Citadelle du Rey: Ordre Équestre et Royal du Saint Sépulcre
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Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer

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Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer  Empty Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer

Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:24

Cy est le rommant de la rose...

Cy est le rommant de la rose
ou tout l'art d'amour est enclose
Maintes gens vont disant que songes
Ne sont que fables et mensonges
Mais on peult tel songe songer
Qui pourtant n'est pas mensonger
Ains est apres bien apparent
Si en puis trouver pour garant
Macrobe ung aucteur treaffable
Qui ne tient pas songes a fable
Aincoys escript la vision
Laquelle advint a Scipion
Quiconques cuyde ne qui die
Que ce soit une musardie
De croire qu'aucun songe advienne
Qui vouldra pour fol si m'en tienne
Car quant a moy j'ay confiance
Que songe soit signifiance
Des biens aux gens et des ennuytz
La raison, on songe par nuytz
Moult de choses couvertement
Qu'on voit apres appertement.
Sur le vingtiesme an de mon eage
Au point qu'amours prent le peage
Des jeunes gens, coucher m'alloye
Une nuyt comme je souloye
Et de fait dormir me convint
En dormant ung songe m'advint
Qui fort beau fut a adviser
Comme vous orrez deviser
Car en advisant moult me pleut
Et oncques riens au songe n'eut
Qui du tout advenu ne soit
Comme le songe recensoit.
Lequel vueil en rime déduire
Pour plus a plaisir vous induire
Amours m'en prie et le commande
Et si d'adventure on demande
Comment je vueil que ce rommant
Soit appellé, sache l'amant
Que c'est le Rommant de la rose
Ou l'art d'amour est toute enclose
La matiere est belle et louable
Dieu doint qu'elle soit aggréable
A celle pour qui j'ay empris
C'est une dame de hault pris
Qui tant est digne d'estre aymée
Qu'elle doit rose estre clamée.
Advis m'estoit a celle foys
Bien y a cinq ans et six moys
Que je songeoye au moys de may
Au temps amoureux sans esmoy
Au temps que tout rit et s'esgaye
Qu'on ne voit ny buysson ne haye
Qui en may parer ne se vueille
Et couvrir de nouvelle fueille
Les boys recouvrent leur verdure
Qui sont secz tant que l'yver dure
Terre mesme fiere se sent
Pour la rosée qui descend
Et oublie la povreté
Ou elle a tout l'yver esté.
En effect si gaye se treuve
Qu'elle veult avoir robe neufve
Et scait si conjoincte robe faire
Que de couleurs a mainte paire
D'herbes et fleurs rouges et perses
Et de maintes couleurs diverses
Est la robe que je devise
Parquoy la terre mieulx se prise.
Les oyseletz qui se sont teuz
Durant que les grans froitz ont euz
Pour le fort temps d'ivers nuysible
Sont si aysés au temps paisible
De may qu'ilz monstrent en chantant
Qu'en leurs cueurs a de joye tant
Qu'il leur convient chanter par force.
Le rossignol adonc s'efforce
De chanter menant doulce noyse
Lors s'esvertue et se degoyse
Le papegault et la calendre
Si convient jeunes gens entendre
A estre gays et amoureux
Pour le beau printemps vigoureux.
Dur est qui n'ayme d'amour franche
Quant il oyt chanter sur la branche
Aux oyseaulx les chans gracieulx
En celluy temps délicieux
Ou toute rien d'aymer s'esjoye.
Par une nuyt que je songeoye
Me sembla dormant fermement
Qu'il estoit matin proprement
De mon lict tantost me levay
Me vesty et mes mains lavay
Tiray une esguille d'argent
D'ung aiguillier mignon et gent
Et voullant l'esguille enfiller
Hors de ville euz désir d'aller
Pour ouyr des oyseaulx les sons
Qui or chantoyent par les buyssons.
En ycelle saison nouvelle
Cousant mes manches a videlle
M'en allay tout seul esbatant
Et les oysillons escoutant
Qui de bien chanter s'efforcoient
Par les jardins qui fleurissoient
Joly et gay plain de lyesse.
Vers une riviere m'adresse
Que j'ouy pres d'illecques bruyre
Car plus beau lieu pour me déduyre
Ne vy que sur ceste riviere.
D'ung petit mont d'illec derriere
Descendoit l'eau courant et royde
Fresche bruyant et aussi froide
Comme puys ou comme fontaine
Si creuse n'estoit pas que Seine
Mais elle estoit plus espandue
Jamais veue ny entendue
Je n'avoye ceste eau qui couloit
Parquoy mon oeil ne se sauloit
De regarder le lieu plaisant
De ceste eau claire et reluysant.
J'eu lors mon visaige lavé
Si vy bien couvert et pavé
Tout le fons de l'eau de gravelle
Et la prairie grande et belle
Au pied de cestuy mont batoit
Claire, serie et belle estoit
La matinée, et tempérée
Lors m'en allay parmy la prée
Tout contre val esbanoyant
Ce beau rivaige costoyant
Quant fuz ung peu avant allé
Je vy ung verger long et lé
Enclos d'ung hault mur richement
Dehors entaillé vivement
A mainctes riches empoinctures
Les ymaiges et les painctures
Du mur partout je remiray
Parquoy voulentiers vous diray
D'icelle la forme et semblance
Ainsi que j'en ay remembrance.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:25

