Ethique à Nicomaque, Livre VIII.
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Ethique à Nicomaque, Livre VIII.
CHAPITRE 1 : L’amitié — Sa nécessité
Après ces considérations, nous pouvons passer à la discussion sur l’amitié. L’amitié est en effet une certaine vertu, ou ne va pas sans vertu ; de plus, elle est ce qu’il y a de plus nécessaire pour vivre. Car sans amis personne ne choisirait de vivre, eût-il tous les autres biens (et de fait les gens riches, et ceux qui possèdent autorité et. pouvoir semblent bien avoir plus que quiconque besoin d’amis à quoi servirait une pareille prospérité, une fois ôtée la possibilité de répandre des bienfaits, laquelle se manifeste principalement et de la façon la plus digne d’éloge, à l’égard des amis ? Ou encore, comment cette prospérité serait- elle gardée et préservée sans amis ? car plus elle est grande, plus elle est exposée au risque). Et dans la pauvreté comme dans tout autre infortune, les hommes pensent que les amis sont l’unique refuge. L’amitié d’ailleurs est un secours aux jeunes gens, pour les préserver de l’erreur ; aux vieillards, pour leur assurer des soins et suppléer à leur manque d’activité dû à la faiblesse ; à ceux enfin qui sont dans la fleur de l’âge, pour les inciter aux nobles actions Quand deux vont de compagnie car on est alors plus capable à la fois de penser et d’agir.
De plus, l’affection est, semble-t-il, un sentiment naturel du père pour sa progéniture et de celle-ci pour le père, non seulement chez l’homme mais encore chez les oiseaux et la plupart des animaux ; les individus de même race ressentent aussi une amitié mutuelle, principalement dans l’espèce humaine, et c’est pourquoi nous louons les hommes qui sont bons pour les autres. Même au cours de nos voyages au loin, nous pouvons constater à quel point l’homme ressent toujours de l’affinité et de l’amitié pour l’homme. L’amitié semble aussi constituer le lien des cités, et les législateurs paraissent y attacher un plus grand prix qu’à la justice même en effet, la concorde, qui parait bien être un sentiment voisin de l’amitié, est ce que recherchent avant tout les législateurs, alors que l’esprit de faction, qui est son ennemie, est ce qu’ils pourchassent avec le plus d’énergie. Et quand les hommes sont amis il n’y a plus besoin de justice, tandis que s’ils se contentent d’être justes ils ont en outre besoin d’amitié, et la plus haute expression de la justice est, dans l’opinion générale, de la nature de l’amitié.
Non seulement l’amitié est une chose nécessaire, mais elle est aussi une chose noble nous louons ceux qui aiment leurs amis, et la possession d’un grand nombre d’amis est regardée comme un bel avantage ; certains pensent même qu’il n’y a aucune différence entre un homme bon et un véritable ami
Après ces considérations, nous pouvons passer à la discussion sur l’amitié. L’amitié est en effet une certaine vertu, ou ne va pas sans vertu ; de plus, elle est ce qu’il y a de plus nécessaire pour vivre. Car sans amis personne ne choisirait de vivre, eût-il tous les autres biens (et de fait les gens riches, et ceux qui possèdent autorité et. pouvoir semblent bien avoir plus que quiconque besoin d’amis à quoi servirait une pareille prospérité, une fois ôtée la possibilité de répandre des bienfaits, laquelle se manifeste principalement et de la façon la plus digne d’éloge, à l’égard des amis ? Ou encore, comment cette prospérité serait- elle gardée et préservée sans amis ? car plus elle est grande, plus elle est exposée au risque). Et dans la pauvreté comme dans tout autre infortune, les hommes pensent que les amis sont l’unique refuge. L’amitié d’ailleurs est un secours aux jeunes gens, pour les préserver de l’erreur ; aux vieillards, pour leur assurer des soins et suppléer à leur manque d’activité dû à la faiblesse ; à ceux enfin qui sont dans la fleur de l’âge, pour les inciter aux nobles actions Quand deux vont de compagnie car on est alors plus capable à la fois de penser et d’agir.
De plus, l’affection est, semble-t-il, un sentiment naturel du père pour sa progéniture et de celle-ci pour le père, non seulement chez l’homme mais encore chez les oiseaux et la plupart des animaux ; les individus de même race ressentent aussi une amitié mutuelle, principalement dans l’espèce humaine, et c’est pourquoi nous louons les hommes qui sont bons pour les autres. Même au cours de nos voyages au loin, nous pouvons constater à quel point l’homme ressent toujours de l’affinité et de l’amitié pour l’homme. L’amitié semble aussi constituer le lien des cités, et les législateurs paraissent y attacher un plus grand prix qu’à la justice même en effet, la concorde, qui parait bien être un sentiment voisin de l’amitié, est ce que recherchent avant tout les législateurs, alors que l’esprit de faction, qui est son ennemie, est ce qu’ils pourchassent avec le plus d’énergie. Et quand les hommes sont amis il n’y a plus besoin de justice, tandis que s’ils se contentent d’être justes ils ont en outre besoin d’amitié, et la plus haute expression de la justice est, dans l’opinion générale, de la nature de l’amitié.
Non seulement l’amitié est une chose nécessaire, mais elle est aussi une chose noble nous louons ceux qui aiment leurs amis, et la possession d’un grand nombre d’amis est regardée comme un bel avantage ; certains pensent même qu’il n’y a aucune différence entre un homme bon et un véritable ami
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VIII.
CHAPITRE 2 : Les diverses théories sur la nature de l’amitié
Les divergences d’opinion au sujet de l’amitié sont nombreuses Les uns la définissent comme une sorte de ressemblance, et disent que ceux qui sont semblables sont amis, d’où les dictons : le semblable va à son semblable le choucas va au choucas et ainsi de suite. D’autres au contraire, prétendent que les hommes qui se ressemblent ainsi sont toujours comme è des potiers l’un envers l’autre. Sur ces mêmes sujets, certains recherchent une explication plus relevée et s’appuyant davantage sur des considérations d’ordre physique : pour EURIPIDE, la terre, quand elle est desséchée, est éprise de pluie, et le ciel majestueux, saturé de pluie, aime à tomber sur la terre pour HÉRACLITE, c’est ce qui est opposé qui est utile et des dissonances résulte la plus belle harmonie, et toutes choses sont engendrées par discorde. Mais l’opinion contraire est soutenue par d’autres auteurs et notamment par EMPÉDOCLE, suivant lequel le semblable tend vers le semblable.
Laissons de côté les problèmes d’ordre physique (qui n’ont rien à voir avec la présente enquête) examinons seulement les problèmes proprement humains et qui concernent les moeurs et les passions : par exemple, si l’amitié se rencontre chez tous les hommes, ou si au contraire il est impossible que des méchants soient amis ; et s’il n’y a qu’une seule espèce d’amitié ou s’il y en a plusieurs. Ceux qui pensent que l’amitié est d’une seule espèce pour la raison qu’elle admet le plus et le moins, ajoutent foi à une indication insuffisante, puisque même les choses qui diffèrent en espèce sont susceptibles de plus et de moins. Mais nous avons discuté ce point antérieurement.
Peut-être ces matières gagneraient-elles en clarté si nous connaissions préalablement ce qui est objet de l’amitié. Il semble, en effet, que tout ne provoque pas l’amitié, mais seulement ce qui est aimable, c’est-à-dire ce qui est bon, agréable ou utile On peut d’ailleurs admettre qu’est utile ce par quoi est obtenu un certain bien ou un certain plaisir, de sorte que c’est seulement le bien et l’agréable qui seraient aimables, comme des fins Dans ces conditions, est-ce que les hommes aiment le bien réel, ou ce qui est bien pour eux car il y a parfois désaccord entre ces deux choses. Même question en ce qui concerne aussi l’agréable. Or on admet d’ordinaire que chacun aime ce qui est bon pour soi-même, et que ce qui est réelle ment un bien est aimable d’une façon absolue tandis que ce qui est bon pour un homme déterminé est aimable seulement pour lui. Et chaque homme aime non pas ce qui est réellement un bien pour lui, mais ce qui lui apparaît tel ; cette remarque n’a du reste ici aucune importances nous dirons que J’aimable est l’aimable apparent.
Il y a donc trois objets qui font naître l’amitié. L’attachement pour les choses inanimées ne se nomme pas amitié, puisqu’il n’y a pas attachement en retour, ni possibilité pour nous de leur désirer du bien (il serait ridicule sans doute de vouloir du bien au vin par exemple ; tout au plus souhaite t-on sa conservation, de façon à l’avoir en notre possession) ; s’agit-il au contraire d’un ami, nous disons qu’il est de notre devoir de lui souhaiter ce qui est bon pour lui. Mais ceux qui veulent ainsi du bien à un autre, on les appelle bienveillants quand le même souhait ne se produit pas de la part de ce dernier, car ce n’est que si la bienveillance est réciproque qu’elle est amitié Ne faut-il pas ajouter encore que cette bienveillance mutuelle ne doit pas demeurer inaperçue ? Beaucoup de gens ont de la bienveillance pour des personnes qu’il n’ont jamais vues mais qu’ils jugent honnêtes ou utiles, et l’une de ces personnes peut éprouver ce même sentiment à l’égard de l’autre partie. Quoiqu’il y ait manifestement alors bienveillance mutuelle, comment pourrait-on les qualifier d’amis, alors que chacun d’eux n’a pas connaissance des sentiments personnels de l’autre ? Il faut donc qu’il y ait bienveillance mutuelle, chacun souhaitant le bien de l’autre ; que cette bienveillance ne reste pas ignorée des intéressés ; et qu’elle ait pour cause l’un des objets dont nous avons parlé.
Les divergences d’opinion au sujet de l’amitié sont nombreuses Les uns la définissent comme une sorte de ressemblance, et disent que ceux qui sont semblables sont amis, d’où les dictons : le semblable va à son semblable le choucas va au choucas et ainsi de suite. D’autres au contraire, prétendent que les hommes qui se ressemblent ainsi sont toujours comme è des potiers l’un envers l’autre. Sur ces mêmes sujets, certains recherchent une explication plus relevée et s’appuyant davantage sur des considérations d’ordre physique : pour EURIPIDE, la terre, quand elle est desséchée, est éprise de pluie, et le ciel majestueux, saturé de pluie, aime à tomber sur la terre pour HÉRACLITE, c’est ce qui est opposé qui est utile et des dissonances résulte la plus belle harmonie, et toutes choses sont engendrées par discorde. Mais l’opinion contraire est soutenue par d’autres auteurs et notamment par EMPÉDOCLE, suivant lequel le semblable tend vers le semblable.
Laissons de côté les problèmes d’ordre physique (qui n’ont rien à voir avec la présente enquête) examinons seulement les problèmes proprement humains et qui concernent les moeurs et les passions : par exemple, si l’amitié se rencontre chez tous les hommes, ou si au contraire il est impossible que des méchants soient amis ; et s’il n’y a qu’une seule espèce d’amitié ou s’il y en a plusieurs. Ceux qui pensent que l’amitié est d’une seule espèce pour la raison qu’elle admet le plus et le moins, ajoutent foi à une indication insuffisante, puisque même les choses qui diffèrent en espèce sont susceptibles de plus et de moins. Mais nous avons discuté ce point antérieurement.
Peut-être ces matières gagneraient-elles en clarté si nous connaissions préalablement ce qui est objet de l’amitié. Il semble, en effet, que tout ne provoque pas l’amitié, mais seulement ce qui est aimable, c’est-à-dire ce qui est bon, agréable ou utile On peut d’ailleurs admettre qu’est utile ce par quoi est obtenu un certain bien ou un certain plaisir, de sorte que c’est seulement le bien et l’agréable qui seraient aimables, comme des fins Dans ces conditions, est-ce que les hommes aiment le bien réel, ou ce qui est bien pour eux car il y a parfois désaccord entre ces deux choses. Même question en ce qui concerne aussi l’agréable. Or on admet d’ordinaire que chacun aime ce qui est bon pour soi-même, et que ce qui est réelle ment un bien est aimable d’une façon absolue tandis que ce qui est bon pour un homme déterminé est aimable seulement pour lui. Et chaque homme aime non pas ce qui est réellement un bien pour lui, mais ce qui lui apparaît tel ; cette remarque n’a du reste ici aucune importances nous dirons que J’aimable est l’aimable apparent.
Il y a donc trois objets qui font naître l’amitié. L’attachement pour les choses inanimées ne se nomme pas amitié, puisqu’il n’y a pas attachement en retour, ni possibilité pour nous de leur désirer du bien (il serait ridicule sans doute de vouloir du bien au vin par exemple ; tout au plus souhaite t-on sa conservation, de façon à l’avoir en notre possession) ; s’agit-il au contraire d’un ami, nous disons qu’il est de notre devoir de lui souhaiter ce qui est bon pour lui. Mais ceux qui veulent ainsi du bien à un autre, on les appelle bienveillants quand le même souhait ne se produit pas de la part de ce dernier, car ce n’est que si la bienveillance est réciproque qu’elle est amitié Ne faut-il pas ajouter encore que cette bienveillance mutuelle ne doit pas demeurer inaperçue ? Beaucoup de gens ont de la bienveillance pour des personnes qu’il n’ont jamais vues mais qu’ils jugent honnêtes ou utiles, et l’une de ces personnes peut éprouver ce même sentiment à l’égard de l’autre partie. Quoiqu’il y ait manifestement alors bienveillance mutuelle, comment pourrait-on les qualifier d’amis, alors que chacun d’eux n’a pas connaissance des sentiments personnels de l’autre ? Il faut donc qu’il y ait bienveillance mutuelle, chacun souhaitant le bien de l’autre ; que cette bienveillance ne reste pas ignorée des intéressés ; et qu’elle ait pour cause l’un des objets dont nous avons parlé.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VIII.
CHAPITRE 3 : Les espèces de l’amitié : l’amitié fondée sur l’utilité et l’amitié fondée sur le plaisir
Or ces objets aimables diffèrent l’un de l’autre en espèce, et par suite aussi les attachements et les amitiés correspondantes. On aura dès lors trois espèces d’amitiés, en nombre égal à leurs objets, car répondant à chaque espèce il y a un attachement réciproque ne demeurant pas inaperçu des intéressés Or quand les hommes ont l’un pour l’autre une amitié partagée, ils se souhaitent réciproquement du bien d’après l’objet qui est à l’origine de leur amitié Ainsi donc, ceux dont l’amitié réciproque a pour source l’utilité ne s’aiment pas l’un l’autre pour eux-mêmes mais en tant qu’il y a quelque bien qu’ils retirent l’un de l’autre. De même encore ceux dont l’amitié repose sur le plaisir ce n’est pas en raison de ce que les gens d’esprit sont ce qu’ils sont en eux-mêmes qu’ils les chérissent, mais parce qu’ils les trouvent agréables personnellement. Par suite ceux dont l’amitié est fondée sur l’utilité aiment pour leur propre bien, et ceux qui aiment en raison du plaisir, pour leur propre agrément, et non pas dans l’un et l’autre cas en tant ce qu’est en elle-même la personne aimée mais en tant qu’elle est utile ou agréable. Dès lors ces amitiés ont un caractère accidentel, puisque ce n’est pas en tant ce qu’elle est essentiellement que la personne aimée est aimée, mais en tant qu’elle procure quelque bien ou quelque plaisir, suivant le cas. Les amitiés de ce genre sont par suite fragiles, dès que les deux amis ne demeurent pas pareils à ce qu’ils étaient s’ils ne sont plus agréables ou utiles l’un à l’autre, ils cessent d’être amis. Or l’utilité n’est pas une chose durable, mais elle varie suivant les époques. Aussi, quand la cause qui faisait l’amitié a disparu, l’amitié elle-même est-elle rompue, attendu que l’amitié n’existe qu’en vue de la fin en question.
