Ethique à Nicomaque, Livre II
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Ethique à Nicomaque, Livre II
CHAPITRE 1 : La vertu, résultat de l’habitude s’ajoutant à la nature
La vertu est de deux sortes, la vertu intellectuelle et la vertu morale La vertu intellectuelle dépend dans une large mesure de l’enseignement reçu, aussi bien pour sa production que pour son accroissement ; aussi a-t-elle besoin d’expérience et de temps. La vertu morale, au contraire, est le produit de l’habitude, d’où lui est venu aussi son nom, par une légère modification de ethos — Et par suite il est également évident qu’aucune des vertus morales n’est engendrée en nous naturellement car rien de ce qui existe par nature ne peut être rendu autre par l’habitude : ainsi la pierre, qui se porte naturellement vers le bas, ne saurait être habituée à se porter vers le haut, pas même si des milliers de fois on tentait de l’y accoutumer en la lançant en l’air ; pas davantage ne pourrait-on habituer le feu à se porter vers le bas, et, d’une manière générale, rien de ce qui a une nature donnée ne saurait être accoutumé à se comporter autrement. Ainsi donc, ce n’est ni par nature, ni contrairement à la nature que naissent en nous les vertus, mais la nature nous a donné la capacité de les recevoir, et cette capacité est amenée à maturité par l’habitude.
En outre, pour tout ce qui survient en nous par nature, nous le recevons d’abord à l’état de puissance, et c’est plus tard que nous le faisons passer à l’acte comme cela est manifeste dans le cas des facultés sensibles (car ce n’est pas à la suite d’une multitude d’actes de vision ou d’une multitude d’actes d’audition que nous avons acquis les sens correspondants, mais c’est l’inverse : nous avions déjà les sens quand nous en avons fait usage, et ce n’est pas après en avoir fait usage que nous les avons eus). Pour les vertus, au contraire leur possession suppose un exercice antérieur, comme c’est aussi le cas pour les autres arts. En effet, les choses qu’il faut avoir apprises pour les faire, c’est en les faisant que nous les apprenons : par exemple, c’est en construisant qu’on devient constructeur, et en jouant de la cithare qu’on devient cithariste ; ainsi encore c’est en pratiquant les actions justes que nous devenons justes, les actions modérées que nous devenons modérés, et les actions courageuses que nous devenons courageux. Cette vérité est encore attestée par ce qui se passe dans les cités, où les législateurs rendent, bons les citoyens en leur faisant contraster certaines habitudes : c’est même là le souhait de tout législateur, et s’il s’en acquitte mal, son oeuvre est manquée et c’est en quoi une bonne constitution se distingue d’une mauvaise.
De plus, les actions qui, comme causes ou comme moyens sont à l’origine de la production d’une vertu quelconque, sont les mêmes que celles qui amènent sa destruction, tout comme dans le cas d’un art en effet, jouer de la cithare forme indifféremment les bons et les mauvais citharistes. On peut faire une remarque analogue pour les constructeurs de maisons et tous les autres corps de métiers : le fait de bien construire donnera de bons constructeurs, et le fait de mal construire, de mauvais. En effet, s’il n’en était pas ainsi, on n’aurait aucun besoin du maître, mais on serait toujours de naissance bon ou mauvais dans son art. Il en est dès lors de même pour les vertus : c’est en accomplissant tels ou tels actes dans notre commerce avec les autres hommes que nous devenons, les uns justes, les autres injustes ; c’est en accomplissant de même telles ou telles actions dans les dangers, et en prenant des habitudes de crainte ou de hardiesse que nous devenons, les uns courageux, les autres poltrons. Les choses se passent de la même façon en ce qui concerne les appétits et les impulsions : certains hommes deviennent modérés et doux, d’autres déréglés et emportés, pour s’être conduits, dans des circonstances identiques, soit d’une manière soit de l’autre. En un mot, les dispositions morales proviennent d’actes qui leur sont semblables. C’est pourquoi nous devons orienter nos activités dans un certain sens car la diversité qui les caractérise entraîne les différences correspondantes dans nos dispositions. Ce n’est donc pas une oeuvre négligeable de contracter dès la plus tendre enfance telle ou telle habitude, c’est au contraire d’une importance majeure, disons mieux totale.
La vertu est de deux sortes, la vertu intellectuelle et la vertu morale La vertu intellectuelle dépend dans une large mesure de l’enseignement reçu, aussi bien pour sa production que pour son accroissement ; aussi a-t-elle besoin d’expérience et de temps. La vertu morale, au contraire, est le produit de l’habitude, d’où lui est venu aussi son nom, par une légère modification de ethos — Et par suite il est également évident qu’aucune des vertus morales n’est engendrée en nous naturellement car rien de ce qui existe par nature ne peut être rendu autre par l’habitude : ainsi la pierre, qui se porte naturellement vers le bas, ne saurait être habituée à se porter vers le haut, pas même si des milliers de fois on tentait de l’y accoutumer en la lançant en l’air ; pas davantage ne pourrait-on habituer le feu à se porter vers le bas, et, d’une manière générale, rien de ce qui a une nature donnée ne saurait être accoutumé à se comporter autrement. Ainsi donc, ce n’est ni par nature, ni contrairement à la nature que naissent en nous les vertus, mais la nature nous a donné la capacité de les recevoir, et cette capacité est amenée à maturité par l’habitude.
En outre, pour tout ce qui survient en nous par nature, nous le recevons d’abord à l’état de puissance, et c’est plus tard que nous le faisons passer à l’acte comme cela est manifeste dans le cas des facultés sensibles (car ce n’est pas à la suite d’une multitude d’actes de vision ou d’une multitude d’actes d’audition que nous avons acquis les sens correspondants, mais c’est l’inverse : nous avions déjà les sens quand nous en avons fait usage, et ce n’est pas après en avoir fait usage que nous les avons eus). Pour les vertus, au contraire leur possession suppose un exercice antérieur, comme c’est aussi le cas pour les autres arts. En effet, les choses qu’il faut avoir apprises pour les faire, c’est en les faisant que nous les apprenons : par exemple, c’est en construisant qu’on devient constructeur, et en jouant de la cithare qu’on devient cithariste ; ainsi encore c’est en pratiquant les actions justes que nous devenons justes, les actions modérées que nous devenons modérés, et les actions courageuses que nous devenons courageux. Cette vérité est encore attestée par ce qui se passe dans les cités, où les législateurs rendent, bons les citoyens en leur faisant contraster certaines habitudes : c’est même là le souhait de tout législateur, et s’il s’en acquitte mal, son oeuvre est manquée et c’est en quoi une bonne constitution se distingue d’une mauvaise.
De plus, les actions qui, comme causes ou comme moyens sont à l’origine de la production d’une vertu quelconque, sont les mêmes que celles qui amènent sa destruction, tout comme dans le cas d’un art en effet, jouer de la cithare forme indifféremment les bons et les mauvais citharistes. On peut faire une remarque analogue pour les constructeurs de maisons et tous les autres corps de métiers : le fait de bien construire donnera de bons constructeurs, et le fait de mal construire, de mauvais. En effet, s’il n’en était pas ainsi, on n’aurait aucun besoin du maître, mais on serait toujours de naissance bon ou mauvais dans son art. Il en est dès lors de même pour les vertus : c’est en accomplissant tels ou tels actes dans notre commerce avec les autres hommes que nous devenons, les uns justes, les autres injustes ; c’est en accomplissant de même telles ou telles actions dans les dangers, et en prenant des habitudes de crainte ou de hardiesse que nous devenons, les uns courageux, les autres poltrons. Les choses se passent de la même façon en ce qui concerne les appétits et les impulsions : certains hommes deviennent modérés et doux, d’autres déréglés et emportés, pour s’être conduits, dans des circonstances identiques, soit d’une manière soit de l’autre. En un mot, les dispositions morales proviennent d’actes qui leur sont semblables. C’est pourquoi nous devons orienter nos activités dans un certain sens car la diversité qui les caractérise entraîne les différences correspondantes dans nos dispositions. Ce n’est donc pas une oeuvre négligeable de contracter dès la plus tendre enfance telle ou telle habitude, c’est au contraire d’une importance majeure, disons mieux totale.
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CHAPITRE 2 : Théorie et pratique dans la morale — Rapports du plaisir et de la peine avec la vertu
Puisque le présent travail n’a pas pour but la spéculation pure comme nos autres ouvrages (car ce n’est pas pour savoir ce qu’est la vertu en son essence que nous effectuons notre enquête, mais c’est afin de devenir vertueux, puisque autrement cette étude ne servirait à rien), il est nécessaire de porter notre examen sur ce qui a rapport à nos actions, pour savoir de quelle façon nous devons les accomplir, car ce sont elles qui déterminent aussi le caractère de nos dispositions morales, ainsi que nous l’avons dits.
Or le fait d’agir conformément à la droite règle est une chose communément admise et qui doit être pris pour base : nous y reviendrons plus tard nous dirons ce qu’est la droite règle et son rôle à l’égard des autres vertus.
Mais mettons-nous préalablement d’accord sur le point suivant : notre exposé tout entier, qui roule sur les actions qu’il faut faire, doit s’en tenir aux généralités et ne pas entrer dans le détail Ainsi que nous l’avons dit en commençant, les exigences de toute discussion dépendent de la matière que l’on traite. Or sur le terrain de l’action et de l’utile, il n’y a rien de fixe pas plus que dans le domaine de la santé.
Et si tel est le caractère de la discussion portant sur les règles générales de la conduite, à plus forte raison encore la discussion qui a pour objet les différents groupes de cas particuliers manque-t-elle également de rigueur, car elle ne tombe ni sous aucun art, ni sous aucune prescription et il appartient toujours à l’agent lui-même d’examiner ce qu’il est opportun de faire, comme dans le cas de l’art médical, ou de l’art de la navigation.
