Aristote - Le Traité de l'âme - Peri Psyche - LIVRE I : L'ÂME.
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Aristote - Le Traité de l'âme - Peri Psyche - LIVRE I : L'ÂME.
Chapitre 1: La méthode dans l’étude de l’âme.
Les connaissances de tout genre sont pour nous belles et admirables; pourtant, une connaissance peut être préférable à une autre pour deux raisons:
1° son exactitude;
2° la valeur et la supériorité de son objet.
Selon ces deux motifs, l’étude de l’âme est à situer raisonnablement au premier rang. De plus, la connaissance de l’âme apporte une grande contribution à l’étude de la vérité tout entière et surtout à la science de la nature, car l’âme est, pour résumer, le principe des animaux. Notre étude aura deux parties:
1° Connaître la nature et la substance de l'âme.
2° Connaître les propriétés qui s’y rattachent, et dont les unes semblent être des déterminations propres de l’âme elle-même, tandis que les autres appartiennent aussi, mais par elle, à l’animal.
Mais il est des plus difficiles que d’acquérir une connaissance assurée au sujet de l’âme. Cette recherche, en effet, se trouvant commune à beaucoup d’autres objets (j’entends la recherche de la substance et de l’essence), on pourrait peut-être penser qu’il n’existe qu’une seule méthode, applicable à tous les objets dont nous voulons connaître la substance (comme c’est le cas de la démonstration, pour les propriétés dérivées), de sorte que c’est cette méthode qu’il faudrait rechercher; si, d’un autre côté, il n’existe pas de méthode unique et commune pour résoudre la question de l’essence, notre tâche devient encore plus difficile, car il faudra déterminer, pour chaque cas, quel est le procédé à employer. Et même s’il était évident que ce procédé consiste en une certaine démonstration, ou en une division, ou même en une autre méthode, il resterait encore bien des problèmes et des incertitudes pour savoir de quelles données devrait partir notre investigation: car les principes sont différents pour des choses différentes, comme, par exemple, dans le cas des nombres et des surfaces.
Sans doute, est-il d’abord nécessaire de déterminer à quel genre l’âme appartient et ce qu’elle est: je veux dire, si elle est une chose individuelle et une substance a, ou une qualité, ou une quantité, ou encore quelque autre des catégories que nous avons distinguées.
Il faut déterminer, en outre, si elle est au nombre des êtres en puissance ou si elle n’est pas plutôt une entéléchie, car la différence n’est pas sans importance.
On doit aussi examiner si l’âme est partageable ou sans parties, et si toutes les âmes e sont de même espèce ou s’il n’en est rien, et, dans ce cas, si elles diffèrent entre elles par l’espèce ou par le genre: car les discussions et les investigations actuelles sur l’âme semblent porter seulement sur l’âme humaine.
D’autre part, nous devons nous garder de passer sous silence la question de savoir si la définition de l’âme est une, comme celle de l’animal, ou si elle est différente pour chaque espèce d’âme, comme pour le cheval, le chien, l’homme, le dieu; et, dans ce cas, l’animal en général ou bien n’est rien, ou bien est postérieur. La même question se pose d’ailleurs pour tout autre prédicat commun que l’on affirmerait.
De plus, en admettant qu’il n’existe pas une pluralité d’âmes, mais seulement une pluralité de parties, faut-il examiner d’abord l’âme entière ou ses parties? Il est difficile aussi de déterminer lesquelles de ces parties sont naturellement distinctes les unes de autres, et s’il faut commencer notre recherche par les parties ou par leurs fonctions: si, par exemple c’est par l’acte de l’intellect ou l’intellect, par l’acte de sentir ou la faculté sensitive, et ainsi de suite.
Et si les fonctions doivent nous retenir en premier lieu, on pourrait se demander si l’étude de leurs opposés ne devrait pas encore les précéder, par exemple le sensible avant la faculté sensitive, et l’intelligible avant l’intellect.
Et il semble bien que, non seulement la connaissance de l’essence soit utile pour étudier les causes des propriétés des substances (comme, dans les Mathématiques, la connaissance de ce qu’est le droit et la courbe, ou de ce qu’est la ligne et la surface, pour savoir à combien de droits les angles du triangle sont égaux), mais encore, inversement, que la connaissance des propriétés contribue, pour une grande part, à la connaissance de l’essence; c’est, en effet, quand nous pourrons rendre compte, en accord avec l’expérience de toutes les propriétés d’une substance, ou de la plu part, que nous serons le plus à même de donner une définition de cette substance. Car le principe de toute démonstration, c’est l’essence, de sorte que les définitions qui n’entraînent pas la connaissance des propriétés, ou qui ne facilitent même pas une conjecture à leur sujet, il est clair qu’elles sont toutes dialectiques et vides.
Une difficulté se présente aussi à propos des affections de l’âme: sont-elles toutes communes à l’être qui possède l’âme ou bien y en a-t-il aussi quel qu’une qui soit propre à l’âme elle-même? Le déterminer est indispensable, mais difficile. Il apparaît que, dans la plupart des cas, il n’est aucune affection que l’âme puisse, sans le corps, subir ou exercer: telle la colère, l’audace, l’appétit et, en général, la sensation. S’il est pourtant une opération qui semble par excellence propre à l’âme, c’est l’acte de penser; mais si cet acte est, lui aussi, une espèce d’imagination ou qu’il ne puisse exister indépendamment de l’imagination, il ne pourra pas davantage exister sans un corps.
Si donc il y a quelqu’une des fonctions ou des affections de l’âme qui lui soit véritablement propre l’âme pourra posséder une existence séparée du corps par contre, s’il n’y en a aucune qui lui soit propre, l’âme ne sera pas séparée, mais il en sera d’elle comme du droit, qui, en tant que droit a beaucoup d’attributs, par exemple celui d’être tangent à une sphère d’airain en un point, alors que pourtant le droit à l’état séparé ne peut la toucher ainsi: il est, en effet, inséparable puisqu’il est toujours donné avec un corps. Or il semble bien que toutes les affections de l’âme soient données avec un corps: le courage, la douceur, la crainte, la pitié, l’audace, et, encore, la joie, ainsi que l’amour et la haine; car en même temps que se produisent ces déterminations, le corps éprouve une modification. Ce qui le montre en fait, c’est que, parfois, des causes d’affections fortes et frappantes surviennent en nous, sans entraîner ni irritation, ni crainte, tandis que, d’autres fois, des causes légères et faiblement perçues suffisent à provoquer des mouvements, quand le corps est déjà surexcité et se trouve dans un état comparable à la colère. Mais voici une preuve plus claire encore en l’absence de toute cause de crainte, on peut éprouver les émotions de la peur. S’il en est ainsi, il est évident que les affections sont des formes engagées dans la matière.
Il en résulte que, dans leurs définitions, on doit tenir compte de cet état de choses on définira, par exemple, la colère un mouvement de tel corps, ou de telle partie, ou de telle faculté, produit par telle cause, pour telle fin.
Et c’est pourquoi, dès lors, l’étude de l’âme relève du physicien, soit qu’il s’agisse de l’âme tout entière, soit qu’il s’agisse de l’âme telle que nous la décrivons. Le physicien et le dialecticien défini raient ainsi différemment chacune de ces affections, ce qu’est, par exemple, la colère: pour le dernier, c’est le désir de rendre l’offense, ou quelque chose de ce genre; pour le premier, c’est l’ébullition du sang qui entoure le cœur, ou bien l’ébullition du chaud. L’un rend compte de la matière, et l’autre, de la forme et de la notion: car la notion est la forme de la chose, mais il est nécessaire qu’elle se réalise dans telle matière, si on veut qu’elle soit. C’est ainsi que la notion de la maison est la suivante elle est un abri protecteur contre la destruction causée par les vents, les pluies et les chaleurs. Mais tel la décrira comme des pierres, des briques et des poutres, tel autre encore dira qu’elle est la forme réalisée dans ces matériaux en vue de telle fin. Qui donc de ceux-ci est le physicien? Est-ce celui qui s’intéresse à la matière et qui ignore la forme, ou celui qui s’intéresse à la forme seule? N’est-ce pas plutôt celui qui tient compte de l’une et de l’autre? Et que dire de chacun des deux autres? Ne serait-ce pas qu’il n’y a personne pour traiter les déterminations de la matière qui ne sont pas séparables, pas même-en les considérant seulement en tant que séparables, mais que c’est du physicien que relèvent toutes les activités. et passivités appartenant à un corps de telle nature déterminée et à une matière de telle sorte? Quant aux propriétés des corps qui ne sont pas considérées comme leur appartenant de cette façon, c’est un autre que le physicien qui les étudiera: pour certaines, ce sera l’artisan, le cas échéant, le charpentier ou le médecin, par exemple; pour d’autres, qui, sans être séparables, ne sont pas considérées comme des déterminations d’un corps d’une nature déterminée mais proviennent d’une abstraction ce sera le mathématicien; pour celles enfin qui sont considérées comme ayant une existence entièrement séparée, ce sera le métaphysicien.
Mais reprenons notre discours. Comme nous le disions, les affections de l’âme sont inséparables de la matière physique des animaux; par suite c’est en tant que telles qu’elles leur appartiennent, le courage et la crainte, par exemple, et non pas à la façon de la ligne et de la surface.
Les connaissances de tout genre sont pour nous belles et admirables; pourtant, une connaissance peut être préférable à une autre pour deux raisons:
1° son exactitude;
2° la valeur et la supériorité de son objet.
Selon ces deux motifs, l’étude de l’âme est à situer raisonnablement au premier rang. De plus, la connaissance de l’âme apporte une grande contribution à l’étude de la vérité tout entière et surtout à la science de la nature, car l’âme est, pour résumer, le principe des animaux. Notre étude aura deux parties:
1° Connaître la nature et la substance de l'âme.
2° Connaître les propriétés qui s’y rattachent, et dont les unes semblent être des déterminations propres de l’âme elle-même, tandis que les autres appartiennent aussi, mais par elle, à l’animal.
Mais il est des plus difficiles que d’acquérir une connaissance assurée au sujet de l’âme. Cette recherche, en effet, se trouvant commune à beaucoup d’autres objets (j’entends la recherche de la substance et de l’essence), on pourrait peut-être penser qu’il n’existe qu’une seule méthode, applicable à tous les objets dont nous voulons connaître la substance (comme c’est le cas de la démonstration, pour les propriétés dérivées), de sorte que c’est cette méthode qu’il faudrait rechercher; si, d’un autre côté, il n’existe pas de méthode unique et commune pour résoudre la question de l’essence, notre tâche devient encore plus difficile, car il faudra déterminer, pour chaque cas, quel est le procédé à employer. Et même s’il était évident que ce procédé consiste en une certaine démonstration, ou en une division, ou même en une autre méthode, il resterait encore bien des problèmes et des incertitudes pour savoir de quelles données devrait partir notre investigation: car les principes sont différents pour des choses différentes, comme, par exemple, dans le cas des nombres et des surfaces.
Sans doute, est-il d’abord nécessaire de déterminer à quel genre l’âme appartient et ce qu’elle est: je veux dire, si elle est une chose individuelle et une substance a, ou une qualité, ou une quantité, ou encore quelque autre des catégories que nous avons distinguées.
Il faut déterminer, en outre, si elle est au nombre des êtres en puissance ou si elle n’est pas plutôt une entéléchie, car la différence n’est pas sans importance.
On doit aussi examiner si l’âme est partageable ou sans parties, et si toutes les âmes e sont de même espèce ou s’il n’en est rien, et, dans ce cas, si elles diffèrent entre elles par l’espèce ou par le genre: car les discussions et les investigations actuelles sur l’âme semblent porter seulement sur l’âme humaine.
D’autre part, nous devons nous garder de passer sous silence la question de savoir si la définition de l’âme est une, comme celle de l’animal, ou si elle est différente pour chaque espèce d’âme, comme pour le cheval, le chien, l’homme, le dieu; et, dans ce cas, l’animal en général ou bien n’est rien, ou bien est postérieur. La même question se pose d’ailleurs pour tout autre prédicat commun que l’on affirmerait.
De plus, en admettant qu’il n’existe pas une pluralité d’âmes, mais seulement une pluralité de parties, faut-il examiner d’abord l’âme entière ou ses parties? Il est difficile aussi de déterminer lesquelles de ces parties sont naturellement distinctes les unes de autres, et s’il faut commencer notre recherche par les parties ou par leurs fonctions: si, par exemple c’est par l’acte de l’intellect ou l’intellect, par l’acte de sentir ou la faculté sensitive, et ainsi de suite.
Et si les fonctions doivent nous retenir en premier lieu, on pourrait se demander si l’étude de leurs opposés ne devrait pas encore les précéder, par exemple le sensible avant la faculté sensitive, et l’intelligible avant l’intellect.
Et il semble bien que, non seulement la connaissance de l’essence soit utile pour étudier les causes des propriétés des substances (comme, dans les Mathématiques, la connaissance de ce qu’est le droit et la courbe, ou de ce qu’est la ligne et la surface, pour savoir à combien de droits les angles du triangle sont égaux), mais encore, inversement, que la connaissance des propriétés contribue, pour une grande part, à la connaissance de l’essence; c’est, en effet, quand nous pourrons rendre compte, en accord avec l’expérience de toutes les propriétés d’une substance, ou de la plu part, que nous serons le plus à même de donner une définition de cette substance. Car le principe de toute démonstration, c’est l’essence, de sorte que les définitions qui n’entraînent pas la connaissance des propriétés, ou qui ne facilitent même pas une conjecture à leur sujet, il est clair qu’elles sont toutes dialectiques et vides.