C’est surtout chez les vieillards que cette sorte d’amitié se rencontrer (car les personnes de cet âge ne poursuivent pas J’agrément mais le profit), et aussi chez ceux des hommes faits et des jeunes gens qui recherchent leur intérêt. Les amis de cette sorte ne se plaisent guère à vivre ensemble, car parfois ils ne sont pas même agréables l’un à l’autre ; ils n’ont dès lors nullement besoin d’une telle fréquentation, à moins qu’ils n’y trouvent leur intérêt, puisqu’ils ne se plaisent l’un avec l’autre que dans la mesure où ils ont l’espérance de quelque bien. — A ces amitiés on rattache aussi celle envers les hôtes.
D’autre part, l’amitié chez les jeunes gens semble avoir pour fondement le plaisir ; car les jeunes gens vivent sous l’empire de la passion, et ils poursuivent surtout ce qui leur plaît personnellement et le plaisir du moment ; mais en avançant en âge, les choses qui leur plaisent ne demeurent pas les mêmes. C’est pourquoi ils forment rapidement des amitiés et les abandonnent avec la même facilité, car leur amitié change avec l’objet qui leur donne du plaisir, et les plaisirs de cet âge sont sujets à de brusques variations.
Les jeunes gens ont aussi un penchant à l’amour, car une grande part de l’émotion amoureuse relève de la passion et a pour source le plaisir. De là vient qu’ils aiment et cessent d’aimer avec la même rapidité, changeant plusieurs fois dans la même journée. Ils souhaitent aussi passer leur temps et leur vie en compagnie de leurs amis, car c’est de cette façon que se présente pour eux ce qui a trait à l’amitié.
Or ces objets aimables diffèrent l’un de l’autre en espèce, et par suite aussi les attachements et les amitiés correspondantes. On aura dès lors trois espèces d’amitiés, en nombre égal à leurs objets, car répondant à chaque espèce il y a un attachement réciproque ne demeurant pas inaperçu des intéressés Or quand les hommes ont l’un pour l’autre une amitié partagée, ils se souhaitent réciproquement du bien d’après l’objet qui est à l’origine de leur amitié Ainsi donc, ceux dont l’amitié réciproque a pour source l’utilité ne s’aiment pas l’un l’autre pour eux-mêmes mais en tant qu’il y a quelque bien qu’ils retirent l’un de l’autre. De même encore ceux dont l’amitié repose sur le plaisir ce n’est pas en raison de ce que les gens d’esprit sont ce qu’ils sont en eux-mêmes qu’ils les chérissent, mais parce qu’ils les trouvent agréables personnellement. Par suite ceux dont l’amitié est fondée sur l’utilité aiment pour leur propre bien, et ceux qui aiment en raison du plaisir, pour leur propre agrément, et non pas dans l’un et l’autre cas en tant ce qu’est en elle-même la personne aimée mais en tant qu’elle est utile ou agréable. Dès lors ces amitiés ont un caractère accidentel, puisque ce n’est pas en tant ce qu’elle est essentiellement que la personne aimée est aimée, mais en tant qu’elle procure quelque bien ou quelque plaisir, suivant le cas. Les amitiés de ce genre sont par suite fragiles, dès que les deux amis ne demeurent pas pareils à ce qu’ils étaient s’ils ne sont plus agréables ou utiles l’un à l’autre, ils cessent d’être amis. Or l’utilité n’est pas une chose durable, mais elle varie suivant les époques. Aussi, quand la cause qui faisait l’amitié a disparu, l’amitié elle-même est-elle rompue, attendu que l’amitié n’existe qu’en vue de la fin en question.
C’est surtout chez les vieillards que cette sorte d’amitié se rencontrer (car les personnes de cet âge ne poursuivent pas J’agrément mais le profit), et aussi chez ceux des hommes faits et des jeunes gens qui recherchent leur intérêt. Les amis de cette sorte ne se plaisent guère à vivre ensemble, car parfois ils ne sont pas même agréables l’un à l’autre ; ils n’ont dès lors nullement besoin d’une telle fréquentation, à moins qu’ils n’y trouvent leur intérêt, puisqu’ils ne se plaisent l’un avec l’autre que dans la mesure où ils ont l’espérance de quelque bien. — A ces amitiés on rattache aussi celle envers les hôtes.
D’autre part, l’amitié chez les jeunes gens semble avoir pour fondement le plaisir ; car les jeunes gens vivent sous l’empire de la passion, et ils poursuivent surtout ce qui leur plaît personnellement et le plaisir du moment ; mais en avançant en âge, les choses qui leur plaisent ne demeurent pas les mêmes. C’est pourquoi ils forment rapidement des amitiés et les abandonnent avec la même facilité, car leur amitié change avec l’objet qui leur donne du plaisir, et les plaisirs de cet âge sont sujets à de brusques variations.
Les jeunes gens ont aussi un penchant à l’amour, car une grande part de l’émotion amoureuse relève de la passion et a pour source le plaisir. De là vient qu’ils aiment et cessent d’aimer avec la même rapidité, changeant plusieurs fois dans la même journée. Ils souhaitent aussi passer leur temps et leur vie en compagnie de leurs amis, car c’est de cette façon que se présente pour eux ce qui a trait à l’amitié.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VIII.
CHAPITRE 4 : L’amitié fondée sur la vertu
Mais la parfaite amitié est celle des hommes vertueux et qui sont semblables en vertu : car ces amis-là se souhaitent pareillement du bien les uns aux autres en tant qu’ils sont bons, et ils sont bons par eux-mêmes Mais ceux qui souhaitent du bien à leurs amis pour l’amour de ces derniers sont des amis par excellence (puisqu’ils se comportent ainsi l’un envers l’autre en raison de la propre nature de chacun d’eux, et non par accident) ; aussi leur amitié persiste-t-elle aussi longtemps qu’ils sont eux-mêmes bons, et la vertu est une disposition stable. Et chacun d’eux est bon à la fois absolument et pour son ami, puisque les hommes bons sont en même temps bons absolument et utiles les uns aux autres. Et de la même façon qu’ils sont bons ils sont agréables aussi l’un pour l’autre : les hommes bons sont à la fois agréables absolument et agréables les uns pour les autres, puisque chacun fait résider son plaisir dans les actions qui expriment son caractère propre, et par suite dans celles qui sont de même nature, et que, d’autre part, les actions des gens de bien sont identiques ou semblables à celles des autres gens de bien. Il est normal qu’une amitié de ce genre soit stable, car en elle sont réunies toutes les qualités qui doivent appartenir aux amis. Toute amitié, en effet, a pour source le bien ou le plaisir, bien ou plaisir envisagés soit au sens absolu, soit seulement pour celui qui aime, w c’est-à-dire en raison d’une certaine ressemblance ; mais dans le cas de cette amitié, toutes les qualités que nous avons indiquées appartiennent aux amis par eux-mêmes (car en cette amitié les amis sont semblables aussi pour les autres qualités) et ce qui est bon absolument est aussi agréable absolument. Or ce sont là les principaux objets de l’amitié, et dès lors l’affection et l’amitié existent chez ces amis au plus haut degré et en la forme la plus excellente.
Il est naturel que les amitiés de cette espèce soient rares, car de tels hommes sont en petit nombre. En outre elles exigent comme condition supplémentaire, du temps et des habitudes communes, car, selon le proverbe, il n’est pas possible de se connaître l’un l’autre avant d’avoir consommé ensemble la mesure de sel dont parle le dicton ni d’admettre quelqu’un dans son amitié, ou d’être réellement amis, avant que chacun des intéressés se soit montré à l’autre comme un digne objet d’amitié et lui ait inspiré de la confiance. Et ceux qui s’engagent rapidement dans les liens d’une amitié réciproque ont assurément la volonté d’être amis, mais ils ne le sont pas en réalité, à moins qu’ils ne soient aussi dignes d’être aimés l’un et l’autre, et qu’ils aient connaissance de leurs sentiments : car si la volonté de contracter une amitié est prompte l’amitié ne l’est pas.
Mais la parfaite amitié est celle des hommes vertueux et qui sont semblables en vertu : car ces amis-là se souhaitent pareillement du bien les uns aux autres en tant qu’ils sont bons, et ils sont bons par eux-mêmes Mais ceux qui souhaitent du bien à leurs amis pour l’amour de ces derniers sont des amis par excellence (puisqu’ils se comportent ainsi l’un envers l’autre en raison de la propre nature de chacun d’eux, et non par accident) ; aussi leur amitié persiste-t-elle aussi longtemps qu’ils sont eux-mêmes bons, et la vertu est une disposition stable. Et chacun d’eux est bon à la fois absolument et pour son ami, puisque les hommes bons sont en même temps bons absolument et utiles les uns aux autres. Et de la même façon qu’ils sont bons ils sont agréables aussi l’un pour l’autre : les hommes bons sont à la fois agréables absolument et agréables les uns pour les autres, puisque chacun fait résider son plaisir dans les actions qui expriment son caractère propre, et par suite dans celles qui sont de même nature, et que, d’autre part, les actions des gens de bien sont identiques ou semblables à celles des autres gens de bien. Il est normal qu’une amitié de ce genre soit stable, car en elle sont réunies toutes les qualités qui doivent appartenir aux amis. Toute amitié, en effet, a pour source le bien ou le plaisir, bien ou plaisir envisagés soit au sens absolu, soit seulement pour celui qui aime, w c’est-à-dire en raison d’une certaine ressemblance ; mais dans le cas de cette amitié, toutes les qualités que nous avons indiquées appartiennent aux amis par eux-mêmes (car en cette amitié les amis sont semblables aussi pour les autres qualités) et ce qui est bon absolument est aussi agréable absolument. Or ce sont là les principaux objets de l’amitié, et dès lors l’affection et l’amitié existent chez ces amis au plus haut degré et en la forme la plus excellente.
Il est naturel que les amitiés de cette espèce soient rares, car de tels hommes sont en petit nombre. En outre elles exigent comme condition supplémentaire, du temps et des habitudes communes, car, selon le proverbe, il n’est pas possible de se connaître l’un l’autre avant d’avoir consommé ensemble la mesure de sel dont parle le dicton ni d’admettre quelqu’un dans son amitié, ou d’être réellement amis, avant que chacun des intéressés se soit montré à l’autre comme un digne objet d’amitié et lui ait inspiré de la confiance. Et ceux qui s’engagent rapidement dans les liens d’une amitié réciproque ont assurément la volonté d’être amis, mais ils ne le sont pas en réalité, à moins qu’ils ne soient aussi dignes d’être aimés l’un et l’autre, et qu’ils aient connaissance de leurs sentiments : car si la volonté de contracter une amitié est prompte l’amitié ne l’est pas.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VIII.
CHAPITRE 5 : Comparaison entre l’amitié parfaite et les autres amitiés
Cette amitié, donc, est parfaite aussi bien en raison de sa durée que pour le reste et à tous ces points de vue, chaque partie reçoit de l’autre les mêmes avantages ou des avantages semblables, ce qui est précisément la règle entre amis.
L’amitié fondée sur le plaisir a de la ressemblance a avec la précédente (puisque les hommes bons sont aussi des gens agréables les uns aux autres) ; et il en est encore de même pour celle qui est basée sur l’utilité (puisque les hommes de bien sont utiles aussi les uns aux autres). Dans ces deux derniers cas l’amitié atteint son maximum de durée quand l’avantage que retirent réciproquement les deux parties est le même, par exemple le plaisir, et non seulement cela, mais encore quand sa source est la même comme c’est le cas d’une amitié entre personnes d’esprit, alors qu’il en est tout différemment dans le commerce de l’amant et de l’aimé. Ces derniers, en effet, ne trouvent pas leur plaisir dans les mêmes choses : pour l’un, le plaisir consiste dans la vue de l’aimé, et pour l’autre, dans le fait de recevoir les petits soins de l’amant ; et la fleur de la jeunesse venant à se faner, l’amour se fane aussi (à celui qui aime, la vue de l’aimé ne cause pas de plaisir, et à l’être aimé on ne rend plus de Soins) ; dans beaucoup de cas, en revanche, l’amour persiste quand l’intimité a rendu cher à chacun d’eux le caractère de l’autre, étant tous les deux d’un caractère semblable. Mais ceux dont les relations amoureuses reposent sur une réciprocité non pas même de plaisir mais seulement d’utilité, ressentent aussi une amitié moins vive et moins durable. Et l’amitié basée sur l’utilité disparaît en même temps que le profit : car ces amis-là ne s’aimaient pas l’un l’autre, mais n’aimaient que leur intérêt.
Ainsi donc l’amitié fondée sur le plaisir ou sur l’utilité peut exister entre deux hommes vicieux, ou entre un homme vicieux et un homme de bien, ou enfin entre un homme ni bon ni mauvais et n’importe quel autre mais il est clair que seuls les hommes vertueux peuvent être amis pour ce qu’ils sont en eux-mêmes les méchants, en effet, ne ressentent aucune joie l’un de l’autre s’il n’y a pas quelque intérêt en jeu.
Seule encore l’amitié entre gens de bien est à l’abri des traverses : on ajoute difficilement foi à un propos concernant une personne qu’on a soi-même pendant longtemps mise à l’épreuve ; et c’est parmi les gens vertueux qu’on rencontre la confiance, l’incapacité de se faire jamais du tort, et toutes autres qualités qu’exige la véritable amitié. Dans les autres formes d’amitié, rien n’empêche les maux opposés de se produire.
Mais étant donné que les hommes appellent aussi amis à la fois ceux qui ne recherchent que leur utilité, comme cela arrive pour les cités (car on admet généralement que les alliances entre cités se forment en vue de l’intérêt), et ceux dont la tendresse réciproque repose sur le plaisir, comme c’est le cas chez les enfants : dans ces conditions, peut-être nous aussi devrions-nous désigner du nom d’amis ceux qui entretiennent des relations de ce genre, et dire qu’il existe plusieurs espèces d’amitié, dont l’une, prise au sens premier et fondamental, est l’amitié des gens vertueux en tant que vertueux, tandis que les deux autres ne sont des amitiés que par ressemblance : en effet, dans ces derniers cas, on n’est amis que sous l’angle de quelque bien ou de quelque chose de semblable, puisque même le plaisir est un bien pour ceux qui aiment le plaisir. Mais ces deux formes inférieures de l’amitié sont loin de coïncider entre elles, et les hommes ne deviennent pas amis à la fois par intérêt et par plaisir, car on ne trouve pas souvent unies ensemble les choses liées d’une façon accidentelle.