Hayne


Au meillieu Haine se remyre
Qui par Faulx Rapportz et par Yre
Sembloit bien estre mouveresse
De noyses aussi tanceresse
Et bien ressembloit ceste ymaige
Femme de tresmauvais couraige
D'habitz n'estoit pas bien aornée
Ne d'acoustremens ordonnée
Le visaige avoit tout froncé
Le nez large, et l'oeil enfoncé
Flestrye estoit et enroillée
Et par la teste entortillée
Hydeusement d'une touaille
De tres orde et villaine taille
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:26

Félonnie

Une autre ymage mal rassise
Et fiere a veoir, y eut assise
Pres de Haine à senestre d'elle
Sur la teste son nom rebelle
Vy escript c'estoit Félonnie
Et d'icelles pas je ne nye
Que bien ne fust a sa droicture
Pourtraicte selon sa nature
Car félonnement estoit faicte
Et sembloit collere et deffaicte
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:26

Villenie

L'autre ymaige apres Félonnie
Estoit nommée Villenie
Seant pres de Haine sur destre
Et estoit presque de tel estre
Que les deux et de tel facture
Bien sembla faulce créature
Mesdisante et trop courageuse
Ainsi que une femme oultrageuse
Brief bien scavoit paindre et pourtraire
Cil qui tel ymage sceut faire
Car bien sembloit chose vilaine
De despit et d'ordure plaine
Et femme qui bien peut scavoit
Honnorer ce qu'elle devoit.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:27

Couvoytise

Apres fut paincte Couvoytise
C'est celle qui les gens attise
De prendre et de riens ne donner
Et les grans trésors amener.
C'est celle qui fait a usure
Prester pour la tresgrant ardure
D'avoir, conquerre et assembler
C'est celle qui semont d'embler
Les larrons plains de meschant vueil
C'est grant péché, mais c'est grant dueil
A la fin quant il les fault pandre.
C'est celle qui fait l'autruy prendre
J'entens prendre sans achepter
Qui fait tricher et crocheter.
C'est celle qui les desvoyeurs
Fait tous et les faulx plaidoyeurs
Qui maintes fois par leurs cautelles
Ostent aux varletz et pucelles
Leurs droitz et leurs rentes escheuz
Courbes, courtes et moult crocheuz
Avoit les mains icelle ymage,
Bien est painct ; car tousjours enrage
Couvoytise de l'autruy prendre
Couvoytise ne scait entendre
Fors de l'autruy tout acrocher
Couvoytise à l'autruy trop cher.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:28

Avarice

Une autre ymage y eut assise
Coste à coste de Couvoytise
Avarice estoit appellée
Orde, salle, laide et pellée
De toutes pars maigre et chétive
Et aussi verte comme cyve.
Tant paressoit alangourée
Qu'à la veoir si descoulourée
Sembloit chose morte de fain
Qui ne vesquist fors que de pain
Paistry en lessive et vinaigre
Et avec ce qu'elle estoit maigre
Elle estoit povrement vestue.
Cotte avoit vieille et desrompue
Comme si chiens plus de treize
L'eussent tinse et si estoit raise
Et plaine de vieil maint lambeau.
Pres d'elle pendoit ung manteau
A une perche moult greslette
Et une robbe de brunette.
Au manteau esté ou yver
N'avoit penne de menu ver
Mais d'aigneaulx veluz et pesans
Et la robbe avoit bien seize ans
Laquelle encore sans mentir
Avarice n'osoit vestir
Car sachez que moult luy pesoit
Quant ceste vieille robbe usoit
S'elle fust usée et mauvaise
Elle en eust eu trop grant malayse
Et de robbe eust eu grant affaire
Quant une neufve elle eust fait faire,
Avarice en sa main tenoit
Une bource qu'elle espergnoit
Et la nouoit si fermement
Qu'elle eust demouré longuement
Avant que d'y mettre le poing
Aussi de ce n'avoit besoing
Car d'y rien prendre n'eust envye
Et fust ce pour sauver sa vie.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:28