Une difficulté se présente aussi à propos des affections de l’âme: sont-elles toutes communes à l’être qui possède l’âme ou bien y en a-t-il aussi quel qu’une qui soit propre à l’âme elle-même? Le déterminer est indispensable, mais difficile. Il apparaît que, dans la plupart des cas, il n’est aucune affection que l’âme puisse, sans le corps, subir ou exercer: telle la colère, l’audace, l’appétit et, en général, la sensation. S’il est pourtant une opération qui semble par excellence propre à l’âme, c’est l’acte de penser; mais si cet acte est, lui aussi, une espèce d’imagination ou qu’il ne puisse exister indépendamment de l’imagination, il ne pourra pas davantage exister sans un corps.
Si donc il y a quelqu’une des fonctions ou des affections de l’âme qui lui soit véritablement propre l’âme pourra posséder une existence séparée du corps par contre, s’il n’y en a aucune qui lui soit propre, l’âme ne sera pas séparée, mais il en sera d’elle comme du droit, qui, en tant que droit a beaucoup d’attributs, par exemple celui d’être tangent à une sphère d’airain en un point, alors que pourtant le droit à l’état séparé ne peut la toucher ainsi: il est, en effet, inséparable puisqu’il est toujours donné avec un corps. Or il semble bien que toutes les affections de l’âme soient données avec un corps: le courage, la douceur, la crainte, la pitié, l’audace, et, encore, la joie, ainsi que l’amour et la haine; car en même temps que se produisent ces déterminations, le corps éprouve une modification. Ce qui le montre en fait, c’est que, parfois, des causes d’affections fortes et frappantes surviennent en nous, sans entraîner ni irritation, ni crainte, tandis que, d’autres fois, des causes légères et faiblement perçues suffisent à provoquer des mouvements, quand le corps est déjà surexcité et se trouve dans un état comparable à la colère. Mais voici une preuve plus claire encore en l’absence de toute cause de crainte, on peut éprouver les émotions de la peur. S’il en est ainsi, il est évident que les affections sont des formes engagées dans la matière.
Il en résulte que, dans leurs définitions, on doit tenir compte de cet état de choses on définira, par exemple, la colère un mouvement de tel corps, ou de telle partie, ou de telle faculté, produit par telle cause, pour telle fin.
Et c’est pourquoi, dès lors, l’étude de l’âme relève du physicien, soit qu’il s’agisse de l’âme tout entière, soit qu’il s’agisse de l’âme telle que nous la décrivons. Le physicien et le dialecticien défini raient ainsi différemment chacune de ces affections, ce qu’est, par exemple, la colère: pour le dernier, c’est le désir de rendre l’offense, ou quelque chose de ce genre; pour le premier, c’est l’ébullition du sang qui entoure le cœur, ou bien l’ébullition du chaud. L’un rend compte de la matière, et l’autre, de la forme et de la notion: car la notion est la forme de la chose, mais il est nécessaire qu’elle se réalise dans telle matière, si on veut qu’elle soit. C’est ainsi que la notion de la maison est la suivante elle est un abri protecteur contre la destruction causée par les vents, les pluies et les chaleurs. Mais tel la décrira comme des pierres, des briques et des poutres, tel autre encore dira qu’elle est la forme réalisée dans ces matériaux en vue de telle fin. Qui donc de ceux-ci est le physicien? Est-ce celui qui s’intéresse à la matière et qui ignore la forme, ou celui qui s’intéresse à la forme seule? N’est-ce pas plutôt celui qui tient compte de l’une et de l’autre? Et que dire de chacun des deux autres? Ne serait-ce pas qu’il n’y a personne pour traiter les déterminations de la matière qui ne sont pas séparables, pas même-en les considérant seulement en tant que séparables, mais que c’est du physicien que relèvent toutes les activités. et passivités appartenant à un corps de telle nature déterminée et à une matière de telle sorte? Quant aux propriétés des corps qui ne sont pas considérées comme leur appartenant de cette façon, c’est un autre que le physicien qui les étudiera: pour certaines, ce sera l’artisan, le cas échéant, le charpentier ou le médecin, par exemple; pour d’autres, qui, sans être séparables, ne sont pas considérées comme des déterminations d’un corps d’une nature déterminée mais proviennent d’une abstraction ce sera le mathématicien; pour celles enfin qui sont considérées comme ayant une existence entièrement séparée, ce sera le métaphysicien.
Mais reprenons notre discours. Comme nous le disions, les affections de l’âme sont inséparables de la matière physique des animaux; par suite c’est en tant que telles qu’elles leur appartiennent, le courage et la crainte, par exemple, et non pas à la façon de la ligne et de la surface.
Re: Aristote - Le Traité de l'âme - Peri Psyche - LIVRE I : L'ÂME.
Chapitre 2 : Les doctrines sur l’âme.
Puisque nous étudions l’âme, il est nécessaire, en même temps que de poser des problèmes que nous aurons à résoudre par la suite, de recueillir les opinions de nos devanciers qui ont professé quelque doctrine à son sujet, afin de tirer profit de ce qu’elles auront de juste, et d’éviter ce qui ne l’est pas.
Le point de départ de notre investigation, c’est d’exposer les caractères qui, de l’avis général, appartiennent éminemment à l’âme en vertu de sa nature. Or l’animé diffère de l’inanimé, semble-t-il, par deux caractères principaux: le mouvement et la sensation.
Et ce sont aussi, approximativement, ces deux conceptions que nous ont transmises nos prédécesseurs au sujet de l’âme. Certains d’entre eux, en effet, disent que l’âme est par excellence et primordialement le moteur. Et, dans la pensée que ce qui n’est pas mû soi-même est incapable de mouvoir une autre chose, ils ont cru que l’âme appartient à la classe des choses en mouvement. De là vient que DÉMOCRITE assure que l’âme est une sorte de feu et de chaleur. Ses figures ou atomes sont, en effet, infinis, et ceux qui ont la forme sphérique, il les appelle feu et âme; ils peuvent être comparés à ce qu’on nomme les poussières de l’air, qui apparaissent dans les rayons solaires à travers les fenêtres. De ces figures l’universelle réserve séminale constitue, selon lui, les éléments de la nature entière (Même théorie chez LEUCIPPE.) Et ceux d’entre ces atomes qui revêtent la forme sphérique sont identifiés avec l’âme, parce que les figures de ce genre sont les plus aptes à. pénétrer à travers toutes choses et à mouvoir le reste, attendu qu’elles sont elles-mêmes en mouvement; et ces philosophes sont d’avis que l’âme est ce qui imprime le mouvement aux animaux. C’est pourquoi aussi la respiration est pour eux le caractère essentiel de la vie. En effet, quand le milieu ambiant comprime les corps organiques et en fait sortir celles des figures qui communiquent le mouvement aux animaux parce qu’elles ne sont elles-mêmes jamais en repos, un renfort est apporté du dehors à ces atomes par l’introduction d’autres figures de même nature, dans l’acte respiratoire: car ces figures empêchent encore celles qui se trouvent déjà à l’intérieur des animaux de s’échapper, en repoussant ce qui comprime et condense. Et selon ces philosophes les animaux vivent aussi longtemps qu’ils sont capables d’exercer cette résistance Il semble aussi que la doctrine des PYTHAGORICIENS ait la même signification. Certains d’entre eux, en effet, ont déclaré que l’âme, ce sont les poussières de l’air, d’autres, que c’est ce qui les meut; et au sujet de ces poussières, on fait remarquer qu’elles nous paraissent continuellement en mouvement, même quand le calme est complet. La même tendance est celle de ceux qui définissent l’âme ce qui se meut soi-même; ils semblent tous penser, en effet, que le mouvement est le caractère le plus propre de l’âme, et que toute chose est mue par l’âme, mais que celle-ci se meut par elle- même; la raison en est qu’on ne voit aucun moteur qui ne soit lui-même mû. De même encore ANAXAGORE assure que l’âme est la cause motrice, et c’est aussi l’opinion de tout autre philosophe s’il en fut, qui a admis que l’intelligence a imprimé le mouvement à l’Univers. La position d’ANAXAGORE n’est cependant pas tout à fait celle de DÉMOCRITE. Celui-ci, en effet, identifie absolument âme et intelligence, puisque, selon lui, le vrai c’est ce qui apparaît aussi approuve-t-il HOMÈRE de dire dans un vers que "Hector était étendu, la raison égarée "; il ne traite donc pas l’intelligence comme une faculté de con naître la vérité, mais il identifie âme et intelligence. ANAXMIORE, lui, s’exprime moins clairement à leur sujet: à maintes reprises, il assure que la cause du beau et de l’ordre, c’est l’intelligence, mais ailleurs il identifie l’intelligence avec l’âme, puisqu’il l’attribue à tous les animaux, grands et petits, supérieurs et inférieurs. Or il n’apparaît pourtant pas que l’intelligence entendue au sens de prudence appartienne également à tous les animaux, ni même à tous les hommes. Ainsi, tous les philosophes qui ont porté leur attention sur le fait que l’animé se meut, ont considéré l’âme comme le moteur par excellence. Au contraire ceux qui se sont attachés surtout au fait que l’animé connaît et perçoit les êtres, ceux-là disent que l’âme consiste dans les principes: pour ceux qui admettent plusieurs principes, l’âme est identique à ces principes, et pour ceux qui n’en admettent qu’un, l’âme est ce principe même. C’est ainsi qu’EMPÉDOCLE déclare qu’elle est composée de tous les éléments, chacun de ces éléments étant aussi une âme Voici, du reste, ses propres paroles:
"C’est par la terre que nous voyons la terre, par l’eau, l’eau,
"Par l’éther, le divin éther, le feu par le feu,
"Par l’amour, l’amour, et la haine par la triste haine."
De là même manière, PLATON, dans le Timée, façonne l’âme à partir des éléments, car pour lui le semblable est connu par le semblable, et les choses sont constituées par les principes. De même aussi, dans ses leçons sur la Philosophie, on trouve établi que l’Animal-en-soi provient de l’Idée même de l’Un, et de la longueur, de la largeur et de la profondeur premières, et que les autres êtres sont aussi composés d’une manière semblable. PLATON s’exprime encore autrement: l’intelligence est l’Un, et la science, le deux, car elle s’avance, d’une direction unique vers un seul point; le nombre de la surface est l’opinion, et celui du volume, la sensation. Les nombres, en effet, étaient expressément identifiés avec les Idées mêmes et lés principes, et ils sont constitués à partir des éléments; d’autre part, les choses sont saisies, les unes par l’intelligence, d’autres par la science, d’autres encore par l’opinion, d’autres enfin par la sensation, et ces nombres sont en même temps les Idées des choses. Et comme il leur semblait que l’âme est aussi bien motrice que cognitive de cette manière, certains philosophes l’ont façonnée à partir de ces deux principes, en déclarant que l’âme est un nombre qui se meut lui-même. Mais les opinions diffèrent au sujet de la nature et du nombre des principes; la différence existe surtout entre ceux qui les font corporels et ceux qui les fonts incorporels, et de tous ceux-là diffèrent également ceux qui opèrent un mélange et a qui tirent des deux sources la définition de leurs principes. Les divergences s’appliquent aussi au nombre des principes: les uns disent qu’il n’y en a qu’un, les autres, plusieurs. Et c’est en demeurant conséquents avec leurs doctrines qu’ils ont rendu compte de la nature de l’âme: ils ont cru, non sans raison, que ce qui est naturellement moteur fait partie des principes. D’où l’opinion est venue à certains philosophes que l’âme est feu, car le feu est le plus subtil et le plus incorporel des éléments et, en outre, c’est lui qui, primitivement, est mû et meut les autres choses. DÉMOCRITE s’est exprimé d’une façon plus ingénieuse et a montré la raison pour laquelle chacun de ces deux caractères appartient à l’âme: l’âme et l’intelligence sont, dit-il, une seule réalité, cette réalité est l’un des corps premiers et indivisibles, et elle est motrice en raison de la subtilité et de la figure de ses atomes; d’autre part, il assure que, de toutes les formes, la forme sphérique est la plus aisée à mouvoir, et que telle est précisément la forme de l’intelligence et du feu. ANAXAGORE, qui semble soutenir que l’âme est une chose distincte de l’intelligence, ainsi que nous l’avons indiqué plus haut, traite en réalité l’une et l’autre comme une nature unique, excepté toutefois que c’est de préférence l’intelligence qu’il pose comme principe de tous les êtres; en tout cas, il assure que, seule de tous les êtres, elle est simple, sans mélange et pure Et il assigne au même principe les deux puissances, savoir la connaissance et la motricité, quand il dit que c’est l’intelligence qui a mis en mouvement l’Univers. Il semble aussi que THALÈS, d’après ce qu’on rapporte, ait pensé que l’âme est une force motrice, s’il est vrai qu’il a pré- tendu que la pierre d’aimant possède une âme parce qu’elle attire le fer. Pour DIOGÈNE (comme aussi pour certains autres), l’âme, c’est l’air, car il pensait que l’air est le plus subtil de tous les corps et le principe même; et telle est la raison pour laquelle l’âme connaît et meut: en tant que l’air est premier et que le reste en dérive, il connaît, et en tant qu’il est le plus subtil, des corps, il est moteur. HÉRACLITE prend aussi l’âme pour principe, puisqu’elle est, selon lui, l’exhalaison dont les autres choses sont constituées. Il ajoute que ce principe est ce qu’il y a de plus incorporel, et qu’il est en un flux perpétuel; que, d’autre part, le mû est connu par le mû, car, pour lui, comme pour la plupart des philosophes, tous les êtres sont en mouvement. Sensiblement la même paraît avoir été l’opinion d’ALCMÉON sur l’âme. Il prétend, en effet, qu’elle est immortelle par sa ressemblance avec les êtres immortels, et que cette ressemblance lui appartient en vertu de son éternel mouvement, car toutes les choses divines se meuvent toujours d’une façon continue, la Lune, le Soleil, les astres et. Ciel tout entier. Parmi les philosophes d’une pensée plus superficielle, certains ont professé même que l’âme est eau, par exemple HIPPON; leur conviction semble provenir du fait que la semence, chez tous les animaux, est humide car HIPPON réfute ceux qui prétendent que l’âme est le sang, en disant que la semence n’est pas du sang et que c’est elle qui est l’âme primitive. D’autres, comme CRITIAS, ont soutenu que l’âme est le sang, dans la pensée que la sensation est l’attribut le plus propre de l’âme, et que cet attribut est dû à la nature du sang. Car tous les éléments ont trouvé leur défenseur, à l’exception de la terre: celle-ci, personne ne l’a adoptée, sauf celui-là, s’il en fut, qui a déclaré que l’âme provient de tous les éléments, ou qu’elle est tous les éléments. Ainsi donc, tous ces philosophes définissent l’âme par trois caractères, peut-on dire: le mouvement, la sensation, l’incorporéité, et chacun de ces caractères est rapporté aux principes posés C’est pourquoi ceux qui définissent l’âme par la connais s font d’elle soit un élément, soit un composé l’éléments professant ainsi, à l’exception d’un seul, des opinions voisines les unes des autres. Ils disent, en effet, que le semblable est connu par le semblable, et, comme l’âme connaît toutes choses, ils la constituent à partir de tous les principes. Ainsi, les philosophes qui n’admettent qu’une seule cause et qu’un seul élément, par exemple le feu ou l’air, posent l’âme comme formée aussi d’un seul élément, tandis que ceux qui reconnaissent une pluralité de principes introduisent aussi la pluralité dans sa composition. ANAXAGORE est à sou tenir que l’intelligence est impassible et qu’elle n’a rien de commun avec aucune autre chose. Mais si telle est sa nature, comment connaîtra-t-elle et par quelle cause? ANAXAGORE ne l’a pas expliqué, et on ne peut pas non plus l’inférer clairement de ses paroles. Tous ceux qui introduisent des contrariétés dans leurs principes constituent aussi l’âme à partir des contraires; par contre, ceux qui n’ad mettent comme principes que l’un ou l’autre des deux contraires, par exemple le chaud ou le froid, ou quelque autre qualité de ce genre, réduisent pareille- ment l’âme à l’un ou l’autre de ces contraires. C’est aussi pourquoi ils se laissent guider par les dénominations: ceux qui identifient l’âme avec le chaud assurent que c’est pour cela que le mot v a été créé; ceux qui, au contraire, l’identifient avec le froid, affirment que c’est à cause de la respiration et du refroidissement qu’elle est appelée souffle. Telles sont donc les opinions traditionnelles sur l’âme et les raisons pour lesquelles on s’est prononcé de cette façon.