Cette amitié, donc, est parfaite aussi bien en raison de sa durée que pour le reste et à tous ces points de vue, chaque partie reçoit de l’autre les mêmes avantages ou des avantages semblables, ce qui est précisément la règle entre amis.
L’amitié fondée sur le plaisir a de la ressemblance a avec la précédente (puisque les hommes bons sont aussi des gens agréables les uns aux autres) ; et il en est encore de même pour celle qui est basée sur l’utilité (puisque les hommes de bien sont utiles aussi les uns aux autres). Dans ces deux derniers cas l’amitié atteint son maximum de durée quand l’avantage que retirent réciproquement les deux parties est le même, par exemple le plaisir, et non seulement cela, mais encore quand sa source est la même comme c’est le cas d’une amitié entre personnes d’esprit, alors qu’il en est tout différemment dans le commerce de l’amant et de l’aimé. Ces derniers, en effet, ne trouvent pas leur plaisir dans les mêmes choses : pour l’un, le plaisir consiste dans la vue de l’aimé, et pour l’autre, dans le fait de recevoir les petits soins de l’amant ; et la fleur de la jeunesse venant à se faner, l’amour se fane aussi (à celui qui aime, la vue de l’aimé ne cause pas de plaisir, et à l’être aimé on ne rend plus de Soins) ; dans beaucoup de cas, en revanche, l’amour persiste quand l’intimité a rendu cher à chacun d’eux le caractère de l’autre, étant tous les deux d’un caractère semblable. Mais ceux dont les relations amoureuses reposent sur une réciprocité non pas même de plaisir mais seulement d’utilité, ressentent aussi une amitié moins vive et moins durable. Et l’amitié basée sur l’utilité disparaît en même temps que le profit : car ces amis-là ne s’aimaient pas l’un l’autre, mais n’aimaient que leur intérêt.
Ainsi donc l’amitié fondée sur le plaisir ou sur l’utilité peut exister entre deux hommes vicieux, ou entre un homme vicieux et un homme de bien, ou enfin entre un homme ni bon ni mauvais et n’importe quel autre mais il est clair que seuls les hommes vertueux peuvent être amis pour ce qu’ils sont en eux-mêmes les méchants, en effet, ne ressentent aucune joie l’un de l’autre s’il n’y a pas quelque intérêt en jeu.
Seule encore l’amitié entre gens de bien est à l’abri des traverses : on ajoute difficilement foi à un propos concernant une personne qu’on a soi-même pendant longtemps mise à l’épreuve ; et c’est parmi les gens vertueux qu’on rencontre la confiance, l’incapacité de se faire jamais du tort, et toutes autres qualités qu’exige la véritable amitié. Dans les autres formes d’amitié, rien n’empêche les maux opposés de se produire.
Mais étant donné que les hommes appellent aussi amis à la fois ceux qui ne recherchent que leur utilité, comme cela arrive pour les cités (car on admet généralement que les alliances entre cités se forment en vue de l’intérêt), et ceux dont la tendresse réciproque repose sur le plaisir, comme c’est le cas chez les enfants : dans ces conditions, peut-être nous aussi devrions-nous désigner du nom d’amis ceux qui entretiennent des relations de ce genre, et dire qu’il existe plusieurs espèces d’amitié, dont l’une, prise au sens premier et fondamental, est l’amitié des gens vertueux en tant que vertueux, tandis que les deux autres ne sont des amitiés que par ressemblance : en effet, dans ces derniers cas, on n’est amis que sous l’angle de quelque bien ou de quelque chose de semblable, puisque même le plaisir est un bien pour ceux qui aiment le plaisir. Mais ces deux formes inférieures de l’amitié sont loin de coïncider entre elles, et les hommes ne deviennent pas amis à la fois par intérêt et par plaisir, car on ne trouve pas souvent unies ensemble les choses liées d’une façon accidentelle.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VIII.
CHAPITRE 6 : L’habitus et l’activité dans l’amitié
Telles étant les différentes espèces entre lesquelles se distribue l’amitié, les hommes pervers seront amis par plaisir ou par intérêt, étant sous cet aspect semblables entre eux, tandis que les hommes vertueux seront amis par ce qu’ils sont en eux-mêmes, c’est-à-dire en tant qu’ils sont bons. Ces derniers sont ainsi des amis au sens propre, alors que les précédents ne le sont que par accident et par ressemblance avec les véritables amis.
De même que, dans la sphère des vertus les hommes sont appelés bons soit d’après une disposition, soit d’après une activité, ainsi en est-il pour l’amitié les uns mettent leur plaisir à partager leur existence et à se procurer l’un à l’autre du bien, tandis que ceux qui sont endormis ou habitent des lieux séparés ne sont pas des amis en acte, mais sont cependant dans une disposition de nature à exercer leur activité d’amis. Car les distances ne détruisent pas l’amitié absolument, mais empêchent son exercice. Si cependant l’absence se prolonge, elle semble bien entraîner l’oubli de l’amitié elles-mêmes D’où le proverbe
Un long silence a mis fin à de nombreuses amitiés.
On ne voit d’ailleurs ni les vieillards ni les gens moroses êtres enclins à l’amitié : médiocre est en eux le côté plaisants, et personne n’est capable de passer son temps en compagnie d’un être chagrin et sans agrément, la nature paraissant par-dessus tout fuir ce qui est pénible et tendre à ce qui est agréable. — Quant à ceux qui se reçoivent dans leur amitié tout en ne vivant pas ensemble, ils sont plutôt semblables à des gens bienveillants qu’à des amis. Rien, en effet, ne caractérise mieux l’amitié que la vie en commun : ceux qui sont dans le besoin aspirent à l’aide de leurs amis, et même les gens comblés souhaitent passer leur temps ensemble, car la solitude leur convient moins qu’à tous autres. Mais il n’est pas possible de vivre les uns avec les autres si on n’en retire aucun agrément et s’il n’y a pas communauté de goûts, ce qui, semble-t-il, est le lien de l’amitié entre camarades.
Telles étant les différentes espèces entre lesquelles se distribue l’amitié, les hommes pervers seront amis par plaisir ou par intérêt, étant sous cet aspect semblables entre eux, tandis que les hommes vertueux seront amis par ce qu’ils sont en eux-mêmes, c’est-à-dire en tant qu’ils sont bons. Ces derniers sont ainsi des amis au sens propre, alors que les précédents ne le sont que par accident et par ressemblance avec les véritables amis.
De même que, dans la sphère des vertus les hommes sont appelés bons soit d’après une disposition, soit d’après une activité, ainsi en est-il pour l’amitié les uns mettent leur plaisir à partager leur existence et à se procurer l’un à l’autre du bien, tandis que ceux qui sont endormis ou habitent des lieux séparés ne sont pas des amis en acte, mais sont cependant dans une disposition de nature à exercer leur activité d’amis. Car les distances ne détruisent pas l’amitié absolument, mais empêchent son exercice. Si cependant l’absence se prolonge, elle semble bien entraîner l’oubli de l’amitié elles-mêmes D’où le proverbe
Un long silence a mis fin à de nombreuses amitiés.
On ne voit d’ailleurs ni les vieillards ni les gens moroses êtres enclins à l’amitié : médiocre est en eux le côté plaisants, et personne n’est capable de passer son temps en compagnie d’un être chagrin et sans agrément, la nature paraissant par-dessus tout fuir ce qui est pénible et tendre à ce qui est agréable. — Quant à ceux qui se reçoivent dans leur amitié tout en ne vivant pas ensemble, ils sont plutôt semblables à des gens bienveillants qu’à des amis. Rien, en effet, ne caractérise mieux l’amitié que la vie en commun : ceux qui sont dans le besoin aspirent à l’aide de leurs amis, et même les gens comblés souhaitent passer leur temps ensemble, car la solitude leur convient moins qu’à tous autres. Mais il n’est pas possible de vivre les uns avec les autres si on n’en retire aucun agrément et s’il n’y a pas communauté de goûts, ce qui, semble-t-il, est le lien de l’amitié entre camarades.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VIII.
CHAPITRE 7 : Élude de rapports particuliers entre les diverses amitiés
L’amitié est donc surtout celle des gens vertueux comme nous l’avons dit à plusieurs reprises On admet, en effet, que ce qui est bon, ou plaisant, au sens absolu, est digne d’amitié et de choix tandis que ce qui est bon ou plaisant pour telle personne moins fréquemment en tant qu’elles ont l’humeur trop chagrine et se plaisent médiocrement aux fréquenta- Lions, alors que les qualités opposées sont considérées comme les marques les plus caractéristiques de l’amitié et les plus favorables à sa production. Aussi, tandis que les jeunes gens deviennent rapidement amis, pour les vieillards il en est tout différemment : car on ne devient pas amis de gens avec lesquels on n’éprouve aucun sentiment de joie. Même observation pour les personnes de caractère morose. Il est vrai que ces deux sortes de gens peuvent ressentir de la bienveillance les uns pour les autres (ils se souhaitent du bien, et vont au secours l’un de l’autre dans leurs besoins) mais on peut difficilement les appeler des amis, pour la raison qu’ils ne vivent pas ensemble, ni ne se plaisent les uns avec les autres : or ce sont là les deux principaux caractères qu’on reconnaît à l’amitié. On ne peut pas être un ami pour plusieurs personnes, dans l’amitié parfaite, pas plus qu’on ne peut être amoureux de plusieurs personnes en même temps (car l’amour est une sorte d’excès, et un état de ce genre n’est naturellement ressenti qu’envers un seul) ; et peut-être même n’est-il pas aisé de trouver un grand nombre de gens de bien. On doit aussi acquérir quelque expérience de son ami et entrer dans son intimité, ce qui est d’une extrême difficulté. Par contre, si on recherche l’utilité ou le plaisir, il est possible de plaire à beaucoup de personnes, car nombreux sont les gens de cette sorte, et les services qu’on en reçoit ne se font pas attendre longtemps. De ces deux dernières formes d’amitié celle qui repose sur le plaisir ressemble davantage à la véritable amitié, quand les deux parties retirent à la fois les mêmes satisfactions l’une de l’autre et qu’elles ressentent une joie mutuelle ou se plaisent aux mêmes choses : telles sont les amitiés entre jeunes gens, car il y a en elles plus de générosité ; au contraire, l’amitié basée sur l’utilité est celle d’âmes mercantiles. Quand à ceux qui sont comblés par la vie ils ont besoin non pas d’amis utiles, mais d’amis agréables, parce qu’ils souhaitent vivre en compagnie de quelques personnes ; et bien qu’ils puissent supporter un court temps ce qui leur est pénible, ils ne pourraient jamais l’endurer d’une façon continue, pas plus qu’ils ne le pourraient même pour le Bien en soja, s’il leur était à charge. C’est pourquoi les gens heureux recherchent les amis agréables. Sans doute devraient-ils aussi rechercher des amis qui, tout en ayant cette dernière qualité, soient aussi gens de bien, et en outre bons et plaisants pour eux, possédant ainsi tous les caractères exigés de l’amitié.
Les hommes appartenant aux classes dirigeantes ont, c’est un fait, leurs amis séparés en groupes distincts les uns leur sont utiles, et d’autres agréables, mais ce sont rarement les mêmes â la fois. Ils ne recherchent pour amis ni ceux dont l’agrément s’accompagne de vertu, ni ceux dont l’utilité servirait de nobles desseins, mais ils veulent des gens d’esprit quand ils ont envie de s’amuser, et quant aux autres ils les veulent habiles à exécuter leurs ordres, toutes exigences qui se rencontrent rarement dans la même personne. Nous avons dite que l’homme de bien est en même temps utile et agréable, mais un tel homme ne devient pas ami d’un autre occupant une position sociale plus élevée, à moins que cet autre ne le surpasse aussi en vertu : sinon, l’homme de bien, Surpassé par le supérieur, ne peut réaliser une égalité proportionnelle. Mais on n’est pas habitué à rencontrer fréquemment des hommes puissants de cette espèce.
L’amitié est donc surtout celle des gens vertueux comme nous l’avons dit à plusieurs reprises On admet, en effet, que ce qui est bon, ou plaisant, au sens absolu, est digne d’amitié et de choix tandis que ce qui est bon ou plaisant pour telle personne moins fréquemment en tant qu’elles ont l’humeur trop chagrine et se plaisent médiocrement aux fréquenta- Lions, alors que les qualités opposées sont considérées comme les marques les plus caractéristiques de l’amitié et les plus favorables à sa production. Aussi, tandis que les jeunes gens deviennent rapidement amis, pour les vieillards il en est tout différemment : car on ne devient pas amis de gens avec lesquels on n’éprouve aucun sentiment de joie. Même observation pour les personnes de caractère morose. Il est vrai que ces deux sortes de gens peuvent ressentir de la bienveillance les uns pour les autres (ils se souhaitent du bien, et vont au secours l’un de l’autre dans leurs besoins) mais on peut difficilement les appeler des amis, pour la raison qu’ils ne vivent pas ensemble, ni ne se plaisent les uns avec les autres : or ce sont là les deux principaux caractères qu’on reconnaît à l’amitié. On ne peut pas être un ami pour plusieurs personnes, dans l’amitié parfaite, pas plus qu’on ne peut être amoureux de plusieurs personnes en même temps (car l’amour est une sorte d’excès, et un état de ce genre n’est naturellement ressenti qu’envers un seul) ; et peut-être même n’est-il pas aisé de trouver un grand nombre de gens de bien. On doit aussi acquérir quelque expérience de son ami et entrer dans son intimité, ce qui est d’une extrême difficulté. Par contre, si on recherche l’utilité ou le plaisir, il est possible de plaire à beaucoup de personnes, car nombreux sont les gens de cette sorte, et les services qu’on en reçoit ne se font pas attendre longtemps. De ces deux dernières formes d’amitié celle qui repose sur le plaisir ressemble davantage à la véritable amitié, quand les deux parties retirent à la fois les mêmes satisfactions l’une de l’autre et qu’elles ressentent une joie mutuelle ou se plaisent aux mêmes choses : telles sont les amitiés entre jeunes gens, car il y a en elles plus de générosité ; au contraire, l’amitié basée sur l’utilité est celle d’âmes mercantiles. Quand à ceux qui sont comblés par la vie ils ont besoin non pas d’amis utiles, mais d’amis agréables, parce qu’ils souhaitent vivre en compagnie de quelques personnes ; et bien qu’ils puissent supporter un court temps ce qui leur est pénible, ils ne pourraient jamais l’endurer d’une façon continue, pas plus qu’ils ne le pourraient même pour le Bien en soja, s’il leur était à charge. C’est pourquoi les gens heureux recherchent les amis agréables. Sans doute devraient-ils aussi rechercher des amis qui, tout en ayant cette dernière qualité, soient aussi gens de bien, et en outre bons et plaisants pour eux, possédant ainsi tous les caractères exigés de l’amitié.