Mais, en dépit de ce caractère du présent exposé nous devons cependant nous efforcer de venir au secours du moraliste. Ce que tout d’abord il faut considérer, c’est que les vertus en question sont naturellement sujettes à périr à la fois par excès et par défaut, comme nous le voyons dans le cas de la vigueur corporelle et de la santé (car on est obligé pour éclaircir les choses obscures, de s’appuyer sur des preuves manifestes) : en effet, l’excès comme l’insuffisance d’exercice font perdre également la vigueur ; pareillement, dans le boire et le manger, une trop forte ou une trop faible quantité détruit la santé, tandis que la juste mesure la produit, l’accroît et la conserve. Et bien, il en est ainsi pour la modération, le courage et les autres vertus : car celui qui fuit devant tous les périls, qui a peur de tout et qui ne sait rien supporter devient un lâche, tout comme celui qui n’a peur de rien et va au devant de n’importe quel danger, devient téméraire ; pareillement encore, celui qui se livre à tous les plaisirs et ne se refuse à aucun devient un homme dissolu, tout comme celui qui se prive de tous les plaisirs comme un rustre, devient une sorte d’être insensible. Ainsi donc, la modération et le courage se perdent également par l’excès et par le défaut, alors qu’ils se conservent par la juste mesure.
Mais non seulement les vertus ont pour origine et pour source de leur production et de leur croissance les mêmes actions qui président d’autre part à leur disparition, mais encore leur activité se déploiera dans l’accomplissement de ces mêmes actions. Il en est effectivement ainsi pour les autres qualités plus apparentes que les vertus. Prenons, par exemple, la vigueur du corps : elle a sa source dans la nourriture abondante qu’on absorbe et dans les nombreuses fatigues qu’on endure ; mais ce sont là aussi des actions que l’homme vigoureux se montre particulièrement capable d’accomplir. Or c’est ce qui se passe pour les vertus : c’est en nous abstenant des plaisirs que nous devenons modérés, et une fois que nous le sommes devenus, c’est alors que nous sommes le plus capables de pratiquer cette abstention. Il en est de même au sujet du courage : en nous habituant à mépriser le danger et à lui tenir tête, nous devenons courageux, et une fois que nous le sommes devenus, c’est alors que nous serons le plus capables d’affronter le danger.
D’autre part, nous devons prendre pour signe distinctif de nos dispositions le plaisir ou la peine qui vient s’ajouter à nos actions. En effet, l’homme qui s’abstient des plaisirs du corps et qui se réjouit de cette abstention même, est un homme modéré, tandis que s’il s’en afflige, il est un homme intempérant ; et l’homme qui fait face au danger et qui y trouve son plaisir, ou tout au moins n’en éprouve pas de peine, est un homme courageux, alors que s’il en ressent de la peine, c’est un lâche. — Plaisirs et peines sont ainsi, en fait, ce sur quoi roule la vertu morale.
En effet c’est à cause du plaisir que nous en ressentons que nous commettons le mal, et à cause de la douleur que nous nous abstenons du bien. Aussi devons-nous être amenés d’une façon ou d’une autre, dès la plus tendre enfance, suivant la remarque de PLATON, à trouver nos plaisirs et nos peines là où il convient, car la saine éducation consiste en cela. — En second lieu, si les vertus concernent les actions et les passions, et si toute passion et. toute action s’accompagnent logiquement de plaisir ou de peine, pour cette raison encore la vertu aura rapport aux plaisirs i et aux peines — Une autre indication résulte de ce fait que les sanctions se font par ces moyens car le châtiment est une sorte de cure, et il est de la nature de la cure d’obéir à la loi des opposés — De plus, comme nous l’avons noté aussi plus haut toute disposition de l’âme est par sa nature même en rapports et en conformité avec le genre de choses qui peuvent la rendre naturellement meilleure ou pire. Or c’est à cause des plaisirs et des peines que les hommes deviennent méchants, du fait qu’ils les poursuivent ou les évitent, alors qu’il s’agit de plaisirs et de peines qu’on ne doit pas rechercher ou fuir, ou qu’on le fait à un moment où il ne le faut pas, ou de la façon qu’il ne faut pas, ou selon tout autre modalité rationnellement déterminée. Et c’est pourquoi certains définissent les vertus comme étant des états d’impassibilité et. de repos ; mais c’est là une erreur, due à ce qu’ils s’expriment en termes absolus, sans ajouter de la façon qu’il faut et de la façon qu’il ne faut pas ou au moment où il faut, et toutes autres additions. Qu’il soit donc bien établi que la vertu dont il est question est celle qui tend à agir de la meilleure façon au regard des plaisirs et des peines, et que le vice fait tout le contraire.
Nous pouvons, à l’aide des considérations suivantes, apporter encore quelque lumière aux points que nous venons de traiter. Il existe trois facteurs qui entraînent nos choix, et trois facteurs nos répulsions : le beau, l’utile, le plaisant et leurs contraires, le laid, le dommageable et le pénible. En face de tous ces facteurs l’homme vertueux peut. tenir une conduite ferme, alors que le méchant est exposé à faillir et tout spécialement en ce qui concerne le plaisir, car le plaisir est commun à l’homme et aux animaux, et de plus il accompagne tout ce qui dépend de notre choix, puisque même le beau et l’utile nous apparaissent comme une chose agréable.
En outre, dès l’enfance, l’aptitude au plaisir a grandi avec chacun de nous : c’est pourquoi il est difficile de se débarrasser de ce sentiment, tout imprégné qu’il est dans notre vie. — De plus, nous mesurons nos actions, tous plus ou moins, au plaisir et à la peine qu’elles nous donnent. Pour cette raison encore, nous devons nécessairement centrer toute notre étude sur ces notions, car il n’est pas indifférent pour la conduite de la vie que notre réaction au plaisir et à la peine soit saine ou viciée. — Ajoutons enfin qu’il est plus difficile de combattre le plaisir que les désirs de son coeur, suivant le mot d’HÉRACLITE or la vertu, comme l’art également, a toujours pour objet ce qui est plus difficile, car le bien est de plus haute qualité quand il est contrarié. Par conséquent, voilà encore une raison pour que plaisirs et peines fassent le principal objet de l’oeuvre entière de la vertu comme de la Politique, car si on en use bien on sera bon, et si on en use mal, mauvais.
Puisque le présent travail n’a pas pour but la spéculation pure comme nos autres ouvrages (car ce n’est pas pour savoir ce qu’est la vertu en son essence que nous effectuons notre enquête, mais c’est afin de devenir vertueux, puisque autrement cette étude ne servirait à rien), il est nécessaire de porter notre examen sur ce qui a rapport à nos actions, pour savoir de quelle façon nous devons les accomplir, car ce sont elles qui déterminent aussi le caractère de nos dispositions morales, ainsi que nous l’avons dits.
Or le fait d’agir conformément à la droite règle est une chose communément admise et qui doit être pris pour base : nous y reviendrons plus tard nous dirons ce qu’est la droite règle et son rôle à l’égard des autres vertus.
Mais mettons-nous préalablement d’accord sur le point suivant : notre exposé tout entier, qui roule sur les actions qu’il faut faire, doit s’en tenir aux généralités et ne pas entrer dans le détail Ainsi que nous l’avons dit en commençant, les exigences de toute discussion dépendent de la matière que l’on traite. Or sur le terrain de l’action et de l’utile, il n’y a rien de fixe pas plus que dans le domaine de la santé.
Et si tel est le caractère de la discussion portant sur les règles générales de la conduite, à plus forte raison encore la discussion qui a pour objet les différents groupes de cas particuliers manque-t-elle également de rigueur, car elle ne tombe ni sous aucun art, ni sous aucune prescription et il appartient toujours à l’agent lui-même d’examiner ce qu’il est opportun de faire, comme dans le cas de l’art médical, ou de l’art de la navigation.
Mais, en dépit de ce caractère du présent exposé nous devons cependant nous efforcer de venir au secours du moraliste. Ce que tout d’abord il faut considérer, c’est que les vertus en question sont naturellement sujettes à périr à la fois par excès et par défaut, comme nous le voyons dans le cas de la vigueur corporelle et de la santé (car on est obligé pour éclaircir les choses obscures, de s’appuyer sur des preuves manifestes) : en effet, l’excès comme l’insuffisance d’exercice font perdre également la vigueur ; pareillement, dans le boire et le manger, une trop forte ou une trop faible quantité détruit la santé, tandis que la juste mesure la produit, l’accroît et la conserve. Et bien, il en est ainsi pour la modération, le courage et les autres vertus : car celui qui fuit devant tous les périls, qui a peur de tout et qui ne sait rien supporter devient un lâche, tout comme celui qui n’a peur de rien et va au devant de n’importe quel danger, devient téméraire ; pareillement encore, celui qui se livre à tous les plaisirs et ne se refuse à aucun devient un homme dissolu, tout comme celui qui se prive de tous les plaisirs comme un rustre, devient une sorte d’être insensible. Ainsi donc, la modération et le courage se perdent également par l’excès et par le défaut, alors qu’ils se conservent par la juste mesure.
Mais non seulement les vertus ont pour origine et pour source de leur production et de leur croissance les mêmes actions qui président d’autre part à leur disparition, mais encore leur activité se déploiera dans l’accomplissement de ces mêmes actions. Il en est effectivement ainsi pour les autres qualités plus apparentes que les vertus. Prenons, par exemple, la vigueur du corps : elle a sa source dans la nourriture abondante qu’on absorbe et dans les nombreuses fatigues qu’on endure ; mais ce sont là aussi des actions que l’homme vigoureux se montre particulièrement capable d’accomplir. Or c’est ce qui se passe pour les vertus : c’est en nous abstenant des plaisirs que nous devenons modérés, et une fois que nous le sommes devenus, c’est alors que nous sommes le plus capables de pratiquer cette abstention. Il en est de même au sujet du courage : en nous habituant à mépriser le danger et à lui tenir tête, nous devenons courageux, et une fois que nous le sommes devenus, c’est alors que nous serons le plus capables d’affronter le danger.