Puisque nous étudions l’âme, il est nécessaire, en même temps que de poser des problèmes que nous aurons à résoudre par la suite, de recueillir les opinions de nos devanciers qui ont professé quelque doctrine à son sujet, afin de tirer profit de ce qu’elles auront de juste, et d’éviter ce qui ne l’est pas.
Le point de départ de notre investigation, c’est d’exposer les caractères qui, de l’avis général, appartiennent éminemment à l’âme en vertu de sa nature. Or l’animé diffère de l’inanimé, semble-t-il, par deux caractères principaux: le mouvement et la sensation.
Et ce sont aussi, approximativement, ces deux conceptions que nous ont transmises nos prédécesseurs au sujet de l’âme. Certains d’entre eux, en effet, disent que l’âme est par excellence et primordialement le moteur. Et, dans la pensée que ce qui n’est pas mû soi-même est incapable de mouvoir une autre chose, ils ont cru que l’âme appartient à la classe des choses en mouvement. De là vient que DÉMOCRITE assure que l’âme est une sorte de feu et de chaleur. Ses figures ou atomes sont, en effet, infinis, et ceux qui ont la forme sphérique, il les appelle feu et âme; ils peuvent être comparés à ce qu’on nomme les poussières de l’air, qui apparaissent dans les rayons solaires à travers les fenêtres. De ces figures l’universelle réserve séminale constitue, selon lui, les éléments de la nature entière (Même théorie chez LEUCIPPE.) Et ceux d’entre ces atomes qui revêtent la forme sphérique sont identifiés avec l’âme, parce que les figures de ce genre sont les plus aptes à. pénétrer à travers toutes choses et à mouvoir le reste, attendu qu’elles sont elles-mêmes en mouvement; et ces philosophes sont d’avis que l’âme est ce qui imprime le mouvement aux animaux. C’est pourquoi aussi la respiration est pour eux le caractère essentiel de la vie. En effet, quand le milieu ambiant comprime les corps organiques et en fait sortir celles des figures qui communiquent le mouvement aux animaux parce qu’elles ne sont elles-mêmes jamais en repos, un renfort est apporté du dehors à ces atomes par l’introduction d’autres figures de même nature, dans l’acte respiratoire: car ces figures empêchent encore celles qui se trouvent déjà à l’intérieur des animaux de s’échapper, en repoussant ce qui comprime et condense. Et selon ces philosophes les animaux vivent aussi longtemps qu’ils sont capables d’exercer cette résistance Il semble aussi que la doctrine des PYTHAGORICIENS ait la même signification. Certains d’entre eux, en effet, ont déclaré que l’âme, ce sont les poussières de l’air, d’autres, que c’est ce qui les meut; et au sujet de ces poussières, on fait remarquer qu’elles nous paraissent continuellement en mouvement, même quand le calme est complet. La même tendance est celle de ceux qui définissent l’âme ce qui se meut soi-même; ils semblent tous penser, en effet, que le mouvement est le caractère le plus propre de l’âme, et que toute chose est mue par l’âme, mais que celle-ci se meut par elle- même; la raison en est qu’on ne voit aucun moteur qui ne soit lui-même mû. De même encore ANAXAGORE assure que l’âme est la cause motrice, et c’est aussi l’opinion de tout autre philosophe s’il en fut, qui a admis que l’intelligence a imprimé le mouvement à l’Univers. La position d’ANAXAGORE n’est cependant pas tout à fait celle de DÉMOCRITE. Celui-ci, en effet, identifie absolument âme et intelligence, puisque, selon lui, le vrai c’est ce qui apparaît aussi approuve-t-il HOMÈRE de dire dans un vers que "Hector était étendu, la raison égarée "; il ne traite donc pas l’intelligence comme une faculté de con naître la vérité, mais il identifie âme et intelligence. ANAXMIORE, lui, s’exprime moins clairement à leur sujet: à maintes reprises, il assure que la cause du beau et de l’ordre, c’est l’intelligence, mais ailleurs il identifie l’intelligence avec l’âme, puisqu’il l’attribue à tous les animaux, grands et petits, supérieurs et inférieurs. Or il n’apparaît pourtant pas que l’intelligence entendue au sens de prudence appartienne également à tous les animaux, ni même à tous les hommes. Ainsi, tous les philosophes qui ont porté leur attention sur le fait que l’animé se meut, ont considéré l’âme comme le moteur par excellence. Au contraire ceux qui se sont attachés surtout au fait que l’animé connaît et perçoit les êtres, ceux-là disent que l’âme consiste dans les principes: pour ceux qui admettent plusieurs principes, l’âme est identique à ces principes, et pour ceux qui n’en admettent qu’un, l’âme est ce principe même. C’est ainsi qu’EMPÉDOCLE déclare qu’elle est composée de tous les éléments, chacun de ces éléments étant aussi une âme Voici, du reste, ses propres paroles:
"C’est par la terre que nous voyons la terre, par l’eau, l’eau,
"Par l’éther, le divin éther, le feu par le feu,
"Par l’amour, l’amour, et la haine par la triste haine."
De là même manière, PLATON, dans le Timée, façonne l’âme à partir des éléments, car pour lui le semblable est connu par le semblable, et les choses sont constituées par les principes. De même aussi, dans ses leçons sur la Philosophie, on trouve établi que l’Animal-en-soi provient de l’Idée même de l’Un, et de la longueur, de la largeur et de la profondeur premières, et que les autres êtres sont aussi composés d’une manière semblable. PLATON s’exprime encore autrement: l’intelligence est l’Un, et la science, le deux, car elle s’avance, d’une direction unique vers un seul point; le nombre de la surface est l’opinion, et celui du volume, la sensation. Les nombres, en effet, étaient expressément identifiés avec les Idées mêmes et lés principes, et ils sont constitués à partir des éléments; d’autre part, les choses sont saisies, les unes par l’intelligence, d’autres par la science, d’autres encore par l’opinion, d’autres enfin par la sensation, et ces nombres sont en même temps les Idées des choses. Et comme il leur semblait que l’âme est aussi bien motrice que cognitive de cette manière, certains philosophes l’ont façonnée à partir de ces deux principes, en déclarant que l’âme est un nombre qui se meut lui-même. Mais les opinions diffèrent au sujet de la nature et du nombre des principes; la différence existe surtout entre ceux qui les font corporels et ceux qui les fonts incorporels, et de tous ceux-là diffèrent également ceux qui opèrent un mélange et a qui tirent des deux sources la définition de leurs principes. Les divergences s’appliquent aussi au nombre des principes: les uns disent qu’il n’y en a qu’un, les autres, plusieurs. Et c’est en demeurant conséquents avec leurs doctrines qu’ils ont rendu compte de la nature de l’âme: ils ont cru, non sans raison, que ce qui est naturellement moteur fait partie des principes. D’où l’opinion est venue à certains philosophes que l’âme est feu, car le feu est le plus subtil et le plus incorporel des éléments et, en outre, c’est lui qui, primitivement, est mû et meut les autres choses. DÉMOCRITE s’est exprimé d’une façon plus ingénieuse et a montré la raison pour laquelle chacun de ces deux caractères appartient à l’âme: l’âme et l’intelligence sont, dit-il, une seule réalité, cette réalité est l’un des corps premiers et indivisibles, et elle est motrice en raison de la subtilité et de la figure de ses atomes; d’autre part, il assure que, de toutes les formes, la forme sphérique est la plus aisée à mouvoir, et que telle est précisément la forme de l’intelligence et du feu. ANAXAGORE, qui semble soutenir que l’âme est une chose distincte de l’intelligence, ainsi que nous l’avons indiqué plus haut, traite en réalité l’une et l’autre comme une nature unique, excepté toutefois que c’est de préférence l’intelligence qu’il pose comme principe de tous les êtres; en tout cas, il assure que, seule de tous les êtres, elle est simple, sans mélange et pure Et il assigne au même principe les deux puissances, savoir la connaissance et la motricité, quand il dit que c’est l’intelligence qui a mis en mouvement l’Univers. Il semble aussi que THALÈS, d’après ce qu’on rapporte, ait pensé que l’âme est une force motrice, s’il est vrai qu’il a pré- tendu que la pierre d’aimant possède une âme parce qu’elle attire le fer. Pour DIOGÈNE (comme aussi pour certains autres), l’âme, c’est l’air, car il pensait que l’air est le plus subtil de tous les corps et le principe même; et telle est la raison pour laquelle l’âme connaît et meut: en tant que l’air est premier et que le reste en dérive, il connaît, et en tant qu’il est le plus subtil, des corps, il est moteur. HÉRACLITE prend aussi l’âme pour principe, puisqu’elle est, selon lui, l’exhalaison dont les autres choses sont constituées. Il ajoute que ce principe est ce qu’il y a de plus incorporel, et qu’il est en un flux perpétuel; que, d’autre part, le mû est connu par le mû, car, pour lui, comme pour la plupart des philosophes, tous les êtres sont en mouvement. Sensiblement la même paraît avoir été l’opinion d’ALCMÉON sur l’âme. Il prétend, en effet, qu’elle est immortelle par sa ressemblance avec les êtres immortels, et que cette ressemblance lui appartient en vertu de son éternel mouvement, car toutes les choses divines se meuvent toujours d’une façon continue, la Lune, le Soleil, les astres et. Ciel tout entier. Parmi les philosophes d’une pensée plus superficielle, certains ont professé même que l’âme est eau, par exemple HIPPON; leur conviction semble provenir du fait que la semence, chez tous les animaux, est humide car HIPPON réfute ceux qui prétendent que l’âme est le sang, en disant que la semence n’est pas du sang et que c’est elle qui est l’âme primitive. D’autres, comme CRITIAS, ont soutenu que l’âme est le sang, dans la pensée que la sensation est l’attribut le plus propre de l’âme, et que cet attribut est dû à la nature du sang. Car tous les éléments ont trouvé leur défenseur, à l’exception de la terre: celle-ci, personne ne l’a adoptée, sauf celui-là, s’il en fut, qui a déclaré que l’âme provient de tous les éléments, ou qu’elle est tous les éléments. Ainsi donc, tous ces philosophes définissent l’âme par trois caractères, peut-on dire: le mouvement, la sensation, l’incorporéité, et chacun de ces caractères est rapporté aux principes posés C’est pourquoi ceux qui définissent l’âme par la connais s font d’elle soit un élément, soit un composé l’éléments professant ainsi, à l’exception d’un seul, des opinions voisines les unes des autres. Ils disent, en effet, que le semblable est connu par le semblable, et, comme l’âme connaît toutes choses, ils la constituent à partir de tous les principes. Ainsi, les philosophes qui n’admettent qu’une seule cause et qu’un seul élément, par exemple le feu ou l’air, posent l’âme comme formée aussi d’un seul élément, tandis que ceux qui reconnaissent une pluralité de principes introduisent aussi la pluralité dans sa composition. ANAXAGORE est à sou tenir que l’intelligence est impassible et qu’elle n’a rien de commun avec aucune autre chose. Mais si telle est sa nature, comment connaîtra-t-elle et par quelle cause? ANAXAGORE ne l’a pas expliqué, et on ne peut pas non plus l’inférer clairement de ses paroles. Tous ceux qui introduisent des contrariétés dans leurs principes constituent aussi l’âme à partir des contraires; par contre, ceux qui n’ad mettent comme principes que l’un ou l’autre des deux contraires, par exemple le chaud ou le froid, ou quelque autre qualité de ce genre, réduisent pareille- ment l’âme à l’un ou l’autre de ces contraires. C’est aussi pourquoi ils se laissent guider par les dénominations: ceux qui identifient l’âme avec le chaud assurent que c’est pour cela que le mot v a été créé; ceux qui, au contraire, l’identifient avec le froid, affirment que c’est à cause de la respiration et du refroidissement qu’elle est appelée souffle. Telles sont donc les opinions traditionnelles sur l’âme et les raisons pour lesquelles on s’est prononcé de cette façon.