Les hommes appartenant aux classes dirigeantes ont, c’est un fait, leurs amis séparés en groupes distincts les uns leur sont utiles, et d’autres agréables, mais ce sont rarement les mêmes â la fois. Ils ne recherchent pour amis ni ceux dont l’agrément s’accompagne de vertu, ni ceux dont l’utilité servirait de nobles desseins, mais ils veulent des gens d’esprit quand ils ont envie de s’amuser, et quant aux autres ils les veulent habiles à exécuter leurs ordres, toutes exigences qui se rencontrent rarement dans la même personne. Nous avons dite que l’homme de bien est en même temps utile et agréable, mais un tel homme ne devient pas ami d’un autre occupant une position sociale plus élevée, à moins que cet autre ne le surpasse aussi en vertu : sinon, l’homme de bien, Surpassé par le supérieur, ne peut réaliser une égalité proportionnelle. Mais on n’est pas habitué à rencontrer fréquemment des hommes puissants de cette espèce.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VIII.
CHAPITRE 8 : L’égalité et l’inégalité dans l’amitié
Quoi qu’il en soit les amitiés dont nous avons parlé impliquent égalité les deux parties retirent les mêmes avantages l’une de l’autre et se souhaitent réciproquement les mêmes biens, ou encore échangent une chose contre une autre par exemple plaisir contre profit. Nous avons dit que ces dernières formes de l’amitié sont d’un ordre inférieur et durent moins longtemps. Mais du fait qu’à la fois elles ressemblent et ne ressemblent pas à la même chose, on peut aussi bien penser qu’elles sont des amitiés et qu’elles n’en sont pas par leur ressemblance, en effet, avec l’amitié fondée sur la vertu, elles paraissent bien être des amitiés (car l’une comporte le plaisir et l’autre l’utilité, et ces caractères appartiennent aussi à l’amitié fondée sur la vertu) par contre, du fait que l’amitié basée sur la vertu est à l’abri des traverses et demeure stable, tandis que les autres amitiés changent rapidement et diffèrent en outre de la première sur beaucoup d’autres points, ces amitiés-là ne semblent pas être des amitiés, à cause de leur dissemblance avec l’amitié véritable.
Mais il existe une autre espèce d’amitié, c’est celle qui comporte une supériorité d’une partie sur l’autre, par exemple l’affection d’un père à l’égard de son fils, et, d’une manière générale, d’une personne plus âgée à l’égard d’une autre plus jeune, ou encore celle du mari envers sa femme, ou d’une personne exerçant une autorité quelconque envers un inférieur. Ces diverses amitiés diffèrent aussi entre elles : l’affection des parents pour leurs enfants n’est pas la même que is celle des chefs pour leurs inférieurs ; bien plus, celle du père pour son fils n’est pas la même que celle du fils pour son père, ni celle du mari pour sa femme la même que celle de la femme pour son mari. En effet, chacune de ces personnes a une vertu et une fonction différentes, et différentes sont aussi les raisons qui les font s’aimer : il en résulte une différence dans les attachements et les amitiés. Dès lors il n’y a pas identité dans les avantages que chacune des parties retire de l’autre, et elles ne doivent pas non plus y prétendre ; mais quand les enfants rendent à leurs parents ce qu’ils doivent aux auteurs de leurs jours et que les parents rendent à leurs enfants ce qu’ils doivent à leur progéniture, l’amitié entre de telles personnes sera stable et équitable. Et dans toutes les amitiés comportant supériorité, il faut aussi que l’attachement soit proportionnel ainsi, celui qui est meilleur que l’autre doit être aimé plus qu’il n’aime ; il en sera de même pour celui qui est plus utile, et pareillement dans chacun des autres cas. Quand, en effet, l’affection est fonction du mérite des parties, alors il se produit une sorte d’égalité, égalité qui est considérée comme un caractère propre de l’amitié.
Quoi qu’il en soit les amitiés dont nous avons parlé impliquent égalité les deux parties retirent les mêmes avantages l’une de l’autre et se souhaitent réciproquement les mêmes biens, ou encore échangent une chose contre une autre par exemple plaisir contre profit. Nous avons dit que ces dernières formes de l’amitié sont d’un ordre inférieur et durent moins longtemps. Mais du fait qu’à la fois elles ressemblent et ne ressemblent pas à la même chose, on peut aussi bien penser qu’elles sont des amitiés et qu’elles n’en sont pas par leur ressemblance, en effet, avec l’amitié fondée sur la vertu, elles paraissent bien être des amitiés (car l’une comporte le plaisir et l’autre l’utilité, et ces caractères appartiennent aussi à l’amitié fondée sur la vertu) par contre, du fait que l’amitié basée sur la vertu est à l’abri des traverses et demeure stable, tandis que les autres amitiés changent rapidement et diffèrent en outre de la première sur beaucoup d’autres points, ces amitiés-là ne semblent pas être des amitiés, à cause de leur dissemblance avec l’amitié véritable.
Mais il existe une autre espèce d’amitié, c’est celle qui comporte une supériorité d’une partie sur l’autre, par exemple l’affection d’un père à l’égard de son fils, et, d’une manière générale, d’une personne plus âgée à l’égard d’une autre plus jeune, ou encore celle du mari envers sa femme, ou d’une personne exerçant une autorité quelconque envers un inférieur. Ces diverses amitiés diffèrent aussi entre elles : l’affection des parents pour leurs enfants n’est pas la même que is celle des chefs pour leurs inférieurs ; bien plus, celle du père pour son fils n’est pas la même que celle du fils pour son père, ni celle du mari pour sa femme la même que celle de la femme pour son mari. En effet, chacune de ces personnes a une vertu et une fonction différentes, et différentes sont aussi les raisons qui les font s’aimer : il en résulte une différence dans les attachements et les amitiés. Dès lors il n’y a pas identité dans les avantages que chacune des parties retire de l’autre, et elles ne doivent pas non plus y prétendre ; mais quand les enfants rendent à leurs parents ce qu’ils doivent aux auteurs de leurs jours et que les parents rendent à leurs enfants ce qu’ils doivent à leur progéniture, l’amitié entre de telles personnes sera stable et équitable. Et dans toutes les amitiés comportant supériorité, il faut aussi que l’attachement soit proportionnel ainsi, celui qui est meilleur que l’autre doit être aimé plus qu’il n’aime ; il en sera de même pour celui qui est plus utile, et pareillement dans chacun des autres cas. Quand, en effet, l’affection est fonction du mérite des parties, alors il se produit une sorte d’égalité, égalité qui est considérée comme un caractère propre de l’amitié.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VIII.
CHAPITRE 9 : L’égalité dans la justice et dans l’amitié Amitié donnée et amitié rendue
Mais l’égalité ne semble pas revêtir la même forme dans le domaine des actions justes et dans l’amitié Dans le cas des actions justes, l’égal au sens premier est ce qui est proportionné au mérite, tandis que l’égal en quantité n’est qu’un sens dérivé ; au contraire, dans l’amitié l’égal en quantité est le sens premier, et l’égal proportionné au mérite, le sens secondaire.
Ce que nous disons là saute aux yeux, quand une disparité considérable se produit sous le rapport de la vertu, ou du vice, ou des ressources matérielles, ou de quelque autre chose les amis ne sont plus longtemps amis, et ils ne prétendent, même pas à le rester. Mais le cas le plus frappant est celui des dieux, chez qui la supériorité en toute espèce de biens est la plus indiscutable. Mais on le voit aussi quand il s’agit des rois : en ce qui les concerne, les hommes d’une situation par trop inférieure ne peuvent non plus prétendre à leur amitié, pas plus d’ailleurs que les gens dépourvus de tout mérite ne songent à se lier avec les hommes les plus distingués par leur excellence ou leur sagesse. Il est vrai qu’en pareil cas on ne peut déterminer avec précision jusqu’à quel point des amis sont encore des amis : les motifs sur lesquels elle repose disparaissant en grande partie, l’amitié persiste encore. Toutefois si l’un des amis est séparé par un intervalle considérable, comme par exemple Dieu est éloigné de l’homme, il n’y a plus d’amitié possible. C’est même ce qui a donné lieu à la question de savoir si, en fin de compte, les amis souhaitent vraiment pour leurs amis les biens les plus grands, comme par exemple d’être des dieux, car alors ce ne seront plus des amis pour eux, ni par suite des biens, puisque les amis sont des biens. Si donc nous avons eu raison de dire que l’ami désire du bien à son ami en vue de cet ami même, celui-ci devrait demeurer ce qu’il est, que] qu’il puisse être, tandis que l’autre souhaitera à son ami seulement les plus grands biens compatibles avec la persistance de sa nature d’homme. Peut-être même ne lui souhaitera-t-il pas tous les plus grands biens, car c’est surtout pour soi- même que tout homme souhaite les choses qui sont bonnes.
La plupart des hommes poussés par le désir de l’honneur paraissent souhaiter être aimés plutôt qu’aimer (de là vient qu’on aime généralement les flatteurs, car le flatteur est un ami en état d’infériorité ou qui fait du moins semblant d’être tel et o aimer plus qu’il n’est aimé) ; or être aimé et être honoré sont, semble-t-il, des notions très rapprochées, et c’est à être honorés que la majorité des hommes aspirent. Mais il apparaît qu’on ne choisit pas l’honneur pour lui-même, mais seulement par accident En effet, on se plaît la plupart du temps à recevoir des marques de considération de la part des hommes en place, en raison des espérances qu’ils font naître (car on pense obtenir d’eux ce dont on peut avoir besoin, quoi que ce soit ; dès lors, c’est comme signe d’un bienfait à recevoir qu’on se réjouit de l’honneur qu’ils vous rendent). Ceux qui, d’autre part, désirent être honorés par les gens de bien et de savoir, aspirent, ce faisant, â renforcer leur propre opinion sur eux-mêmes. Ils se réjouissent dès lors de l’honneur qu’ils reçoivent, parce qu’ils sont assurés de leur propre valeur morale sur la foi du jugement porté par ceux qui la répandent. D’un autre côté, on se réjouit d’être aimé par cela même. Il résulte de tout cela qu’être aimé peut sembler préférable à être honoré, et que l’amitié est désirable par elle-même.
Mais il paraît bien que l’amitié, consiste plutôt à aimer qu’à être aimé. Ce qui le montre bien, c’est la joie que les mères ressentent à aimer leurs enfants. Certaines les mettent en nourrice, et elles les aiment en sachant qu’ils sont leurs enfants, mais ne cherchent pas à être aimées en retour, si les deux choses à la fois ne sont pas possibles, mais il leur paraît suffisant de les voir prospérer ; et elles-mêmes aiment leurs enfants même si ces derniers ne leur rendent rien ‘de qui est dû à une mère, à cause de l’ignorance où ils se trouvent.
Mais l’égalité ne semble pas revêtir la même forme dans le domaine des actions justes et dans l’amitié Dans le cas des actions justes, l’égal au sens premier est ce qui est proportionné au mérite, tandis que l’égal en quantité n’est qu’un sens dérivé ; au contraire, dans l’amitié l’égal en quantité est le sens premier, et l’égal proportionné au mérite, le sens secondaire.
Ce que nous disons là saute aux yeux, quand une disparité considérable se produit sous le rapport de la vertu, ou du vice, ou des ressources matérielles, ou de quelque autre chose les amis ne sont plus longtemps amis, et ils ne prétendent, même pas à le rester. Mais le cas le plus frappant est celui des dieux, chez qui la supériorité en toute espèce de biens est la plus indiscutable. Mais on le voit aussi quand il s’agit des rois : en ce qui les concerne, les hommes d’une situation par trop inférieure ne peuvent non plus prétendre à leur amitié, pas plus d’ailleurs que les gens dépourvus de tout mérite ne songent à se lier avec les hommes les plus distingués par leur excellence ou leur sagesse. Il est vrai qu’en pareil cas on ne peut déterminer avec précision jusqu’à quel point des amis sont encore des amis : les motifs sur lesquels elle repose disparaissant en grande partie, l’amitié persiste encore. Toutefois si l’un des amis est séparé par un intervalle considérable, comme par exemple Dieu est éloigné de l’homme, il n’y a plus d’amitié possible. C’est même ce qui a donné lieu à la question de savoir si, en fin de compte, les amis souhaitent vraiment pour leurs amis les biens les plus grands, comme par exemple d’être des dieux, car alors ce ne seront plus des amis pour eux, ni par suite des biens, puisque les amis sont des biens. Si donc nous avons eu raison de dire que l’ami désire du bien à son ami en vue de cet ami même, celui-ci devrait demeurer ce qu’il est, que] qu’il puisse être, tandis que l’autre souhaitera à son ami seulement les plus grands biens compatibles avec la persistance de sa nature d’homme. Peut-être même ne lui souhaitera-t-il pas tous les plus grands biens, car c’est surtout pour soi- même que tout homme souhaite les choses qui sont bonnes.
La plupart des hommes poussés par le désir de l’honneur paraissent souhaiter être aimés plutôt qu’aimer (de là vient qu’on aime généralement les flatteurs, car le flatteur est un ami en état d’infériorité ou qui fait du moins semblant d’être tel et o aimer plus qu’il n’est aimé) ; or être aimé et être honoré sont, semble-t-il, des notions très rapprochées, et c’est à être honorés que la majorité des hommes aspirent. Mais il apparaît qu’on ne choisit pas l’honneur pour lui-même, mais seulement par accident En effet, on se plaît la plupart du temps à recevoir des marques de considération de la part des hommes en place, en raison des espérances qu’ils font naître (car on pense obtenir d’eux ce dont on peut avoir besoin, quoi que ce soit ; dès lors, c’est comme signe d’un bienfait à recevoir qu’on se réjouit de l’honneur qu’ils vous rendent). Ceux qui, d’autre part, désirent être honorés par les gens de bien et de savoir, aspirent, ce faisant, â renforcer leur propre opinion sur eux-mêmes. Ils se réjouissent dès lors de l’honneur qu’ils reçoivent, parce qu’ils sont assurés de leur propre valeur morale sur la foi du jugement porté par ceux qui la répandent. D’un autre côté, on se réjouit d’être aimé par cela même. Il résulte de tout cela qu’être aimé peut sembler préférable à être honoré, et que l’amitié est désirable par elle-même.
Mais il paraît bien que l’amitié, consiste plutôt à aimer qu’à être aimé. Ce qui le montre bien, c’est la joie que les mères ressentent à aimer leurs enfants. Certaines les mettent en nourrice, et elles les aiment en sachant qu’ils sont leurs enfants, mais ne cherchent pas à être aimées en retour, si les deux choses à la fois ne sont pas possibles, mais il leur paraît suffisant de les voir prospérer ; et elles-mêmes aiment leurs enfants même si ces derniers ne leur rendent rien ‘de qui est dû à une mère, à cause de l’ignorance où ils se trouvent.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VIII.