Envie

Envie aussi je vy adoncques
Qui en sa vie ne rit oncques
Et qui n'a de joye une goute
Si elle ne voit ou escoute
Sur quelqu'un dommaige advenir
Rien ne la scavoit mieulx tenir
En plaisir que mal adventure.
Quant elle voit desconfiture
Sur quelque bon preud'homme avoir
Cela luy est plaisant à veoir,
Et s'esjouyt en son courage
Quant elle voit aucun lignage
Trébucher et aller à honte,
Et quant aucun a honneur monte
Par son sens et par sa noblesse
C'est la chose qui plus la blesse
Car sachez que moult luy convient
Avoir du dueil, quant bien advient,
Envie est de tel cruaulté
Qu'elle ne porte loyaulté
A compaignon n'amy expres
Et n'a parent tant luy soit pres
A qui ne soit toute ennemye.
Certes elle ne vouldroit mye
Qu'a son propre pere vint bien,
Mais sachez qu'elle achapte bien
Sa grant malice cherement
Car elle est en si grant tourment
Quant gens de bien bonne oeuvre font
Qu'a peu qu'en désespoir ne fond
Et souhaite en son cueur immunde
Se venger de Dieu et du monde.
Jamais ne cesse Envie infame
De mettre sus quelque diffame
Et croy que s'elle congnoissoit
Le plus homme de bien qui soit
Ne de ca mer, ne de la mer
Si le vouldroit elle blasmer
Et s'il estoit si bien apris
Qu'elle ne peust son loz et pris
Du tout abatre et despriser
Si vouldroit elle amenuyser
Pour le moins son bruyt et honneur
Par son parler faulx blasonneur.
A la paincture prins esgard
Qu'Envye avoit mauvais regard
Car jamais n'alloit riens voyant
Fors de travers en bourgnoyant.
Elle avoit ce mauvais usage
Qu'elle ne povoit au visage
Personne regarder a plain
Mais clouoit ung oeil par desdain
Et toute de despit ardoit
Quant aucuns qu'elle regardoit
Estoient moult beaulx ou preux ou gentz
Ou prisez et aymez des gens.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:29

Tristesse

Pres d'Envye estoit paincte aussi
Tristesse plaine de soucy
Qui bien monstroit par sa couleur
Qu'elle avoit au cueur grant douleur
Et sembloit avoir la jaunice
Bien estoit pres d'elle avarice
Quant à palleur et maigreté
Car le dueil en elle arresté
Et la pesanteur des ennuys
Qu'elle portoit et jour et nuytz
L'avoient faicte ainsi fort jaunir
Et palle et maigre devenir
Oncques vivans en tel martire
Ne fut, ne porta si grant yre
Comme il apparoissoit qu'elle eust.
Je croy qu'onq homme ne luy pleust
Ne fist chose qui luy peust plaire
Et si ne se vouloit retraire
Ny a personne conforter
Du dueil que luy failloit porter.
Trop avoit son cueur courroucé
Et son dueil profond commencé
Dont bien sembloit estre dolente
Car elle n'avoit esté lente
D'esgratigner sa face toute.
Sa robe aussi ne prisa goute
En maintz lieux l'avoir dessirée
Comme femme d'angoisse yrée.
Ses cheveulx tous destrecez furent
Et sur son doz ca et la cheurent
Car tous desrompus les avoit
Du courroux qu'elle concevoit
Et si sachez certainement
Qu'elle plouroit moult tendrement.
Homme tant soit dur ne la veist
A qui grande pitié ne feist
Elle se rompoit et batoit
Et ses poingz ensemble hurtoit.
Brief la dolente et la chétive
Moult fut a dueil faire ententive
Et ne cherchoit a s'esjouyr
A dancer ou chansons ouyr
Car qui le cueur a bien dolent
N'a pour vray désir ne talent
De rire dancer ou baiser
Et ne scauroit tant s'appaiser
Qu'avecques dueil sceust joye faire
Car dueil est a joye contraire.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:30