Re: Aristote - Le Traité de l'âme - Peri Psyche - LIVRE I : L'ÂME.
Chapitre 3 : L'âme se meut-elle elle-même?
Il faut examiner d’abord ce qui concerne le mouvement. Sans doute, en effet, non seulement il est faux de se représenter la substance de l’âme comme à ceux qui définissent l’âme ce qui se meut soi-même ou est capable de se mouvoir soi-même, mais encore il est complètement impossible que le mouvement appartienne à l’âme. Que le moteur ne soit pas nécessairement mû lui- même, c’est ce que nous avons établi antérieurement Toute chose peut se mouvoir de deux façons: ou bien par autre chose, ou bien par elle- même. Se meut par autre chose, disons-nous tout ce qui est mû par le fait d’être contenu dans une chose mue, par exemple les matelots, lesquels ne se meuvent pas de la même façon que le bateau. Celui-ci se meut par lui-même, et les matelots parce qu’ils se trouvent dans le bateau en mouvement. Cela est évident si on considère leurs membres: en effet, le mouvement propre des pieds est la marche, qui est aussi le mouvement propre de l’homme; or la marche n’est pas alors attribuée aux matelots. Le terme " être mû " pouvant s’entendre de ces deux façons, nous avons maintenant à examiner au sujet de l’âme, si elle se meut par elle-même et si elle a le mouvement en partage. Les mouvements étant de quatre espèces, translation, altération, diminution et accroissement, c’est soit de l’un d’eux que l’âme pourra se mouvoir, soit de plusieurs, soit de tous. Or si elle n’est pas mue par accident, c’est naturellement qu’elle possèdera le mouvement. Mais s’il en est ainsi, elle sera aussi dans un lieu, car tous les mouvements dont nous venons de parler sont dans le lieu. De plus, si l’essence de l’âme est de se mouvoir soi-même, ce n’est pas par accident que le mouvement lui appartiendra, comme c’est le cas pour le blanc ou le long-de-trois-coudées: ces déterminations se meuvent bien aussi, mais seulement par accident, car c’est le sujet auquel elles appartiennent qui se meut en réalité, c’est-à-dire le corps; et telle est la raison pour laquelle il n’y a pas de lieu naturel pour elles. Mais l’âme en aura un, s’il est vrai qu’elle a naturellement le mouvement en partage. — De plus, si l’âme se meut naturellement, elle pourra aussi être mue d’un mouvement forcé; et si elle est mue d’un mouvement forcé, elle pourra aussi se mouvoir naturellement Et il en est de même en ce qui concerne le repos, car le terminus ad quem du mouvement naturel d’une chose est aussi le lieu de son repos naturel, et, pareillement, le terminus ad quem de son mouvement forcé est le lieu de son repos forcé. Mais quels pourront bien être les mouvements ou les repos forcés de l’âme? Même en voulant l’imaginer il n’est pas facile d’en rendre compte. De plus, si elle se meut vers le haut, l’âme sera feu, et si c’est vers le bas, elle sera terre car tels sont les mouvements de ces corps Et le même raisonnement s’appliquera aussi aux mouvements intermédiaires. Autre difficulté: puisqu’il apparaît en fait que l’âme meut le corps, on peut raisonnablement supposer qu’elle lui imprime les mouvements par lesquels elle est elle-même mue; mais s’il en est ainsi, il est vrai de dire, inversement, que le mouvement par lequel le corps se meut est aussi celui qui meut l’âme. Or le corps se mouvant par translation l’âme devrait aussi changer de la même façon que lui, se déplaçant soit dans sa totalité, soit dans ses parties j. Mais si cela était possible, il serait possible également qu’elle s’éloignât du corps et qu’elle y rentrât, et il en résulterait que les animaux morts pourraient ressusciter. Mais dira-t-on un mouvement par accident peut aussi être imprimé à l’âme par autre chose qu’elle- même, puisque l’animal peut être poussé par un mouvement forcé. Certes, mais alors il ne faut pas admettre qu’une chose essentiellement mobile par soi puisse être mue par une autre chose, sinon par accident, pas plus que ce qui est bon par soi ou pour soi ne peut l’être par autre chose ou en vue d’autre chose. Et, en supposant que l’âme soit mue, c’est par les choses sensibles qu’on pourra soutenir, avec le plus de vraisemblance, qu’elle est mue. Mais, en outre, dire que l’âme se meut elle-même, c’est dire que c’est elle-même qui sera mue; de sorte que, tout mouvement étant un déplacement du mû en tant qu’il est mû, l’âme sera dépouillée de sa substance, si du moins ce n’est pas par accident qu’elle se meut elle-même, mais si le mouvement appartient à sa substance même, par soi. Certains philosophes soutiennent même que l’âme meut le corps dans lequel elle réside, de la façon dont elle se meut elle-même. Telle est, par exemple, l’opinion de DÉMOCRITE, lequel s’exprime à peu près comme PHILIPPE, l’auteur comique. Ce dernier dit, en effet, que Dédale rendit mobile son Aphrodite de bois en y versant du vif-argent. Or c’est de la même façon que s’exprime DÉMOCRITE: il dit, en effet, que les sphères indivisibles, qui sont en mouvement parce qu’il est de leur nature de ne jamais demeurer en repos, entraînent et meuvent le corps entier. Mais nous demanderons, à notre tour, si ce sont ces mêmes atomes qui produisent aussi le repos. Comment ils le produiraient, voilà qui est difficile, ou même im possible, à expliquer Et, en général, il n’apparaît pas que ce soit de cette façon que l’âme meut l’animal; c’est en réalité par un certain choix et une certaine pensée C’est de la même manière également que le Timée donne une explication physique de l’action motrice de l’âme sur le corps. L’âme, en effet, se mouvant elle-même, meut aussi le corps, en raison de ce qu’elle est entrelacée avec lui. Car, après l’avoir constituée à partir des éléments et l’avoir partagée selon les nombres harmoniques, afin qu’elle eût en elle un sentiment inné de l’harmonie et que l’Univers accomplît des mouvements harmonieux, le démiurge a courbé en cercle la dimension rectiligne, et, ayant divisé l’unité en deux cercles rattachés en deux points, il a divisé l’un de ces cercles, à son tour, en sept cercles, étant donné que dans ce système les révolutions du Ciel sont les mouvements mêmes de l'âme. Mais en premier lieu, il est faux de soutenir que l'âme soit une grandeur. Il est évident en effet, que, dans l’intention du Timée, l’âme du Monde est de la nature de ce qui est nommé l’intellect, car elle ne peut assurément être comparée à l’âme sensitive ou à l’âme appétitive, dont le mouvement n’est pas une translation circulaire. Or l’intellect est un et continu à. la façon de l’intellection, et l’intellection est identique à ses concepts. D’autre part, ceux-ci ont une unité de consécution comme le nombre, mais non comme la grandeur. C’est pourquoi l’intellect, non plus, n’est pas continu en ce dernier sens, mais ou bien il est impartageable, ou bien il est continu, mais non comme une grandeur. Comment, en effet, pensera-t-il, étant une grandeur? Sera-ce par sa totalité ou par l’une quelconque de ses parties? Par une partie, c’est-à-dire soit selon une grandeur, soit selon un point (si l’on doit, du moins, appeler ce dernier une partie). Si donc c’est selon un point, les points étant infinis en nombre, il est clair que jamais l’intellect ne pourra les parcourir. Si c’est selon une grandeur, il pensera plusieurs fois, ou même un nombre infini de fois, le même objet. Or, manifestement, il- ne le petit faire qu’une fois. Et s’il suffit pour lui d’entrer en contact par l’une quelconque de ses parties, pourquoi exiger qu’il se meuve circulairement ou même, absolu ment, -qu’il ait une grandeur? Mais s’il est nécessaire, pour qu’il pense, qu’il y ait contact par le cercle entier, que devient le contact par les parties? Et, de plus, comment pensera-t-il le partageable par l’impartageable, ou l’impartageable par le partageable? Et il est nécessaire que l’intellect soit ce cercle-là, car, pour l’esprit, son mouvement est l’intellection, et, pour le cercle, la translation circulaire. Si donc l’intellection est la translation circulaire, l’intellect sera le cercle doué d’une telle translation circulaire, savoir l’intellection. Mais quel objet pensera-t-il donc éternellement Il faut bien qu’il y en ait un, si la translation circulaire est éternelle. Pour les pensées pratiques, en effet, il existe des limites (car toutes ont en vue une autre chose), et les pensées théorétiques sont limitées de la même manière que leurs expressions logiques. Or toute expression logique est définition ou démonstration. La démonstration part d’un principe, et a en quelque sorte pour fin le syllogisme ou la conclusion; et même si les démonstrations ne sont pas limitées, du moins ne reviennent-elles pas sur elles-mêmes dans la direction du principe, mais, par l’adjonction successive d’un moyen et d’un extrême, elles s’avancent en ligne droite. Les définitions sont également toutes limitées. De plus puisque la même translation circulaire s’accomplit plusieurs fois, il faudra que l’intellect pense plusieurs fois le même objet. De plus, l’intellect ressemble davantage à un repos ou à un arrêt qu’à un mouvement, et il en est de même du syllogisme. Et, d’autre part, n’est pas souverainement heureux ce qui est difficile et forcé. Or si le mouvement de l’âme est la négation de son essence, c’est contrairement à sa nature qu’elle sera mue. Il est pénible aussi d’être mêlé au corps sans pouvoir s’en délier, et, de plus, c’est à éviter, s’il est vrai qu’il est meilleur pour l’intellect de ne pas être uni à un corps, comme on a coutume de le dire et comme beaucoup en conviennent. De plus, la cause de la translation circulaire du Ciel demeure obscure: ce n’est pas la substance de l'âme qui est la cause de ce mouvement circulaire, mais c’est par accident que l’âme se meut ainsi; ce n ‘est pas non plus le corps qui est cette cause ce serait plutôt encore l’âme que le corps. On ne dit même pas que ce soit meilleur ainsi. Et pourtant il faudrait que la raison pour laquelle Dieu fait l’âme se mouvoir en cercle fût qu’il est meilleur pour elle de se mouvoir que de rester en repos, et de se mouvoir ainsi plutôt qu'autrement. Mais puisqu'un examen de cette sorte est plus approprié à d’autres études, laissons-le de côté pour le moment. Voici encore une absurdité en traînée par cette doctrine et par la plupart de celles qui traitent de l’âme c’est qu’elles unissent et placent l’âme dans un corps, sans préciser en rien la raison de cette union, ni comment le corps se comporte. Pourtant il peut sembler qu’une telle explication soit indispensable: car c’est en vertu de leur communauté que l’une agit et l’autre pâtit, que l’un est mû et l’autre meut; et aucun de ces rapports réciproques n’appartient à des choses prises au hasard. Or ces philosophes s’efforcent seulement d’expliquer la nature de l’âme, mais, en ce qui concerne le corps qui la recevra, ils n’apportent aucune détermination supplémentaire: comme s’il était possible que, conformément aux mythes pythagoriciens, une âme quelconque pût revêtir un corps quelconque! C’est absurde, car il semble bien que chaque corps possède une forme et une figure qui lui est propre, et c’est s’exprimer à peu près comme si on disait que l’art du charpentier peut descendre dans des flûtes: il faut, en effet, que l’art se serve de ses outils, et l’âme de son corps.