CHAPITRE 10 : Amitié active et amitié passive, suite Amitiés entre inégaux
Étant donné que l’amitié consiste plutôt dans le fait d’aimer, et qu’on loue ceux qui aiment leurs amis il semble bien qu’aimer soit la vertu des amis, de sorte que ceux dans lesquels ce sentiment se rencontre proportionné au mérite de leur ami, sont des amis constants, et leur amitié l’est aussi. — C’est de cette façon surtout que même les hommes de condition inégale peuvent être amis, car ils seront ainsi rendus égaux. Or l’égalité et la ressemblance constituent l’affection, particulièrement la ressemblance de ceux qui sont semblables en vertu : car étant stables en eux-mêmes, ils le demeurent aussi dans leurs rapports mutuels et ils ne demandent ni ne rendent des services dégradants, mais on peut même dire qu’ils y mettent obstacle : car le propre des gens vertueux c’est à la fois d’éviter l’erreur pour eux-mêmes et de ne pas la tolérer chez leurs amis. Les méchants, au contraire, n’ont pas la stabilité car ils ne demeurent même pas semblables à eux- mêmes ; mais ils ne deviennent amis que pour un temps fort court, se délectant à leur méchanceté réciproque. Ceux dont l’amitié repose sur l’utilité ou le plaisir demeurent amis plus longtemps que les précédents, à savoir aussi longtemps qu’ils se pro curent réciproquement des plaisirs ou des profits.
C’est l’amitié basée sur l’utilité qui, semble-t-il, se forme le plus fréquemment à partir de personnes de conditions opposées par exemple l’amitié d’un pauvre pour un riche, d’un ignorant pour un savant ; car quand on se trouve dépourvu d’une chose dont on a envie, on donne une autre chose en retour pour l’obtenir. On peut encore ranger sous ce chef le lien qui unit un amant et son aimé, un homme beau et un homme laid. C’est pourquoi l’amant apparaît parfois ridicule, quand il a la prétention d’être aimé comme il aime s’il était pareillement aimable, sans doute sa prétention serait-elle justifiée, mais s’il n’a rien de tel à offrir, elle est ridicule.
Mais peut-être le contraire ne tend-il pas au contraire par sa propre nature, mais seulement par accident, le désir ayant en réalité pour objet le moyen car le moyen est ce qui est bon : ainsi il est bon pour le sec non pas de devenir humide, mais d’atteindre à l’état intermédiaire, et pour le chaud et les autres qualités il en est de même.
Étant donné que l’amitié consiste plutôt dans le fait d’aimer, et qu’on loue ceux qui aiment leurs amis il semble bien qu’aimer soit la vertu des amis, de sorte que ceux dans lesquels ce sentiment se rencontre proportionné au mérite de leur ami, sont des amis constants, et leur amitié l’est aussi. — C’est de cette façon surtout que même les hommes de condition inégale peuvent être amis, car ils seront ainsi rendus égaux. Or l’égalité et la ressemblance constituent l’affection, particulièrement la ressemblance de ceux qui sont semblables en vertu : car étant stables en eux-mêmes, ils le demeurent aussi dans leurs rapports mutuels et ils ne demandent ni ne rendent des services dégradants, mais on peut même dire qu’ils y mettent obstacle : car le propre des gens vertueux c’est à la fois d’éviter l’erreur pour eux-mêmes et de ne pas la tolérer chez leurs amis. Les méchants, au contraire, n’ont pas la stabilité car ils ne demeurent même pas semblables à eux- mêmes ; mais ils ne deviennent amis que pour un temps fort court, se délectant à leur méchanceté réciproque. Ceux dont l’amitié repose sur l’utilité ou le plaisir demeurent amis plus longtemps que les précédents, à savoir aussi longtemps qu’ils se pro curent réciproquement des plaisirs ou des profits.
C’est l’amitié basée sur l’utilité qui, semble-t-il, se forme le plus fréquemment à partir de personnes de conditions opposées par exemple l’amitié d’un pauvre pour un riche, d’un ignorant pour un savant ; car quand on se trouve dépourvu d’une chose dont on a envie, on donne une autre chose en retour pour l’obtenir. On peut encore ranger sous ce chef le lien qui unit un amant et son aimé, un homme beau et un homme laid. C’est pourquoi l’amant apparaît parfois ridicule, quand il a la prétention d’être aimé comme il aime s’il était pareillement aimable, sans doute sa prétention serait-elle justifiée, mais s’il n’a rien de tel à offrir, elle est ridicule.
Mais peut-être le contraire ne tend-il pas au contraire par sa propre nature, mais seulement par accident, le désir ayant en réalité pour objet le moyen car le moyen est ce qui est bon : ainsi il est bon pour le sec non pas de devenir humide, mais d’atteindre à l’état intermédiaire, et pour le chaud et les autres qualités il en est de même.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VIII.
CHAPITRE 11 : Amitié et justice Les types d’amitié Associations particulières et cité
Mais laissons de côté ces dernières considérations (et de fait elles sont par trop étrangères à notre sujet).
Il semble bien, comme nous l’avons dit au début, que l’amitié et la justice ont rapport aux mêmes objets et interviennent entre les mêmes personnes. En effet, en toute communauté, on trouve, semble-t-il, quelque forme de justice et aussi d’amitié coextensive : aussi les hommes appellent-ils du nom d’amis leurs compagnons de navigation et leurs compagnons d’armes, ainsi que ceux qui leur sont associés dans les autres genres de communauté Et l’étendue de leur association est la mesure de l’étendue de leur amitié, car elle détermine aussi l’étendue de leurs droits En outre, le proverbe ce que possèdent des amis est commun est bien exact, car c’est dans une mise en commun que consiste l’amitié Il y a entre frères ainsi qu’entre camarades communauté totale, mais pour les autres amis la mise en commun ne porte que sur des choses déterminées, plus ou moins nombreuses suivant les cas : car les amitiés aussi suivent les mêmes variations en plus ou en moins. Les rapports de droit admettent aussi des différences : les droits des parents et des enfants ne sont pas les a mêmes que ceux des frères entre eux, ni ceux des camarades les mêmes que ceux des citoyens ; et il en est de même pour les autres formes d’amitié. Il y a par suite aussi des différences en ce qui concerne les injustices commises dans chacune de ces différentes classes d’associés, et l’injustice acquiert un surcroît de gravité quand elle s’adresse davantage à des amis par exemple, il est plus choquant de dépouiller de son argent un camarade qu’un concitoyen, plus choquant de refuser son assistance à un frère qu’à un étranger, plus choquant enfin de frapper son père qu’une autre personne quelconque. Et il est naturel aussi que la justice croisse en même temps que l’amitié, attendu que l’une et l’autre existent entre les mêmes personnes et possèdent une égale extension.
Mais toutes les communautés ne sont, pour ainsi dire, que des fractions de la communauté politique. On se réunit, par exemple, pour voyager ensemble en vue de s’assurer quelque avantage déterminé, et de se procurer quelqu’une des choses nécessaires à la vie et c’est aussi en vue de l’avantage de ses membres pense-t-on généralement, que la communauté poli tique s’est constituée à l’origine et continue à se maintenir. Et cette utilité commune est le but visé par les législateurs, qui appellent juste ce qui est à l’avantage de tous Ainsi les autres communautés leur avantage particulier : par exemple les navigateurs, en naviguant ensemble, ont en vue l’avantage d’acquérir de l’argent ou quelque chose d’analogue ; pour les compagnons d’armes, c’est le butin, que ce soit richesses, ou victoire, ou prise d’une ville qu’ils désirent ; et c’est le cas également des membres d’une tribu ou d’un dème [certaines communautés semblent avoir pour origine l’agrément, par exemple celles qui unissent les membres d’un thiase ou d’un cercle dans lequel chacun paye soit écot associations constituées respectivement en vue d’offrir un sacrifice ou d’entretenir des relations de société. Mais toutes ces communautés semblent bien être subordonnées à la communauté politique, car la communauté politique n’a pas pour but l’avantage présent, mais ce qui est utile à la vie tout entière], qui offrent des sacrifices et tiennent des réunions à cet effet, rendant ainsi des honneurs aux dieux et se procurant en même temps pour eux-mêmes des distractions agréables. En effet les sacrifices et les réunions d’ancienne origine ont lieu, c’est un fait, après la récolte des fruits et présentent le caractère d’une offrande des prémices : car c’est la saison de l’année où le peuple avait le plus de loisir. Toutes ces communautés sont donc manifestement des fractions de la communauté politique, et les espèces particulières d’amitiés correspondent aux espèces particulières de communautés.
Mais laissons de côté ces dernières considérations (et de fait elles sont par trop étrangères à notre sujet).
Il semble bien, comme nous l’avons dit au début, que l’amitié et la justice ont rapport aux mêmes objets et interviennent entre les mêmes personnes. En effet, en toute communauté, on trouve, semble-t-il, quelque forme de justice et aussi d’amitié coextensive : aussi les hommes appellent-ils du nom d’amis leurs compagnons de navigation et leurs compagnons d’armes, ainsi que ceux qui leur sont associés dans les autres genres de communauté Et l’étendue de leur association est la mesure de l’étendue de leur amitié, car elle détermine aussi l’étendue de leurs droits En outre, le proverbe ce que possèdent des amis est commun est bien exact, car c’est dans une mise en commun que consiste l’amitié Il y a entre frères ainsi qu’entre camarades communauté totale, mais pour les autres amis la mise en commun ne porte que sur des choses déterminées, plus ou moins nombreuses suivant les cas : car les amitiés aussi suivent les mêmes variations en plus ou en moins. Les rapports de droit admettent aussi des différences : les droits des parents et des enfants ne sont pas les a mêmes que ceux des frères entre eux, ni ceux des camarades les mêmes que ceux des citoyens ; et il en est de même pour les autres formes d’amitié. Il y a par suite aussi des différences en ce qui concerne les injustices commises dans chacune de ces différentes classes d’associés, et l’injustice acquiert un surcroît de gravité quand elle s’adresse davantage à des amis par exemple, il est plus choquant de dépouiller de son argent un camarade qu’un concitoyen, plus choquant de refuser son assistance à un frère qu’à un étranger, plus choquant enfin de frapper son père qu’une autre personne quelconque. Et il est naturel aussi que la justice croisse en même temps que l’amitié, attendu que l’une et l’autre existent entre les mêmes personnes et possèdent une égale extension.
Mais toutes les communautés ne sont, pour ainsi dire, que des fractions de la communauté politique. On se réunit, par exemple, pour voyager ensemble en vue de s’assurer quelque avantage déterminé, et de se procurer quelqu’une des choses nécessaires à la vie et c’est aussi en vue de l’avantage de ses membres pense-t-on généralement, que la communauté poli tique s’est constituée à l’origine et continue à se maintenir. Et cette utilité commune est le but visé par les législateurs, qui appellent juste ce qui est à l’avantage de tous Ainsi les autres communautés leur avantage particulier : par exemple les navigateurs, en naviguant ensemble, ont en vue l’avantage d’acquérir de l’argent ou quelque chose d’analogue ; pour les compagnons d’armes, c’est le butin, que ce soit richesses, ou victoire, ou prise d’une ville qu’ils désirent ; et c’est le cas également des membres d’une tribu ou d’un dème [certaines communautés semblent avoir pour origine l’agrément, par exemple celles qui unissent les membres d’un thiase ou d’un cercle dans lequel chacun paye soit écot associations constituées respectivement en vue d’offrir un sacrifice ou d’entretenir des relations de société. Mais toutes ces communautés semblent bien être subordonnées à la communauté politique, car la communauté politique n’a pas pour but l’avantage présent, mais ce qui est utile à la vie tout entière], qui offrent des sacrifices et tiennent des réunions à cet effet, rendant ainsi des honneurs aux dieux et se procurant en même temps pour eux-mêmes des distractions agréables. En effet les sacrifices et les réunions d’ancienne origine ont lieu, c’est un fait, après la récolte des fruits et présentent le caractère d’une offrande des prémices : car c’est la saison de l’année où le peuple avait le plus de loisir. Toutes ces communautés sont donc manifestement des fractions de la communauté politique, et les espèces particulières d’amitiés correspondent aux espèces particulières de communautés.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VIII.
CHAPITRE 12 : Constitutions politiques et amitiés correspondantes
Il y a trois espèces de constitutions et aussi un nombre égal de déviations, c’est-à-dire de corruptions auxquelles elles sont sujettes. Les Constitutions sont la royauté, l’aristocratie et en troisième lieu celle qui est fondée sur le cens et qui, semble-t-il, peut recevoir le qualificatif approprié de timocratie, quoique en fait on a coutume de l’appeler la plupart du temps république. La meilleure de ces constitutions est la royauté et la plus mauvaise la timocratie La déviation de la royauté est la tyrannie. Toutes deux sont des monarchies, mais elles diffèrent du tout au tout : le tyran n’a en vue que son avantage personnel, tandis que le roi a en vue celui de ses sujets En effet, n’est pas réellement roi celui qui ne se suffit pas à lui-même, c’est-à-dire ne possède pas la supériorité en toutes sortes de biens mais le roi tel que nous le supposons, n’ayant besoin de rien de plus qu’il n’a, n’aura pas en vue ses propres intérêts mais ceux de ses sujets, car le roi ne possédant pas ces caractères ne serait qu’un roi désigné par le sort La tyrannie est tout le contraire de la royauté, car le tyran pour suit son bien propre. Et on aperçoit plus clairement dans le cas de la tyrannie qu’elle est la pire des déviations, le contraire de ce qu’il y a de mieux étant ce qu’il y a de plus mauvais De la royauté on passe à la tyrannie, car la tyrannie est une perversion de monarchie, et dès lors le mauvais roi devient tyran. De l’aristocratie on passe à l’oligarchie par le vice des gouvernants, qui distribuent ce qui appartient à la cité sans tenir compte du mérite, et s’attribuent à eux-mêmes tous les biens ou la plupart d’entre eux, et réservent les magistratures toujours aux mêmes personnes, ne faisant cas que de la richesse ; dès lors le gouvernement est aux mains d’un petit nombre d’hommes pervers au lieu d’appartenir aux plus capables. De la timocratie on passe à la démocratie : elles sont en effet limitrophes, puisque la timocratie a aussi pour idéal le règne de la majorité, et que sont égaux tous ceux qui répondent aux conditions du cens. La démocratie est la moins mauvaise : des gouvernements corrompus, car elle n’est qu’une légère déviation de la forme du gouvernement républicain — Telles sont donc les transformations auxquelles les constitutions sont surtout exposées (car ce sont là des changements minimes et qui se produisent le plus facilement).