Vieillesse

Apres fut Vieillesse pourtraicte
Qui estoit bien ung pied retraicte
De la forme dont souloit estre
A grant peine se povoit paistre
Tant estoit vieille et radotée
Sa beaulté fut toute gastée
Et si vieille estoit devenue
Qu'elle avoit la teste chenue
Toute blanche et toute florie,
Pas n'eust esté grande mourie
Si morte fust ne grant péché
Car tout son corps estoit séché
Pour longueur de temps et vieil eage.
Tout flaistry estoit son visaige
Jadis plain et tenu tant cher
Et aux mains n'avoit point de chair.
Les oreilles avoit moussues
Aussi les dentz toutes perdues
Parquoy n'eust sceu mascher qu'à peine.
De vieillesse estoit si fort pleine
Que cheminé n'eust la montance
De quatre toyses sans potance
Le temps qui s'en va nuyt et jour
Sans repos prendre et sans séjour
Et qui de nous se part et emble
Si secrettement qu'il nous semble
Que maintenant soit en ung poinct
Et il ne s'i arreste point
Ains ne fine d'oultre passer
Si tost que ne scauriez penser
Quel temps il est présentement
Car avant que le pensement
Fut finy, si bien y pensez
Troys temps seroient desja passez
Le temps qui ne peult séjourner
Ains va tousjours sans retourner
Comme l'eau qui s'avalle toute
Et contremont n'en revient goute
Le temps contre qui rien ne dure
Ne fer ne chose tant soit dure
Car le temps tout gaste et tout mange
Le temps qui toutes choses change
Qui tout fait croistre et tout mourir
Et tout user et tout pourrir.
Le temps qui envieillist noz peres
Qui vieillist povres et prosperes
Et par lequel tous vieillirons
Ou par mort jeunes périrons
Le temps par qui sera faillye
Mer, terre, et gens avoir vieillie
Celle que je dy de tel sorte
Que moins sembloit vive que morte
De s'ayder n'avoit plus puissance
Mais retournoit en enfance
Car foyble avoit corps et cerveau
Comme ung enfant né de nouveau.
Toutesfoys ainsi que je sens
Elle fust saige et de grant sens
Quant elle estoit en son droit aage
Mais elle n'estoit plus si saige
Ains rassotoit, et enserrée
Estoit d'une chappe fourrée
Dont elle avoit, j'en suis recors
Affublé et vestu son corps
Affin d 'estre plus chauldement
Morte de froit fust autrement
Car tousjours subjectz a froidure
Sont vieilles gens c'est leur nature.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:30

Papelardie

Une autre apres estoit escripte
Qui bien sembloit estre ypocrite
Papelardie est appellée
C'est celle qui en recelée
Quant on ne s'en peult prendre garde
D'aucun mal faire ne se tarde
Et fait dehors la marmyteuse
Ayant face palle et piteuse
Comme une simple créature
Mais il n'y a mal adventure
Qu'elle ne pense en son couraige
Moult bien luy ressembloit l'ymaige
Paincte et pourtraicte a sa semblance
Qui fut de simple contenance
Elle fust chaussée et vestue
Tout ainsi que femme rendue
En sa main ung psaultier tenoit
Et saichez que moult se penoit
De faire a Dieu prieres sainctes
Et d'appeler et sainctz et fainctes
Gaye n'estoit, mais bien chétive
Et par semblant fort ententive
Du tout a bonnes oeuvres faire
Aussi avoit vestu la haire
De peur qu'elle ne devint grasse
Et de jeusner estoit si lasse
Qu'elle avoit coulleur palle et morte
A elle et aux siens est la porte
Du ciel fermée sans mercy
Car telles gens se font ainsi
Amaigrir se dit l'Evangille
Pour avoir loz parmy la ville
Et pour ung peu de gloire vaine
Qui hors d'avecques Dieu les maine.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:31

Povreté

Pourtraicte fut tout au dernier
Povreté qui ung seul denier
N'eust pas si elle se deust pendre
Tant sceust elle sa robe vendre
Nue estoit quasi comme ung ver
Et s'il eust fait ung peu d'iver
Je croy qu'el fust morte de froit.
Elle avoit vieil sac estroict
Tout plain de pieces et de crotes
Et pour toutes robes et cottes
N'eust autre chose a affubler
Si eust bon loysir de trembler
Car des gens fut ung peu loignet
Et comme un chien a ung coignet
Se cachoyt et accropissoyt
Aussi Povreté ou que soit
Tousjours est honteuse et despite
Or puisse estre l'heure mauldicte
Qu'oncques povre homme fut conceu
Entre gens ne sera receu
Ne bien vestu, ne bien chaussé
Aymé, chéry, ny exaulcé.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:31