Il faut examiner d’abord ce qui concerne le mouvement. Sans doute, en effet, non seulement il est faux de se représenter la substance de l’âme comme à ceux qui définissent l’âme ce qui se meut soi-même ou est capable de se mouvoir soi-même, mais encore il est complètement impossible que le mouvement appartienne à l’âme. Que le moteur ne soit pas nécessairement mû lui- même, c’est ce que nous avons établi antérieurement Toute chose peut se mouvoir de deux façons: ou bien par autre chose, ou bien par elle- même. Se meut par autre chose, disons-nous tout ce qui est mû par le fait d’être contenu dans une chose mue, par exemple les matelots, lesquels ne se meuvent pas de la même façon que le bateau. Celui-ci se meut par lui-même, et les matelots parce qu’ils se trouvent dans le bateau en mouvement. Cela est évident si on considère leurs membres: en effet, le mouvement propre des pieds est la marche, qui est aussi le mouvement propre de l’homme; or la marche n’est pas alors attribuée aux matelots. Le terme " être mû " pouvant s’entendre de ces deux façons, nous avons maintenant à examiner au sujet de l’âme, si elle se meut par elle-même et si elle a le mouvement en partage. Les mouvements étant de quatre espèces, translation, altération, diminution et accroissement, c’est soit de l’un d’eux que l’âme pourra se mouvoir, soit de plusieurs, soit de tous. Or si elle n’est pas mue par accident, c’est naturellement qu’elle possèdera le mouvement. Mais s’il en est ainsi, elle sera aussi dans un lieu, car tous les mouvements dont nous venons de parler sont dans le lieu. De plus, si l’essence de l’âme est de se mouvoir soi-même, ce n’est pas par accident que le mouvement lui appartiendra, comme c’est le cas pour le blanc ou le long-de-trois-coudées: ces déterminations se meuvent bien aussi, mais seulement par accident, car c’est le sujet auquel elles appartiennent qui se meut en réalité, c’est-à-dire le corps; et telle est la raison pour laquelle il n’y a pas de lieu naturel pour elles. Mais l’âme en aura un, s’il est vrai qu’elle a naturellement le mouvement en partage. — De plus, si l’âme se meut naturellement, elle pourra aussi être mue d’un mouvement forcé; et si elle est mue d’un mouvement forcé, elle pourra aussi se mouvoir naturellement Et il en est de même en ce qui concerne le repos, car le terminus ad quem du mouvement naturel d’une chose est aussi le lieu de son repos naturel, et, pareillement, le terminus ad quem de son mouvement forcé est le lieu de son repos forcé. Mais quels pourront bien être les mouvements ou les repos forcés de l’âme? Même en voulant l’imaginer il n’est pas facile d’en rendre compte. De plus, si elle se meut vers le haut, l’âme sera feu, et si c’est vers le bas, elle sera terre car tels sont les mouvements de ces corps Et le même raisonnement s’appliquera aussi aux mouvements intermédiaires. Autre difficulté: puisqu’il apparaît en fait que l’âme meut le corps, on peut raisonnablement supposer qu’elle lui imprime les mouvements par lesquels elle est elle-même mue; mais s’il en est ainsi, il est vrai de dire, inversement, que le mouvement par lequel le corps se meut est aussi celui qui meut l’âme. Or le corps se mouvant par translation l’âme devrait aussi changer de la même façon que lui, se déplaçant soit dans sa totalité, soit dans ses parties j. Mais si cela était possible, il serait possible également qu’elle s’éloignât du corps et qu’elle y rentrât, et il en résulterait que les animaux morts pourraient ressusciter. Mais dira-t-on un mouvement par accident peut aussi être imprimé à l’âme par autre chose qu’elle- même, puisque l’animal peut être poussé par un mouvement forcé. Certes, mais alors il ne faut pas admettre qu’une chose essentiellement mobile par soi puisse être mue par une autre chose, sinon par accident, pas plus que ce qui est bon par soi ou pour soi ne peut l’être par autre chose ou en vue d’autre chose. Et, en supposant que l’âme soit mue, c’est par les choses sensibles qu’on pourra soutenir, avec le plus de vraisemblance, qu’elle est mue. Mais, en outre, dire que l’âme se meut elle-même, c’est dire que c’est elle-même qui sera mue; de sorte que, tout mouvement étant un déplacement du mû en tant qu’il est mû, l’âme sera dépouillée de sa substance, si du moins ce n’est pas par accident qu’elle se meut elle-même, mais si le mouvement appartient à sa substance même, par soi. Certains philosophes soutiennent même que l’âme meut le corps dans lequel elle réside, de la façon dont elle se meut elle-même. Telle est, par exemple, l’opinion de DÉMOCRITE, lequel s’exprime à peu près comme PHILIPPE, l’auteur comique. Ce dernier dit, en effet, que Dédale rendit mobile son Aphrodite de bois en y versant du vif-argent. Or c’est de la même façon que s’exprime DÉMOCRITE: il dit, en effet, que les sphères indivisibles, qui sont en mouvement parce qu’il est de leur nature de ne jamais demeurer en repos, entraînent et meuvent le corps entier. Mais nous demanderons, à notre tour, si ce sont ces mêmes atomes qui produisent aussi le repos. Comment ils le produiraient, voilà qui est difficile, ou même im possible, à expliquer Et, en général, il n’apparaît pas que ce soit de cette façon que l’âme meut l’animal; c’est en réalité par un certain choix et une certaine pensée C’est de la même manière également que le Timée donne une explication physique de l’action motrice de l’âme sur le corps. L’âme, en effet, se mouvant elle-même, meut aussi le corps, en raison de ce qu’elle est entrelacée avec lui. Car, après l’avoir constituée à partir des éléments et l’avoir partagée selon les nombres harmoniques, afin qu’elle eût en elle un sentiment inné de l’harmonie et que l’Univers accomplît des mouvements harmonieux, le démiurge a courbé en cercle la dimension rectiligne, et, ayant divisé l’unité en deux cercles rattachés en deux points, il a divisé l’un de ces cercles, à son tour, en sept cercles, étant donné que dans ce système les révolutions du Ciel sont les mouvements mêmes de l'âme. Mais en premier lieu, il est faux de soutenir que l'âme soit une grandeur. Il est évident en effet, que, dans l’intention du Timée, l’âme du Monde est de la nature de ce qui est nommé l’intellect, car elle ne peut assurément être comparée à l’âme sensitive ou à l’âme appétitive, dont le mouvement n’est pas une translation circulaire. Or l’intellect est un et continu à. la façon de l’intellection, et l’intellection est identique à ses concepts. D’autre part, ceux-ci ont une unité de consécution comme le nombre, mais non comme la grandeur. C’est pourquoi l’intellect, non plus, n’est pas continu en ce dernier sens, mais ou bien il est impartageable, ou bien il est continu, mais non comme une grandeur. Comment, en effet, pensera-t-il, étant une grandeur? Sera-ce par sa totalité ou par l’une quelconque de ses parties? Par une partie, c’est-à-dire soit selon une grandeur, soit selon un point (si l’on doit, du moins, appeler ce dernier une partie). Si donc c’est selon un point, les points étant infinis en nombre, il est clair que jamais l’intellect ne pourra les parcourir. Si c’est selon une grandeur, il pensera plusieurs fois, ou même un nombre infini de fois, le même objet. Or, manifestement, il- ne le petit faire qu’une fois. Et s’il suffit pour lui d’entrer en contact par l’une quelconque de ses parties, pourquoi exiger qu’il se meuve circulairement ou même, absolu ment, -qu’il ait une grandeur? Mais s’il est nécessaire, pour qu’il pense, qu’il y ait contact par le cercle entier, que devient le contact par les parties? Et, de plus, comment pensera-t-il le partageable par l’impartageable, ou l’impartageable par le partageable? Et il est nécessaire que l’intellect soit ce cercle-là, car, pour l’esprit, son mouvement est l’intellection, et, pour le cercle, la translation circulaire. Si donc l’intellection est la translation circulaire, l’intellect sera le cercle doué d’une telle translation circulaire, savoir l’intellection. Mais quel objet pensera-t-il donc éternellement Il faut bien qu’il y en ait un, si la translation circulaire est éternelle. Pour les pensées pratiques, en effet, il existe des limites (car toutes ont en vue une autre chose), et les pensées théorétiques sont limitées de la même manière que leurs expressions logiques. Or toute expression logique est définition ou démonstration. La démonstration part d’un principe, et a en quelque sorte pour fin le syllogisme ou la conclusion; et même si les démonstrations ne sont pas limitées, du moins ne reviennent-elles pas sur elles-mêmes dans la direction du principe, mais, par l’adjonction successive d’un moyen et d’un extrême, elles s’avancent en ligne droite. Les définitions sont également toutes limitées. De plus puisque la même translation circulaire s’accomplit plusieurs fois, il faudra que l’intellect pense plusieurs fois le même objet. De plus, l’intellect ressemble davantage à un repos ou à un arrêt qu’à un mouvement, et il en est de même du syllogisme. Et, d’autre part, n’est pas souverainement heureux ce qui est difficile et forcé. Or si le mouvement de l’âme est la négation de son essence, c’est contrairement à sa nature qu’elle sera mue. Il est pénible aussi d’être mêlé au corps sans pouvoir s’en délier, et, de plus, c’est à éviter, s’il est vrai qu’il est meilleur pour l’intellect de ne pas être uni à un corps, comme on a coutume de le dire et comme beaucoup en conviennent. De plus, la cause de la translation circulaire du Ciel demeure obscure: ce n’est pas la substance de l'âme qui est la cause de ce mouvement circulaire, mais c’est par accident que l’âme se meut ainsi; ce n ‘est pas non plus le corps qui est cette cause ce serait plutôt encore l’âme que le corps. On ne dit même pas que ce soit meilleur ainsi. Et pourtant il faudrait que la raison pour laquelle Dieu fait l’âme se mouvoir en cercle fût qu’il est meilleur pour elle de se mouvoir que de rester en repos, et de se mouvoir ainsi plutôt qu'autrement. Mais puisqu'un examen de cette sorte est plus approprié à d’autres études, laissons-le de côté pour le moment. Voici encore une absurdité en traînée par cette doctrine et par la plupart de celles qui traitent de l’âme c’est qu’elles unissent et placent l’âme dans un corps, sans préciser en rien la raison de cette union, ni comment le corps se comporte. Pourtant il peut sembler qu’une telle explication soit indispensable: car c’est en vertu de leur communauté que l’une agit et l’autre pâtit, que l’un est mû et l’autre meut; et aucun de ces rapports réciproques n’appartient à des choses prises au hasard. Or ces philosophes s’efforcent seulement d’expliquer la nature de l’âme, mais, en ce qui concerne le corps qui la recevra, ils n’apportent aucune détermination supplémentaire: comme s’il était possible que, conformément aux mythes pythagoriciens, une âme quelconque pût revêtir un corps quelconque! C’est absurde, car il semble bien que chaque corps possède une forme et une figure qui lui est propre, et c’est s’exprimer à peu près comme si on disait que l’art du charpentier peut descendre dans des flûtes: il faut, en effet, que l’art se serve de ses outils, et l’âme de son corps.
Re: Aristote - Le Traité de l'âme - Peri Psyche - LIVRE I : L'ÂME.
Chapitre 4 : L’âme-harmonie et l’âme-nombre se mouvant elle-même?
Mais une autre opinion nous a été transmise au sujet de l’âme, opinion qui, pour beaucoup de philosophes, n’est pas moins convaincante qu’aucune de celles que nous avons indiquées, et qui a fourni des raisons ressemblant à une vérification de comptes, jusque dans les discours répandus dans le public. Ses partisans, en effet, disent que l’âme est une sorte d’harmonie, car pour eux l’harmonie est une fusion et une composition de contraires, et le corps est composé de contraires. Pourtant l’harmonie est une certaine proportion. ou une composition des choses mélangées, et l’âme ne peut être ni l’une, ni l’autre. De plus, le mouvoir ne relève pas de l’harmonie, mais de l’âme, à qui tous les philosophes, pour ainsi dire, l’assignent comme caractère principal. C’est la santé, et, d’une manière générale, les vertus corporelles qu’il convient de nommer harmonie, plutôt que l’âme. L’évidence est complète si on tente d’attribuer les affections et les actes de l’âme à une harmonie déterminée, car l’ajustement est difficile. De plus, quand nous parlons d’"harmonie", nous avons deux significations en vue: d’abord, au sens fondamental, qui s’applique aux grandeurs, dans le cas où elles possèdent mouvement et position, l’harmonie signifie la composition de ces grandeurs, quand elles sont disposées de façon à prévenir l’introduction de tout autre élément homogène; en un second sens, dérivé du premier, l’harmonie est la proportion des choses mélangées. Or, en aucun de ces deux sens, il n’est raisonnable d’appeler l’âme une harmonie. Que, notamment, l’âme soit la composition des parties du corps, c’est ce qu’il est par trop facile de réfuter. En effet, les compositions des parties du corps sont multiples et variées: de quelle partie du corps ou de quelle sorte de composition faut-il donc se représenter l’intellect comme une composition? Que dire de l’âme sensitive ou désirante? Mais il est tout aussi absurde de prétendre que l’âme est la proportion du mélange, car ce n’est pas suivant la même proportion que s’opère le mélange d’éléments qui constitue la chair et celui qui constitue l’os. Il en résulterait ainsi qu’il y aurait plusieurs âmes réparties dans le corps entier s’il est vrai, d’une part, que chaque partie du corps est composée des éléments mélangés dans des proportions différentes, et, d’autre part, que la raison du mélange est une harmonie, c’est-à-dire une âme. On pourrait aussi poser à EMPÉDOCLE la question suivante: puisqu’il prétend que chacune de ces parties du corps consiste dans une certaine proportion, est-ce donc que l’âme est la proportion, ou n’est-elle pas plutôt dans ce système quelque autre chose qui s’ajoute aux parties? De plus, est-ce que l’Amitié est la cause de n’importe quel mélange ou du mélange suivant la proportion? Et l’amitié est-elle, dans ce cas, la proportion elle-même, ou bien n’est-elle pas distincte de la pro portion et autre chose qu’elle? Telles sont donc les difficultés que soulèvent ces doctrines Mais, d’un autre côté, si l’âme est autre chose que le mélange, pourquoi donc alors s’évanouit-elle en même temps que la quiddité de la chair ou de celle des autres parties de l’animal? Et, en outre si l’âme n’est pas la proportion du mélange, et que l’on refuse, par suite, une âme à chacune des parties du corps, qu’est-ce qui périt quand l’âme quitte le corps. Qu’ainsi l’âme ne puisse ni être une harmonie, ni se mouvoir circulairement, cela est évident d’après ce que nous avons dit. Mais, par accident, elle peut être mue, ainsi que nous l’avons indiqué et elle peut aussi se mouvoir elle-même: je veux, dire que le sujet dans lequel elle réside peut être mû et qu’il peut être mû par l’âme; d’aucune autre façon, elle ne peut se mouvoir dans le lieu. On pourrait plus légitimement demeurer dans le doute au sujet du mouvement de l’âme, si on considérait des faits tels que ceux que nous allons citer Nous disons, en effet, de l’âme qu’elle est triste ou joyeuse, audacieuse ou craintive, et aussi irascible, sensitive, pensante; et toutes ces déterminations nous semblent être des mouvements. On en pourrait