut informé qu'un reste de cette conspiration menaçait Préneste. (16) Le préteur L. Cornélius s'y rendit et fit exécuter environ cinq cents esclaves reconnus coupables.
On craignit à Rome que ces mouvements ne fussent excités par les otages et les prisonniers carthaginois. (17) On établit donc des postes dans les divers quartiers, on enjoignit aux magistrats inférieurs de les visiter, et aux triumvirs de la prison d'exercer une surveillance très active sur les lautumies; (18) enfin on fit écrire par le préteur aux villes latines qu'elles eussent à faire garder les otages dans des maisons particulières, sans leur permettre de paraître en public; à charger les prisonniers de fers pesant au moins dix livres et à les enfermer dans les prisons publiques et pas ailleurs.
[32,27] Élections à Rome pour l'année 197
(1) Cette même année, des ambassadeurs du roi Attale vinrent déposer au Capitole une couronne d'or du poids de deux cent quarante-six livres, et remercier le sénat de ce que les envoyés romains avaient obtenu par leur intervention qu'Antiochus retirât son armée des états de leur maître.
(2) Ce fut encore pendant cette campagne que le roi Masinissa envoya deux cents cavaliers, dix éléphants et deux cent mille boisseaux de blé aux troupes qui combattaient en Grèce. La Sicile et la Sardaigne leur fournirent aussi de nombreuses provisions et des vêtements. (3) La Sicile avait pour gouverneur M. Marcellus, la Sardaigne M. Porcius Caton, personnage intègre et vertueux, mais qui se montra trop rigoureux dans la répression de l'usure: (4) il bannit de l'île tous les usuriers, et diminua ou supprima les frais de représentation que les alliés payaient ordinairement au préteur.
(5) Le consul Sex. Aelius revint de la Gaule à Rome pour tenir les comices, et proclama consuls C. Cornélius Céthégus et Q. Minucius Rufus. (6) Deux jours après eurent lieu les comices prétoriens. On créa cette année, pour la première fois, six préteurs, car le nombre des provinces s'augmentait et l'empire romain s'étendait de jour en jour. (7) Ces six magistrats furent L. Manlius Vulso, C. Sempronius Tuditanus, M. Sergius Silus, M. Helvius, M. Minucius Rufus, L. Atilius: Sempronius et Helvius venaient d'être édiles plébéiens. (8) On nomma édiles curules Q. Minucius Thermus et Ti. Sempronius Longus. Les jeux Romains furent célébrés cette année pendant quatre jours.
[32,28] Attribution des postes. T. Quinctius Flamininus est maintenu en Grèce
(1) Le premier acte du consulat de C. Cornélius et de Q. Minucius fut de procéder à la répartition des provinces consulaires et prétoriennes. (2) On s'occupa d'abord de ces dernières, qui pouvaient être réglées par le sort. Sergius eut la juridiction de la ville, Minucius celle des étrangers. Atilius obtint la Sardaigne, Manlius la Sicile, Sempronius l'Espagne citérieure, Helvius l'Espagne ultérieure.
(3) Les consuls se disposaient à tirer au sort l'Italie et la Macédoine, lorsque les tribuns du peuple L. Oppius et Q. Fulvius s'y opposèrent. "La Macédoine, disaient-ils, était une province éloignée; (4) les principaux obstacles qui avaient entravé la guerre jusqu'à ce jour venaient de ce qu'on laissait à peine aux consuls le temps de commencer les opérations et qu'on les rappelait au fort même de leurs préparatifs. (5) Il y avait quatre ans déjà qu'on avait décrété la guerre de Macédoine. Sulpicius avait passé la plus grande partie de l'année à chercher le roi et son armée. Villius, qui avait pu joindre l'ennemi, avait été rappelé avant d'avoir livré bataille. (6) Quinctius, bien que retenu à Rome une grande partie de l'année par des affaires religieuses, avait cependant poussé la guerre avec tant de vigueur qu'il aurait pu la terminer s'il fût arrivé plus tôt dans sa province, ou si l'hiver eût été plus tardif. (7) Maintenant il était à peu près rentré dans ses quartiers; mais on disait qu'il faisait des préparatifs tels qu'à moins d'être supplanté par un successeur, il pouvait compter sur une victoire définitive pour la campagne prochaine."
(8) Ces arguments obligèrent les consuls à déclarer qu'ils s'en remettraient à la décision du sénat, pourvu que les tribuns en fissent autant. Sur le consentement des uns et des autres, les sénateurs décrétèrent, après libre discussion, que les deux consuls auraient l'Italie pour département. (9) Ils prorogèrent T. Quinctius dans son commandement jusqu'à ce qu'on lui envoyât un successeur. On donna deux légions à chaque consul et on les chargea de faire la guerre aux Gaulois cisalpins, qui avaient abandonné le parti des Romains.
(10) On arrêta qu'il serait envoyé à Quinctius, en Macédoine, un renfort de cinq mille hommes d'infanterie, trois cents chevaux et trois mille soldats de marine. (11) On laissa à la tête de la flotte L. Quinctius Flamininus, qui la commandait. Les préteurs désignés pour les Espagnes devaient emmener huit mille fantassins, tant des autres alliés que des Latins, et quatre cents cavaliers, afin de pouvoir renvoyer de leurs provinces les anciennes armées. On leur recommanda de fixer les limites de l'ultérieure et de la citérieure. (12) On envoya de plus comme lieutenants, en Macédoine, P. Sulpicius et P. Villius, qui avaient eu cette province en qualité de consuls.
[32,29] Conjuration des prodiges. Création de cinq nouvelles colonies
(1) Avant le départ des consuls et des préteurs pour leurs départements, on résolut d'expier les prodiges. Le temple de Vulcain et celui de Summanus à Rome, le mur et une porte de Frégènes avaient été frappés de la foudre; (2) à Frusinon, la nuit avait été éclairée d'une lueur soudaine; à Aefula il était né un agneau à deux têtes et à cinq pieds; à Formies deux loups étaient entrés dans l'enceinte de la ville et avaient sauvagement mordu plusieurs passants; à Rome un loup avait pénétré non seulement dans la ville, mais même dans le Capitole.
(3) Le tribun du peuple C. Acilius proposa une loi pour l'établissement de cinq colonies le long des côtes, deux à l'embouchure du Vulturne et du Literne, une à Pouzzoles, une au camp de Salerne, (4) la cinquième à Buxentum: trois cents familles devaient composer chacune de ces colonies. On nomma triumvirs pour veiller à ce soin, avec des pouvoirs qui devaient durer trois ans, M. Servilius Géminus, Q. Minucius Thermus, Ti. Sempronius Longus.
(5) Quand les levées et toutes les occupations civiles et religieuses qui retenaient les consuls furent terminées, ces magistrats partirent pour la Gaule. (6) Cornélius marcha par la route de droite contre les Insubres, qui étaient alors en armes et s'étaient associé les Cénomans; Q. Minucius se dirigea par la gauche vers la mer inférieure, conduisit son armée à Gênes et commença par attaquer les Ligures. (7) Les places de Clastidium et de Litubium, toutes deux en Ligurie, et deux peuplades liguriennes, les Céléiates et les Cerdiciates, firent leur soumission. Bientôt toute la Cispadane, moins les Gaulois Boiens et les Ligures Ilvates, fut réduite; (8) on faisait monter à quinze le nombre des villes et à vingt mille celui de leurs habitants. Le consul mena ensuite ses légions sur le territoire des Boiens.