D’autre part, nous devons prendre pour signe distinctif de nos dispositions le plaisir ou la peine qui vient s’ajouter à nos actions. En effet, l’homme qui s’abstient des plaisirs du corps et qui se réjouit de cette abstention même, est un homme modéré, tandis que s’il s’en afflige, il est un homme intempérant ; et l’homme qui fait face au danger et qui y trouve son plaisir, ou tout au moins n’en éprouve pas de peine, est un homme courageux, alors que s’il en ressent de la peine, c’est un lâche. — Plaisirs et peines sont ainsi, en fait, ce sur quoi roule la vertu morale.
En effet c’est à cause du plaisir que nous en ressentons que nous commettons le mal, et à cause de la douleur que nous nous abstenons du bien. Aussi devons-nous être amenés d’une façon ou d’une autre, dès la plus tendre enfance, suivant la remarque de PLATON, à trouver nos plaisirs et nos peines là où il convient, car la saine éducation consiste en cela. — En second lieu, si les vertus concernent les actions et les passions, et si toute passion et. toute action s’accompagnent logiquement de plaisir ou de peine, pour cette raison encore la vertu aura rapport aux plaisirs i et aux peines — Une autre indication résulte de ce fait que les sanctions se font par ces moyens car le châtiment est une sorte de cure, et il est de la nature de la cure d’obéir à la loi des opposés — De plus, comme nous l’avons noté aussi plus haut toute disposition de l’âme est par sa nature même en rapports et en conformité avec le genre de choses qui peuvent la rendre naturellement meilleure ou pire. Or c’est à cause des plaisirs et des peines que les hommes deviennent méchants, du fait qu’ils les poursuivent ou les évitent, alors qu’il s’agit de plaisirs et de peines qu’on ne doit pas rechercher ou fuir, ou qu’on le fait à un moment où il ne le faut pas, ou de la façon qu’il ne faut pas, ou selon tout autre modalité rationnellement déterminée. Et c’est pourquoi certains définissent les vertus comme étant des états d’impassibilité et. de repos ; mais c’est là une erreur, due à ce qu’ils s’expriment en termes absolus, sans ajouter de la façon qu’il faut et de la façon qu’il ne faut pas ou au moment où il faut, et toutes autres additions. Qu’il soit donc bien établi que la vertu dont il est question est celle qui tend à agir de la meilleure façon au regard des plaisirs et des peines, et que le vice fait tout le contraire.
Nous pouvons, à l’aide des considérations suivantes, apporter encore quelque lumière aux points que nous venons de traiter. Il existe trois facteurs qui entraînent nos choix, et trois facteurs nos répulsions : le beau, l’utile, le plaisant et leurs contraires, le laid, le dommageable et le pénible. En face de tous ces facteurs l’homme vertueux peut. tenir une conduite ferme, alors que le méchant est exposé à faillir et tout spécialement en ce qui concerne le plaisir, car le plaisir est commun à l’homme et aux animaux, et de plus il accompagne tout ce qui dépend de notre choix, puisque même le beau et l’utile nous apparaissent comme une chose agréable.
En outre, dès l’enfance, l’aptitude au plaisir a grandi avec chacun de nous : c’est pourquoi il est difficile de se débarrasser de ce sentiment, tout imprégné qu’il est dans notre vie. — De plus, nous mesurons nos actions, tous plus ou moins, au plaisir et à la peine qu’elles nous donnent. Pour cette raison encore, nous devons nécessairement centrer toute notre étude sur ces notions, car il n’est pas indifférent pour la conduite de la vie que notre réaction au plaisir et à la peine soit saine ou viciée. — Ajoutons enfin qu’il est plus difficile de combattre le plaisir que les désirs de son coeur, suivant le mot d’HÉRACLITE or la vertu, comme l’art également, a toujours pour objet ce qui est plus difficile, car le bien est de plus haute qualité quand il est contrarié. Par conséquent, voilà encore une raison pour que plaisirs et peines fassent le principal objet de l’oeuvre entière de la vertu comme de la Politique, car si on en use bien on sera bon, et si on en use mal, mauvais.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre II
CHAPITRE 3 : Vertus et arts — Conditions de l’acte moral
Qu’ainsi donc la vertu ait rapport à des plaisirs et à des peines, et que les actions qui la produisent soient aussi celles qui la font croître ou, quand elles ont lieu d’une autre façon, la font disparaître ; qu’enfin les actions dont elle est la résultante soient celles mêmes où son activité s’exerce ensuite, — tout cela, considérons-le comme dit.
Mais on pourrait se demander ce que nous entendons signifier quand nous disons qu’on ne devient juste qu’en faisant des actions justes, et modéré qu’en faisant des actions modérées : car enfin, si on fait des actions justes et des actions modérées, c’est qu’on est déjà juste et modéré, de même qu’en faisant des actes ressortissant à la grammaire et à la musique on est grammairien et musicien. Mais ne peut-on pas dire plutôt que cela n’est pas exact, même dans le cas des arts ? C’est qu’il est possible, en effet, qu’on fasse une chose ressortissant à la grammaire soit par chance soit sous l’indication d’autrui : on ne sera donc grammairien que si, à la fois, on a fait quelque chose de grammatical, et si on l’a fait d’une façon grammaticale, à savoir conformément à la science grammaticale qu’on possède en soi-même.
De plus, il n’y a pas ressemblance entre le cas des arts et celui des vertus. Les productions de l’art ont leur valeur en elles-mêmes ; il suffit donc que la production leur confère certains caractères. Au contraire, pour les actions faites selon la vertu, ce n’est pas par la présence en elles de certains caractères intrinsèques qu’elles sont faites d’une façon juste ou modérée ; il faut encore que l’agent lui-même soit dans une certaine disposition quand il les accomplit en premier lieu, il doit savoir ce qu’il fait ensuite, choisir librement l’acte en question et le choisir en vue de cet acte lui-même et en troisième lieu, l’accomplir dans une disposition d’esprit ferme et inébranlables. Or ces conditions n’entrent pas en ligne de compte pour la possession d’un art quel qu’il soit, à l’exception du savoir lui-même, alors que, pour la possession des vertus, le savoir ne joue qu’un rôle minime ou même nul, à la différence des autres conditions, lesquelles ont une influence non pas médiocre, mais totale, en tant précisément que la possession de la vertu naît de l’accomplissement répété des actes justes et modérés
Ainsi donc, les actions sont dites justes et modérées quand elles sont telles que les accomplirait l’homme juste ou l’homme modéré’ ; mais est juste et modéré non pas celui qui les accomplit simplement, mais celui qui, de plus, les accomplit de la façon dont les hommes justes et modérés les accomplissent On a donc raison de dire que c’est par l’accomplissement des actions justes qu’on devient juste, et par l’accomplissement des actions modérées qu’on devient modéré, tandis qu’à ne pas les accomplir nul ne saurait jamais être en passe de devenir bon. Mais la plupart des hommes, au lieu d’accomplir des actions vertueuses, se retranchent dans le domaine de la discussion, et pensent qu’ils agissent ainsi en philosophes et que cela suffira à les rendre vertueux : ils ressemblent en cela aux malades qui écoutent leur médecin attentivement, mais n’exécutent aucune de ses prescriptions. Et de même que ces malades n’assureront pas la santé de leur corps en se soignant de cette façon, les autres non plus n’obtiendront pas celle de l’âme en professant une philosophie de ce genre.
Qu’ainsi donc la vertu ait rapport à des plaisirs et à des peines, et que les actions qui la produisent soient aussi celles qui la font croître ou, quand elles ont lieu d’une autre façon, la font disparaître ; qu’enfin les actions dont elle est la résultante soient celles mêmes où son activité s’exerce ensuite, — tout cela, considérons-le comme dit.
Mais on pourrait se demander ce que nous entendons signifier quand nous disons qu’on ne devient juste qu’en faisant des actions justes, et modéré qu’en faisant des actions modérées : car enfin, si on fait des actions justes et des actions modérées, c’est qu’on est déjà juste et modéré, de même qu’en faisant des actes ressortissant à la grammaire et à la musique on est grammairien et musicien. Mais ne peut-on pas dire plutôt que cela n’est pas exact, même dans le cas des arts ? C’est qu’il est possible, en effet, qu’on fasse une chose ressortissant à la grammaire soit par chance soit sous l’indication d’autrui : on ne sera donc grammairien que si, à la fois, on a fait quelque chose de grammatical, et si on l’a fait d’une façon grammaticale, à savoir conformément à la science grammaticale qu’on possède en soi-même.
De plus, il n’y a pas ressemblance entre le cas des arts et celui des vertus. Les productions de l’art ont leur valeur en elles-mêmes ; il suffit donc que la production leur confère certains caractères. Au contraire, pour les actions faites selon la vertu, ce n’est pas par la présence en elles de certains caractères intrinsèques qu’elles sont faites d’une façon juste ou modérée ; il faut encore que l’agent lui-même soit dans une certaine disposition quand il les accomplit en premier lieu, il doit savoir ce qu’il fait ensuite, choisir librement l’acte en question et le choisir en vue de cet acte lui-même et en troisième lieu, l’accomplir dans une disposition d’esprit ferme et inébranlables. Or ces conditions n’entrent pas en ligne de compte pour la possession d’un art quel qu’il soit, à l’exception du savoir lui-même, alors que, pour la possession des vertus, le savoir ne joue qu’un rôle minime ou même nul, à la différence des autres conditions, lesquelles ont une influence non pas médiocre, mais totale, en tant précisément que la possession de la vertu naît de l’accomplissement répété des actes justes et modérés
Ainsi donc, les actions sont dites justes et modérées quand elles sont telles que les accomplirait l’homme juste ou l’homme modéré’ ; mais est juste et modéré non pas celui qui les accomplit simplement, mais celui qui, de plus, les accomplit de la façon dont les hommes justes et modérés les accomplissent On a donc raison de dire que c’est par l’accomplissement des actions justes qu’on devient juste, et par l’accomplissement des actions modérées qu’on devient modéré, tandis qu’à ne pas les accomplir nul ne saurait jamais être en passe de devenir bon. Mais la plupart des hommes, au lieu d’accomplir des actions vertueuses, se retranchent dans le domaine de la discussion, et pensent qu’ils agissent ainsi en philosophes et que cela suffira à les rendre vertueux : ils ressemblent en cela aux malades qui écoutent leur médecin attentivement, mais n’exécutent aucune de ses prescriptions. Et de même que ces malades n’assureront pas la santé de leur corps en se soignant de cette façon, les autres non plus n’obtiendront pas celle de l’âme en professant une philosophie de ce genre.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre II
CHAPITRE 4 : Définition générique de la vertu : la vertu est un "habitus"
Qu’est-ce donc que la vertu voilà ce qu’il faut examiner.