inférer que l’âme est mue. Cette conséquence n’est cependant pas nécessaire. Qu’on suppose, en effet, tant que l’on voudra, que la tristesse, la joie ou la pensée soient des mouvements, que chacun de ces états consiste dans un mouvement subi et que ce mouvement soit causé par l’âme; que, par exemple, la colère ou la crainte, c’est tel mouvement déterminé du cœur, et la pensée discursive, un mouvement, soit du même organe sans doute, soit de quelque autre, ces états étant ainsi, les uns des mouvements de translation de certaines parties du corps, les autres des mouvements d’altération (quant à préciser quelles sortes de mouvement et comment ils ont lieu, c’est une autre question); dire alors que l’âme est en colère, c’est comme si l’on prétendait que c’est l’âme qui tisse ou qui construit Il est sans doute préférable, en effet de ne pas dire que l’âme éprouve de la pitié, apprend ou pense, et de dire que c’est l’homme, par son âme. Non pas que nous entendions par là que le mouvement soit dans l’âme, mais que tantôt il aboutit à l’âme et que tantôt il émane d’elle: la sensation, par exemple, prenant son point de départ dans les objets déterminés et la remémoration, par contre, partant de l’âme vers les mouvements ou leurs résidus que la sensation a laissés dans les organes sensoriels. Quant à l’intellect il semble bien survenir en nous comme possédant une existence substantielle, et n’être pas sujet à la corruption. Car il pourrait tout au plus périr sous l’action de l’affaiblissement dû à la vieillesse. Mais, en réalité, il en est, sans doute, en ce cas, comme pour les organes des sens: si le vieillard recouvrait un oeil de bonne qualité il verrait aussi clair que le jeune homme. C’est donc que la vieillesse est due, non pas à une affection quelconque de l’âme, mais à une affection du sujet où elle réside, comme il arrive dans l’ivresse et les maladies. L’exercice de la pensée et de la connaissance déclinent donc quand un autre organe intérieur est détruit mais, en lui-même, l’intellect est impassible. Et la pensée, ainsi que l’amour ou la haine, sont des affections, non pas de l’intellect, mais du sujet qui le possède, en tant qu’il le possède. C’est pourquoi aussi, ce sujet une fois détruit, il n’y a plus ni souvenirs, ni amitiés: ce ne sont pas, en effet, disions- nous les affections de l’intellect, mais du composé qui a péri, et l’intellect est sans doute quelque chose de plus divin et d’impassible. Qu’ainsi il ne soit pas possible que l’âme soit mue, cela résulte clairement de ce que nous venons de dire, et si elle n’est absolument pas mue, il est évident qu’elle ne peut non plus l’être par elle-même. Mais des opinions que nous avons énumérées, la plus déraisonnable de beaucoup, c’est de soutenir que l’âme est un nombre qui se meut soi- même; car ses partisans s’engagent d’abord dans les impossibilités résultant de l’opinion que l’âme se meut, et aussi dans celles qui sont spéciales aux philosophes pour qui l’âme est un nombre. Comment, en effet, faut-il concevoir une unité en mouvement? Par quoi sera-t-elle mue, et comment puisqu’elle est sans partie et indifférenciée? Car si elle est à la fois motrice et mobile, il faut bien qu’il existe en elle une différenciation. De plus, puis que les partisans de cette théorie disent que la ligne en mouvement engendre la surface, et le point la ligne, les mouvements des unités de l’âme seront aussi des lignes, puisque le point, c’est une unité occupant une position; et le nombre de l’âme doit dès lors être quelque part et occuper une position. De plus, si d’un nombre on retranche un nombre ou même une unité, le reste est un autre nombre. Au contraire, les plantes et un grand nombre d’animaux continuent de vivre une fois divisés, et ils paraissent bien posséder spécifiquement la même âme dans chaque segment. Il peut sembler d’ailleurs qu’il importe peu de parler d’unités ou de petits corpuscules; car si les atomes sphériques de DÉMOCRITE devenaient des points et que seule leur quantité numérique restât invariable, il devrait y avoir dans cette quantité une partie des points qui fût motrice et une autre partie qui fût mobile, comme cela arrive dans le continu. En effet, ce que nous venons de dire des atomes ne dépend pas d’une différence dans leur grandeur ou leur petitesse, mais seulement de ce qu’ils sont une quantité numérique. Aussi est-il nécessaire qu’il y ait quelque chose pour mouvoir les unités de l’âme. Mais si, dans l’animal, le moteur, c’est l’âme, il doit en être de même dans le nombre, de sorte que ce n’est pas le moteur et l mû qui seront l’âme, mais le moteur seulement. Et comment alors est-il possible que cette cause soit une unité? Il faudrait, en effet, qu’il y eût quelque différence entre cette unité et les autres. Or le point arithmétique, quelle différence peut-il avoir autre que la position? Si, alors, d’autre part les unités du corps et les points sont différents des unités de l’âme, ces unités de l’âme seront dans le même lieu que les points du corps chaque unité occupera, en effet, la place d’un point. Or qui empêche que si, dans le même lieu, il y a deux points, il n’y en ait un nombre infini? Car les choses dont le lieu est indivisible le sont aussi elles-mêmes. Si, au con- traire, les points du corps sont le nombre même de l’âme, autrement dit si le nombre des points du corps est l’âme, pourquoi tous les corps n’ont-ils pas une âme? Tous les corps, en effet, semblent bien contenir des points, et même en nombre infini. De plus, comment est-il possible que ces points soient séparés et déliés des corps, si du moins on admet que les lignes ne se résolvent pas en points?
Mais une autre opinion nous a été transmise au sujet de l’âme, opinion qui, pour beaucoup de philosophes, n’est pas moins convaincante qu’aucune de celles que nous avons indiquées, et qui a fourni des raisons ressemblant à une vérification de comptes, jusque dans les discours répandus dans le public. Ses partisans, en effet, disent que l’âme est une sorte d’harmonie, car pour eux l’harmonie est une fusion et une composition de contraires, et le corps est composé de contraires. Pourtant l’harmonie est une certaine proportion. ou une composition des choses mélangées, et l’âme ne peut être ni l’une, ni l’autre. De plus, le mouvoir ne relève pas de l’harmonie, mais de l’âme, à qui tous les philosophes, pour ainsi dire, l’assignent comme caractère principal. C’est la santé, et, d’une manière générale, les vertus corporelles qu’il convient de nommer harmonie, plutôt que l’âme. L’évidence est complète si on tente d’attribuer les affections et les actes de l’âme à une harmonie déterminée, car l’ajustement est difficile. De plus, quand nous parlons d’"harmonie", nous avons deux significations en vue: d’abord, au sens fondamental, qui s’applique aux grandeurs, dans le cas où elles possèdent mouvement et position, l’harmonie signifie la composition de ces grandeurs, quand elles sont disposées de façon à prévenir l’introduction de tout autre élément homogène; en un second sens, dérivé du premier, l’harmonie est la proportion des choses mélangées. Or, en aucun de ces deux sens, il n’est raisonnable d’appeler l’âme une harmonie. Que, notamment, l’âme soit la composition des parties du corps, c’est ce qu’il est par trop facile de réfuter. En effet, les compositions des parties du corps sont multiples et variées: de quelle partie du corps ou de quelle sorte de composition faut-il donc se représenter l’intellect comme une composition? Que dire de l’âme sensitive ou désirante? Mais il est tout aussi absurde de prétendre que l’âme est la proportion du mélange, car ce n’est pas suivant la même proportion que s’opère le mélange d’éléments qui constitue la chair et celui qui constitue l’os. Il en résulterait ainsi qu’il y aurait plusieurs âmes réparties dans le corps entier s’il est vrai, d’une part, que chaque partie du corps est composée des éléments mélangés dans des proportions différentes, et, d’autre part, que la raison du mélange est une harmonie, c’est-à-dire une âme. On pourrait aussi poser à EMPÉDOCLE la question suivante: puisqu’il prétend que chacune de ces parties du corps consiste dans une certaine proportion, est-ce donc que l’âme est la proportion, ou n’est-elle pas plutôt dans ce système quelque autre chose qui s’ajoute aux parties? De plus, est-ce que l’Amitié est la cause de n’importe quel mélange ou du mélange suivant la proportion? Et l’amitié est-elle, dans ce cas, la proportion elle-même, ou bien n’est-elle pas distincte de la pro portion et autre chose qu’elle? Telles sont donc les difficultés que soulèvent ces doctrines Mais, d’un autre côté, si l’âme est autre chose que le mélange, pourquoi donc alors s’évanouit-elle en même temps que la quiddité de la chair ou de celle des autres parties de l’animal? Et, en outre si l’âme n’est pas la proportion du mélange, et que l’on refuse, par suite, une âme à chacune des parties du corps, qu’est-ce qui périt quand l’âme quitte le corps. Qu’ainsi l’âme ne puisse ni être une harmonie, ni se mouvoir circulairement, cela est évident d’après ce que nous avons dit. Mais, par accident, elle peut être mue, ainsi que nous l’avons indiqué et elle peut aussi se mouvoir elle-même: je veux, dire que le sujet dans lequel elle réside peut être mû et qu’il peut être mû par l’âme; d’aucune autre façon, elle ne peut se mouvoir dans le lieu. On pourrait plus légitimement demeurer dans le doute au sujet du mouvement de l’âme, si on considérait des faits tels que ceux que nous allons citer Nous disons, en effet, de l’âme qu’elle est triste ou joyeuse, audacieuse ou craintive, et aussi irascible, sensitive, pensante; et toutes ces déterminations nous semblent être des mouvements. On en pourrait inférer que l’âme est mue. Cette conséquence n’est cependant pas nécessaire. Qu’on suppose, en effet, tant que l’on voudra, que la tristesse, la joie ou la pensée soient des mouvements, que chacun de ces états consiste dans un mouvement subi et que ce mouvement soit causé par l’âme; que, par exemple, la colère ou la crainte, c’est tel mouvement déterminé du cœur, et la pensée discursive, un mouvement, soit du même organe sans doute, soit de quelque autre, ces états étant ainsi, les uns des mouvements de translation de certaines parties du corps, les autres des mouvements d’altération (quant à préciser quelles sortes de mouvement et comment ils ont lieu, c’est une autre question); dire alors que l’âme est en colère, c’est comme si l’on prétendait que c’est l’âme qui tisse ou qui construit Il est sans doute préférable, en effet de ne pas dire que l’âme éprouve de la pitié, apprend ou pense, et de dire que c’est l’homme, par son âme. Non pas que nous entendions par là que le mouvement soit dans l’âme, mais que tantôt il aboutit à l’âme et que tantôt il émane d’elle: la sensation, par exemple, prenant son point de départ dans les objets déterminés et la remémoration, par contre, partant de l’âme vers les mouvements ou leurs résidus que la sensation a laissés dans les organes sensoriels. Quant à l’intellect il semble bien survenir en nous comme possédant une existence substantielle, et n’être pas sujet à la corruption. Car il pourrait tout au plus périr sous l’action de l’affaiblissement dû à la vieillesse. Mais, en réalité, il en est, sans doute, en ce cas, comme pour les organes des sens: si le vieillard recouvrait un oeil de bonne qualité il verrait aussi clair que le jeune homme. C’est donc que la vieillesse est due, non pas à une affection quelconque de l’âme, mais à une affection du sujet où elle réside, comme il arrive dans l’ivresse et les maladies. L’exercice de la pensée et de la connaissance déclinent donc quand un autre organe intérieur est détruit mais, en lui-même, l’intellect est impassible. Et la pensée, ainsi que l’amour ou la haine, sont des affections, non pas de l’intellect, mais du sujet qui le possède, en tant qu’il le possède. C’est pourquoi aussi, ce sujet une fois détruit, il n’y a plus ni souvenirs, ni amitiés: ce ne sont pas, en effet, disions- nous les affections de l’intellect, mais du composé qui a péri, et l’intellect est sans doute quelque chose de plus divin et d’impassible. Qu’ainsi il ne soit pas possible que l’âme soit mue, cela résulte clairement de ce que nous venons de dire, et si elle n’est absolument pas mue, il est évident qu’elle ne peut non plus l’être par elle-même. Mais des opinions que nous avons énumérées, la plus déraisonnable de beaucoup, c’est de soutenir que l’âme est un nombre qui se meut soi- même; car ses partisans s’engagent d’abord dans les impossibilités résultant de l’opinion que l’âme se meut, et aussi dans celles qui sont spéciales aux philosophes pour qui l’âme est un nombre. Comment, en effet, faut-il concevoir une unité en mouvement? Par quoi sera-t-elle mue, et comment puisqu’elle est sans partie et indifférenciée? Car si elle est à la fois motrice et mobile, il faut bien qu’il existe en elle une différenciation. De plus, puis que les partisans de cette théorie disent que la ligne en mouvement engendre la surface, et le point la ligne, les mouvements des unités de l’âme seront aussi des lignes, puisque le point, c’est une unité occupant une position; et le nombre de l’âme doit dès lors être quelque part et occuper une position. De plus, si d’un nombre on retranche un nombre ou même une unité, le reste est un autre nombre. Au contraire, les plantes et un grand nombre d’animaux continuent de vivre une fois divisés, et ils paraissent bien posséder spécifiquement la même âme dans chaque segment. Il peut sembler d’ailleurs qu’il importe peu de parler d’unités ou de petits corpuscules; car si les atomes sphériques de DÉMOCRITE devenaient des points et que seule leur quantité numérique restât invariable, il devrait y avoir dans cette quantité une partie des points qui fût motrice et une autre partie qui fût mobile, comme cela arrive dans le continu. En effet, ce que nous venons de dire des atomes ne dépend pas d’une différence dans leur grandeur ou leur petitesse, mais seulement de ce qu’ils sont une quantité numérique. Aussi est-il nécessaire qu’il y ait quelque chose pour mouvoir les unités de l’âme. Mais si, dans l’animal, le moteur, c’est l’âme, il doit en être de même dans le nombre, de sorte que ce n’est pas le moteur et l mû qui seront l’âme, mais le moteur seulement. Et comment alors est-il possible que cette cause soit une unité? Il faudrait, en effet, qu’il y eût quelque différence entre cette unité et les autres. Or le point arithmétique, quelle différence peut-il avoir autre que la position? Si, alors, d’autre part les unités du corps et les points sont différents des unités de l’âme, ces unités de l’âme seront dans le même lieu que les points du corps chaque unité occupera, en effet, la place d’un point. Or qui empêche que si, dans le même lieu, il y a deux points, il n’y en ait un nombre infini? Car les choses dont le lieu est indivisible le sont aussi elles-mêmes. Si, au con- traire, les points du corps sont le nombre même de l’âme, autrement dit si le nombre des points du corps est l’âme, pourquoi tous les corps n’ont-ils pas une âme? Tous les corps, en effet, semblent bien contenir des points, et même en nombre infini. De plus, comment est-il possible que ces points soient séparés et déliés des corps, si du moins on admet que les lignes ne se résolvent pas en points?