[32,30] Soulèvement des Boiens et des Insubres, alliés aux Cénonans
(1) Il n'y avait pas longtemps que les Boiens avaient passé le Pô et fait leur jonction avec les Insubres et les Cénomans. (2) Ils avaient appris que les consuls devaient les attaquer à la tête de leurs légions réunies, et ils voulaient aussi rassembler toutes leurs forces pour être en état de leur tenir tête. (3) Mais à la nouvelle que l'un des deux consuls portait la flamme sur les terres des Boiens, la discorde éclata aussitôt dans les rangs de ces peuples. Les Boiens demandaient que l'armée tout entière les secourût dans leur détresse; les Insubres refusaient de laisser leur pays sans défense.
(4) Les confédérés se séparèrent donc: les Boiens coururent protéger leurs terres; les Insubres et les Cénomans allèrent prendre position sur les bords du Mincio. (5) Le consul Cornélius établit son camp sur ce fleuve, à cinq milles au-dessous de l'ennemi. (6) De là il envoya des émissaires dans les bourgs des Cénomans et à Brescia leur capitale, et acquit la certitude que, si la jeunesse du pays avait pris les armes, c'était sans l'aveu des anciens et qu'aucune décision publique n'avait autorisé les Cénomans à se joindre aux Insubres révoltés. (7) Il fit donc venir les principaux de la nation et mit tout en oeuvre pour les gagner et obtenir qu'ils se séparassent des Insubres, et que, levant leurs enseignes, ils se décidassent ou à rentrer chez eux, ou à passer du côté des Romains. (8) Il ne put réussir; mais il reçut leur parole qu'ils resteraient neutres dans le combat, ou que, si l'occasion se présentait, ils aideraient les Romains.
(9) Les Insubres ignoraient cette convention; ils avaient pourtant quelques soupçons et craignaient une trahison de la part de leurs alliés. Aussi lorsqu'ils se mirent en bataille, n'osèrent-ils leur confier aucune des deux ailes, de peur qu'un mouvement rétrograde, exécuté par eux avec perfidie, n'entraînât une déroute complète: ils les placèrent à la réserve derrière les enseignes. (10) Au commencement de l'action, le consul fit voeu d'élever un temple à Junon Sospita, si ce jour-là même il battait et dispersait les ennemis. Les soldats ne poussèrent qu'un seul cri: ils promettaient au consul de combler son espoir; puis ils tombèrent sur les Insubres (11) qui ne purent soutenir leur premier choc. Quelques auteurs prétendent qu'au milieu de la mêlée, les Cénomans attaquèrent aussi par derrière et causèrent une double alerte; que les ennemis laissèrent sur la place trente-cinq mille hommes (12) et que cinq mille sept cents prisonniers tombèrent au pouvoir des vainqueurs: de ce nombre était le général carthaginois Hamilcar, qui avait allumé cette guerre. Les Romains prirent en outre cent trente enseignes militaires et plus de deux cents chariots. (13) Les villes qui s'étaient jetées dans la révolte firent leur soumission.
[32,31] Pacification de la Gaule
(1) Le consul Minucius avait d'abord parcouru rapidement, en le dévastant, le territoire des Boiens; mais lorsqu'il vit qu'ils s'étaient séparés des Insubres afin de revenir défendre leurs foyers, il se tint dans son camp, persuadé qu'il faudrait bientôt livrer une bataille rangée. (2) Les Boiens, de leur côté, n'auraient pas reculé devant une action, si la nouvelle de la défaite des Insubres n'eût abattu leur courage. Ils abandonnèrent donc leur général et leur camp, se dispersèrent dans leurs bourgades, pour protéger chacun ses propriétés, et forcèrent leur ennemi à changer son plan d'opérations. (3) Minucius renonça à terminer la guerre par une action générale et se mit à ravager de nouveau les campagnes, à incendier les maisons, à forcer les bourgades: (4) dans cette dévastation, Clastidium fut livré aux flammes.
Puis il conduisit ses légions contre les Ligures Ilvates, les seuls qui tinssent encore. (5) Cette peuplade fit aussi sa soumission dès qu'elle eut appris que les Insubres avaient été vaincus en bataille rangée et que les Boiens étaient frappés de terreur au point de ne pas même oser courir les chances d'un combat. (6) Les consuls envoyèrent alors de la Gaule à Rome des lettres pour annoncer leurs succès. Le préteur urbain M. Sergius en fit lecture d'abord au sénat, puis, par ordre des sénateurs, devant l'assemblée du peuple. On décréta quatre jours de supplications.
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Re: Livre XXXII : Les événements des années 199 à 197
4ème partie: [32,32-40] Affaires de Grèce (fin de l'année 197-196)
[32,32] La conférence de Nicée (novembre 198)
(1) L'hiver étant déjà commencé pendant que T. Quinctius, maître d'Élatée, tenait ses quartiers d'hiver en Phocide et en Locride. Une sédition éclata dans Opous. (2) Un parti appelait les Étoliens, qui étaient plus près, l'autre, les Romains. (3) Les Étoliens arrivèrent les premiers; mais le parti contraire, qui était le plus puissant, leur ferma les portes, dépêcha un courrier au général romain et garda la ville jusqu'à son arrivée. (4) La citadelle était occupée par une garnison royale; ni les menaces des Opontiens, ni les sommations impératives du consul romain ne purent déterminer les Macédoniens à la rendre.
(5) On ne les attaqua point sur-le-champ, parce que Philippe venait d'envoyer un héraut pour demander qu'on lui fixât le lieu et le moment d'une entrevue. (6) Quinctius y consentit sans peine, quoiqu'il désirât pouvoir terminer lui-même cette guerre soit par la force des armes, soit par un traité. (7) En effet il ignorait encore si l'un des nouveaux consuls viendrait le remplacer, ou si ses amis et ses parents avaient réussi par leurs efforts et leurs démarches à le faire proroger dans son commandement, comme il le leur avait mandé. (8) Toutefois il pensait qu'une entrevue lui laisserait la liberté de continuer la guerre s'il restait, ou de conclure la paix s'il s'éloignait.
(9) On choisit pour lieu du rendez-vous le bord de la mer, près de Nicée, sur le golfe Maliaque. Le roi y arriva de Démétriade avec cinq barques et un vaisseau à éperon; (10) il était accompagné des principaux Macédoniens et d'un exilé achéen, l'illustre Cycliadas. (11) Le général romain avait avec lui le roi Amynander; Dionysodoros, ambassadeur d'Attale; Acésimbrotos, amiral de la flotte rhodienne; Phénéas, chef des Étoliens; et deux Achéens, Aristaenus et Xénophon.
(12) Ce fut au milieu de ce cortège que le consul s'avança jusqu'au bord de la mer, tandis que Philippe se présentait à la proue de son vaisseau; qui était à l'ancre. (13) "Si vous descendiez à terre, lui dit-il, nous serions mieux et plus à portée de nous parler et de nous entendre." Le roi s'y refusa: "Qui craignez-vous donc?" reprit Quinctius. "Je ne crains, répondit Philippe avec toute la fierté d'un roi, (14) que les dieux immortels; mais je n'ai pas confiance en tous ceux qui vous entourent, et dans les Étoliens moins encore que dans les autres." (15) Le Romain répliqua: "C'est un danger que courent également tous ceux qui s'abouchent avec un ennemi, si cet ennemi est sans foi." (16) "Mais, repartit le roi, en cas de perfidie, T. Quinctius, la partie n'est pas égale entre Philippe et Phénéas; les Étoliens auraient moins de peine à trouver un autre préteur que les Macédoniens un roi pour le mettre à ma place."