Puisque les phénomènes de l’âme sont de trois sortes, les états affectifs les facultés et les dispositions, c’est l’une de ces choses qui doit être la vertu. J’entends par états affectifs, l’appétit, la colère, la crainte, l’audace, l’envie, la joie, l’amitié, la haine, le regret de ce qui a plu, la jalousie, la pitié, bref toutes les inclinations accompagnées de plaisir ou de peine’ ; par facultés, les aptitudes qui font dire de nous que nous sommes capables d’éprouver ces affections, par exemple la capacité d’éprouver colère, peine ou pitié ; par dispositions, enfin, notre comportement bon ou mauvais relativement aux affections par exemple, pour la colère, si nous l’éprouvons ou violemment ou nonchalamment, notre comportement est mauvais, tandis qu’il est bon si nous l’éprouvons avec mesure, et ainsi pour les autres affections.
Or ni les vertus, ni les vices ne sont des affections, parce que nous ne sommes pas appelés vertueux ou pervers d’après les affections que nous éprouvons, mais bien d’après nos vertus et nos vices, et parce que ce n’est pas non plus pour nos affections que nous encourons l’éloge ou le blâme (car on ne loue pas l’homme qui ressent de la crainte ou éprouve de la colère, pas plus qu’on ne blâme celui qui se met simplement en colère, mais bien celui qui s’y met d’une certaine façon), mais ce sont nos vertus et nos vices qui nous font louer ou blâmer. En outre, nous ressentons la colère ou la crainte indépendamment de tout choix délibéré, alors que les vertus sont certaines façons de choisir, ou tout au moins ne vont pas sans un choix réfléchi. Ajoutons à cela que c’est en raison de nos affections que nous sommes dits être mus, tandis qu’en raison de nos vertus et de nos vices nous sommes non pas mus, mais disposés d’une certaine façon.
Pour les raisons qui suivent, les vertus et les vices ne sont pas non plus des facultés. Nous ne sommes pas appelés bons ou mauvais d’après notre capacité à éprouver simplement ces états, pas plus que nous ne sommes loués ou blâmés. De plus, nos facultés sont en nous par notre nature, alors que nous ne naissons pas naturellement bons ou méchants. Mais nous avons traité ce point précédemment.
Si donc les vertus ne sont ni des affections, ni des facultés, il reste que ce sont des dispositions.
Qu’est-ce donc que la vertu voilà ce qu’il faut examiner.
Puisque les phénomènes de l’âme sont de trois sortes, les états affectifs les facultés et les dispositions, c’est l’une de ces choses qui doit être la vertu. J’entends par états affectifs, l’appétit, la colère, la crainte, l’audace, l’envie, la joie, l’amitié, la haine, le regret de ce qui a plu, la jalousie, la pitié, bref toutes les inclinations accompagnées de plaisir ou de peine’ ; par facultés, les aptitudes qui font dire de nous que nous sommes capables d’éprouver ces affections, par exemple la capacité d’éprouver colère, peine ou pitié ; par dispositions, enfin, notre comportement bon ou mauvais relativement aux affections par exemple, pour la colère, si nous l’éprouvons ou violemment ou nonchalamment, notre comportement est mauvais, tandis qu’il est bon si nous l’éprouvons avec mesure, et ainsi pour les autres affections.
Or ni les vertus, ni les vices ne sont des affections, parce que nous ne sommes pas appelés vertueux ou pervers d’après les affections que nous éprouvons, mais bien d’après nos vertus et nos vices, et parce que ce n’est pas non plus pour nos affections que nous encourons l’éloge ou le blâme (car on ne loue pas l’homme qui ressent de la crainte ou éprouve de la colère, pas plus qu’on ne blâme celui qui se met simplement en colère, mais bien celui qui s’y met d’une certaine façon), mais ce sont nos vertus et nos vices qui nous font louer ou blâmer. En outre, nous ressentons la colère ou la crainte indépendamment de tout choix délibéré, alors que les vertus sont certaines façons de choisir, ou tout au moins ne vont pas sans un choix réfléchi. Ajoutons à cela que c’est en raison de nos affections que nous sommes dits être mus, tandis qu’en raison de nos vertus et de nos vices nous sommes non pas mus, mais disposés d’une certaine façon.
Pour les raisons qui suivent, les vertus et les vices ne sont pas non plus des facultés. Nous ne sommes pas appelés bons ou mauvais d’après notre capacité à éprouver simplement ces états, pas plus que nous ne sommes loués ou blâmés. De plus, nos facultés sont en nous par notre nature, alors que nous ne naissons pas naturellement bons ou méchants. Mais nous avons traité ce point précédemment.
Si donc les vertus ne sont ni des affections, ni des facultés, il reste que ce sont des dispositions.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre II
CHAPITRE 5 : Définition spécifique de la vertu : la vertu est une médiété
Ainsi, nous avons établi génériquement la nature de la vertu. Mais nous ne devons pas seulement dire de la vertu qu’elle est une disposition, mais dire encore quelle espèce de disposition elle est. Nous devons alors remarquer que toute "vertu" pour la chose dont elle est "vertu s, a pour effet à la fois de mettre cette chosé en bon état et de lui permettre de bien accomplir son oeuvre propre : par exemple, la "vertu" de l’oeil rend l’oeil et sa fonction également parfaits, car c’est par la vertu de l’oeil que la vision s’effectue en nous comme il faut. De même la "vertu du cheval rend un cheval à la fois parfait en lui-même et bon pour la course, pour porter st cavalier et faire face à l’ennemi. Si donc il en est ainsi dans tous les cas, l’excellence, la vertu de l’homme ne saurait être qu’une disposition par laquelle un homme devient bon et par laquelle aussi son oeuvre propre sera rendue bonne.
Comment cela se fera-t-il, nous l’avons déjà indiqué mais nous apporterons un complément de clarté si nous considérons ce qui constitue la nature spécifique de la vertu.
En tout ce qui est continu et divisible il est possible de distinguer le plus, le moins et l’égal, et cela soit dans la chose même, soit par rapport à nous, l’égal étant quelque moyen entre l’excès et le défaut. J’entends par moyen dans la chose ce qui s’écarte à égale distance de chacun des deux extrêmes, point qui est unique et identique pour tous les hommes, et par moyen par rapport à nous ce qui n’est ni trop, ni trop peu, et c’est là une chose qui n’est ni une, ni identique pour tout le monde. Par exemple, si est beaucoup, et peu, est le moyen pris dans la chose, car il dépasse et est dépassé par une quantité égale ; et c’est là un moyen établi d’après la proportion arithmétique Au contraire, le moyen par rapport à nous ne doit pas être pris de cette façon : si, pour la nourriture de tel individu déterminé, un poids de 10 mines est beaucoup et un poids de 2 mines peu, il ne s’ensuit pas que le maître de gymnase prescrira un poids de mines, car cette quantité est peut-être aussi beaucoup pour la personne qui l’absorbera, ou peu : pour Milon ce sera peu, et pour un débutant dans les exercices du gymnase, beaucoup. Il en est de même pour la course et la lutte. C’est dès lors ainsi que l’homme versé dans une discipline quel conque évite l’excès et le défaut ; c’est le moyen qu’il recherche et qu’il choisit, mais ce moyen n’est pas celui de la chose, c’est celui qui est relatif à nous.
Si donc toute science aboutit ainsi à la perfection de son oeuvre, en fixant le regard sur le moyen et y ramenant ses oeuvres (de là vient notre habitude de dire en parlant des oeuvres bien réussies, qu’il est impossible d’y rien retrancher ni d’y rien ajouter, voulant signifier par là que l’excès et le défaut détruisent la perfection, tandis que le juste milieu la préserve), si donc les bons artistes, comme nous les appelons, ont les yeux fixés sur ce juste milieu quand ils travaillent, et si en outre, la vertu, comme la nature dépasse en exactitude et en valeur tout autre art, alors c’est le moyen vers lequel elle devra tendre. J’entends ici la vertu morale car c’est elle qui a rapport à des affections et des actions, matières en lesquelles il y a excès ; défaut et moyen. Ainsi dans la crainte, l’audace, l’appétit, la colère, la pitié, et en général dans tout sentiment de plaisir et de peine, on rencontre du trop et du trop peu, lesquels ne sont bons ni l’un ni l’autre ; au contraire, ressentir ces émotions au moment opportun, dans les cas et à l’égard des personnes qui conviennent, pour les rai sons et de la façon qu’il faut, c’est à la fois moyen et excellence, caractère qui appartient précisément à la vertu. Pareillement encore, en ce qui concerne les actions, il peut y avoir excès, défaut et moyen. Or la vertu a rapport à des affections et à des actions dans lesquelles l’excès est erreur et le défaut objet de blâme, tandis que le moyen est objet de louange et de réussite, double avantage propre à la vertu. La vertu est donc une sorte de juste milieu en ce sens qu’elle vise le moyen.