S'ensuyt l'Acteur

Les ymaiges qu'ay advisé
Comme je vous ay devisé
Furent en or et en azur
De toutes pars painctes au mur
Hault fut le mur et tout carré
Si en estoit clos et barré
En lieu de haye ung beau verger
Si bien assis pour abréger
Qu'on ne le pourroit dire a droit
Qui dedans mener me vouldroit
Ou par eschelle ou par degré
Je luy en sceusse moult de gré
Car oncq homme ne fut conduict
A telle joye et tel déduict
Comme a celle de ce verger
Ce beau lieu d'oyseaulx héberger
N'estoit ne desdaigneulx ne chiche
Mais ne fut oncque lieu si riche
D'arbres et d'oysillons chantans
Car par les buyssons bien sentans
Y en eut trois foys plus qu'en France
Et tant fut belle l'accordance
De leur musicque a escouter
Qu'elle povoit tout dueil oster
Quant a moy si fort m'esjouy
Lors que si bien chanter j'ouy
Que je ne prinsse pas cent livres
S'il y eust passaiges delivres
Pour n'y entrer, et que ne veisse
L'assemblée que Dieu bénisse
Des oyseaulx qui leans estoient
Et de gay couraige chantoient
Les dances d'amours et les notes
Plaisans courtoyses et mignotes.
Quant j'ouy ces oyseaux chanter
Je me prins fort a guementer
Par quel art et par quel engin
Je pourroye entrer au jardin
Mais je ne povoys bien scavoir
Par ou entrée y peusse avoir
Et saichez que je ne scavoye
S'il y avoit pertuys ny voye
Ne lieu par ou l'on y entrast
Et homme qui me le monstrast
N'estoit illec, car seul j'estoye
Et d'ennuy maint souspir jectoye
Tant qu'au dernier il me souvint
Que impossible estoit qu il advint
Qu'en ung si beau verger n'eust huys
Ou eschelle, ou quelque pertuys
Lors m'en allay a grant alleure
Environnant la compasseure
Et le grant tour du mur carré
Tant que ung huys bien clos et barré
Trouvay fort petit et estroit
Et par ailleurs on n'y entroit
Si commencay a y férir
Sans d'autre entrée m'enquérir.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:32

Comment Oyseuse ouvrit la porte a l'Amant. et puis s'en déporte

Assez y frappay et boutay
Et par maintes foys escoutay
Si j'orroys gens parler ensemble
Le guichet qui estoit de tremble
Mouvoit, adonc une pucelle
Qui estoit assez gente et belle
Cheveulx eut bloncz comme ung bassin
La chair plus tendre qu'ung poussin
Front reluysant, sourcilz voultiz
Large entroeil, et les piedz petis
Tétin poingnant blanc de nature
Et le nez bien fait a droicteure
Comme ung faulcon les yeulx eut vers
Jectans oeillades de travers
La face blanche et coulourée
L'alaine doulce et savourée
La bouche petite et grossette
Et au menton une fossette
D'espaules eut belle croysure
Et le col de bonne mesure
Sans aucune bube ne tache.
Brief en ce monde je ne sache
Femme qui si beau col portast
Polly sembloit et souef au tast
Et la gorge avoit aussi blanche
Comme la neige sur la branche
Quant il a freschement neigé
Le corps eut droit, gent et dougé
Et ne falloit ja sur la terre
Ung plus beau corps de femme querre
D'orfaverie eut ung chappeau
Proprement fait, mignon, et beau
Et plus riche a bien le priser
Que le scauroie deviser.
Sur ce chappeau d'orfaveries
En eut ung de roses fleuries
Et en sa main ung mirouer
Si eut d'ung riche tressouer.
Son chef tressé estroictement
D'ung las de soye coinctement
Lassoit en deux endroictz ses manches
Et pour preserver ses mains blanches
Du halle en chascune eut ung gant.
Sa cotte fust d'ung vert de gant
A broderie tout entour
Et bien sembloit a son atour
Qu'a besongner peu se mectoit
Car quant bien pignée elle estoit
Bien parée, et bien attournée
Elle avoit faicte sa journée
Et avoit si bon temps aussi
Qu'elle n'avoit soing ne soucy
De rien qui soit, fors seullement
De soy acoustrer noblement.
Quant la belle ainsi acoustrée
Du verger m'eust ouvert l'entrée
Je l'en merciay humblement
Et si luy demanday comment
Avoit nom, et qui estoit elle,
Elle ne fut vers moy rebelle
Ne de respondre desdaigneuse.
Je me fais appeller Oyseuse
Dit elle, a chascun qui me hante,
Riche femme suis et puissante
Et d'une chose ay fort bon temps
Car a riens du monde n'entens
Qu'à me jouer et soullasser
Et mon chef pigner, et tresser,
Privée suis, jollye et coincte
Et de Déduict tousjours m 'acoincte,
C'est cil a qui est ce jardin
Qui du pays alexandrin
Feit cy les arbres apporter
Qu'il feist par le jardin planter.
Puis quant chascun arbre fut creu
Déduit qui n'est mie recreu
Feit tout autour ce hault mur faire
Et si feit au dehors pourtraire
Les ymaiges qui y sont joinctes
Qui ne sont ne belles ny coinctes
Mais laydes et traystes a veoir
Comme avez peu appercevoir.
Maintesfois pour s 'esbanoyer
Se vient en ce lieu umbroyer
Déduit et les gens qui le suivent
Qui en soulas et joye vivent.
Encor est il leans sans doubte
La ou il entend et escoute
Chanter les doulx rossignolletz
Mauvis et aultres oyselletz,
Illec se joue et se soulace
Avec ses gens, car telle place
Au monde ne scauroit trouver
Pour tout passe temps esprouver
Et maintiendray en toute voye
Que les plus belles gens qu'on voye
Sont les compaignons que Déduit
Avecques luy maine et conduict.
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:32

Comment l'Amant parle a Oyseuse ; Qui luy fut assez gracieuse.