[32,33] Intervention du consul romain
(1) Après ce début il y eut un moment de silence. Quinctius fit enfin observer que c'était à celui qui avait demandé l'entrevue de s'expliquer le premier; mais le roi objecta que la parole appartenait d'abord à qui dictait les conditions de paix et non à qui les recevait. Le général romain répondit (2) "que son discours était fort simple; qu'il allait exposer les conditions sans lesquelles il ne pouvait y avoir de paix. (3) Le roi devait retirer ses garnisons de toutes les villes de la Grèce; rendre aux alliés du peuple romain les prisonniers et les transfuges; restituer aux Romains les places d'Illyrie dont il s'était emparé depuis qu'on avait signé la paix en Épire; (4) remettre au roi d'Égypte Ptolémée les villes qu'il lui avait enlevées après la mort de Ptolémée Philopator. C'étaient là les conditions qu'il lui dictait au nom du peuple romain; mais on allait entendre aussi les demandes des alliés: c'était chose juste."
(5) L'ambassadeur d'Attale réclama les vaisseaux et les prisonniers que le combat naval de Chios avait mis au pouvoir de Philippe; il exigea que les spoliations et les dégâts commis dans le bois de Nicéphore et dans le temple de Vénus fussent entièrement réparés. (6) Les Rhodiens redemandèrent la Pérée, petite contrée située sur le continent, vis-à-vis de leur île, et depuis longtemps dans leur dépendance; ils insistèrent sur l'évacuation de Iasos, de Bargylia et d'Euromensium, par les garnisons macédoniennes, sur celle de Sestos et d'Abydos dans l'Hellespont, (7) sur la restitution de Périnthe aux Byzantins avec la jouissance des anciens privilèges, et sur l'affranchissement de tous les entrepôts et ports de l'Asie. (8) Les Achéens réclamèrent Corinthe et Argos. Le préteur des Étoliens, Phénée, posa à peu près les mêmes conditions que les Romains, c'est-à-dire l'abandon de la Grèce et la remise aux Étoliens de toutes les villes qui avaient auparavant reconnu leurs lois et leur domination. (9) Après lui, un des principaux Étoliens, Alexandre, considéré dans son pays comme un bon orateur, prit la parole.
(10) "Il y avait longtemps, dit-il, qu'il gardait le silence, non qu'il espérât voir cette conférence aboutir à quelque résultat, mais parce qu'il n'avait pas voulu interrompre les orateurs des alliés. Philippe, ajouta-t-il, ne traitait pas sincèrement de la paix, pas plus qu'il n'avait jamais fait la guerre avec un courage véritable. (11) Dans les négociations il cherchait à tromper et à circonvenir; dans la guerre, il ne s'avançait point en rase campagne, il ne hasardait pas une bataille rangée, mais il reculait toujours en brûlant et en pillant les villes; et, lorsqu'il était vaincu, il détruisait pour les vainqueurs le fruit de leurs triomphes."
"(12) Ce n'était pas ainsi que les anciens rois de Macédoine agissaient: ils montraient leur valeur sur les champs de bataille et ils épargnaient les villes autant que possible, afin d'avoir un empire plus florissant. (13) Anéantir ainsi les possessions qu'on se disputait, et ne se réserver que la guerre même, était-ce l'oeuvre d'un sage politique? (14) Philippe avait, dans l'année précédente, dévasté en Thessalie plus de villes appartenant à ses alliés que n'en avaient jamais dévasté tous les ennemis de la Thessalie. (15) Les Étoliens eux-mêmes avaient été plus maltraités par lui, au temps de leur alliance, que depuis qu'il était leur ennemi. Il leur avait enlevé Lysimachia, après en avoir chassé le gouverneur et la garnison étolienne; (16) il avait détruit et ruiné de fond en comble Chios, ville de leur dépendance. C'est par la même perfidie qu'il s'était assuré la possession de Thèbes-de-Phthie, d'Échinos, de Larissa et de Pharsale."
[32,34] Philippe somme les Romains de quitter la Grèce
(1) Piqué des reproches d'Alexandre, Philippe fit avancer son vaisseau plus près du rivage afin d'être mieux entendu. (2) Il commençait à parler et s'emportait contre les Étoliens, lorsque Phénée l'interrompit brusquement. "Il ne s'agissait point de paroles, dit-il; il fallait ou triompher à la guerre ou se soumettre au plus fort." (3) "La chose est claire, même pour un aveugle, repartit Philippe, faisant allusion à la faiblesse des yeux de Phénée." II était naturellement trop railleur pour un roi; même dans les affaires sérieuses, il ne savait point retenir une plaisanterie. (4) Puis il se montra fort irrité de ce que les Étoliens exigeaient impérativement comme les Romains l'évacuation de la Grèce, lorsqu'ils pouvaient à peine indiquer les limites de cette contrée. En effet l'Agrée, l'Apodotie et l'Amphilochie, qui formaient la plus grande partie de l'Étolie, n'étaient pas en Grèce.
(5) "Ils se plaignent que je n'ai pas épargné leurs alliés; mais en ont-ils le droit, lorsqu'un usage établi chez eux de tout temps et qui a force de loi permet à leur jeunesse de combattre contre leurs propres alliés? Ils ont soin seulement de ne l'autoriser par aucun acte public. Et ne voit-on pas très souvent deux armées opposées l'une à l'autre compter dans leurs rangs des auxiliaires étoliens? (6) Ce n'est pas moi qui ai forcé Chios; je n'ai fait que seconder les opérations de Prusias, mon allié et mon ami. Quant à Lysimachie, je l'ai enlevée aux Thraces; mais comme les nécessités de la guerre présente m'empêchent de veiller sur cette place, les Thraces l'ont reprise. (7) Voilà ce que j'ai à dire aux Étoliens.
Pour Attale et les Rhodiens, je ne leur dois légitimement rien: ce n'est pas moi, ce sont eux qui ont commencé la guerre. (8) Toutefois, par égard pour les Romains, je rendrai aux Rhodiens la Pérée, et au roi Attale ses vaisseaux avec les prisonniers qu'on retrouvera. (9) Quant à la restitution du bois de Nicéphore et du temple de Vénus, puisqu'on a voulu que de pareils objets fussent matière à contestation entre des rois, dois-je répondre aux réclamations de mes ennemis (10) autrement qu'en leur offrant la seule satisfaction qu'on puisse donner pour des bois et des forêts abattus, c'est-à-dire en m'engageant à payer et à faire de nouvelles plantations?"
(11) La fin de son discours fut une sortie contre les Achéens. Après avoir commencé par rappeler d'abord les bienfaits d'Antigone envers la ligue, puis ceux qu'il lui avait rendus lui-même, il fit donner lecture des décrets où les Achéens lui prodiguaient tous les honneurs divins et humains, et à ces décrets il opposa celui qui avait naguère enjoint à leur armée de se tourner contre lui. (12) Il se répandit en invectives sur leur perfidie et ajouta "qu'il leur rendrait cependant Argos. (13) À l'égard de Corinthe, il en délibérerait avec le général romain, et lui demanderait en même temps si l'on prétendait qu'il abandonnât seulement les villes dont les droits de la guerre l'avaient mis en possession, ou toutes celles qu'il avait reçues de ses ancêtres."