On peut trouver des ressemblances à ces constitutions, des modèles en quelque sorte, jusque dans l’organisation domestique. En effet, la communauté existant entre un père et ses enfants est de type royal (puisque le père prend soin de ses enfants de là vient qu’HOMÈRE désigne Zeus du nom de père, car la royauté a pour idéal d’être un gouvernement paternel). Chez les Perses, l’autorité paternelle est tyrannique (car ils se servent de leurs enfants comme d’esclaves). Tyrannique aussi est l’autorité du maître sur ses esclaves (l’avantage du maître s’y trouvant seul engagé ; or si cette dernière sorte d’autorité apparaît comme légitime, l’autorité paternelle de type perse est au contraire fautive, car des relations différentes appellent des formes de commandement différentes) La communauté du mari et de sa femme semblent être de type aristocratique (le mari exerçant l’autorité en raison de la dignité de son sexe, et dans des matières où la main d’un homme doit se faire sentir ; mais les travaux qui conviennent à une femme, il les lui abandonne). Quand le mari étend sa domination sur toutes choses, il transforme la communauté conjugale en oligarchie (puisqu’il agit ainsi en violation de ce qui sied à chaque époux, et a non en vertu de sa supériorité). Parfois cependant ce sont les femmes qui gouvernent quand elles sont héritières mais alors leur autorité ne s’exerce pas en raison de l’excellence de la personne, mais elle est due à la richesse et au pouvoir, tout comme dans les oligarchies. La communauté entre frères est semblable à une timocratie (il y a égalité entre eux, sauf dans la mesure où ils diffèrent par l’âge ; et c’est ce qui fait précisément que si la différence d’âge est considérable, l’affection qui les unit n’a plus rien de fraternel). La démocratie se rencontre principalement dans les demeures sans maîtres (car là tous les individus sont sur un pied d’égalité), et dans celles où le chef est faible et où chacun a licence de faire ce qui lui plaît.
Il y a trois espèces de constitutions et aussi un nombre égal de déviations, c’est-à-dire de corruptions auxquelles elles sont sujettes. Les Constitutions sont la royauté, l’aristocratie et en troisième lieu celle qui est fondée sur le cens et qui, semble-t-il, peut recevoir le qualificatif approprié de timocratie, quoique en fait on a coutume de l’appeler la plupart du temps république. La meilleure de ces constitutions est la royauté et la plus mauvaise la timocratie La déviation de la royauté est la tyrannie. Toutes deux sont des monarchies, mais elles diffèrent du tout au tout : le tyran n’a en vue que son avantage personnel, tandis que le roi a en vue celui de ses sujets En effet, n’est pas réellement roi celui qui ne se suffit pas à lui-même, c’est-à-dire ne possède pas la supériorité en toutes sortes de biens mais le roi tel que nous le supposons, n’ayant besoin de rien de plus qu’il n’a, n’aura pas en vue ses propres intérêts mais ceux de ses sujets, car le roi ne possédant pas ces caractères ne serait qu’un roi désigné par le sort La tyrannie est tout le contraire de la royauté, car le tyran pour suit son bien propre. Et on aperçoit plus clairement dans le cas de la tyrannie qu’elle est la pire des déviations, le contraire de ce qu’il y a de mieux étant ce qu’il y a de plus mauvais De la royauté on passe à la tyrannie, car la tyrannie est une perversion de monarchie, et dès lors le mauvais roi devient tyran. De l’aristocratie on passe à l’oligarchie par le vice des gouvernants, qui distribuent ce qui appartient à la cité sans tenir compte du mérite, et s’attribuent à eux-mêmes tous les biens ou la plupart d’entre eux, et réservent les magistratures toujours aux mêmes personnes, ne faisant cas que de la richesse ; dès lors le gouvernement est aux mains d’un petit nombre d’hommes pervers au lieu d’appartenir aux plus capables. De la timocratie on passe à la démocratie : elles sont en effet limitrophes, puisque la timocratie a aussi pour idéal le règne de la majorité, et que sont égaux tous ceux qui répondent aux conditions du cens. La démocratie est la moins mauvaise : des gouvernements corrompus, car elle n’est qu’une légère déviation de la forme du gouvernement républicain — Telles sont donc les transformations auxquelles les constitutions sont surtout exposées (car ce sont là des changements minimes et qui se produisent le plus facilement).
On peut trouver des ressemblances à ces constitutions, des modèles en quelque sorte, jusque dans l’organisation domestique. En effet, la communauté existant entre un père et ses enfants est de type royal (puisque le père prend soin de ses enfants de là vient qu’HOMÈRE désigne Zeus du nom de père, car la royauté a pour idéal d’être un gouvernement paternel). Chez les Perses, l’autorité paternelle est tyrannique (car ils se servent de leurs enfants comme d’esclaves). Tyrannique aussi est l’autorité du maître sur ses esclaves (l’avantage du maître s’y trouvant seul engagé ; or si cette dernière sorte d’autorité apparaît comme légitime, l’autorité paternelle de type perse est au contraire fautive, car des relations différentes appellent des formes de commandement différentes) La communauté du mari et de sa femme semblent être de type aristocratique (le mari exerçant l’autorité en raison de la dignité de son sexe, et dans des matières où la main d’un homme doit se faire sentir ; mais les travaux qui conviennent à une femme, il les lui abandonne). Quand le mari étend sa domination sur toutes choses, il transforme la communauté conjugale en oligarchie (puisqu’il agit ainsi en violation de ce qui sied à chaque époux, et a non en vertu de sa supériorité). Parfois cependant ce sont les femmes qui gouvernent quand elles sont héritières mais alors leur autorité ne s’exerce pas en raison de l’excellence de la personne, mais elle est due à la richesse et au pouvoir, tout comme dans les oligarchies. La communauté entre frères est semblable à une timocratie (il y a égalité entre eux, sauf dans la mesure où ils diffèrent par l’âge ; et c’est ce qui fait précisément que si la différence d’âge est considérable, l’affection qui les unit n’a plus rien de fraternel). La démocratie se rencontre principalement dans les demeures sans maîtres (car là tous les individus sont sur un pied d’égalité), et dans celles où le chef est faible et où chacun a licence de faire ce qui lui plaît.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VIII.
CHAPITRE 13 : Formes de l’amitié correspondant aux constitutions politiques
Pour chaque forme de constitution on voit apparaître une amitié, laquelle est coextensive aussi aux rapports de justice. L’affection d’un roi pour ses sujets réside dans une supériorité de bienfaisance car un roi fait du bien à ses sujets si, étant lui-même bon, il prend soin d’eux en vue d’assurer leur prospérité, comme un berger le fait pour son troupeau. De là vient qu’HOMÈRE a appelé Agamemnon pasteur des peuples De même nature est aussi l’amour paternel, lequel cependant l’emporte ici par la grandeur des services rendus, puisque le père est l’auteur de l’existence de son enfant (ce qui de l’avis général est le plus grand des dons), ainsi que de son entretien et de son éducation et ces bienfaits sont attribués également aux ancêtres. Et, de fait, c’est une chose naturelle qu’un père gouverne ses enfants, des ancêtres leurs descendants, et un roi ses sujets. Ces diverses amitiés impliquent supériorité : de bienfaits de la part d’une des parties, et c’est pourquoi encore les parents sont honorés par leurs enfants Dès lors, les rapports de justice entre les personnes dont nous parlons ne sont pas identiques des deux côtés, mais sont proportionnés au mérite de chacun, comme c’est le cas aussi de l’affection qui les unit.
L’affection entre mari et femme est la même que celle qu’on trouve dans le régime aristocratique, puisqu’elle est proportionnée à l’excellence personnelle, et qu’au meilleur revient une plus large part de biens, chaque époux recevant ce qui lui est exactement approprié ; et il en est ainsi encore pour les rapports de justice.
L’affection entre frères ressemble à celle des camarades : ils sont, en effet, égaux et de même âge, et tous ceux qui remplissent cette double condition ont la plupart du temps mêmes sentiments et même caractère. Pareille à l’affection fraternelle est celle qui existe dans le régime timocratique, car ce gouvernement a pour idéal l’égalité et la vertu des citoyens, de sorte que le commandement appartient à ces derniers à tour de rôle et que tous y participent sur un pied d’égalité. Cette égalité caractérise aussi l’amitié correspondante. Dans les formes déviées de constitutions, de même que la justice n’y tient qu’une place restreinte, ainsi en est-il de l’amitié, et elle est réduite à un rôle insignifiant dans la forme la plus pervertie, je veux dire dans la tyrannie, où l’amitié est nulle ou faible. En effet, là où il n’y a rien de commun entre gouvernant et gouverné, il n’y a non plus aucune amitié, puisqu’il n’y a pas même de justice : il en est comme dans la relation d’un artisan avec son outil, de l’âme avec le corps, d’un maître avec son esclave : tous ces instruments sans doute peuvent être l’objet de soins de la part de ceux qui les emploient, mais il n’y a pas d’amitié ni de justice envers les choses inanimées Mais il n’y en a pas non plus envers un cheval ou un boeuf, ni envers un esclave en tant qu’esclave. Dans ce dernier cas, les deux parties n’ont en effet rien de commun : l’esclave est un outil animé, et l’outil un esclave inanimé En tant donc qu’il est esclave on ne peut pas avoir d’amitié pour lui, mais seulement en tant qu’il est homme, car de l’avis général il existe certains rapports de justice entre un homme, quel qu’il soit, et tout autre homme susceptible d’avoir participation à la loi ou d’être partie à un contrat ; dès lors il peut y avoir aussi amitié avec lui, dans la mesure où il est homme. Par suite encore, tandis que dans les tyrannies l’amitié et la justice ne jouent qu’un faible rôle, dans les démocraties au contraire leur importance est extrême : car il y a beaucoup de choses communes là où les citoyens sont égaux.
Pour chaque forme de constitution on voit apparaître une amitié, laquelle est coextensive aussi aux rapports de justice. L’affection d’un roi pour ses sujets réside dans une supériorité de bienfaisance car un roi fait du bien à ses sujets si, étant lui-même bon, il prend soin d’eux en vue d’assurer leur prospérité, comme un berger le fait pour son troupeau. De là vient qu’HOMÈRE a appelé Agamemnon pasteur des peuples De même nature est aussi l’amour paternel, lequel cependant l’emporte ici par la grandeur des services rendus, puisque le père est l’auteur de l’existence de son enfant (ce qui de l’avis général est le plus grand des dons), ainsi que de son entretien et de son éducation et ces bienfaits sont attribués également aux ancêtres. Et, de fait, c’est une chose naturelle qu’un père gouverne ses enfants, des ancêtres leurs descendants, et un roi ses sujets. Ces diverses amitiés impliquent supériorité : de bienfaits de la part d’une des parties, et c’est pourquoi encore les parents sont honorés par leurs enfants Dès lors, les rapports de justice entre les personnes dont nous parlons ne sont pas identiques des deux côtés, mais sont proportionnés au mérite de chacun, comme c’est le cas aussi de l’affection qui les unit.
L’affection entre mari et femme est la même que celle qu’on trouve dans le régime aristocratique, puisqu’elle est proportionnée à l’excellence personnelle, et qu’au meilleur revient une plus large part de biens, chaque époux recevant ce qui lui est exactement approprié ; et il en est ainsi encore pour les rapports de justice.
L’affection entre frères ressemble à celle des camarades : ils sont, en effet, égaux et de même âge, et tous ceux qui remplissent cette double condition ont la plupart du temps mêmes sentiments et même caractère. Pareille à l’affection fraternelle est celle qui existe dans le régime timocratique, car ce gouvernement a pour idéal l’égalité et la vertu des citoyens, de sorte que le commandement appartient à ces derniers à tour de rôle et que tous y participent sur un pied d’égalité. Cette égalité caractérise aussi l’amitié correspondante. Dans les formes déviées de constitutions, de même que la justice n’y tient qu’une place restreinte, ainsi en est-il de l’amitié, et elle est réduite à un rôle insignifiant dans la forme la plus pervertie, je veux dire dans la tyrannie, où l’amitié est nulle ou faible. En effet, là où il n’y a rien de commun entre gouvernant et gouverné, il n’y a non plus aucune amitié, puisqu’il n’y a pas même de justice : il en est comme dans la relation d’un artisan avec son outil, de l’âme avec le corps, d’un maître avec son esclave : tous ces instruments sans doute peuvent être l’objet de soins de la part de ceux qui les emploient, mais il n’y a pas d’amitié ni de justice envers les choses inanimées Mais il n’y en a pas non plus envers un cheval ou un boeuf, ni envers un esclave en tant qu’esclave. Dans ce dernier cas, les deux parties n’ont en effet rien de commun : l’esclave est un outil animé, et l’outil un esclave inanimé En tant donc qu’il est esclave on ne peut pas avoir d’amitié pour lui, mais seulement en tant qu’il est homme, car de l’avis général il existe certains rapports de justice entre un homme, quel qu’il soit, et tout autre homme susceptible d’avoir participation à la loi ou d’être partie à un contrat ; dès lors il peut y avoir aussi amitié avec lui, dans la mesure où il est homme. Par suite encore, tandis que dans les tyrannies l’amitié et la justice ne jouent qu’un faible rôle, dans les démocraties au contraire leur importance est extrême : car il y a beaucoup de choses communes là où les citoyens sont égaux.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VIII.
CHAPITRE 14 : L’affection entre parents et entre époux
C’est donc au sein d’une communauté que toute amitié se réalise, ainsi que nous l’avons dit On peut cependant mettre à part du reste, à la fois l’affection entre parents et celle entre camarades. L’amitié qui unit les membres d’une cité ou d’une tribu ou celle contractée au cours d’une traversée commune, et tous autres liens de ce genre se rapprochent davantage des amitiés caractérisant les membres d’une communauté, car elles semblent reposer pour ainsi dire sur une convention déterminée. Dans ce dernier groupe on peut ranger l’amitié à l’égard des étrangers.
L’affection entre parents apparaît revêtir plusieurs formes, mais toutes semblent se rattacher à l’amour paternel. Les parents, en effet, chérissent leurs enfants comme étant quelque chose d’eux-mêmes, et les enfants leurs parents comme étant quelque chose d’où ils procèdent. Or, d’une part, les parents savent mieux que leur progéniture vient d’eux-mêmes que les enfants ne savent qu’ils viennent de leurs parents et, d’autre part, il y a communauté plus étroite du principe d’existence à l’égard de l’être engendré que de l’être engendré à l’égard de la cause fabricatrice car ce qui procède d’une chose appartient propre ment à la chose dont il sort (une dent, par exemple, un cheveu, n’importe quoi, à son possesseur), tandis que le principe d’existence n’appartient nullement à ce qu’il a produit, ou du moins lui appartient à un plus faible degré. Et l’affection des parents l’emporte encore en longueur de temps : les parents chérissent leurs enfants aussitôt nés, alors que ceux-ci n’aiment leurs parents qu’au bout d’un certain temps, quand ils ont acquis intelligence ou du moins perception. Ces considérations montrent clairement aussi pour quelles raisons l’amour de la mère est plus fort que celui du père. Ainsi les parents aiment leurs enfants comme eux-mêmes (les êtres qui procèdent d’eux sont comme d’autres eux-mêmes, "autres" du fait qu’ils sont séparés du père), et les enfants aiment leurs parents comme étant nés d’eux ; les frères s’aiment entre eux comme étant nés des mêmes parents, car leur identité avec ces derniers les rend identiques entre eux, et de là viennent les expressions être du même sang, de la même souche et autres semblables. Les frères sont par suite la même chose en un sens, mais dans des individus distincts. Ce qui contribue grandement aussi à l’affection entre eux, c’est l’éducation commune et la similitude d’âge les jeunes se plaisent avec ceux de leur âge et des habitudes communes engendrent la camaraderie, et c’est pourquoi l’amitié entre frères est semblable à celle entre camarades. La communauté de sentiments entre cousins ou entre les autres parents dérive de celle des frères entre eux, parce qu’ils descendent des mêmes ancêtres. Mais ils se sentent plus étroitement unis ou plus étrangers l’un à l’autre suivant la proximité ou l’éloignement de l’ancêtre originel.