De plus l’erreur est multiforme (car le mal relève de l’Illimité, comme les PYTHAGORICIENS l’ont conjecturé, et le bien, du Limité), tandis qu’on ne peut observer la droite règle que d’une seule façon : pour ces raisons aussi, la première est facile, et l’autre difficile ; il est facile de manquer le but, et difficile de l’atteindre Et c’est ce qui fait que le vice a pour caractéristiques l’excès et le défaut, et la vertu le juste milieu : L’honnêteté n’a qu’une seule forme, mais le vice en a de nombreuses.
Ainsi, nous avons établi génériquement la nature de la vertu. Mais nous ne devons pas seulement dire de la vertu qu’elle est une disposition, mais dire encore quelle espèce de disposition elle est. Nous devons alors remarquer que toute "vertu" pour la chose dont elle est "vertu s, a pour effet à la fois de mettre cette chosé en bon état et de lui permettre de bien accomplir son oeuvre propre : par exemple, la "vertu" de l’oeil rend l’oeil et sa fonction également parfaits, car c’est par la vertu de l’oeil que la vision s’effectue en nous comme il faut. De même la "vertu du cheval rend un cheval à la fois parfait en lui-même et bon pour la course, pour porter st cavalier et faire face à l’ennemi. Si donc il en est ainsi dans tous les cas, l’excellence, la vertu de l’homme ne saurait être qu’une disposition par laquelle un homme devient bon et par laquelle aussi son oeuvre propre sera rendue bonne.
Comment cela se fera-t-il, nous l’avons déjà indiqué mais nous apporterons un complément de clarté si nous considérons ce qui constitue la nature spécifique de la vertu.
En tout ce qui est continu et divisible il est possible de distinguer le plus, le moins et l’égal, et cela soit dans la chose même, soit par rapport à nous, l’égal étant quelque moyen entre l’excès et le défaut. J’entends par moyen dans la chose ce qui s’écarte à égale distance de chacun des deux extrêmes, point qui est unique et identique pour tous les hommes, et par moyen par rapport à nous ce qui n’est ni trop, ni trop peu, et c’est là une chose qui n’est ni une, ni identique pour tout le monde. Par exemple, si est beaucoup, et peu, est le moyen pris dans la chose, car il dépasse et est dépassé par une quantité égale ; et c’est là un moyen établi d’après la proportion arithmétique Au contraire, le moyen par rapport à nous ne doit pas être pris de cette façon : si, pour la nourriture de tel individu déterminé, un poids de 10 mines est beaucoup et un poids de 2 mines peu, il ne s’ensuit pas que le maître de gymnase prescrira un poids de mines, car cette quantité est peut-être aussi beaucoup pour la personne qui l’absorbera, ou peu : pour Milon ce sera peu, et pour un débutant dans les exercices du gymnase, beaucoup. Il en est de même pour la course et la lutte. C’est dès lors ainsi que l’homme versé dans une discipline quel conque évite l’excès et le défaut ; c’est le moyen qu’il recherche et qu’il choisit, mais ce moyen n’est pas celui de la chose, c’est celui qui est relatif à nous.
Si donc toute science aboutit ainsi à la perfection de son oeuvre, en fixant le regard sur le moyen et y ramenant ses oeuvres (de là vient notre habitude de dire en parlant des oeuvres bien réussies, qu’il est impossible d’y rien retrancher ni d’y rien ajouter, voulant signifier par là que l’excès et le défaut détruisent la perfection, tandis que le juste milieu la préserve), si donc les bons artistes, comme nous les appelons, ont les yeux fixés sur ce juste milieu quand ils travaillent, et si en outre, la vertu, comme la nature dépasse en exactitude et en valeur tout autre art, alors c’est le moyen vers lequel elle devra tendre. J’entends ici la vertu morale car c’est elle qui a rapport à des affections et des actions, matières en lesquelles il y a excès ; défaut et moyen. Ainsi dans la crainte, l’audace, l’appétit, la colère, la pitié, et en général dans tout sentiment de plaisir et de peine, on rencontre du trop et du trop peu, lesquels ne sont bons ni l’un ni l’autre ; au contraire, ressentir ces émotions au moment opportun, dans les cas et à l’égard des personnes qui conviennent, pour les rai sons et de la façon qu’il faut, c’est à la fois moyen et excellence, caractère qui appartient précisément à la vertu. Pareillement encore, en ce qui concerne les actions, il peut y avoir excès, défaut et moyen. Or la vertu a rapport à des affections et à des actions dans lesquelles l’excès est erreur et le défaut objet de blâme, tandis que le moyen est objet de louange et de réussite, double avantage propre à la vertu. La vertu est donc une sorte de juste milieu en ce sens qu’elle vise le moyen.
De plus l’erreur est multiforme (car le mal relève de l’Illimité, comme les PYTHAGORICIENS l’ont conjecturé, et le bien, du Limité), tandis qu’on ne peut observer la droite règle que d’une seule façon : pour ces raisons aussi, la première est facile, et l’autre difficile ; il est facile de manquer le but, et difficile de l’atteindre Et c’est ce qui fait que le vice a pour caractéristiques l’excès et le défaut, et la vertu le juste milieu : L’honnêteté n’a qu’une seule forme, mais le vice en a de nombreuses.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre II
CHAPITRE 6 : Définition complète de la vertu morale, et précisions nouvelles
Ainsi donc, la vertu est une disposition à agir d’une façon délibérée consistant en un juste milieu relative à nous, laquelle est rationnellement déterminée et comme la déterminerait l’homme prudent Mais c’est un juste milieu entre deux vices, l’un par excès et l’autre par défaut ; et : c’est encore un juste milieu en ce que certains vices sont au-dessous, et d’autres au-dessus du "ce qu’il faut" dans le domaine des affections aussi bien que des actions, tandis que la vertu, elle, découvre et choisit la position moyenne.
C’est pourquoi dans l’ordre de la substance et de la définition exprimant la quiddité la vertu est un juste milieu, tandis que dans l’ordre de l’excellence et du parfait, c’est un sommet.
Mais toute action n’admet pas le juste milieu, ni non plus toute affection, car pour certaines d’entre elles leur seule dénomination implique immédiatement la perversité, par exemple la malveillance, l’impudence, l’envie, et, dans le domaine des actions, l’adultère, le vol, l’homicide ces affections et ces actions, et les autres de même genre, sont toutes, en effet, objets de blême parce qu’elles sont perverses en elles-mêmes, et ce n’est pas seulement leur excès ou leur défaut que l’on condamne. Il n’est donc jamais possible de se tenir à leur sujet dans la voie droite, mais elles constituent toujours des fautes. On ne peut pas non plus, è l’égard de telles choses, dire que le bien ou le mal dépend des circonstances, du fait, par exemple, que l’adultère est commis avec la femme qu’il faut, à l’époque et de la manière qui conviennent, mais le simple fait d’en commettre un, quel qu’il soit, est une faute. Il est également absurde de supposer que commettre une action injuste ou lâche ou déréglée, comporte un juste milieu, un excès et un défaut, car il y aurait à ce compte-là un juste milieu d’excès et de défaut, un excès d’excès et un défaut de défaut Mais de même que pour la modération et le courage il n’existe pas d’excès et de défaut du fait que le moyen est en un sens un extrême ainsi pour les actions dont nous parlons il n’y a non plus ni juste milieu, ni excès, ni défaut, mais, quelle que soit la façon dont on les accomplit, elles constituent des fautes : car, d’une manière générale, il n’existe ni juste milieu d’excès et de défaut, ni excès et défaut de juste milieu.
Ainsi donc, la vertu est une disposition à agir d’une façon délibérée consistant en un juste milieu relative à nous, laquelle est rationnellement déterminée et comme la déterminerait l’homme prudent Mais c’est un juste milieu entre deux vices, l’un par excès et l’autre par défaut ; et : c’est encore un juste milieu en ce que certains vices sont au-dessous, et d’autres au-dessus du "ce qu’il faut" dans le domaine des affections aussi bien que des actions, tandis que la vertu, elle, découvre et choisit la position moyenne.
C’est pourquoi dans l’ordre de la substance et de la définition exprimant la quiddité la vertu est un juste milieu, tandis que dans l’ordre de l’excellence et du parfait, c’est un sommet.
Mais toute action n’admet pas le juste milieu, ni non plus toute affection, car pour certaines d’entre elles leur seule dénomination implique immédiatement la perversité, par exemple la malveillance, l’impudence, l’envie, et, dans le domaine des actions, l’adultère, le vol, l’homicide ces affections et ces actions, et les autres de même genre, sont toutes, en effet, objets de blême parce qu’elles sont perverses en elles-mêmes, et ce n’est pas seulement leur excès ou leur défaut que l’on condamne. Il n’est donc jamais possible de se tenir à leur sujet dans la voie droite, mais elles constituent toujours des fautes. On ne peut pas non plus, è l’égard de telles choses, dire que le bien ou le mal dépend des circonstances, du fait, par exemple, que l’adultère est commis avec la femme qu’il faut, à l’époque et de la manière qui conviennent, mais le simple fait d’en commettre un, quel qu’il soit, est une faute. Il est également absurde de supposer que commettre une action injuste ou lâche ou déréglée, comporte un juste milieu, un excès et un défaut, car il y aurait à ce compte-là un juste milieu d’excès et de défaut, un excès d’excès et un défaut de défaut Mais de même que pour la modération et le courage il n’existe pas d’excès et de défaut du fait que le moyen est en un sens un extrême ainsi pour les actions dont nous parlons il n’y a non plus ni juste milieu, ni excès, ni défaut, mais, quelle que soit la façon dont on les accomplit, elles constituent des fautes : car, d’une manière générale, il n’existe ni juste milieu d’excès et de défaut, ni excès et défaut de juste milieu.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre II
CHAPITRE 7 : Élude des vertus particulières
Nous ne devons pas seulement nous en tenir à des généralités, mais encore en faire l’application aux vertus particulières. En effet, parmi les exposés traitant de nos actions, ceux qui sont d’ordre général sont plus vides et ceux qui s’attachent aux particularités plus vrais, car les actions ont rapport aux faits individuels, et nos théories doivent être en accord avec eux. Empruntons donc les exemples de vertus particulières à notre tableau.