[32,35] Deuxième journée de pourparlers
(1) Les Achéens et les Étoliens se préparaient à répliquer; mais le soleil étant sur le point de se coucher, on remit la conférence au lendemain. Philippe alla reprendre la position qu'il avait quittée; les Romains et leurs alliés rentrèrent dans leur camp.
(2) Le jour suivant, à l'heure convenue, Quinctius se rendit à Nicée, qui était le lieu choisi pour l'entrevue. Philippe n'y était pas, et pendant quelques heures on attendit en vain un message de sa part; déjà l'on désespérait de le voir arriver, lorsqu'on aperçut tout à coup ses vaisseaux. (3) Il s'excusa en disant que, préoccupé des conditions si dures et si révoltantes qu'on lui imposait, il avait passé la journée entière à délibérer sans rien décider. (4) On crut généralement qu'il avait à dessein traîné l'affaire en longueur, pour ne pas laisser aux Achéens et aux Étoliens le temps de lui répondre. (5) Il confirma lui-même ce soupçon en demandant que, pour éviter de perdre le temps en vaines altercations et arriver enfin à un résultat; on éloignât tous ceux qui se trouvaient là, et qu'on lui permît de parler seul à seul avec le général romain.
(6) Cette proposition fut d'abord rejetée. on ne voulait pas avoir l'air d'exclure les alliés de la conférence. (7) Mais comme Philippe insistait sur ce point, le général romain, après avoir consulté toutes les parties intéressées, ne prit avec lui que le tribun militaire Appius Claudius et s'avança jusqu'au bord de la mer. (8) Le roi descendit à terre avec les deux officiers qui l'avaient accompagné la veille. Après quelques moments d'entretien secret, Philippe retourna vers les siens; mais on ne sait pas au juste quel compte il leur rendit de l'affaire. (9) Voici ce que Quinctius rapporta aux alliés. "Le roi cédait aux Romains toute la côte de l'Illyrie et leur renvoyait les transfuges ainsi que les prisonniers qu'il aurait. (10) Il rendait à Attale ses vaisseaux et les soldats des équipages qu'il avait pris avec les vaisseaux; aux Rhodiens la Pérée", mais il gardait Iasos et Bargylia. (11) Il restituait aux Étoliens Pharsale et Larissa, et retenait Thèbes; il abandonnait aux Achéens non seulement Argos, mais Corinthe."
(12) Personne ne trouva bon qu'il eût décidé des cessions qu'il ferait et de celles qu'il refuserait. "On perdait plus, disait-on, à cet arrangement qu'on n'y gagnait; tant qu'il n'aurait pas retiré ses garnisons de la Grèce entière, il resterait toujours quelque sujet de démêlé."
[32,36] Les alliés accordent à Philippe une trève de deux mois
(1) Alors ce ne fut dans toute l'assemblée qu'un cri d'indignation; les clameurs arrivèrent jusqu'à Philippe malgré l'éloignement où il se trouvait. (2) Il pria donc Quinctius de remettre toute l'affaire au lendemain, assurant qu'il ferait goûter ses raisons ou qu'il se laisserait convaincre par celles qu'on lui donnerait.
(3) On prit rendez-vous à la côte, près de Thronium, et l'on s'y réunit de bonne heure. Là Philippe conjura d'abord Quinctius et tous ceux qui l'accompagnaient de ne point détruire toute espérance de paix. (4) Il finit en demandant un délai afin de pouvoir envoyer des ambassadeurs au sénat de Rome. "Ou bien, disait-il, il obtiendrait la paix aux conditions qu'il avait offertes, ou il accepterait celles que lui dicterait le sénat, quelles qu'elles fussent." (5) Cette proposition était loin de plaire à l'assemblée; on pensait qu'il ne cherchait qu'à gagner du temps pour rassembler ses forces. (6) Quinctius représenta "que cette supposition pourrait être juste, si l'on était dans la saison favorable aux opérations militaires; mais que, l'hiver approchant, on ne perdait rien en lui accordant le temps d'envoyer des ambassadeurs à Rome. (7) Car l'approbation du sénat était nécessaire pour ratifier toutes les clauses qui auraient été convenues avec le roi, et l'on pouvait profiter du repos forcé de l'hiver pour sonder les intentions des sénateurs."
(8) Cet avis fut adopté par tous les chefs des alliés. On accorda une trêve de deux mois, et il fut décidé que chacun députerait aussi de son côté des ambassadeurs pour éclairer le sénat et le mettre en garde contre les artifices de Philippe. (9) Un article de la trêve obligeait le roi à retirer sur-le-champ ses garnisons de la Phocide et de la Locride. (10) Quinctius adjoignit aux envoyés des alliés, afin de donner plus d'éclat à l'ambassade, Amynander, roi des Athamans, Q. Fabius, fils de sa belle-soeur, Q. Fulvius et Ap. Claudius.
[32,37] Échec des négociations de paix à Rome
Arrivés à Rome, les ambassadeurs des alliés furent reçus avant ceux du roi. Tout leur discours ne fut qu'une longue invective contre Philippe. (2) Ce qui fit le plus d'impression sur le sénat, ce fut le plan qu'ils tracèrent de la position maritime et continentale de ses états; (3) ils prouvèrent jusqu'à l'évidence que si ce prince conservait Démétriade en Thessalie, Chalcis en Eubée, Corinthe en Achaïe, il n'y avait pas de liberté possible pour la Grèce, (4) et que ces places étaient, comme Philippe le disait lui-même, avec autant de vérité que d'insolence, les entraves de la Grèce.
(5) On introduisit ensuite les ambassadeurs macédoniens. Ils allaient commencer un long discours; mais on leur coupa la parole pour leur demander en peu de mots si leur maître abandonnerait ces trois places. Ils répondirent qu'ils n'avaient reçu aucune instruction formelle à cet égard; alors on les congédia sans leur accorder la paix.
On laissa à Quinctius toute liberté de faire la paix ou la guerre à son gré. (6) Ce général, voyant que le sénat n'était point rebuté de la guerre, et désirant lui-même d'ailleurs plutôt vaincre que faire la paix, n'accorda plus d'entrevue à Philippe, et déclara qu'il ne recevrait de sa part aucune autre ambassade que celle qui viendrait lui annoncer l'entière évacuation de la Grèce.
[32,38] Philippe fait cadeau d'Argos à Nabis, tyran de Lacédémone
(1) Philippe vit bien qu'une bataille seule déciderait la querelle et qu'il lui fallait réunir des forces de tous côtés; mais il n'était pas sans inquiétude pour les villes de l'Achaïe, contrée si éloignée de ses états, (2) et plus encore pour Argos que pour Corinthe. Il crut prudent de remettre cette place comme en dépôt à Nabis, tyran de Sparte, qui la lui rendrait après la victoire ou la garderait en cas de revers. Il écrivit donc à Philoclès, gouverneur de Corinthe et d'Argos, de se rendre en personne auprès du tyran.
(3) Philoclès ne se borna point au présent dont il venait faire l'offre; il ajouta que le roi, pour gage de l'alliance qu'il allait conclure avec le tyran, voulait accorder la main de ses deux filles aux fils de Nabis. (4) Le tyran refusa d'abord de recevoir la ville, si un décret des Argiens eux-mêmes ne l'appelait à leur secours; (5) mais quand il apprit qu'une assemblée nombreuse des habitants avait repoussé avec mépris, et même avec horreur, le seul nom du tyran, il crut avoir un prétexte pour les dépouiller et demanda à Philoclès de lui livrer Argos dès qu'il le voudrait.