L’amour des enfants pour leurs parents, comme l’amour des hommes pour les dieux, est celui qu’on ressent pour un être bon et qui nous est supérieur car les parents ont concédé à leurs enfants les plus grands des bienfaits en leur donnant la vie, en les élevant, et en assurant une fois nés leur éducation. Et cet amour entre parents et enfants possède encore en agrément et en utilité une supériorité par rapport à l’affection qui unit des personnes étrangères, supériorité qui est d’autant plus grande que leur communauté de vie est plus étroite. On trouve aussi dans l’amitié entre frères tout ce qui caractérise l’amitié soit entre camarades (et à un plus haut degré entre camarades vertueux), soit, d’une façon générale, entre personnes semblables l’une à l’autre’ ; cette amitié est d’autant plus forte que les frères sont plus intimement unis et que leur affection réciproque remonte à la naissance ; d’autant plus forte encore, qu’une plus grande conformité de caractère existe entre les individus nés des mêmes parents, élevés ensemble et ayant reçu la même éducation ; et c’est dans leur cas que l’épreuve du temps se montre la plus décisive et la plus sûre. Entre les autres parents les degrés de l’amitié varient proportionnellement L’amour entre mari et femme semble bien être conforme à la nature, car l’homme est un être naturellement enclin à former un couple, plus même qu’à former une société politique dans la mesure où la famille est quelque chose d’antérieur à la cité et de plus nécessaire qu’elle, et la procréation des enfants une chose plus commune aux êtres vivants Quoi qu’il en soit, chez les animaux la communauté ne va pas au-delà de la procréation tandis que dans l’espèce humaine la cohabitation de l’homme et de la femme n’a pas seulement pour objet la reproduction, mais s’étend à tous les besoins de la vie : car la division des tâches entre l’homme et la femme a lieu dès l’origine, et leurs fonctions ne sont pas les mêmes ; ainsi, ils se portent une aide mutuelle, mettant leurs capacités propres au service de l’oeuvre commune. C’est pour ces raisons que l’utilité et l’agrément semblent se rencontrer à la fois dans l’amour conjugal.
Mais cet amour peut aussi être fondé sur la vertu, quand les époux sont gens de bien : car chacun d’eux a sa vertu propre, et tous deux mettront leur joie en la vertu de l’autre. Les enfants aussi, semble-t-il, constituent un trait d’union, et c’est pourquoi les époux sans enfants se détachent plus rapidement l’un de l’autre : les enfants, en effet, sont un bien commun aux deux, et ce qui est commun maintient l’union.
La question de savoir quelles sont les règles qui président aux relations mutuelles du mari et de la femme, et, d’une manière générale, des amis entre eux, apparaît comme n’étant rien d’autre que de rechercher les règles concernant les rapports de justice entre ces mêmes personnes : car la justice ne se manifeste pas de la même manière à l’égard d’un ami, d’un étranger, d’un camarade ou d’un condisciple.
C’est donc au sein d’une communauté que toute amitié se réalise, ainsi que nous l’avons dit On peut cependant mettre à part du reste, à la fois l’affection entre parents et celle entre camarades. L’amitié qui unit les membres d’une cité ou d’une tribu ou celle contractée au cours d’une traversée commune, et tous autres liens de ce genre se rapprochent davantage des amitiés caractérisant les membres d’une communauté, car elles semblent reposer pour ainsi dire sur une convention déterminée. Dans ce dernier groupe on peut ranger l’amitié à l’égard des étrangers.
L’affection entre parents apparaît revêtir plusieurs formes, mais toutes semblent se rattacher à l’amour paternel. Les parents, en effet, chérissent leurs enfants comme étant quelque chose d’eux-mêmes, et les enfants leurs parents comme étant quelque chose d’où ils procèdent. Or, d’une part, les parents savent mieux que leur progéniture vient d’eux-mêmes que les enfants ne savent qu’ils viennent de leurs parents et, d’autre part, il y a communauté plus étroite du principe d’existence à l’égard de l’être engendré que de l’être engendré à l’égard de la cause fabricatrice car ce qui procède d’une chose appartient propre ment à la chose dont il sort (une dent, par exemple, un cheveu, n’importe quoi, à son possesseur), tandis que le principe d’existence n’appartient nullement à ce qu’il a produit, ou du moins lui appartient à un plus faible degré. Et l’affection des parents l’emporte encore en longueur de temps : les parents chérissent leurs enfants aussitôt nés, alors que ceux-ci n’aiment leurs parents qu’au bout d’un certain temps, quand ils ont acquis intelligence ou du moins perception. Ces considérations montrent clairement aussi pour quelles raisons l’amour de la mère est plus fort que celui du père. Ainsi les parents aiment leurs enfants comme eux-mêmes (les êtres qui procèdent d’eux sont comme d’autres eux-mêmes, "autres" du fait qu’ils sont séparés du père), et les enfants aiment leurs parents comme étant nés d’eux ; les frères s’aiment entre eux comme étant nés des mêmes parents, car leur identité avec ces derniers les rend identiques entre eux, et de là viennent les expressions être du même sang, de la même souche et autres semblables. Les frères sont par suite la même chose en un sens, mais dans des individus distincts. Ce qui contribue grandement aussi à l’affection entre eux, c’est l’éducation commune et la similitude d’âge les jeunes se plaisent avec ceux de leur âge et des habitudes communes engendrent la camaraderie, et c’est pourquoi l’amitié entre frères est semblable à celle entre camarades. La communauté de sentiments entre cousins ou entre les autres parents dérive de celle des frères entre eux, parce qu’ils descendent des mêmes ancêtres. Mais ils se sentent plus étroitement unis ou plus étrangers l’un à l’autre suivant la proximité ou l’éloignement de l’ancêtre originel.
L’amour des enfants pour leurs parents, comme l’amour des hommes pour les dieux, est celui qu’on ressent pour un être bon et qui nous est supérieur car les parents ont concédé à leurs enfants les plus grands des bienfaits en leur donnant la vie, en les élevant, et en assurant une fois nés leur éducation. Et cet amour entre parents et enfants possède encore en agrément et en utilité une supériorité par rapport à l’affection qui unit des personnes étrangères, supériorité qui est d’autant plus grande que leur communauté de vie est plus étroite. On trouve aussi dans l’amitié entre frères tout ce qui caractérise l’amitié soit entre camarades (et à un plus haut degré entre camarades vertueux), soit, d’une façon générale, entre personnes semblables l’une à l’autre’ ; cette amitié est d’autant plus forte que les frères sont plus intimement unis et que leur affection réciproque remonte à la naissance ; d’autant plus forte encore, qu’une plus grande conformité de caractère existe entre les individus nés des mêmes parents, élevés ensemble et ayant reçu la même éducation ; et c’est dans leur cas que l’épreuve du temps se montre la plus décisive et la plus sûre. Entre les autres parents les degrés de l’amitié varient proportionnellement L’amour entre mari et femme semble bien être conforme à la nature, car l’homme est un être naturellement enclin à former un couple, plus même qu’à former une société politique dans la mesure où la famille est quelque chose d’antérieur à la cité et de plus nécessaire qu’elle, et la procréation des enfants une chose plus commune aux êtres vivants Quoi qu’il en soit, chez les animaux la communauté ne va pas au-delà de la procréation tandis que dans l’espèce humaine la cohabitation de l’homme et de la femme n’a pas seulement pour objet la reproduction, mais s’étend à tous les besoins de la vie : car la division des tâches entre l’homme et la femme a lieu dès l’origine, et leurs fonctions ne sont pas les mêmes ; ainsi, ils se portent une aide mutuelle, mettant leurs capacités propres au service de l’oeuvre commune. C’est pour ces raisons que l’utilité et l’agrément semblent se rencontrer à la fois dans l’amour conjugal.
Mais cet amour peut aussi être fondé sur la vertu, quand les époux sont gens de bien : car chacun d’eux a sa vertu propre, et tous deux mettront leur joie en la vertu de l’autre. Les enfants aussi, semble-t-il, constituent un trait d’union, et c’est pourquoi les époux sans enfants se détachent plus rapidement l’un de l’autre : les enfants, en effet, sont un bien commun aux deux, et ce qui est commun maintient l’union.
La question de savoir quelles sont les règles qui président aux relations mutuelles du mari et de la femme, et, d’une manière générale, des amis entre eux, apparaît comme n’étant rien d’autre que de rechercher les règles concernant les rapports de justice entre ces mêmes personnes : car la justice ne se manifeste pas de la même manière à l’égard d’un ami, d’un étranger, d’un camarade ou d’un condisciple.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VIII.
CHAPITRE 15 : Règles pratiques relatives à l’amitié entre égaux — L’amitié utilitaire
Il existe donc trois espèces d’amitié, ainsi que nous l’avons dit au début et pour chaque espèce il y a à la fois les amis qui vivent sur un pied d’égalité, et ceux où l’une des parties l’emporte sur l’autre (car non seulement deux hommes également vertueux peuvent devenir amis, mais encore un homme plus vertueux peut se lier avec un moins vertueux ; pareillement pour l’amitié basée sur le plaisir ou l’utilité il peut y avoir égalité ou disparité dans les avantages qui en découlent) : dans ces conditions, les amis qui sont égaux doivent réaliser l’égalité dans une égalité d’affection et du reste et chez ceux qui sont inégaux, : la partie défavorisée réalisera cette égalité en fournissant en retour un avantage proportionné à la supériorité, quelle qu’elle soit, de l’autre partie.
Les griefs et les récriminations se produisent uniquement, ou du moins principalement, dans l’amitié fondée sur l’utilité, et il n’y a rien là que de naturel. En effet, ceux dont l’amitié repose sur la vertu s’efforcent de se faire réciproquement du bien (car c’est le propre de la vertu et de l’amitié), et entre gens qui rivalisent ainsi pour le bien, il ne peut y avoir ni plaintes ni querelles (nul, en effet, n’éprouve d’indignation envers la personne qui l’aime et qui lui fait du bien, mais au contraire, si on a soi-même quelque délicatesse, on lui rend la pareille en bons offices. Et celui qui l’emporte décidément sur l’autre en bien faits, atteignant ainsi le but qu’il se propose, ne saurait se plaindre de son ami, puisque chacun des deux aspire à ce qui est bien) Les récriminations ne sont pas non plus fréquentes entre amis dont l’affection repose sur le plaisir (tous deux, en effet, atteignent en même temps l’objet de leur désir, puisqu’ils se plaisent à vivre ensemble ; et même on paraîtrait ridicule de reprocher à son ami de ne pas vous causer de plaisir, étant donné qu’il vous est loisible de ne pas passer vos journées avec lui).
Au contraire l’amitié basée sur l’utilité a toujours tendance à se plaindre les amis de cette sorte se fréquentant par intérêt, ils demandent toujours davantage, s’imaginent avoir moins que leur dû et en veulent à leur ami parce qu’ils n’obtiennent pas autant qu’ils demandent, eux qui en sont dignes !
De son côté, le bienfaiteur est dans l’incapacité de satisfaire à toutes les demandes de son obligé.
De même que la justice est de deux espèces, la justice non-écrite et la justice selon la loi, de même il apparaît que l’amitié utilitaire peut être soit morale soit légale Et ainsi les griefs ont cours principale ment quand les intéressés ont passé une convention et s’en acquittent en se réclamant d’un type d’amitié qui n’est pas le même Or l’amitié utilitaire de type légal est celle qui se réfère à des clauses déterminées’ ; l’une de ses variétés est purement mercantile, avec paiement de la main à la main l’autre variété est plus libérale pour l’époque du paiement, tout en conservant son caractère de contrat, obligeant à remettre une chose déterminée contre une autre chose (dans cette dernière variété, l’obligation est claire et sans ambiguïté, mais renferme cependant un élément affectif, à savoir le délai octroyé ; c’est pour quoi chez certains peuples il n’existe pas d’actions en justice pour sanctionner ces obligations, mais on estime que ceux qui ont traité sous le signe de la con fiance doivent en supporter les conséquences) Le type moral, d’autre part, ne se réfère pas à des conditions déterminées, mais le don ou tout autre avantage quelconque est consenti à titre amical, bien que celui qui en est l’auteur s’attende à recevoir en retour une valeur égale ou même supérieure, comme s’if n’avait pas fait un don mais un prêt ; et du fait qu’à l’expiration du contrat il n’est pas dans une situation aussi favorable qu’au moment où il a traité, il fera entendre des récriminations. La raison de cet état de choses vient de ce que tous les hommes ou la plupart d’entre eux, souhaitent assurément ce qui est noble, mais choisissent ce qui est profitable et s’il est beau de faire du bien sans espoir d’être payé de retour, il est profitable d’être soi-même l’objet de la faveur d’autrui.
Dès lors quand on le peut, il faut rendre l’équivalent de ce qu’on a reçu, et cela sans se faire prier car on ne doit pas faire de quelqu’un son ami contre son gré Reconnaissant par suite que nous avons commis une erreur au début en recevant un bienfait d’une personne qui n’avait pas à nous l’octroyer, puisqu’elle n’était pas notre ami et qu’elle n’agissait pas pour le plaisir de donner nous devons nous libérer comme si la prestation dont nous avons bénéficié résultait de clauses strictement déterminées. Effectivement, nous aurions à ce moment consenti à rendre, dans la mesure de nos moyens, une prestation équivalente, et, en cas d’impossibilité, celui qui nous a avantagé n’aurait pas compté sur cette réciprocité. Ainsi donc, si nous le pouvons, nous devons rendre l’équivalent. Mais dès le début nous ferons bien de considérer de quelle personne nous recevons les bons offices, et en quels termes l’accord est passé, de façon qu’on puisse en accepter le bénéfice sur les bases fixées, ou à défaut le décliner.