Quant Oyseuse m'eut tout compté
Et j'euz bien son compte escouté
Je luy dy adoncq, dame Oyseuse
Croyez sans en estre doubteuse
Puis qu'ores Déduit et ses gens
Sont icy tant jolys et gentz
Je feray tant que l'assemblée
De moy ne sera pas emblée
Qui ne la voye ains qu'il soit nuict
Si ma personne ne vous nuict.
Veoir la me fault, c'est mon vouloir
Car mieulx n'en pourray que valloir.
Lors entray au jardin tout vert
Par l'huys qu'Oyseuse m'a ouvert
Et quant par dedans je le vy
Je fuz de joye si ravy
Que pour tout vray je cuidoye estre
Venu en Paradis terrestre.
Tant estoit beau ce lieu ramaige
Que bien sembloit divin ouvraige
Car comme il me sembla de faict
En aucun Paradis ne faict
Si bon estre comme il faisoit
Au verger qui tant me plaisoit.
D'oyseaulx chantans y eut assez
Par tout le jardin amassez,
En ung lieu avoit estourneaulx
En l'autre malars et moyneaulx
Pinsons, pyvers, merles, mesanges
Qui ne sembloient oyseaulx, mais anges
Brief homme n'en vit oncques tant,
La estoit le geay caquetant
Le verdier s'y esjouyssoit
La tourterelle y gémissoit
Et y desgorgeoit la linote
Le chant que nature luy note.
En autre lieu vy amassées
Force kalandes, qui lassées
Furent de chanter aux enuis
Car les rossignolz et mauvis
Sceurent si haultement chanter
Qu'ilz vindrent a les surmonter.
Ailleurs aussi sont papegaulx
En chantz et plumes non égaulx
Qui par ces vertz boys ou ilz hantent
Incessamment sifflent et chantent,
Mais par sus tous oyseaulx beccus
Se firent ouyr les cocus
Qui en plus grant nombre se y trouvent
Car au jardin d'Amours se couvent.
Bien fut leur chappelle fournie
Et plaine de grant armonie
Car leur chant estoit gracieulx
Comme une voix venant des cieulx.
Or pensez si de m'esjouyr
J'avoys raison d'ainsi ouyr
A mon gré la plus grant doulceur
Qu'on ouyt oncques, pour tout seur
Tant estoit ce chant doulx et beau
Qu'il ne sembloit pas chant d'oyseau
Mais le povoit l'on estimer
Ung chant de seraines de mer
Qui prindrent ce nom de seraines
De leur voix series et saines
Dont en mer endorment souvent
Ceulx qui mettent voyles au vent.
A chanter furent ententis
Les oysillons qui aprentis
Ne furent pas, ne non saichans,
Et saichez quant j'ouy leurs chantz
Et je vy tant beau et pourpris
A esmerveiller je me pris
Car encor n'avoys esté oncques
Si gay, que je devins adoncques
Tant pour la grande nouveaulté
De ce lieu, que pour sa beaulté.
Alors congneuz je bien et vy
Qu'Oyseuse m'avoit bien servy
De m'avoir en tel Déduit mis
Et bien me tins de ses amys
Puis qu'elle m'avoit deffermé
Le guichet du verger ramé.
Or maintenant vous en diray
Plus avant, et vous descripvray
Premier dequoy Déduit servoit
Et quelle compaignie avoit.
Sans longue fable vous vueil dire
Puis du verger tout d'une tire
Réciteray ce qu'il me semble,
Je ne puis dire tout ensemble
Mais je le compteray par ordre
Que l'on n'y saiche que remordre.
Beau service doulx et plaisant
Chascun oyseau alloit faisant
En chant et musique ramaige
Rendant au dieu d'Amours hommaige
Les cleres voyes diminuerent
Les moyennes continuerent
Et les grosses bien entonnoient.
Brief tant de plaisir me donnoient
Que impossible est que mélodie
Telle je vous desmesle ou die.
Mais quant j'euz escouté ung peu
Les oyseaulx, tenir ne me peu
Que Déduit je n'allasse veoir,
Car moult désiroys de scavoir
Sa facon de faire et son estre
Si m'en allay tout droit a dextre
Par une bien petite sente
Bordée de fanoul et mente
Et la aupres trouvay Déduit
En lieu secret qui bien luy duit.
Lors entray ou Déduit estoit
Lequel illecques s'esbatoit
Avec une si belle bande
Que je feuz en merveille grande
Comment Dieu en terre assembloit
Si belles gens, car il sembloit
Que fussent anges empennez
De telz n'en sont au monde nez.
Stephandra
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Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer  Empty Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer

Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:33

Cy parle l'Acteur sans frivolle...