(6) Ce fut pendant la nuit et à l'insu de tout le monde qu'il y fut introduit; au point du jour il s'empara de toutes les hauteurs et fit fermer les portes. (7) Quelques-uns des principaux habitants s'échappèrent à la faveur du premier désordre; en leur absence il mit leurs biens au pillage. Ceux qui étaient restés furent dépouillés de leur or et de leur argent; on leur imposa des taxes énormes. (8) Ceux qui payèrent sans délai purent s'en aller sans avoir été insultés ni battus; ceux qu'on soupçonna d'avoir caché ou soustrait une partie de leurs trésors furent frappés de verges et torturés comme des esclaves. (9) Le tyran convoqua ensuite les Argiens et publia deux lois, l'une pour l'abolition des dettes, l'autre pour le partage des terres: c'étaient deux brandons de discorde qu'il jetait au milieu d'une révolution pour enflammer la colère du peuple contre les nobles.
[32,39] La rencontre de Mycènes (printemps 197)
(1) Une fois maître d'Argos, Nabis oublia de qui il tenait cette ville et à quelles conditions il l'avait reçue. (2) Il dépêcha donc, à Élatée, vers Quinctius, et, à Égine, vers Attale, qui avait établi ses quartiers dans cette île, pour leur faire savoir qu'Argos était en sa puissance; que si Quinctius voulait y accepter une entrevue, il avait espoir qu'il pourrait s'entendre avec lui. (3) Quinctius, afin d'enlever encore cette ressource à Philippe, répondit qu'il acceptait le rendez-vous, et il fit prévenir Attale de quitter Égine pour le rejoindre à Sicyone. (4) Il partit lui-même d'Anticyre sur dix quinquérèmes, que L. Quinctius son frère avait amenées par hasard de la station de Corcyre peu de jours auparavant, et fit voile vers Sicyone. (5) Attale y était déjà; il représenta à Quinctius que c'était au tyran à venir trouver le général romain, et non pas au général à se transporter auprès du tyran, et il le décida à ne pas entrer dans Argos.
(6) Non loin de la ville est un endroit appelé Mycènes; on convint de s'y réunir. (7) Quinctius était accompagné de son frère et de quelques tribuns militaires; Attale avait un cortège royal; le préteur des Achéens, Nicostrate, s'était fait suivre de quelques auxiliaires. (8) Ils trouvèrent au lieu fixé le tyran qui les attendait avec toutes ses troupes; il s'avança, tout armé, à la tête de ses gardes armés comme lui, jusqu'au milieu environ de la plaine qui séparait les deux partis. Quinctius était sans armes ainsi que son frère et les deux tribuns militaires; Attale, également sans armes, avait à ses côtés le préteur des Achéens et un officier de sa cour.
(9) Le tyran commença par s'excuser "d'être venu tout armé et entouré de gens armés à une entrevue où le général romain et le roi se présentaient sans armes: ce n'était pas qu'il eût peur d'eux, dit-il, mais il craignait les exilés d'Argos." (10) On parla ensuite des conditions de l'alliance projetée. Quinctius exigea deux choses, d'abord que Nabis cessât de faire la guerre aux Achéens, puis qu'il fournît des secours aux Romains contre Philippe. Le tyran promit ces secours; mais au lieu de la paix avec les Achéens, il ne signa qu'une trêve qui devait durer jusqu'à la fin de la guerre de Macédoine.
[32,40] Conclusion d'une trève de quatre mois
(1) Attale éleva une nouvelle difficulté au sujet d'Argos. Il accusa Nabis de s'être mis en possession de cette ville par la trahison de Philoclès. Le tyran répondit que les Argiens eux-mêmes l'avaient appelé à leur aide. (2) Le roi demanda qu'on assemblât les habitants pour vérifier le fait; le tyran n'y mit pas obstacle; mais Attale voulut qu'il retirât sa garnison d'Argos, que l'assemblée des Argiens ne fût pas intimidée par la présence des troupes lacédémoniennes et qu'elle fit connaître ses sentiments en toute liberté. Nabis s'y étant refusé, (3) cette contestation demeura sans résultat. (4) La réunion terminée, le tyran donna aux Romains six cents auxiliaires crétois, et conclut une trêve de quatre mois avec Nicostrate, préteur des Achéens.
(5) Quinctius partit ensuite pour Corinthe; il se présenta aux portes avec les Crétois, afin de montrer au gouverneur de la ville, Philoclès, que Nabis avait abandonné le parti de Philippe. (6) Philoclès eut aussi une entrevue avec le général romain. Pressé par lui de trahir son maître et de livrer Corinthe, il fit une réponse qui avait l'air d'un délai plutôt que d'un refus positif. (7) De Corinthe, Quinctius fit voile vers Anticyre, d'où il envoya son frère sonder les dispositions des Acarnaniens.
(8) Attale se rendit d'Argos à Sicyone, dont les habitants ajoutèrent de nouveaux honneurs à ceux dont ils l'avaient déjà comblé. Le roi, qui avait autrefois racheté pour eux, moyennant une somme considérable, le champ sacré d'Apollon, (9) voulant en cette occasion signaler son passage par quelque munificence envers ses alliés et ses amis, fit don à la ville de dix talents d'argent et de dix mille médimnes de blé; puis il alla rejoindre sa flotte à Cenchrées.
(10) Nabis, après avoir renforcé la garnison d'Argos, retourna à Lacédémone, chargé des dépouilles des Argiens, et il envoya son épouse exercer les mêmes spoliations sur les femmes d'Argos. (11) Elle invita chez elle les dames les plus illustres, tantôt une à une, tantôt en grand nombre lorsqu'elles étaient plusieurs de la même famille; et par ses caresses ou par ses menaces elle leur enleva non seulement l'or qu'elles possédaient, mais aussi leurs vêtements et toutes les parures habituelles à leur sexe.
[32,32] La conférence de Nicée (novembre 198)
(1) L'hiver étant déjà commencé pendant que T. Quinctius, maître d'Élatée, tenait ses quartiers d'hiver en Phocide et en Locride. Une sédition éclata dans Opous. (2) Un parti appelait les Étoliens, qui étaient plus près, l'autre, les Romains. (3) Les Étoliens arrivèrent les premiers; mais le parti contraire, qui était le plus puissant, leur ferma les portes, dépêcha un courrier au général romain et garda la ville jusqu'à son arrivée. (4) La citadelle était occupée par une garnison royale; ni les menaces des Opontiens, ni les sommations impératives du consul romain ne purent déterminer les Macédoniens à la rendre.
(5) On ne les attaqua point sur-le-champ, parce que Philippe venait d'envoyer un héraut pour demander qu'on lui fixât le lieu et le moment d'une entrevue. (6) Quinctius y consentit sans peine, quoiqu'il désirât pouvoir terminer lui-même cette guerre soit par la force des armes, soit par un traité. (7) En effet il ignorait encore si l'un des nouveaux consuls viendrait le remplacer, ou si ses amis et ses parents avaient réussi par leurs efforts et leurs démarches à le faire proroger dans son commandement, comme il le leur avait mandé. (8) Toutefois il pensait qu'une entrevue lui laisserait la liberté de continuer la guerre s'il restait, ou de conclure la paix s'il s'éloignait.