En ce qui concerne la peur et la témérité, le courage est un juste milieu, et parmi ceux qui pèchent par excès, celui qui le fait par manque de peur n’a pas reçu de nom (beaucoup d’états n’ont d’ailleurs pas de nom), tandis que celui qui le fait par audace est un téméraire, et celui qui tombe dans l’excès de crainte et manque d’audace est un lâche.
Pour ce qui est des plaisirs et des peines (non pas de tous, et à un moindre degré en ce qui regarde les peines), le juste milieu est la modération, et l’excès le dérèglement. Les gens qui pèchent par défaut en ce qui regarde les plaisirs se rencontrent rarement, ce qui explique que de telles personnes n’ont pas non plus reçu de nom ; appelons-les des insensibles.
Pour ce qui est de l’action de donner et celle d’acquérir des richesses le juste milieu est la libéralité ; l’excès et le défaut sont respectivement la prodigalité et la parcimonie. C’est de façon opposée que dans ces actions on tombe dans l’excès ou le défaut : en effet, le prodigue pèche par excès dans la dépense et par défaut dans l’acquisition, tandis que le parcimonieux pèche par excès dans l’acquisition et par défaut dans la dépense. — Pour le moment, nous traçons là une simple esquisse, très sommaire, qui doit nous suffire pour notre dessein ; plus tard, ces états seront définis avec plus de précision — Au regard des richesses, il existe aussi d’autres dispositions : le juste milieu est la magnificence (car l’homme magnifique diffère d’un homme libéral le premier vit dans une ambiance de grandeur, et l’autre dans une sphère plus modeste), l’excès, le manque de goût ou vulgarité, le défaut la mesquinerie. Ces vices diffèrent des états opposés à la libéralité, et la façon dont ils diffèrent sera indiquée plus loin.
En ce qui concerne l’honneur et le mépris, le juste milieu est la grandeur d l’excès ce qu’on nomme une sorte de boursouflure, le défaut la bassesse d’âme. Et de même que nous avons montré la libéralité en face de la magnificence, différant de cette dernière par la modicité de la sphère où elle se meut, ainsi existe-t-il pareillement, en face de la grandeur d’âme, laquelle a rapport à un honneur de grande classe, un certain état ayant rapport â un honneur plus modeste. On peut, en effet, désirer un honneur de la façon qu’on le doit, ou plus qu’on ne le doit, ou moins qu’on ne le doit ; et l’homme aux désirs excessifs s’appelle un ambitieux, l’homme aux désirs insuffisants, un homme sans ambition, tandis que celui qui tient la position moyenne n’a pas reçu de dénomination. Sans désignations spéciales sont aussi les dispositions correspondantes, sauf celle de l’ambitieux, qui est l’ambition. De là vient que les extrêmes se disputent le terrain intermédiaire, et il arrive que nous-mêmes appelions celui qui occupe la position moyenne tantôt ambitieux et tantôt dépourvu d’ambition, et a que nous réservions nos éloges tantôt à l’ambitieux et tantôt à celui qui n’a pas d’ambition. Pour quelle raison agissons-nous ainsi, nous le dirons dans la suite’ ; pour le moment, parlons des états qui nous restent à voir, en suivant la marche que nous avons indiquée.
En ce qui concerne la colère, il y a aussi excès, défaut et juste milieu. Ces états sont pratiquement dépourvus de toute dénomination. Cependant, puis que nous appelons débonnaire celui qui occupe la position moyenne, nous pouvons appeler débonnaireté le juste milieu elle-même. Pour ceux qui sont aux points extrêmes, irascible sera celui qui tombe dans l’excès, et le vice correspondant l’irascibilité ; et celui qui pèche par défaut sera une sorte d’être indifférent, et son vice sera l’indifférence.
Il y a encore trois autres juste milieu ayant une certaine ressemblance entre elles, tout en étant différentes les unes des autres toutes, en effet, concernent les relations sociales entre les hommes dans les paroles et dans les actions, mais diffèrent en ce que l’une a rapport au vrai que ces paroles et ces actions renferment, les deux autres étant relatives à l’agrément soit dans le badinage, soit dans les circonstances générales de la vie. Nous devons donc parler aussi de ces divers états, de façon à mieux discerner qu’en toutes choses le juste milieu est digne d’éloge, tandis que les extrêmes ne sont ni corrects, ni louables, mais au contraire répréhensibles. Ici encore, la plu part de ces états ne portent aucun nom ; nous devons cependant essayer, comme dans les autres cas, de forger nous-mêmes des noms, en vue de la clarté de l’ex posé et pour qu’on puisse nous suivre facilement. — En ce qui regarde le vrai, la position moyenne peut être appelée véridique, et le juste milieu véracité, tandis que la feinte par exagération est vantardise et celui qui la pratique un vantard, et la feinte par atténuation, réticence et celui qui la pratique, un réticent. — Passons à l’agrément, et voyons d’abord celui qu’on rencontre dans le badinage l’homme qui occupe la position moyenne est un homme enjoué, et sa disposition une gaieté de bon aloi ; l’excès est bouffonnerie, et celui qui la pratique, un bouffon ; l’homme qui pèche au contraire par défaut est un rustre, et son état est la rusticité. Pour l’autre genre d’agrément, à savoir les relations agréables de la vie, l’homme agréable comme il faut est un homme aimable, et le juste milieu l’amabilité ; celui qui tombe dans l’excès, s’il n’a aucune fin intéressée en vue est un complaisant, et si c’est pour son avantage propre, un flatteur ; celui qui pèche par défaut et qui est désagréable dans toutes les circonstances est un chicanier et un esprit hargneux.
Il existe aussi dans les affections et dans tout ce qui se rapporte aux affections, des justes milieux. En effet, la réserve n’est pas une vertu, et pourtant on loue aussi l’homme réservé, car même en ce domaine tel homme est dit garder la position moyenne, un autre tomber dans l’excès, (un autre enfin pécher par défaut. Et celui qui tombe dans l’excès) est par exemple le timide qui rougit de tout ; celui qui pèche par défaut ou qui n’a pas du tout de pudeur est un impudent ; et celui qui garde la position moyenne, un homme réservé.
D’autre part, la juste indignation est un juste milieu entre l’envie et la malveillance, et ces états se rapportent à la peine et au plaisir qui surgissent en nous pour tout ce qui arrive au prochain : l’homme qui s’indigne s’afflige des succès immérités, l’envieux va au-delà et s’afflige de tous les succès d’autrui, (et tandis que l’homme qui s’indigne s’afflige des malheurs immérités), le malveillant, bien loin de s’en affliger, va jusqu’à s’en réjouir. Mais nous aurons l’occasion de décrire ailleurs ces divers états — En ce qui concerne la justice, étant donné que le sens où on la prend n’est pas simple, après avoir décrit les autres états, nous la diviserons en deux espèces et nous indiquerons pour chacune d’elles comment elle constitue un juste milieu — Et. Nous traiterons pareillement des vertus intellectuelles.
Nous ne devons pas seulement nous en tenir à des généralités, mais encore en faire l’application aux vertus particulières. En effet, parmi les exposés traitant de nos actions, ceux qui sont d’ordre général sont plus vides et ceux qui s’attachent aux particularités plus vrais, car les actions ont rapport aux faits individuels, et nos théories doivent être en accord avec eux. Empruntons donc les exemples de vertus particulières à notre tableau.
En ce qui concerne la peur et la témérité, le courage est un juste milieu, et parmi ceux qui pèchent par excès, celui qui le fait par manque de peur n’a pas reçu de nom (beaucoup d’états n’ont d’ailleurs pas de nom), tandis que celui qui le fait par audace est un téméraire, et celui qui tombe dans l’excès de crainte et manque d’audace est un lâche.
Pour ce qui est des plaisirs et des peines (non pas de tous, et à un moindre degré en ce qui regarde les peines), le juste milieu est la modération, et l’excès le dérèglement. Les gens qui pèchent par défaut en ce qui regarde les plaisirs se rencontrent rarement, ce qui explique que de telles personnes n’ont pas non plus reçu de nom ; appelons-les des insensibles.
Pour ce qui est de l’action de donner et celle d’acquérir des richesses le juste milieu est la libéralité ; l’excès et le défaut sont respectivement la prodigalité et la parcimonie. C’est de façon opposée que dans ces actions on tombe dans l’excès ou le défaut : en effet, le prodigue pèche par excès dans la dépense et par défaut dans l’acquisition, tandis que le parcimonieux pèche par excès dans l’acquisition et par défaut dans la dépense. — Pour le moment, nous traçons là une simple esquisse, très sommaire, qui doit nous suffire pour notre dessein ; plus tard, ces états seront définis avec plus de précision — Au regard des richesses, il existe aussi d’autres dispositions : le juste milieu est la magnificence (car l’homme magnifique diffère d’un homme libéral le premier vit dans une ambiance de grandeur, et l’autre dans une sphère plus modeste), l’excès, le manque de goût ou vulgarité, le défaut la mesquinerie. Ces vices diffèrent des états opposés à la libéralité, et la façon dont ils diffèrent sera indiquée plus loin.