Il y a discussion sur le point suivant : doit-on mesurer un service par l’utilité qu’en retire celui qui le reçoit et calculer sur cette base la rémunération à fournir en retour, ou bien faut-il considérer le prix qu’il coûte au bienfaiteur ? L’obligé dira que ce qu’il a reçu de son bienfaiteur était peu de chose pour ce dernier et qu’il aurait pu le recevoir d’autres personnes, minimisant ainsi l’importance du service qui lui est rendu. Le bienfaiteur, en revanche, prétendra que ce qu’il a donné était la chose la plus importante de toutes celles dont il disposait, que personne d’autre n’était capable de la fournir, et qu surplus elle était concédée à un moment critique ou pour parer à un besoin urgent. Ne devons-nous pas dire que, dans l’amitié de type utilitaire, c’est l’avantage de l’obligé qui est la mesure ? C’est, en effet, l’obligé qui demande, tandis que l’autre vient à son aide dans l’idée qu’il recevra l’équivalent en retour ; ainsi l’assistance consentie a été à la mesure de l’avantage reçu par l’obligé, et dès lors ce dernier doit rendre à l’autre autant qu’il en a reçu, ou même, ce qui est mieux, davantage — Dans les amitiés fondées sur la vertu, les griefs sont inexistants, et c’est le choix délibéré du bienfaiteur qui joue le rôle de mesure, c le choix est le facteur déterminant de la vertu et du caractère
Il existe donc trois espèces d’amitié, ainsi que nous l’avons dit au début et pour chaque espèce il y a à la fois les amis qui vivent sur un pied d’égalité, et ceux où l’une des parties l’emporte sur l’autre (car non seulement deux hommes également vertueux peuvent devenir amis, mais encore un homme plus vertueux peut se lier avec un moins vertueux ; pareillement pour l’amitié basée sur le plaisir ou l’utilité il peut y avoir égalité ou disparité dans les avantages qui en découlent) : dans ces conditions, les amis qui sont égaux doivent réaliser l’égalité dans une égalité d’affection et du reste et chez ceux qui sont inégaux, : la partie défavorisée réalisera cette égalité en fournissant en retour un avantage proportionné à la supériorité, quelle qu’elle soit, de l’autre partie.
Les griefs et les récriminations se produisent uniquement, ou du moins principalement, dans l’amitié fondée sur l’utilité, et il n’y a rien là que de naturel. En effet, ceux dont l’amitié repose sur la vertu s’efforcent de se faire réciproquement du bien (car c’est le propre de la vertu et de l’amitié), et entre gens qui rivalisent ainsi pour le bien, il ne peut y avoir ni plaintes ni querelles (nul, en effet, n’éprouve d’indignation envers la personne qui l’aime et qui lui fait du bien, mais au contraire, si on a soi-même quelque délicatesse, on lui rend la pareille en bons offices. Et celui qui l’emporte décidément sur l’autre en bien faits, atteignant ainsi le but qu’il se propose, ne saurait se plaindre de son ami, puisque chacun des deux aspire à ce qui est bien) Les récriminations ne sont pas non plus fréquentes entre amis dont l’affection repose sur le plaisir (tous deux, en effet, atteignent en même temps l’objet de leur désir, puisqu’ils se plaisent à vivre ensemble ; et même on paraîtrait ridicule de reprocher à son ami de ne pas vous causer de plaisir, étant donné qu’il vous est loisible de ne pas passer vos journées avec lui).
Au contraire l’amitié basée sur l’utilité a toujours tendance à se plaindre les amis de cette sorte se fréquentant par intérêt, ils demandent toujours davantage, s’imaginent avoir moins que leur dû et en veulent à leur ami parce qu’ils n’obtiennent pas autant qu’ils demandent, eux qui en sont dignes !
De son côté, le bienfaiteur est dans l’incapacité de satisfaire à toutes les demandes de son obligé.
De même que la justice est de deux espèces, la justice non-écrite et la justice selon la loi, de même il apparaît que l’amitié utilitaire peut être soit morale soit légale Et ainsi les griefs ont cours principale ment quand les intéressés ont passé une convention et s’en acquittent en se réclamant d’un type d’amitié qui n’est pas le même Or l’amitié utilitaire de type légal est celle qui se réfère à des clauses déterminées’ ; l’une de ses variétés est purement mercantile, avec paiement de la main à la main l’autre variété est plus libérale pour l’époque du paiement, tout en conservant son caractère de contrat, obligeant à remettre une chose déterminée contre une autre chose (dans cette dernière variété, l’obligation est claire et sans ambiguïté, mais renferme cependant un élément affectif, à savoir le délai octroyé ; c’est pour quoi chez certains peuples il n’existe pas d’actions en justice pour sanctionner ces obligations, mais on estime que ceux qui ont traité sous le signe de la con fiance doivent en supporter les conséquences) Le type moral, d’autre part, ne se réfère pas à des conditions déterminées, mais le don ou tout autre avantage quelconque est consenti à titre amical, bien que celui qui en est l’auteur s’attende à recevoir en retour une valeur égale ou même supérieure, comme s’if n’avait pas fait un don mais un prêt ; et du fait qu’à l’expiration du contrat il n’est pas dans une situation aussi favorable qu’au moment où il a traité, il fera entendre des récriminations. La raison de cet état de choses vient de ce que tous les hommes ou la plupart d’entre eux, souhaitent assurément ce qui est noble, mais choisissent ce qui est profitable et s’il est beau de faire du bien sans espoir d’être payé de retour, il est profitable d’être soi-même l’objet de la faveur d’autrui.
Dès lors quand on le peut, il faut rendre l’équivalent de ce qu’on a reçu, et cela sans se faire prier car on ne doit pas faire de quelqu’un son ami contre son gré Reconnaissant par suite que nous avons commis une erreur au début en recevant un bienfait d’une personne qui n’avait pas à nous l’octroyer, puisqu’elle n’était pas notre ami et qu’elle n’agissait pas pour le plaisir de donner nous devons nous libérer comme si la prestation dont nous avons bénéficié résultait de clauses strictement déterminées. Effectivement, nous aurions à ce moment consenti à rendre, dans la mesure de nos moyens, une prestation équivalente, et, en cas d’impossibilité, celui qui nous a avantagé n’aurait pas compté sur cette réciprocité. Ainsi donc, si nous le pouvons, nous devons rendre l’équivalent. Mais dès le début nous ferons bien de considérer de quelle personne nous recevons les bons offices, et en quels termes l’accord est passé, de façon qu’on puisse en accepter le bénéfice sur les bases fixées, ou à défaut le décliner.
Il y a discussion sur le point suivant : doit-on mesurer un service par l’utilité qu’en retire celui qui le reçoit et calculer sur cette base la rémunération à fournir en retour, ou bien faut-il considérer le prix qu’il coûte au bienfaiteur ? L’obligé dira que ce qu’il a reçu de son bienfaiteur était peu de chose pour ce dernier et qu’il aurait pu le recevoir d’autres personnes, minimisant ainsi l’importance du service qui lui est rendu. Le bienfaiteur, en revanche, prétendra que ce qu’il a donné était la chose la plus importante de toutes celles dont il disposait, que personne d’autre n’était capable de la fournir, et qu surplus elle était concédée à un moment critique ou pour parer à un besoin urgent. Ne devons-nous pas dire que, dans l’amitié de type utilitaire, c’est l’avantage de l’obligé qui est la mesure ? C’est, en effet, l’obligé qui demande, tandis que l’autre vient à son aide dans l’idée qu’il recevra l’équivalent en retour ; ainsi l’assistance consentie a été à la mesure de l’avantage reçu par l’obligé, et dès lors ce dernier doit rendre à l’autre autant qu’il en a reçu, ou même, ce qui est mieux, davantage — Dans les amitiés fondées sur la vertu, les griefs sont inexistants, et c’est le choix délibéré du bienfaiteur qui joue le rôle de mesure, c le choix est le facteur déterminant de la vertu et du caractère
Re: Ethique à Nicomaque, Livre VIII.
CHAPITRE 16 : Règles de conduite pour l’amitié entre personnes inégales
Des différends se produisent aussi au sein des amitiés où existe une supériorité : car chacun des deux amis a la prétention de recevoir une part plus grande que l’autre, mais cette prétention, quand elle se fait jour, entraîne la ruine de l’amitié. Le plus vertueux estime que c’est à lui que doit revenir la plus large part (puisque à l’homme vertueux on assigne d’ordinaire une part plus considérable) même état d’esprit chez celui qui rend plus de ser vices, car un homme bon à rien n’a pas droit, disent ces gens-là, à une part égale c’est une charge gratuite que l’on supporte et ce n’est plus de l’amitié, dès lors que les avantages qu’on retire de l’amitié ne sont pas en rapport avec l’importance du travail qu’on accomplit. Ils pensent, en effet, qu’il doit en être de l’amitié comme d’une société de capitaux où les associés dont l’apport est plus considérable reçoivent une plus grosse part de bénéfices Mais, d’un autre côté, l’ami dénué de ressources ou en état d’infériorité quelconque, tient un raisonnement tout opposé : à son avis, c’est le rôle d’un véritable ami que d’aider ceux qui ont besoin de lui. A quoi sert, dira d’être l’ami d’un homme de bien ou d’un homme puissant, si on n’a rien d’avantageux à en attendre ?
Il semble bien que les deux parties aient des pré tentions également justifiées, et que chacun des amis soit c droit de se faire attribuer en vertu de l’amitié une part plus forte que l’autre ; seulement ce ne sera pas une part de la même chose : à celui qui l’emporte en mérite on donnera plus d’honneur, et à celui qui a besoin d’assistance plus de profit matériel car la vertu et la bienfaisance ont l’honneur pour récompense, et l’indigence, pour lui venir en aide, a le profit.
Qu’il en soit encore ainsi dans les diverses organisations politiques, c’est là un fait notoire On n’honore pas le citoyen qui ne procure aucun bien à la communauté : car ce qui appartient au patrimoine de la communauté est donné à celui qui sert les intérêts communs, et l’honneur est une de ces choses qui font partie du patrimoine commun. On ne peut pas en effet, tirer à la fois de la communauté argent et honneur. De f ait, personne ne supporte d’être dans une défavorisée en toutes choses en même temps : par suite, celui qui amoindrit son patrimoine est payé en honneur, et celui qui accepte volontiers des présents en argent, puisque la proportionnalité au mérite rétablit l’égalité et conserve l’amitié, ainsi que nous l’avons dit
Telle est donc aussi la façon dont les amis de condition inégale doivent régler leurs relations : celui qui retire un avantage en argent ou en vertu doit s’acquitter envers l’autre en honneur, payant avec ce qu’il peut. L’amitié, en effet, ne réclame que ce qui rentre dans les possibilités de chacun, et non ce que le mérite exigerait, chose qui, au surplus, n’est même pas toujours possible, comme par exemple dans le cas des honneurs que nous rendons aux dieux ou à nos parents : personne ne saurait avoir pour eux la reconnaissance qu’ils méritent, mais quand on les sert dans la mesure de son pouvoir on est regardé comme un homme de bien. Aussi ne saurait-on ad mettre qu’il fût permis à un fils de renier son père, bien qu’un père puisse renier son fils quand on doit, il faut s’acquitter, mais il n’est rien de tout ce qu’un fils ait pu faire qui soit à la hauteur des bienfaits qu’il a reçus de son père, de sorte qu’il reste toujours son débiteurs. Cependant ceux envers qui on a des obligations ont la faculté de vous en décharger, et par suite un père peut le faire. En même temps aucun père sans doute, de l’avis général, ne voudrait jamais faire abandon d’un enfant qui ne serait pas un monstre de perversité (car l’affection naturelle mise à part, il n’est pas dans l’humaine nature de repousser l’assistance éventuelle d’un fils) Un fils au contraire, quand il est vicieux, évitera de venir en aide à son père ou du moins n’y mettra pas d’empresse ment c’est que la plupart des gens souhaitent qu’on leur fasse du bien, mais se gardent d’en faire eux- mêmes aux autres, comme une chose qui ne rapporte rien.
Des différends se produisent aussi au sein des amitiés où existe une supériorité : car chacun des deux amis a la prétention de recevoir une part plus grande que l’autre, mais cette prétention, quand elle se fait jour, entraîne la ruine de l’amitié. Le plus vertueux estime que c’est à lui que doit revenir la plus large part (puisque à l’homme vertueux on assigne d’ordinaire une part plus considérable) même état d’esprit chez celui qui rend plus de ser vices, car un homme bon à rien n’a pas droit, disent ces gens-là, à une part égale c’est une charge gratuite que l’on supporte et ce n’est plus de l’amitié, dès lors que les avantages qu’on retire de l’amitié ne sont pas en rapport avec l’importance du travail qu’on accomplit. Ils pensent, en effet, qu’il doit en être de l’amitié comme d’une société de capitaux où les associés dont l’apport est plus considérable reçoivent une plus grosse part de bénéfices Mais, d’un autre côté, l’ami dénué de ressources ou en état d’infériorité quelconque, tient un raisonnement tout opposé : à son avis, c’est le rôle d’un véritable ami que d’aider ceux qui ont besoin de lui. A quoi sert, dira d’être l’ami d’un homme de bien ou d’un homme puissant, si on n’a rien d’avantageux à en attendre ?
Il semble bien que les deux parties aient des pré tentions également justifiées, et que chacun des amis soit c droit de se faire attribuer en vertu de l’amitié une part plus forte que l’autre ; seulement ce ne sera pas une part de la même chose : à celui qui l’emporte en mérite on donnera plus d’honneur, et à celui qui a besoin d’assistance plus de profit matériel car la vertu et la bienfaisance ont l’honneur pour récompense, et l’indigence, pour lui venir en aide, a le profit.
Qu’il en soit encore ainsi dans les diverses organisations politiques, c’est là un fait notoire On n’honore pas le citoyen qui ne procure aucun bien à la communauté : car ce qui appartient au patrimoine de la communauté est donné à celui qui sert les intérêts communs, et l’honneur est une de ces choses qui font partie du patrimoine commun. On ne peut pas en effet, tirer à la fois de la communauté argent et honneur. De f ait, personne ne supporte d’être dans une défavorisée en toutes choses en même temps : par suite, celui qui amoindrit son patrimoine est payé en honneur, et celui qui accepte volontiers des présents en argent, puisque la proportionnalité au mérite rétablit l’égalité et conserve l’amitié, ainsi que nous l’avons dit
Telle est donc aussi la façon dont les amis de condition inégale doivent régler leurs relations : celui qui retire un avantage en argent ou en vertu doit s’acquitter envers l’autre en honneur, payant avec ce qu’il peut. L’amitié, en effet, ne réclame que ce qui rentre dans les possibilités de chacun, et non ce que le mérite exigerait, chose qui, au surplus, n’est même pas toujours possible, comme par exemple dans le cas des honneurs que nous rendons aux dieux ou à nos parents : personne ne saurait avoir pour eux la reconnaissance qu’ils méritent, mais quand on les sert dans la mesure de son pouvoir on est regardé comme un homme de bien. Aussi ne saurait-on ad mettre qu’il fût permis à un fils de renier son père, bien qu’un père puisse renier son fils quand on doit, il faut s’acquitter, mais il n’est rien de tout ce qu’un fils ait pu faire qui soit à la hauteur des bienfaits qu’il a reçus de son père, de sorte qu’il reste toujours son débiteurs. Cependant ceux envers qui on a des obligations ont la faculté de vous en décharger, et par suite un père peut le faire. En même temps aucun père sans doute, de l’avis général, ne voudrait jamais faire abandon d’un enfant qui ne serait pas un monstre de perversité (car l’affection naturelle mise à part, il n’est pas dans l’humaine nature de repousser l’assistance éventuelle d’un fils) Un fils au contraire, quand il est vicieux, évitera de venir en aide à son père ou du moins n’y mettra pas d’empresse ment c’est que la plupart des gens souhaitent qu’on leur fasse du bien, mais se gardent d’en faire eux- mêmes aux autres, comme une chose qui ne rapporte rien.
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