(9) On choisit pour lieu du rendez-vous le bord de la mer, près de Nicée, sur le golfe Maliaque. Le roi y arriva de Démétriade avec cinq barques et un vaisseau à éperon; (10) il était accompagné des principaux Macédoniens et d'un exilé achéen, l'illustre Cycliadas. (11) Le général romain avait avec lui le roi Amynander; Dionysodoros, ambassadeur d'Attale; Acésimbrotos, amiral de la flotte rhodienne; Phénéas, chef des Étoliens; et deux Achéens, Aristaenus et Xénophon.
(12) Ce fut au milieu de ce cortège que le consul s'avança jusqu'au bord de la mer, tandis que Philippe se présentait à la proue de son vaisseau; qui était à l'ancre. (13) "Si vous descendiez à terre, lui dit-il, nous serions mieux et plus à portée de nous parler et de nous entendre." Le roi s'y refusa: "Qui craignez-vous donc?" reprit Quinctius. "Je ne crains, répondit Philippe avec toute la fierté d'un roi, (14) que les dieux immortels; mais je n'ai pas confiance en tous ceux qui vous entourent, et dans les Étoliens moins encore que dans les autres." (15) Le Romain répliqua: "C'est un danger que courent également tous ceux qui s'abouchent avec un ennemi, si cet ennemi est sans foi." (16) "Mais, repartit le roi, en cas de perfidie, T. Quinctius, la partie n'est pas égale entre Philippe et Phénéas; les Étoliens auraient moins de peine à trouver un autre préteur que les Macédoniens un roi pour le mettre à ma place."
[32,33] Intervention du consul romain
(1) Après ce début il y eut un moment de silence. Quinctius fit enfin observer que c'était à celui qui avait demandé l'entrevue de s'expliquer le premier; mais le roi objecta que la parole appartenait d'abord à qui dictait les conditions de paix et non à qui les recevait. Le général romain répondit (2) "que son discours était fort simple; qu'il allait exposer les conditions sans lesquelles il ne pouvait y avoir de paix. (3) Le roi devait retirer ses garnisons de toutes les villes de la Grèce; rendre aux alliés du peuple romain les prisonniers et les transfuges; restituer aux Romains les places d'Illyrie dont il s'était emparé depuis qu'on avait signé la paix en Épire; (4) remettre au roi d'Égypte Ptolémée les villes qu'il lui avait enlevées après la mort de Ptolémée Philopator. C'étaient là les conditions qu'il lui dictait au nom du peuple romain; mais on allait entendre aussi les demandes des alliés: c'était chose juste."
(5) L'ambassadeur d'Attale réclama les vaisseaux et les prisonniers que le combat naval de Chios avait mis au pouvoir de Philippe; il exigea que les spoliations et les dégâts commis dans le bois de Nicéphore et dans le temple de Vénus fussent entièrement réparés. (6) Les Rhodiens redemandèrent la Pérée, petite contrée située sur le continent, vis-à-vis de leur île, et depuis longtemps dans leur dépendance; ils insistèrent sur l'évacuation de Iasos, de Bargylia et d'Euromensium, par les garnisons macédoniennes, sur celle de Sestos et d'Abydos dans l'Hellespont, (7) sur la restitution de Périnthe aux Byzantins avec la jouissance des anciens privilèges, et sur l'affranchissement de tous les entrepôts et ports de l'Asie. (8) Les Achéens réclamèrent Corinthe et Argos. Le préteur des Étoliens, Phénée, posa à peu près les mêmes conditions que les Romains, c'est-à-dire l'abandon de la Grèce et la remise aux Étoliens de toutes les villes qui avaient auparavant reconnu leurs lois et leur domination. (9) Après lui, un des principaux Étoliens, Alexandre, considéré dans son pays comme un bon orateur, prit la parole.
(10) "Il y avait longtemps, dit-il, qu'il gardait le silence, non qu'il espérât voir cette conférence aboutir à quelque résultat, mais parce qu'il n'avait pas voulu interrompre les orateurs des alliés. Philippe, ajouta-t-il, ne traitait pas sincèrement de la paix, pas plus qu'il n'avait jamais fait la guerre avec un courage véritable. (11) Dans les négociations il cherchait à tromper et à circonvenir; dans la guerre, il ne s'avançait point en rase campagne, il ne hasardait pas une bataille rangée, mais il reculait toujours en brûlant et en pillant les villes; et, lorsqu'il était vaincu, il détruisait pour les vainqueurs le fruit de leurs triomphes."
"(12) Ce n'était pas ainsi que les anciens rois de Macédoine agissaient: ils montraient leur valeur sur les champs de bataille et ils épargnaient les villes autant que possible, afin d'avoir un empire plus florissant. (13) Anéantir ainsi les possessions qu'on se disputait, et ne se réserver que la guerre même, était-ce l'oeuvre d'un sage politique? (14) Philippe avait, dans l'année précédente, dévasté en Thessalie plus de villes appartenant à ses alliés que n'en avaient jamais dévasté tous les ennemis de la Thessalie. (15) Les Étoliens eux-mêmes avaient été plus maltraités par lui, au temps de leur alliance, que depuis qu'il était leur ennemi. Il leur avait enlevé Lysimachia, après en avoir chassé le gouverneur et la garnison étolienne; (16) il avait détruit et ruiné de fond en comble Chios, ville de leur dépendance. C'est par la même perfidie qu'il s'était assuré la possession de Thèbes-de-Phthie, d'Échinos, de Larissa et de Pharsale."
[32,34] Philippe somme les Romains de quitter la Grèce
(1) Piqué des reproches d'Alexandre, Philippe fit avancer son vaisseau plus près du rivage afin d'être mieux entendu. (2) Il commençait à parler et s'emportait contre les Étoliens, lorsque Phénée l'interrompit brusquement. "Il ne s'agissait point de paroles, dit-il; il fallait ou triompher à la guerre ou se soumettre au plus fort." (3) "La chose est claire, même pour un aveugle, repartit Philippe, faisant allusion à la faiblesse des yeux de Phénée." II était naturellement trop railleur pour un roi; même dans les affaires sérieuses, il ne savait point retenir une plaisanterie. (4) Puis il se montra fort irrité de ce que les Étoliens exigeaient impérativement comme les Romains l'évacuation de la Grèce, lorsqu'ils pouvaient à peine indiquer les limites de cette contrée. En effet l'Agrée, l'Apodotie et l'Amphilochie, qui formaient la plus grande partie de l'Étolie, n'étaient pas en Grèce.
(5) "Ils se plaignent que je n'ai pas épargné leurs alliés; mais en ont-ils le droit, lorsqu'un usage établi chez eux de tout temps et qui a force de loi permet à leur jeunesse de combattre contre leurs propres alliés? Ils ont soin seulement de ne l'autoriser par aucun acte public. Et ne voit-on pas très souvent deux armées opposées l'une à l'autre compter dans leurs rangs des auxiliaires étoliens? (6) Ce n'est pas moi qui ai forcé Chios; je n'ai fait que seconder les opérations de Prusias, mon allié et mon ami. Quant à Lysimachie, je l'ai enlevée aux Thraces; mais comme les nécessités de la guerre présente m'empêchent de veiller sur cette place, les Thraces l'ont reprise. (7) Voilà ce que j'ai à dire aux Étoliens.