En ce qui concerne l’honneur et le mépris, le juste milieu est la grandeur d l’excès ce qu’on nomme une sorte de boursouflure, le défaut la bassesse d’âme. Et de même que nous avons montré la libéralité en face de la magnificence, différant de cette dernière par la modicité de la sphère où elle se meut, ainsi existe-t-il pareillement, en face de la grandeur d’âme, laquelle a rapport à un honneur de grande classe, un certain état ayant rapport â un honneur plus modeste. On peut, en effet, désirer un honneur de la façon qu’on le doit, ou plus qu’on ne le doit, ou moins qu’on ne le doit ; et l’homme aux désirs excessifs s’appelle un ambitieux, l’homme aux désirs insuffisants, un homme sans ambition, tandis que celui qui tient la position moyenne n’a pas reçu de dénomination. Sans désignations spéciales sont aussi les dispositions correspondantes, sauf celle de l’ambitieux, qui est l’ambition. De là vient que les extrêmes se disputent le terrain intermédiaire, et il arrive que nous-mêmes appelions celui qui occupe la position moyenne tantôt ambitieux et tantôt dépourvu d’ambition, et a que nous réservions nos éloges tantôt à l’ambitieux et tantôt à celui qui n’a pas d’ambition. Pour quelle raison agissons-nous ainsi, nous le dirons dans la suite’ ; pour le moment, parlons des états qui nous restent à voir, en suivant la marche que nous avons indiquée.
En ce qui concerne la colère, il y a aussi excès, défaut et juste milieu. Ces états sont pratiquement dépourvus de toute dénomination. Cependant, puis que nous appelons débonnaire celui qui occupe la position moyenne, nous pouvons appeler débonnaireté le juste milieu elle-même. Pour ceux qui sont aux points extrêmes, irascible sera celui qui tombe dans l’excès, et le vice correspondant l’irascibilité ; et celui qui pèche par défaut sera une sorte d’être indifférent, et son vice sera l’indifférence.
Il y a encore trois autres juste milieu ayant une certaine ressemblance entre elles, tout en étant différentes les unes des autres toutes, en effet, concernent les relations sociales entre les hommes dans les paroles et dans les actions, mais diffèrent en ce que l’une a rapport au vrai que ces paroles et ces actions renferment, les deux autres étant relatives à l’agrément soit dans le badinage, soit dans les circonstances générales de la vie. Nous devons donc parler aussi de ces divers états, de façon à mieux discerner qu’en toutes choses le juste milieu est digne d’éloge, tandis que les extrêmes ne sont ni corrects, ni louables, mais au contraire répréhensibles. Ici encore, la plu part de ces états ne portent aucun nom ; nous devons cependant essayer, comme dans les autres cas, de forger nous-mêmes des noms, en vue de la clarté de l’ex posé et pour qu’on puisse nous suivre facilement. — En ce qui regarde le vrai, la position moyenne peut être appelée véridique, et le juste milieu véracité, tandis que la feinte par exagération est vantardise et celui qui la pratique un vantard, et la feinte par atténuation, réticence et celui qui la pratique, un réticent. — Passons à l’agrément, et voyons d’abord celui qu’on rencontre dans le badinage l’homme qui occupe la position moyenne est un homme enjoué, et sa disposition une gaieté de bon aloi ; l’excès est bouffonnerie, et celui qui la pratique, un bouffon ; l’homme qui pèche au contraire par défaut est un rustre, et son état est la rusticité. Pour l’autre genre d’agrément, à savoir les relations agréables de la vie, l’homme agréable comme il faut est un homme aimable, et le juste milieu l’amabilité ; celui qui tombe dans l’excès, s’il n’a aucune fin intéressée en vue est un complaisant, et si c’est pour son avantage propre, un flatteur ; celui qui pèche par défaut et qui est désagréable dans toutes les circonstances est un chicanier et un esprit hargneux.
Il existe aussi dans les affections et dans tout ce qui se rapporte aux affections, des justes milieux. En effet, la réserve n’est pas une vertu, et pourtant on loue aussi l’homme réservé, car même en ce domaine tel homme est dit garder la position moyenne, un autre tomber dans l’excès, (un autre enfin pécher par défaut. Et celui qui tombe dans l’excès) est par exemple le timide qui rougit de tout ; celui qui pèche par défaut ou qui n’a pas du tout de pudeur est un impudent ; et celui qui garde la position moyenne, un homme réservé.
D’autre part, la juste indignation est un juste milieu entre l’envie et la malveillance, et ces états se rapportent à la peine et au plaisir qui surgissent en nous pour tout ce qui arrive au prochain : l’homme qui s’indigne s’afflige des succès immérités, l’envieux va au-delà et s’afflige de tous les succès d’autrui, (et tandis que l’homme qui s’indigne s’afflige des malheurs immérités), le malveillant, bien loin de s’en affliger, va jusqu’à s’en réjouir. Mais nous aurons l’occasion de décrire ailleurs ces divers états — En ce qui concerne la justice, étant donné que le sens où on la prend n’est pas simple, après avoir décrit les autres états, nous la diviserons en deux espèces et nous indiquerons pour chacune d’elles comment elle constitue un juste milieu — Et. Nous traiterons pareillement des vertus intellectuelles.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre II
CHAPITRE 8 : Les oppositions entre les vices et la vertu
Il existe ainsi trois dispositions : deux vices, l’un par excès et l’autre par défaut, et une seule vertu consistant dans le juste milieu ; et toutes ces dispositions sont d’une certaine façon opposées à toutes. En effet, les états extrêmes sont contraires à la fois à l’état intermédiaire et l’un à l’autre, et l’état intermédiaire aux états extrêmes : de même que l’égal est plus grand par rapport au plus petit et plus petit par rapport au plus grand, ainsi les états moyens sont en excès par rapport aux états déficients, et en défaut par rapport aux états excessifs, aussi bien dans les affections que dans les actions. En effet, l’homme courageux, par rapport au lâche apparaît téméraire, et par rapport au téméraire, lâche ; pareillement l’homme modéré, par rapport à l’insensible est déréglé, et par rapport au déréglé, insensible ; et l’homme libéral, par rapport au parcimonieux est un prodigue, et par rapport au prodigue, parcimonieux. De là vient que ceux qui sont aux extrêmes poussent respectivement celui qui occupe le milieu vers l’autre extrême le lâche appelle le brave un téméraire, et le téméraire l’appelle un lâche ; et dans les autres cas, le rapport est le même.
Ces diverses dispositions étant ainsi opposées les unes aux autres la contrariété maxima est celle des extrêmes l’un par rapport à l’autre plutôt que par rapport au moyen, puisque ces extrêmes sont plus éloignés l’un de l’autre que du moyen, comme le grand est plus éloigné du petit, et le petit du grand, qu’ils ne le sont l’un et l’autre de l’égal. En outre, il y a des extrêmes qui manifestent une certaine ressemblance avec le moyen, par exemple dans le cas de la témérité par rapport au courage, et de la prodigalité par rapport à la libéralité. Par contre, c’est entre les extrêmes que la dissemblance est à son plus haut degré ; or les choses qui sont le plus éloignées l’une de l’autre sont définies comme des contraires, et par conséquent les choses qui sont plus éloignées l’une de l’autre sont aussi plus contraires.
A l’égard du moyen, dans certains cas c’est le a défaut qui lui est le plus opposé, et dans certains autres, l’excès : ainsi, au courage ce n’est pas la témérité (laquelle est un excès) qui est le plus opposé, mais la lâcheté (laquelle est un manque) ; inverse ment, à la modération ce n’est pas l’insensibilité, laquelle est une déficience, mais bien le dérèglement, lequel est un excès. Cela a lieu pour deux raisons. La première vient de la chose elle-même : une plus grande proximité et une ressemblance plus étroite entre l’un des extrêmes et le moyen fait que nous n’opposons pas cet extrême au moyen, mais plutôt l’extrême contraire. Par exemple, du fait que la témérité paraît ressembler davantage au courage et s’en rapprocher plus étroitement, et que la lâcheté y ressemble moins, c’est plutôt cette derniêre que nous lui opposons car les choses qui sont plus éloignées du moyen lui sont aussi, semble-t-il, plus contraires. — Voilà donc une première cause, qui vient de la chose elle-même. Il y en a une autre, qui vient de nous : les choses, en effet, pour lesquelles notre nature éprouve un certain penchant paraissent plus contraires au moyen. Par exemple, de nous-mêmes nous ressentons un attrait naturel plus fort vers le plaisir, c’est pourquoi nous sommes davantage enclins au dérèglement qu’à une vie rangée. Nous qualifions alors plutôt de contraires au moyen les fautes dans lesquelles nous sommes plus exposés à tomber et c’est pour cette raison que le dérèglement, qui est un excès, est plus spécialement contraire à la modération.
Il existe ainsi trois dispositions : deux vices, l’un par excès et l’autre par défaut, et une seule vertu consistant dans le juste milieu ; et toutes ces dispositions sont d’une certaine façon opposées à toutes. En effet, les états extrêmes sont contraires à la fois à l’état intermédiaire et l’un à l’autre, et l’état intermédiaire aux états extrêmes : de même que l’égal est plus grand par rapport au plus petit et plus petit par rapport au plus grand, ainsi les états moyens sont en excès par rapport aux états déficients, et en défaut par rapport aux états excessifs, aussi bien dans les affections que dans les actions. En effet, l’homme courageux, par rapport au lâche apparaît téméraire, et par rapport au téméraire, lâche ; pareillement l’homme modéré, par rapport à l’insensible est déréglé, et par rapport au déréglé, insensible ; et l’homme libéral, par rapport au parcimonieux est un prodigue, et par rapport au prodigue, parcimonieux. De là vient que ceux qui sont aux extrêmes poussent respectivement celui qui occupe le milieu vers l’autre extrême le lâche appelle le brave un téméraire, et le téméraire l’appelle un lâche ; et dans les autres cas, le rapport est le même.