Cy parle l'Acteur sans frivolle
de Déduit et de sa karolle.
Ces gens dancerent aux chansons
Qui n'eurent laitz ne meschans sons
Car une dame les chantoit
Qui lyesse appellée estoit.
Chanter scavoit moult doulcement
Et a son chant bien proprement
Ses motz et resfrains asseoyt
A autre si bien ne seoyt,
Et s'elle eut voix bien clere et saine
Encor moins a dancer fut vaine,
Mais scavoit bien s'esvertuer
Saulter, virer, et remuer
Et tousjours comme coustumiere
Dancoit et chantoit la premiere
Car chanter, dancer, sont mestiers
Ou elle faisoit moult voulentiers.
Lors veissiez les dances aller
Ung chascun a l'envy baller
Et faire gambades et saultz
Sus l'herbe drue et soubz les saulx.
La eussiez veu pour les balleurs
Fleusteurs, harpeurs, et cimballeurs.
Les ungz sonnerent millannoyses
Les autres notes lorrainnoyses
Pour ce qu'on en fait en Lorraine
De plus belles qu'en nul dommaine,
Apres y eut farces joyeuses
Et batelleurs et batelleuses
Qui de passe passe jouoyent
Et en l'air ung bassin ruoyent
Puis le scavoyent bien recueillir
Sur ung doy, sans point y faillir.
Deux damoiselles bien mignotes
Je vy adonc en simples cottes
Et tressées en une tresse
Lesquelles Déduit sans destresse
Faisoit lors devant luy bailler
Mais de ce ne fault ja parler
Comme elles balloyent coinctement
L'une venoit tout bellement
Vers l'autre, et quant elles estoient
Pres apres si s'entrejectoyent
Les bouches, et vous fust advis
Qu'elles se baisoyent vis a vis
Fort bien sceurent leurs bas briser
Si n'en scay plus que deviser
Fors que de la jamais ne queisse
M'en aller, tant comme je veisse
Telles gens ainsi s'advanser
De rire, chanter, et danser.
La dance qui me plaisoit tant
Je regarday jusques a tant
Que une dame d'honneur saysie
M'entrevit, ce fut Courtoysie
La gracieuse et débonnaire
Que Dieu gard de chose contraire
Courtoysement lors m'appella
Bel amy, que faictes vous la
Dit elle, icy vous en venez
Et a la dame vous prenez
Avec entre nous, s'il vous plaist
Quant j'ouy ces motz sans faire arrest
A m'enhardir je commencay
Et avec les danceurs dancay
Car saichez que moult m'agréa
Dont Courtoysie me pria
En me disant que je dansasse
Plustost l'eusse fait si j'osasse
Mais j'estoys de honte surpris
Adoncq a regarder me pris
Les corps les facons et maintiens
Les cheres et les entretiens
De ceulx qui la dancoyent ensemble
Si vous diray d'eulx qu'il me semble
Déduit fut beau et grant et droit
Plaisant en ditz en faitz adroit
Plus que jamais on ne vit homme
La face avoit comme une pomme
Vermeille et blanche tout autour
Miste fut et de bel atour
Les yeulx eut vers, la bouche gente
Le nez bien fait par grant entente
Et le poil blanc et crespelé
D'espaules estoit large et lé
Et gresle parmy la saincture
Bref il sembloit une paincture
Tant estoit doré et gemmé
Et de tous membres bien formé
Le corps eut bon, les jambes vistes
Plus légier homme oncques ne veistes
Et si n'avoit barbe ou menton
Fors ung petit poil folleton
Comme ses jeunes damoyseaulx
D'ung samy pourtraict a oyseaulx
Qui estoit tout a or batu
Son corps fut richement vestu
Et la robbe bien devisée
En maintz lieux estoit incisée
Et découppée par cointise
Puis fut chaussé par mignotise
D'ung souliers descouppez a las
S'amye aussi par grant soulas
Luy avoit fait joly chappeau
De roses qui moult estoit beau.
Et scavez vous qui fut s'amye
Lyesse qu'il ne hayoit mye
La mieulx disant des bien disans
Qui des son eage de dix ans
De son amour luy fit octroy
Déduit la tint parmy le doy
Et elle luy a ceste dance
D'eulx deux c'estoit belle accordance
Car il fut beau et elle belle
Et bien sembloit rose nouvelle
De la couleur et sa chair tendre
On luy eust peu trencher et fendre
Avecque une petite ronce
Le fronc avoit polly sans fronce
Les sourcilz bruns le corps faictiz
Et les yeulx doulx et actraictiz
Car on les voyoit rire avant
Que la bouche le plus souvent