Pour Attale et les Rhodiens, je ne leur dois légitimement rien: ce n'est pas moi, ce sont eux qui ont commencé la guerre. (8) Toutefois, par égard pour les Romains, je rendrai aux Rhodiens la Pérée, et au roi Attale ses vaisseaux avec les prisonniers qu'on retrouvera. (9) Quant à la restitution du bois de Nicéphore et du temple de Vénus, puisqu'on a voulu que de pareils objets fussent matière à contestation entre des rois, dois-je répondre aux réclamations de mes ennemis (10) autrement qu'en leur offrant la seule satisfaction qu'on puisse donner pour des bois et des forêts abattus, c'est-à-dire en m'engageant à payer et à faire de nouvelles plantations?"
(11) La fin de son discours fut une sortie contre les Achéens. Après avoir commencé par rappeler d'abord les bienfaits d'Antigone envers la ligue, puis ceux qu'il lui avait rendus lui-même, il fit donner lecture des décrets où les Achéens lui prodiguaient tous les honneurs divins et humains, et à ces décrets il opposa celui qui avait naguère enjoint à leur armée de se tourner contre lui. (12) Il se répandit en invectives sur leur perfidie et ajouta "qu'il leur rendrait cependant Argos. (13) À l'égard de Corinthe, il en délibérerait avec le général romain, et lui demanderait en même temps si l'on prétendait qu'il abandonnât seulement les villes dont les droits de la guerre l'avaient mis en possession, ou toutes celles qu'il avait reçues de ses ancêtres."
[32,35] Deuxième journée de pourparlers
(1) Les Achéens et les Étoliens se préparaient à répliquer; mais le soleil étant sur le point de se coucher, on remit la conférence au lendemain. Philippe alla reprendre la position qu'il avait quittée; les Romains et leurs alliés rentrèrent dans leur camp.
(2) Le jour suivant, à l'heure convenue, Quinctius se rendit à Nicée, qui était le lieu choisi pour l'entrevue. Philippe n'y était pas, et pendant quelques heures on attendit en vain un message de sa part; déjà l'on désespérait de le voir arriver, lorsqu'on aperçut tout à coup ses vaisseaux. (3) Il s'excusa en disant que, préoccupé des conditions si dures et si révoltantes qu'on lui imposait, il avait passé la journée entière à délibérer sans rien décider. (4) On crut généralement qu'il avait à dessein traîné l'affaire en longueur, pour ne pas laisser aux Achéens et aux Étoliens le temps de lui répondre. (5) Il confirma lui-même ce soupçon en demandant que, pour éviter de perdre le temps en vaines altercations et arriver enfin à un résultat; on éloignât tous ceux qui se trouvaient là, et qu'on lui permît de parler seul à seul avec le général romain.
(6) Cette proposition fut d'abord rejetée. on ne voulait pas avoir l'air d'exclure les alliés de la conférence. (7) Mais comme Philippe insistait sur ce point, le général romain, après avoir consulté toutes les parties intéressées, ne prit avec lui que le tribun militaire Appius Claudius et s'avança jusqu'au bord de la mer. (8) Le roi descendit à terre avec les deux officiers qui l'avaient accompagné la veille. Après quelques moments d'entretien secret, Philippe retourna vers les siens; mais on ne sait pas au juste quel compte il leur rendit de l'affaire. (9) Voici ce que Quinctius rapporta aux alliés. "Le roi cédait aux Romains toute la côte de l'Illyrie et leur renvoyait les transfuges ainsi que les prisonniers qu'il aurait. (10) Il rendait à Attale ses vaisseaux et les soldats des équipages qu'il avait pris avec les vaisseaux; aux Rhodiens la Pérée", mais il gardait Iasos et Bargylia. (11) Il restituait aux Étoliens Pharsale et Larissa, et retenait Thèbes; il abandonnait aux Achéens non seulement Argos, mais Corinthe."
(12) Personne ne trouva bon qu'il eût décidé des cessions qu'il ferait et de celles qu'il refuserait. "On perdait plus, disait-on, à cet arrangement qu'on n'y gagnait; tant qu'il n'aurait pas retiré ses garnisons de la Grèce entière, il resterait toujours quelque sujet de démêlé."
[32,36] Les alliés accordent à Philippe une trève de deux mois
(1) Alors ce ne fut dans toute l'assemblée qu'un cri d'indignation; les clameurs arrivèrent jusqu'à Philippe malgré l'éloignement où il se trouvait. (2) Il pria donc Quinctius de remettre toute l'affaire au lendemain, assurant qu'il ferait goûter ses raisons ou qu'il se laisserait convaincre par celles qu'on lui donnerait.
(3) On prit rendez-vous à la côte, près de Thronium, et l'on s'y réunit de bonne heure. Là Philippe conjura d'abord Quinctius et tous ceux qui l'accompagnaient de ne point détruire toute espérance de paix. (4) Il finit en demandant un délai afin de pouvoir envoyer des ambassadeurs au sénat de Rome. "Ou bien, disait-il, il obtiendrait la paix aux conditions qu'il avait offertes, ou il accepterait celles que lui dicterait le sénat, quelles qu'elles fussent." (5) Cette proposition était loin de plaire à l'assemblée; on pensait qu'il ne cherchait qu'à gagner du temps pour rassembler ses forces. (6) Quinctius représenta "que cette supposition pourrait être juste, si l'on était dans la saison favorable aux opérations militaires; mais que, l'hiver approchant, on ne perdait rien en lui accordant le temps d'envoyer des ambassadeurs à Rome. (7) Car l'approbation du sénat était nécessaire pour ratifier toutes les clauses qui auraient été convenues avec le roi, et l'on pouvait profiter du repos forcé de l'hiver pour sonder les intentions des sénateurs."
(8) Cet avis fut adopté par tous les chefs des alliés. On accorda une trêve de deux mois, et il fut décidé que chacun députerait aussi de son côté des ambassadeurs pour éclairer le sénat et le mettre en garde contre les artifices de Philippe. (9) Un article de la trêve obligeait le roi à retirer sur-le-champ ses garnisons de la Phocide et de la Locride. (10) Quinctius adjoignit aux envoyés des alliés, afin de donner plus d'éclat à l'ambassade, Amynander, roi des Athamans, Q. Fabius, fils de sa belle-soeur, Q. Fulvius et Ap. Claudius.
[32,37] Échec des négociations de paix à Rome
Arrivés à Rome, les ambassadeurs des alliés furent reçus avant ceux du roi. Tout leur discours ne fut qu'une longue invective contre Philippe. (2) Ce qui fit le plus d'impression sur le sénat, ce fut le plan qu'ils tracèrent de la position maritime et continentale de ses états; (3) ils prouvèrent jusqu'à l'évidence que si ce prince conservait Démétriade en Thessalie, Chalcis en Eubée, Corinthe en Achaïe, il n'y avait pas de liberté possible pour la Grèce, (4) et que ces places étaient, comme Philippe le disait lui-même, avec autant de vérité que d'insolence, les entraves de la Grèce.
(5) On introduisit ensuite les ambassadeurs macédoniens. Ils allaient commencer un long discours; mais on leur coupa la parole pour leur demander en peu de mots si leur maître abandonnerait ces trois places. Ils répondirent qu'ils n'avaient reçu aucune instruction formelle à cet égard; alors on les congédia sans leur accorder la paix.