Ces diverses dispositions étant ainsi opposées les unes aux autres la contrariété maxima est celle des extrêmes l’un par rapport à l’autre plutôt que par rapport au moyen, puisque ces extrêmes sont plus éloignés l’un de l’autre que du moyen, comme le grand est plus éloigné du petit, et le petit du grand, qu’ils ne le sont l’un et l’autre de l’égal. En outre, il y a des extrêmes qui manifestent une certaine ressemblance avec le moyen, par exemple dans le cas de la témérité par rapport au courage, et de la prodigalité par rapport à la libéralité. Par contre, c’est entre les extrêmes que la dissemblance est à son plus haut degré ; or les choses qui sont le plus éloignées l’une de l’autre sont définies comme des contraires, et par conséquent les choses qui sont plus éloignées l’une de l’autre sont aussi plus contraires.
A l’égard du moyen, dans certains cas c’est le a défaut qui lui est le plus opposé, et dans certains autres, l’excès : ainsi, au courage ce n’est pas la témérité (laquelle est un excès) qui est le plus opposé, mais la lâcheté (laquelle est un manque) ; inverse ment, à la modération ce n’est pas l’insensibilité, laquelle est une déficience, mais bien le dérèglement, lequel est un excès. Cela a lieu pour deux raisons. La première vient de la chose elle-même : une plus grande proximité et une ressemblance plus étroite entre l’un des extrêmes et le moyen fait que nous n’opposons pas cet extrême au moyen, mais plutôt l’extrême contraire. Par exemple, du fait que la témérité paraît ressembler davantage au courage et s’en rapprocher plus étroitement, et que la lâcheté y ressemble moins, c’est plutôt cette derniêre que nous lui opposons car les choses qui sont plus éloignées du moyen lui sont aussi, semble-t-il, plus contraires. — Voilà donc une première cause, qui vient de la chose elle-même. Il y en a une autre, qui vient de nous : les choses, en effet, pour lesquelles notre nature éprouve un certain penchant paraissent plus contraires au moyen. Par exemple, de nous-mêmes nous ressentons un attrait naturel plus fort vers le plaisir, c’est pourquoi nous sommes davantage enclins au dérèglement qu’à une vie rangée. Nous qualifions alors plutôt de contraires au moyen les fautes dans lesquelles nous sommes plus exposés à tomber et c’est pour cette raison que le dérèglement, qui est un excès, est plus spécialement contraire à la modération.
Re: Ethique à Nicomaque, Livre II
CHAPITRE 9 : Règles pratiques pour atteindre la vertu
Qu’ainsi donc la vertu la vertu morale, soit un juste milieu, et en quel sens elle l’est, à savoir qu’elle est un juste milieu entre deux vices, l’un par excès et l’autre par défaut, et qu’elle soit un juste milieu de cette sorte parce qu’elle vise la position intermédiaire dans les affections et dans les actes, — tout cela nous l’avons suffisamment établi.
Voilà pourquoi aussi c’est tout un travail que d’être vertueux. En toute chose, en effet, on a peine à trouver le moyen : par exemple trouver le centre d’un cercle n’est pas à la portée de tout le monde, mais seulement de celui qui sait Ainsi également, se livrer à la colère est une chose à la portée de n’importe qui, et bien facile, de même donner de l’argent et le dépenser ; mais le faire avec la personne qu’il faut dans la mesure et au moment convenables, pour un motif et d’une façon légitimes, c’est là une oeuvre qui n’est plus le fait de tous, ni d’exécution facile, et c’est ce qui explique que le bien soit â la fois une chose rare, digne d’éloge et belle.
Aussi celui qui cherche à atteindre la position moyenne doit-il tout d’abord s’éloigner de ce qui y est le plus contraire, et suivre le conseil de Calypso :
Mais nous devons, en second lieu, considérer quelles sont les fautes pour lesquelles nous-mêmes avons le plus fort penchant, les uns étant naturellement attirés vers telles fautes et les autres vers telles autres. Nous reconnaîtrons cela au plaisir et à la peine que nous en ressentons. Nous devons nous en arracher nous-mêmes vers la direction opposée, car ce n’est qu’en nous écartant loin des fautes que nous commettons, que nous parviendrons à la position moyenne, comme font ceux qui redressent le bois tordu.
En toute chose, enfin il faut surtout se tenir en garde contre ce qui est agréable et contre le plaisir, car en cette matière nous ne jugeons pas avec impartialité. Ce que les Anciens du peuple ressentaient pour Hélène nous devons nous aussi le ressentir à l’égard du plaisir, et en toutes circonstances appliquer leurs paroles en répudiant ainsi le plaisir, nous serons moins sujets à faillir. Et si nous agissons ainsi, pour le dire d’un mot, nous nous trouverons dans les conditions les plus favorables pour atteindre le moyen.
Mais sans doute est-ce là une tâche difficile, surtout quand on passe aux cas particuliers. Il n’est pas aisé, en effet, de déterminer par exemple de quelle façon, contre quelles personnes, pour quelles sortes de rai sons et pendant combien de temps on doit se mettre en colère, puisque nous-mêmes accordons nos éloges tantôt à ceux qui pèchent par défaut en cette matière, et que nous qualifions de doux, tantôt à ceux qui sont d’un caractère irritable et que nous nommons des gens virils. Cependant celui qui dévie légèrement de la droite ligne, que ce soit du côté de l’excès ou du côté du défaut, n’est pas répréhensible l’est seule ment celui dont les écarts sont par trop considérables, car celui-là ne passe pas inaperçu. Quant à dire jusqu’à quel point et dans quelle mesure la déviation est répréhensible, c’est là une chose qu’il est malaisé de déterminer rationnellement, comme c’est d’ailleurs le cas pour tous les objets perçus par les sens de telles précisions sont du domaine de l’individuel, et la discrimination est du ressort de la sensation Mais nous en avons dit assez pour montrer que l’état qui occupe la position moyenne est en toutes choses digne de notre approbation, mais que nous devons pencher tantôt vers l’excès, tantôt vers le défaut, puisque c’est de cette façon que nous atteindrons avec le plus de facilité le juste milieu et le bien.
Qu’ainsi donc la vertu la vertu morale, soit un juste milieu, et en quel sens elle l’est, à savoir qu’elle est un juste milieu entre deux vices, l’un par excès et l’autre par défaut, et qu’elle soit un juste milieu de cette sorte parce qu’elle vise la position intermédiaire dans les affections et dans les actes, — tout cela nous l’avons suffisamment établi.
Voilà pourquoi aussi c’est tout un travail que d’être vertueux. En toute chose, en effet, on a peine à trouver le moyen : par exemple trouver le centre d’un cercle n’est pas à la portée de tout le monde, mais seulement de celui qui sait Ainsi également, se livrer à la colère est une chose à la portée de n’importe qui, et bien facile, de même donner de l’argent et le dépenser ; mais le faire avec la personne qu’il faut dans la mesure et au moment convenables, pour un motif et d’une façon légitimes, c’est là une oeuvre qui n’est plus le fait de tous, ni d’exécution facile, et c’est ce qui explique que le bien soit â la fois une chose rare, digne d’éloge et belle.
Aussi celui qui cherche à atteindre la position moyenne doit-il tout d’abord s’éloigner de ce qui y est le plus contraire, et suivre le conseil de Calypso :
Hors de celte vapeur et de celle houle, écarte
Ton vaisseau.
En e
ffet, des deux extrêmes l’un nous induit plus en faute que l’autre ; par suite, étant donné qu’il est extrêmement difficile d’atteindre le moyen, nous devons, comme on dit, changer de navigation et choisir le moindre mal, et la meilleure façon d’y arriver sera celle que nous indiquons.Ton vaisseau.
En e
Mais nous devons, en second lieu, considérer quelles sont les fautes pour lesquelles nous-mêmes avons le plus fort penchant, les uns étant naturellement attirés vers telles fautes et les autres vers telles autres. Nous reconnaîtrons cela au plaisir et à la peine que nous en ressentons. Nous devons nous en arracher nous-mêmes vers la direction opposée, car ce n’est qu’en nous écartant loin des fautes que nous commettons, que nous parviendrons à la position moyenne, comme font ceux qui redressent le bois tordu.
En toute chose, enfin il faut surtout se tenir en garde contre ce qui est agréable et contre le plaisir, car en cette matière nous ne jugeons pas avec impartialité. Ce que les Anciens du peuple ressentaient pour Hélène nous devons nous aussi le ressentir à l’égard du plaisir, et en toutes circonstances appliquer leurs paroles en répudiant ainsi le plaisir, nous serons moins sujets à faillir. Et si nous agissons ainsi, pour le dire d’un mot, nous nous trouverons dans les conditions les plus favorables pour atteindre le moyen.
Mais sans doute est-ce là une tâche difficile, surtout quand on passe aux cas particuliers. Il n’est pas aisé, en effet, de déterminer par exemple de quelle façon, contre quelles personnes, pour quelles sortes de rai sons et pendant combien de temps on doit se mettre en colère, puisque nous-mêmes accordons nos éloges tantôt à ceux qui pèchent par défaut en cette matière, et que nous qualifions de doux, tantôt à ceux qui sont d’un caractère irritable et que nous nommons des gens virils. Cependant celui qui dévie légèrement de la droite ligne, que ce soit du côté de l’excès ou du côté du défaut, n’est pas répréhensible l’est seule ment celui dont les écarts sont par trop considérables, car celui-là ne passe pas inaperçu. Quant à dire jusqu’à quel point et dans quelle mesure la déviation est répréhensible, c’est là une chose qu’il est malaisé de déterminer rationnellement, comme c’est d’ailleurs le cas pour tous les objets perçus par les sens de telles précisions sont du domaine de l’individuel, et la discrimination est du ressort de la sensation Mais nous en avons dit assez pour montrer que l’état qui occupe la position moyenne est en toutes choses digne de notre approbation, mais que nous devons pencher tantôt vers l’excès, tantôt vers le défaut, puisque c’est de cette façon que nous atteindrons avec le plus de facilité le juste milieu et le bien.
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