Re: Aristote - Le Traité de l'âme - Peri Psyche - LIVRE I : L'ÂME.
Chapitre 5: L’âme-nombre, suite. L’âme présente en toutes choses? L’unité de l’âme.
XÉNOCRATE en arrive ainsi, comme nous l’avons dit d’une part, à professer la même doctrine que les philosophes qui font de l’âme un corps subtil, et, d’autre part, étant donné qu’à l’exemple de DÉMOCRITE il soutient que le mouvement de l’animal vient de l’âme, à s’embarrasser dans des difficultés qui lui sont propres S’il est vrai, en effet que l’âme soit répartie dans tout le corps sentant, deux corps occuperont nécessairement le même lieu, du moment que l’âme est un corps; et ceux qui soutiennent que l’âme est un nombre, doivent admettre que dans un point unique il y aura plusieurs points, ou bien que tout corps aura une âme, à moins que le nombre qui est l’âme ne soit un nombre différent qui sur vienne en nous, un nombre autre que celui des points existant dans le corps. Autre conséquence: l’animal est mû par le nombre, de la façon dont nous avons dit que DÉMOCRITE le faisait mouvoir. Quelle différence, en effet, y a-t-il entre parler de petites sphères ou de grandes unités, ou, simplement, d’unités en mouvement? D’une façon comme de l’autre, les mouvements de l’animal sont nécessairement dus à leurs propres mouvements. Aussi ceux qui combinent dans la même définition le mouvement et le nombre en arrivent-ils à, ces difficultés et à bien d’autres de même genre Car à l’aide de ces caractères, il est impossible non seulement de former la définition de l’âme, mais même de constituer ses propriétés dérivées. Cela devient évident dès que l’on essaie de partir de cette définition pour rendre compte des affections et des actions de l’âme, telles que le raisonnement, la sensation, le plaisir, la douleur, et ainsi de suite. Ainsi que nous l’avons déjà dit plus haut il n’est même pas facile de conjecturer ces états en partant de ces caractères. Tels sont les trois modes traditionnels d’après lesquels on a défini l’âme: les uns l’ont présentée comme le moteur par excellence, par le fait qu’elle est quelque chose qui se meut soi-même, d’autres, comme le corps le plus subtil et le plus incorporel de tous. Mais à quelles difficultés et à quelles contra dictions ces doctrines aboutissent, nous l’avons suffisamment exposé. Il nous reste à examiner de quel droit on prétend que l’âme est composée d’éléments. La raison qu’on donne, c’est qu’on permet ainsi à l’âme de percevoir les êtres et de connaître chacun d’eux; mais cette opinion entraîne inéluctablement à de multiples impossibilités. On pose, en effet, que le semblable est connu par le semblable, comme si l’on supposait que l’âme con siste dans ses objets mêmes. Or les éléments ne sont pas les seuls objets de l’âme: l’âme connaît beaucoup d’autres choses, ou plutôt, dirons-nous, un nombre infini d’autres choses, et ce sont toutes celles qui sont composées des éléments. Admettons alors que l’âme soit capable de connaître et de percevoir les éléments constitutifs de tous ces composés; mais le composé même, par quoi le connaîtra-t-elle ou le perce par exemple, ce qu’est DIEU, ou l’homme, ou la chair, ou l’os, et pareillement n’importe quel autre composé? Chacun d’eux, en effet, ne consiste pas dans les éléments assemblés d’une façon quelconque, mais assemblés suivant une certaine proportion et composition, comme le dit de l’os EMPÉDOCLE lui-même:
"Et la terre bienveillante, dans ses amples creusets,
"Reçut deux, sur huit parties, de l’éclatante Nestis,
"Et quatre d’Héphaïstos. Et les os blancs naquirent"
On ne retiré donc aucun bénéfice de la présence des éléments dan l’âme si on n’y fait entrer aussi les proportions et la composition. En effet, chaque élément connaîtra son semblable, mais l’os ou l’homme, il n’y aura rien pour le connaître, à moins qu’ils ne soient, eux aussi, présents dans l’âme. Or que ce ne soit là une impossibilité, il n’est pas besoin de le dire; car qui oserait se demander si, dans l’âme, résident la pierre ou l’homme? Pareillement pour le bien et le non-bien, et de même aussi pour le reste. De plus, l’Être se prenant en de multiples acceptions (car il signifie la substance, ou la quantité, ou la qualité, ou quelque autre des catégories que nous avons distinguées), est-ce, ou non, à partir de toutes ces catégories que l’âme sera constituée? Il ne semble pas qu’il y ait des éléments communs à toutes Est-ce donc que l’âme est formée seulement de ces éléments qui entrent dans la composition des substances? Comment alors connaîtra-t-elle aussi chacune des autres catégories? Dira-t-on, au contraire, que, pour chaque genre, il y a des éléments et des principes spéciaux dont l’âme est constituée? Elle sera alors, à la fois, quantité, qu et substance. Or il est impossible que, des éléments de la quantité, résulte une substance qui ne soit pas une quantité. Pour ceux qui prétendent que l’âme est composée de tous les éléments, telles sont donc les difficultés, et d’autres de même nature, où ils aboutissent. Mais il est, en outre, absurde de soutenir que le semblable ne peut être affecté par le semblable, alors que, d’autre part, ils prétendent que le semblable est perçu par le semblable, et le semblable connu par le semblable, car sentir, comme d’ailleurs penser et con naître, c’est, selon leurs propres principes, subir une passion et un mouvement. Il y a beaucoup de difficultés et d’embarras à soutenir, comme le fait EMPÉDOCLE que chaque élément est connu par ses éléments corporels et par relation avec son semblable. Ce que nous allons dire va le confirmer Car toutes les parties du corps des animaux uniquement formées de terre, par exemple les os, les tendons, les poils, ne perçoivent, semble-t-il, rien du tout, et par suite, ne perçoivent même pas les éléments qui leur sont semblables. Et c’est pourtant ce qu’il faudrait. De plus, chaque principe possèdera plus d’ignorance que de science, car chacun d’eux connaîtra une chose, mais il en ignorera beaucoup: en fait, ce sera tout le reste. Il en résulte même, dans le système d’EMPÉDOCLE du moins, que le plus ignorant des êtres, c’est DIEU car il est le seul à ne pas connaître l’un des éléments, la Haine, tandis que les êtres mortels, qui sont composés de tous les éléments, les connaîtront tous. Et, d’une manière générale, pour quelle raison, demanderons-nous, tous les êtres n’ont-ils pas une âme, puisque toute chose ou bien est un élément, ou bien est constituée à partir d’un élément, ou de plusieurs, ou de tous? Il est, par suite, nécessaire que chaque chose connaisse soit un élément, soit certains éléments, soit tous. On pourrait aussi se demander qu’est-ce enfin qui est le principe unificateur des éléments dans l’âme. Les éléments, en effet, jouent, de toute façon, plutôt le rôle de matière alors que le facteur prépondérant, c’est la cause, quelle qu’elle soit, qui les assemble. Or de supérieur à l’âme et qui la domine, c’est là une impossibilité, et c’est encore plus impossible quand il s’agit de l’intellect. Il est raisonnable, en effet, d’admettre que l’intellect est naturellement primordial et dominateur, tandis que, dans cette théorie, ce sont les éléments qui sont les premiers des êtres. Tous ces philosophes d’ailleurs, soit qu’en raison de sa connaissance et de sa perception des êtres ils constituent l’âme à partir des éléments, soit qu’ils la définissent comme le moteur par excellence, ni les uns ni les autres ne parlent de toute espèce d’âme. En effet, tous les êtres qui sentent ne se meuvent pas, car, en fait, il apparaît que certains animaux sont immobiles dans le lieu; et pourtant il semble bien que ce mouvement soit le seul que l’âme puisse imprimer à l’animal. Même remarque, pour les philosophes qui constituent l’intellect et la faculté sensible à partir des éléments, car il apparaît, là encore, que les plantes vivent sans avoir en partage ni translation, ni sensation, et qu’un grand nombre d’animaux ne possèdent pas la pensée discursive. Même si on accordait ces points, et qu’on posât l’intellect, en même temps que la faculté sensitive, comme une partie de l’âme, même s’il en était ainsi, la théorie ne s’appliquerait pas à toute âme en général, ni même à une seule âme entière La doctrine contenue dans les vers Orphiques, ainsi appelés, souffre aussi la même objection. On y dit, en effet, que l’âme s’introduit de l’Univers extérieur dans les êtres. en train de respirer portée sur l’aile des vents. Or il n’est pas possible que cela se produise pour les plantes, pas plus que pour certains animaux, puisqu’ils ne respirent pas tous ce point a échappé à ceux qui ont partagé cette croyance. Même s’il faut constituer l’âme à partir des éléments, rien n’oblige qu’il le faille à partir de tous, l’un des deux termes d’une contrariété étant suffisant pour juger de lui-même et de son opposé : c’est, en effet, par le droit que nous connaissons et le droit lui-même et le courbe, car la règle est juge de l’un comme de l’autre; au contraire, le courbe n’est juge ni de lui-même, ni du droit. Il y a aussi certains philosophes pour qui l’âme est mélangée à l’Univers entier et de là vient peut-être que THALÈS a pensé que tout était plein de dieux. Mais cette opinion soulève certaines difficultés: pour quelle raison, en effet, l’âme, quand elle est présente dans l’air ou dans le feu, ne forme-t-elle pas un animal, comme elle le fait quand elle réside dans les mixtes, et cela, bien qu’elle soit, semble-t-il, meilleure, quand elle se trouve dans les premiers? (On pourrait rechercher en outre, à ce propos, pour quelle cause l’âme qui réside dans l’air est meilleure et plus immortelle que celle qui réside dans les animaux). Que l’on réponde d’une manière ou de l’autre, on aboutit à une absurdité et à un paralogisme. Car soutenir que le feu ou l’air est un animal, c’est là une opinion des plus paradoxales et refuser, par contre, le nom d’animal à ce qui contient une âme est une absurdité. La croyance de ces philosophes à l’existence d’une âme dans les éléments vient, semble-t-il, de ce que le tout est spécifiquement identique aux parties; de sorte qu’ils sont dans la nécessité d’admettre que l’âme universelle est aussi spécifiquement identique à ses parties, puisque c’est grâce à une portion détachée du milieu ambiant et reçue en eux que les animaux sont animés. Mais si l’air aspiré est spécifiquement identique tandis que l’âme est hétérogène il est évident qu’une portion seulement de l’âme se trouvera dans cet air, et qu’une autre portion ne s’y trouvera pas. Nécessairement, donc, ou bien l’âme est spécifiquement identique, ou bien elle n’est pas contenue dans toute partie quelconque du tout. Il est donc évident, d’après ce que nous venons de dire, que la connaissance n’appartient pas à l’âme du fait qu’elle est composée des éléments, et qu’il n’est, non plus, ni juste, ni vrai de soutenir que l’âme est mue. Mais puisque la connaissance est un attribut de l’âme ainsi que la sensation, l’opinion, et aussi l’appétit, le désir rationnel, et, généralement, les désirs; que le mouvement local se produit aussi dans les animaux sous l’influence de l’âme, ainsi que la croissance, la maturité et la décrépitude, est-ce à l’âme entière que chacun de ces états doit être attribué? Est-ce par elle tout entière que nous pensons, que nous sentons, que nous nous mouvons et que nous accomplissons ou subissons chacun des autres états, ou bien les différentes opérations doivent-elles être assignées à des parties différentes? Et, par suite, la vie elle-même réside-t-elle dans une seule partie déterminée, ou dans plusieurs, ou dans toutes? ou bien est-elle due à quelque autre cause? Certains philosophes soutiennent que l’âme est partageable, et qu’une partie pense tandis qu’une autre désire. Qu’est-ce donc qui assure alors la continuité de l’âme si elle est naturellement partageable? Ce n’est certainement pas le corps il semble bien qu’au contraire, ce soit plutôt l’âme qui rende le corps continu, puisque, si elle vient, à se retirer, il se dissipe et se putréfie. Si donc c’est un autre principe qui assure l’unité de l’âme, c’est cet autre principe qui sera de préférence l’âme elle-même. Mais il faudra rechercher si, à son tour, ce principe est un ou multipartite. S’il est un, pourquoi ne pas attribuer l’unité immédiatement à l’âme elle-même? S’il est partageable, derechef le raisonnement devra rechercher ce qui en fait la continuité, et l’on ira ainsi à l’infini. On pourrait se demander aussi, en ce qui concerne les parties de l’âme, quel pouvoir chacune d’elles exerce dans le corps. Car si c’est l’âme entière qui maintient la continuité du corps entier, il est logique que chacune de ses parties assure la continuité de quelque partie du corps. Or cela semble impossible de quelle partie, en effet, l’intellect maintiendra-t-il la continuité, ou comment la main tiendra-t-il? Il est difficile même de l’imaginer. L’observation montré aussi que les plantes continuent de vivre une fois divisées, ainsi d’ailleurs que certains insectes, tout se passant comme si les segments avaient une âme spécifiquement et non numériquement identique, puisque chacun d:eux conserve la sensation et le mouvement local pendant un certain temps. Qu’au surplus, ils ne persistent pas dans cet état, ce n’est nullement surprenant, car ils ne possèdent pas les organes nécessaires à leur conservation naturelle. Mais il n’en est pas moins vrai que, dans chacune des parties segmentées, toutes les parties de l’âme sont intégralement contenues, et que les âmes des segments sont spécifiquement identiques entre elles et à l’âme entière, ce qui implique que les différentes parties de l’âme ne sont pas séparables les unes des autres, tandis que l’âme entière est, au contraire, divisible. Il semble que le principe se trouvant dans les plantes soit aussi une sorte d’âme. Car ce principe est le seul qui soit commun aux animaux et aux plantes; et il peut être séparé du principe sensitif, tandis qu’aucun être ne peut, sans lui, posséder la sensation.