On laissa à Quinctius toute liberté de faire la paix ou la guerre à son gré. (6) Ce général, voyant que le sénat n'était point rebuté de la guerre, et désirant lui-même d'ailleurs plutôt vaincre que faire la paix, n'accorda plus d'entrevue à Philippe, et déclara qu'il ne recevrait de sa part aucune autre ambassade que celle qui viendrait lui annoncer l'entière évacuation de la Grèce.
[32,38] Philippe fait cadeau d'Argos à Nabis, tyran de Lacédémone
(1) Philippe vit bien qu'une bataille seule déciderait la querelle et qu'il lui fallait réunir des forces de tous côtés; mais il n'était pas sans inquiétude pour les villes de l'Achaïe, contrée si éloignée de ses états, (2) et plus encore pour Argos que pour Corinthe. Il crut prudent de remettre cette place comme en dépôt à Nabis, tyran de Sparte, qui la lui rendrait après la victoire ou la garderait en cas de revers. Il écrivit donc à Philoclès, gouverneur de Corinthe et d'Argos, de se rendre en personne auprès du tyran.
(3) Philoclès ne se borna point au présent dont il venait faire l'offre; il ajouta que le roi, pour gage de l'alliance qu'il allait conclure avec le tyran, voulait accorder la main de ses deux filles aux fils de Nabis. (4) Le tyran refusa d'abord de recevoir la ville, si un décret des Argiens eux-mêmes ne l'appelait à leur secours; (5) mais quand il apprit qu'une assemblée nombreuse des habitants avait repoussé avec mépris, et même avec horreur, le seul nom du tyran, il crut avoir un prétexte pour les dépouiller et demanda à Philoclès de lui livrer Argos dès qu'il le voudrait.
(6) Ce fut pendant la nuit et à l'insu de tout le monde qu'il y fut introduit; au point du jour il s'empara de toutes les hauteurs et fit fermer les portes. (7) Quelques-uns des principaux habitants s'échappèrent à la faveur du premier désordre; en leur absence il mit leurs biens au pillage. Ceux qui étaient restés furent dépouillés de leur or et de leur argent; on leur imposa des taxes énormes. (8) Ceux qui payèrent sans délai purent s'en aller sans avoir été insultés ni battus; ceux qu'on soupçonna d'avoir caché ou soustrait une partie de leurs trésors furent frappés de verges et torturés comme des esclaves. (9) Le tyran convoqua ensuite les Argiens et publia deux lois, l'une pour l'abolition des dettes, l'autre pour le partage des terres: c'étaient deux brandons de discorde qu'il jetait au milieu d'une révolution pour enflammer la colère du peuple contre les nobles.
[32,39] La rencontre de Mycènes (printemps 197)
(1) Une fois maître d'Argos, Nabis oublia de qui il tenait cette ville et à quelles conditions il l'avait reçue. (2) Il dépêcha donc, à Élatée, vers Quinctius, et, à Égine, vers Attale, qui avait établi ses quartiers dans cette île, pour leur faire savoir qu'Argos était en sa puissance; que si Quinctius voulait y accepter une entrevue, il avait espoir qu'il pourrait s'entendre avec lui. (3) Quinctius, afin d'enlever encore cette ressource à Philippe, répondit qu'il acceptait le rendez-vous, et il fit prévenir Attale de quitter Égine pour le rejoindre à Sicyone. (4) Il partit lui-même d'Anticyre sur dix quinquérèmes, que L. Quinctius son frère avait amenées par hasard de la station de Corcyre peu de jours auparavant, et fit voile vers Sicyone. (5) Attale y était déjà; il représenta à Quinctius que c'était au tyran à venir trouver le général romain, et non pas au général à se transporter auprès du tyran, et il le décida à ne pas entrer dans Argos.
(6) Non loin de la ville est un endroit appelé Mycènes; on convint de s'y réunir. (7) Quinctius était accompagné de son frère et de quelques tribuns militaires; Attale avait un cortège royal; le préteur des Achéens, Nicostrate, s'était fait suivre de quelques auxiliaires. (8) Ils trouvèrent au lieu fixé le tyran qui les attendait avec toutes ses troupes; il s'avança, tout armé, à la tête de ses gardes armés comme lui, jusqu'au milieu environ de la plaine qui séparait les deux partis. Quinctius était sans armes ainsi que son frère et les deux tribuns militaires; Attale, également sans armes, avait à ses côtés le préteur des Achéens et un officier de sa cour.
(9) Le tyran commença par s'excuser "d'être venu tout armé et entouré de gens armés à une entrevue où le général romain et le roi se présentaient sans armes: ce n'était pas qu'il eût peur d'eux, dit-il, mais il craignait les exilés d'Argos." (10) On parla ensuite des conditions de l'alliance projetée. Quinctius exigea deux choses, d'abord que Nabis cessât de faire la guerre aux Achéens, puis qu'il fournît des secours aux Romains contre Philippe. Le tyran promit ces secours; mais au lieu de la paix avec les Achéens, il ne signa qu'une trêve qui devait durer jusqu'à la fin de la guerre de Macédoine.
[32,40] Conclusion d'une trève de quatre mois
(1) Attale éleva une nouvelle difficulté au sujet d'Argos. Il accusa Nabis de s'être mis en possession de cette ville par la trahison de Philoclès. Le tyran répondit que les Argiens eux-mêmes l'avaient appelé à leur aide. (2) Le roi demanda qu'on assemblât les habitants pour vérifier le fait; le tyran n'y mit pas obstacle; mais Attale voulut qu'il retirât sa garnison d'Argos, que l'assemblée des Argiens ne fût pas intimidée par la présence des troupes lacédémoniennes et qu'elle fit connaître ses sentiments en toute liberté. Nabis s'y étant refusé, (3) cette contestation demeura sans résultat. (4) La réunion terminée, le tyran donna aux Romains six cents auxiliaires crétois, et conclut une trêve de quatre mois avec Nicostrate, préteur des Achéens.
(5) Quinctius partit ensuite pour Corinthe; il se présenta aux portes avec les Crétois, afin de montrer au gouverneur de la ville, Philoclès, que Nabis avait abandonné le parti de Philippe. (6) Philoclès eut aussi une entrevue avec le général romain. Pressé par lui de trahir son maître et de livrer Corinthe, il fit une réponse qui avait l'air d'un délai plutôt que d'un refus positif. (7) De Corinthe, Quinctius fit voile vers Anticyre, d'où il envoya son frère sonder les dispositions des Acarnaniens.
(8) Attale se rendit d'Argos à Sicyone, dont les habitants ajoutèrent de nouveaux honneurs à ceux dont ils l'avaient déjà comblé. Le roi, qui avait autrefois racheté pour eux, moyennant une somme considérable, le champ sacré d'Apollon, (9) voulant en cette occasion signaler son passage par quelque munificence envers ses alliés et ses amis, fit don à la ville de dix talents d'argent et de dix mille médimnes de blé; puis il alla rejoindre sa flotte à Cenchrées.
(10) Nabis, après avoir renforcé la garnison d'Argos, retourna à Lacédémone, chargé des dépouilles des Argiens, et il envoya son épouse exercer les mêmes spoliations sur les femmes d'Argos. (11) Elle invita chez elle les dames les plus illustres, tantôt une à une, tantôt en grand nombre lorsqu'elles étaient plusieurs de la même famille; et par ses caresses ou par ses menaces elle leur enleva non seulement l'or qu'elles possédaient, mais aussi leurs vêtements et toutes les parures habituelles à leur sexe.
FIN DU LIVRE XXXII DE TITE-LIVE
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