XÉNOCRATE en arrive ainsi, comme nous l’avons dit d’une part, à professer la même doctrine que les philosophes qui font de l’âme un corps subtil, et, d’autre part, étant donné qu’à l’exemple de DÉMOCRITE il soutient que le mouvement de l’animal vient de l’âme, à s’embarrasser dans des difficultés qui lui sont propres S’il est vrai, en effet que l’âme soit répartie dans tout le corps sentant, deux corps occuperont nécessairement le même lieu, du moment que l’âme est un corps; et ceux qui soutiennent que l’âme est un nombre, doivent admettre que dans un point unique il y aura plusieurs points, ou bien que tout corps aura une âme, à moins que le nombre qui est l’âme ne soit un nombre différent qui sur vienne en nous, un nombre autre que celui des points existant dans le corps. Autre conséquence: l’animal est mû par le nombre, de la façon dont nous avons dit que DÉMOCRITE le faisait mouvoir. Quelle différence, en effet, y a-t-il entre parler de petites sphères ou de grandes unités, ou, simplement, d’unités en mouvement? D’une façon comme de l’autre, les mouvements de l’animal sont nécessairement dus à leurs propres mouvements. Aussi ceux qui combinent dans la même définition le mouvement et le nombre en arrivent-ils à, ces difficultés et à bien d’autres de même genre Car à l’aide de ces caractères, il est impossible non seulement de former la définition de l’âme, mais même de constituer ses propriétés dérivées. Cela devient évident dès que l’on essaie de partir de cette définition pour rendre compte des affections et des actions de l’âme, telles que le raisonnement, la sensation, le plaisir, la douleur, et ainsi de suite. Ainsi que nous l’avons déjà dit plus haut il n’est même pas facile de conjecturer ces états en partant de ces caractères. Tels sont les trois modes traditionnels d’après lesquels on a défini l’âme: les uns l’ont présentée comme le moteur par excellence, par le fait qu’elle est quelque chose qui se meut soi-même, d’autres, comme le corps le plus subtil et le plus incorporel de tous. Mais à quelles difficultés et à quelles contra dictions ces doctrines aboutissent, nous l’avons suffisamment exposé. Il nous reste à examiner de quel droit on prétend que l’âme est composée d’éléments. La raison qu’on donne, c’est qu’on permet ainsi à l’âme de percevoir les êtres et de connaître chacun d’eux; mais cette opinion entraîne inéluctablement à de multiples impossibilités. On pose, en effet, que le semblable est connu par le semblable, comme si l’on supposait que l’âme con siste dans ses objets mêmes. Or les éléments ne sont pas les seuls objets de l’âme: l’âme connaît beaucoup d’autres choses, ou plutôt, dirons-nous, un nombre infini d’autres choses, et ce sont toutes celles qui sont composées des éléments. Admettons alors que l’âme soit capable de connaître et de percevoir les éléments constitutifs de tous ces composés; mais le composé même, par quoi le connaîtra-t-elle ou le perce par exemple, ce qu’est DIEU, ou l’homme, ou la chair, ou l’os, et pareillement n’importe quel autre composé? Chacun d’eux, en effet, ne consiste pas dans les éléments assemblés d’une façon quelconque, mais assemblés suivant une certaine proportion et composition, comme le dit de l’os EMPÉDOCLE lui-même:
"Et la terre bienveillante, dans ses amples creusets,
"Reçut deux, sur huit parties, de l’éclatante Nestis,
"Et quatre d’Héphaïstos. Et les os blancs naquirent"
On ne retiré donc aucun bénéfice de la présence des éléments dan l’âme si on n’y fait entrer aussi les proportions et la composition. En effet, chaque élément connaîtra son semblable, mais l’os ou l’homme, il n’y aura rien pour le connaître, à moins qu’ils ne soient, eux aussi, présents dans l’âme. Or que ce ne soit là une impossibilité, il n’est pas besoin de le dire; car qui oserait se demander si, dans l’âme, résident la pierre ou l’homme? Pareillement pour le bien et le non-bien, et de même aussi pour le reste. De plus, l’Être se prenant en de multiples acceptions (car il signifie la substance, ou la quantité, ou la qualité, ou quelque autre des catégories que nous avons distinguées), est-ce, ou non, à partir de toutes ces catégories que l’âme sera constituée? Il ne semble pas qu’il y ait des éléments communs à toutes Est-ce donc que l’âme est formée seulement de ces éléments qui entrent dans la composition des substances? Comment alors connaîtra-t-elle aussi chacune des autres catégories? Dira-t-on, au contraire, que, pour chaque genre, il y a des éléments et des principes spéciaux dont l’âme est constituée? Elle sera alors, à la fois, quantité, qu et substance. Or il est impossible que, des éléments de la quantité, résulte une substance qui ne soit pas une quantité. Pour ceux qui prétendent que l’âme est composée de tous les éléments, telles sont donc les difficultés, et d’autres de même nature, où ils aboutissent. Mais il est, en outre, absurde de soutenir que le semblable ne peut être affecté par le semblable, alors que, d’autre part, ils prétendent que le semblable est perçu par le semblable, et le semblable connu par le semblable, car sentir, comme d’ailleurs penser et con naître, c’est, selon leurs propres principes, subir une passion et un mouvement. Il y a beaucoup de difficultés et d’embarras à soutenir, comme le fait EMPÉDOCLE que chaque élément est connu par ses éléments corporels et par relation avec son semblable. Ce que nous allons dire va le confirmer Car toutes les parties du corps des animaux uniquement formées de terre, par exemple les os, les tendons, les poils, ne perçoivent, semble-t-il, rien du tout, et par suite, ne perçoivent même pas les éléments qui leur sont semblables. Et c’est pourtant ce qu’il faudrait. De plus, chaque principe possèdera plus d’ignorance que de science, car chacun d’eux connaîtra une chose, mais il en ignorera beaucoup: en fait, ce sera tout le reste. Il en résulte même, dans le système d’EMPÉDOCLE du moins, que le plus ignorant des êtres, c’est DIEU car il est le seul à ne pas connaître l’un des éléments, la Haine, tandis que les êtres mortels, qui sont composés de tous les éléments, les connaîtront tous. Et, d’une manière générale, pour quelle raison, demanderons-nous, tous les êtres n’ont-ils pas une âme, puisque toute chose ou bien est un élément, ou bien est constituée à partir d’un élément, ou de plusieurs, ou de tous? Il est, par suite, nécessaire que chaque chose connaisse soit un élément, soit certains éléments, soit tous. On pourrait aussi se demander qu’est-ce enfin qui est le principe unificateur des éléments dans l’âme. Les éléments, en effet, jouent, de toute façon, plutôt le rôle de matière alors que le facteur prépondérant, c’est la cause, quelle qu’elle soit, qui les assemble. Or de supérieur à l’âme et qui la domine, c’est là une impossibilité, et c’est encore plus impossible quand il s’agit de l’intellect. Il est raisonnable, en effet, d’admettre que l’intellect est naturellement primordial et dominateur, tandis que, dans cette théorie, ce sont les éléments qui sont les premiers des êtres. Tous ces philosophes d’ailleurs, soit qu’en raison de sa connaissance et de sa perception des êtres ils constituent l’âme à partir des éléments, soit qu’ils la définissent comme le moteur par excellence, ni les uns ni les autres ne parlent de toute espèce d’âme. En effet, tous les êtres qui sentent ne se meuvent pas, car, en fait, il apparaît que certains animaux sont immobiles dans le lieu; et pourtant il semble bien que ce mouvement soit le seul que l’âme puisse imprimer à l’animal. Même remarque, pour les philosophes qui constituent l’intellect et la faculté sensible à partir des éléments, car il apparaît, là encore, que les plantes vivent sans avoir en partage ni translation, ni sensation, et qu’un grand nombre d’animaux ne possèdent pas la pensée discursive. Même si on accordait ces points, et qu’on posât l’intellect, en même temps que la faculté sensitive, comme une partie de l’âme, même s’il en était ainsi, la théorie ne s’appliquerait pas à toute âme en général, ni même à une seule âme entière La doctrine contenue dans les vers Orphiques, ainsi appelés, souffre aussi la même objection. On y dit, en effet, que l’âme s’introduit de l’Univers extérieur dans les êtres. en train de respirer portée sur l’aile des vents. Or il n’est pas possible que cela se produise pour les plantes, pas plus que pour certains animaux, puisqu’ils ne respirent pas tous ce point a échappé à ceux qui ont partagé cette croyance. Même s’il faut constituer l’âme à partir des éléments, rien n’oblige qu’il le faille à partir de tous, l’un des deux termes d’une contrariété étant suffisant pour juger de lui-même et de son opposé : c’est, en effet, par le droit que nous connaissons et le droit lui-même et le courbe, car la règle est juge de l’un comme de l’autre; au contraire, le courbe n’est juge ni de lui-même, ni du droit. Il y a aussi certains philosophes pour qui l’âme est mélangée à l’Univers entier et de là vient peut-être que THALÈS a pensé que tout était plein de dieux. Mais cette opinion soulève certaines difficultés: pour quelle raison, en effet, l’âme, quand elle est présente dans l’air ou dans le feu, ne forme-t-elle pas un animal, comme elle le fait quand elle réside dans les mixtes, et cela, bien qu’elle soit, semble-t-il, meilleure, quand elle se trouve dans les premiers? (On pourrait rechercher en outre, à ce propos, pour quelle cause l’âme qui réside dans l’air est meilleure et plus immortelle que celle qui réside dans les animaux). Que l’on réponde d’une manière ou de l’autre, on aboutit à une absurdité et à un paralogisme. Car soutenir que le feu ou l’air est un animal, c’est là une opinion des plus paradoxales et refuser, par contre, le nom d’animal à ce qui contient une âme est une absurdité. La croyance de ces philosophes à l’existence d’une âme dans les éléments vient, semble-t-il, de ce que le tout est spécifiquement identique aux parties; de sorte qu’ils sont dans la nécessité d’admettre que l’âme universelle est aussi spécifiquement identique à ses parties, puisque c’est grâce à une portion détachée du milieu ambiant et reçue en eux que les animaux sont animés. Mais si l’air aspiré est spécifiquement identique tandis que l’âme est hétérogène il est évident qu’une portion seulement de l’âme se trouvera dans cet air, et qu’une autre portion ne s’y trouvera pas. Nécessairement, donc, ou bien l’âme est spécifiquement identique, ou bien elle n’est pas contenue dans toute partie quelconque du tout. Il est donc évident, d’après ce que nous venons de dire, que la connaissance n’appartient pas à l’âme du fait qu’elle est composée des éléments, et qu’il n’est, non plus, ni juste, ni vrai de soutenir que l’âme est mue. Mais puisque la connaissance est un attribut de l’âme ainsi que la sensation, l’opinion, et aussi l’appétit, le désir rationnel, et, généralement, les désirs; que le mouvement local se produit aussi dans les animaux sous l’influence de l’âme, ainsi que la croissance, la maturité et la décrépitude, est-ce à l’âme entière que chacun de ces états doit être attribué? Est-ce par elle tout entière que nous pensons, que nous sentons, que nous nous mouvons et que nous accomplissons ou subissons chacun des autres états, ou bien les différentes opérations doivent-elles être assignées à des parties différentes? Et, par suite, la vie elle-même réside-t-elle dans une seule partie déterminée, ou dans plusieurs, ou dans toutes? ou bien est-elle due à quelque autre cause? Certains philosophes soutiennent que l’âme est partageable, et qu’une partie pense tandis qu’une autre désire. Qu’est-ce donc qui assure alors la continuité de l’âme si elle est naturellement partageable? Ce n’est certainement pas le corps il semble bien qu’au contraire, ce soit plutôt l’âme qui rende le corps continu, puisque, si elle vient, à se retirer, il se dissipe et se putréfie. Si donc c’est un autre principe qui assure l’unité de l’âme, c’est cet autre principe qui sera de préférence l’âme elle-même. Mais il faudra rechercher si, à son tour, ce principe est un ou multipartite. S’il est un, pourquoi ne pas attribuer l’unité immédiatement à l’âme elle-même? S’il est partageable, derechef le raisonnement devra rechercher ce qui en fait la continuité, et l’on ira ainsi à l’infini. On pourrait se demander aussi, en ce qui concerne les parties de l’âme, quel pouvoir chacune d’elles exerce dans le corps. Car si c’est l’âme entière qui maintient la continuité du corps entier, il est logique que chacune de ses parties assure la continuité de quelque partie du corps. Or cela semble impossible de quelle partie, en effet, l’intellect maintiendra-t-il la continuité, ou comment la main tiendra-t-il? Il est difficile même de l’imaginer. L’observation montré aussi que les plantes continuent de vivre une fois divisées, ainsi d’ailleurs que certains insectes, tout se passant comme si les segments avaient une âme spécifiquement et non numériquement identique, puisque chacun d:eux conserve la sensation et le mouvement local pendant un certain temps. Qu’au surplus, ils ne persistent pas dans cet état, ce n’est nullement surprenant, car ils ne possèdent pas les organes nécessaires à leur conservation naturelle. Mais il n’en est pas moins vrai que, dans chacune des parties segmentées, toutes les parties de l’âme sont intégralement contenues, et que les âmes des segments sont spécifiquement identiques entre elles et à l’âme entière, ce qui implique que les différentes parties de l’âme ne sont pas séparables les unes des autres, tandis que l’âme entière est, au contraire, divisible. Il semble que le principe se trouvant dans les plantes soit aussi une sorte d’âme. Car ce principe est le seul qui soit commun aux animaux et aux plantes; et il peut être séparé du principe sensitif, tandis qu’aucun être ne peut, sans lui, posséder la sensation.
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