De son nez ne vous scay que dire
Fors que mieulx fait ne fust de cire
Bouche doulce et rougeur parmy
Avoit pour bayser son amy
Et le chef blond et reluysant
Que vous en yroys je disant
Belle fut et bien atournée
Et de fin or par tout ornée
Si avoit ung chappellet neuf
Si beau que parmy trente neuf
En mon vivant veoir ne pensoye
Chappeau si bien ouvré de soye
D'ung samy vert bien doré
Fut son corps vestu et paré
De quoy son amy robe avoit
Dont bien plus fiere se trouvoit
A luy se tint de l'autre part
Le dieu d'Amours cil qui départ
Amourettes a sa devise
C'est cil qui les amans attise
Et qui abbat l'orgueil des braves
Et fait des grans seigneurs esclaves
Qui fait servir royne et princesse
Et repentir, nonne et abbesse.
Ce dieu d'Amours de sa facon
Ne ressembloit point ung garson
Ains fut sa beaulté a priser
Mais de sa robe deviser
Crains grandement qu'enpesché soye
Il n'avoit pas robe de soye
Mais estoit faicte de fleurettes
Tres bien par fines amourettes
A losenges et a oyseaux
Et a beaulx petis leonceaux
A aultres bestes et lyepardz
Sa robe estoit de toutes pars
Bien faicte et couverte de fleurs
Par diversité de couleurs
Fleurs la estoient de maintes guises
Bien ordonnées par divises
Aucune fleur en esté n'est
Qui n'y fust ne fleur de genest
Ne violette ne parvenche
Jaune soit inde, rouge, ou blanche
Par lieux estoient entremeslées
Fueilles de roses grandz et lées
Au chief estoit ung chapellet
De roses bel et nettelet
Les rossignolz autour chantoient
Qui doulcement se délectoient
Il estoit tout couvert d'oyseaulx
Reluysans tresplaisans et beaulx
De mauvis aussi de mésange
Si qu'il ressembloit a ung ange
Descendant droictement du ciel
Amour avoit ung jouvencel
Aupres de luy tout a delé
Qui Doulx Regard fut appellé.
Ce beau bachelier regardoit
Les oyseaux et aussi gardoit
Au dieu d'Amours deux arcz turquoys
Dont l'ung d'iceulx estoit de boys
Tout cornu et mal aplané
Remply de neudz et mal tourné
Et estoit dessoubz et desseuré
Comme je vis plus noir que meure.
L'autre des arcz fut d'ung planson
Longuet et de gente facon
Bien faict estoit et bien dolé
Et aussi tres bien piolé
Les dames y estoient bien painctes
Et jeunes damoiselles cointes
Ces deux arcz tenoit Doulx Regard
Et apres portoit d'aultre part
Jusqu'a dix fleches de son maistre
Cinq en tenoit en sa main dextre
Desquelles cinq a pointes croches
Les pannons bien faictz et les coches
Furent bien a point a or painctes
Trenchantes trop furent les pointes
Et agues pour bien percer
Mais la n'estoit fer ny acier
Qui tres richement d'or ne fust
Fors que les pennons et le fust
Les pointes estoient appellées
Sajettes d'or embarbelées
La meilleur et la plus ysnelle
De ces fleches et la plus belle
Celle qui eut meilleur pennon
Eut de Toute Beaulté le nom.
L'autre de celles qui moins blesse
Eut nom ce m'est advis Simplesse.
La tierce si fut appellée
Franchise tres bien empanée
De valleur et de courtoysie
La quarte eut a nom Compaignie
Qui menoit trop pesante feste
Car point n'estoit d'aller loing preste
Mais qui de pres en vouloit traire
Bien en povoit assez mal faire.
La quinte eut a nom Beau Semblant
De toutes aultres moins grevant
Non pourtant fait elle grant playe
A celluy qui son coup essaye
Qui de ceste fleche est blessé
Il en doit estre moins pressé
Et si peult tost santé attendre
Et en aura la douleur mendre.
Les autres cinq fleches mal traictes
Mal rapotées sont et faictes
Et les fustz estoient et le fer
Plus noirs que les diables d'Enfer
Orgueil avoit nom la premiere
Des aultres portant la baniere.
La seconde fut Villenye
Plaine de grande félonnye
La tierce estoit Honte nommée
Entre gens souvent renommée
Et la quarte fut Couvoytise
Qui les gens a mal faire attise
La quinte estoit Desespérance
Prompte a mal faire sans doubtance
De toutes aultres la derniere
Ces cinq fleches d'une maniere
Estoient et toutes ressemblables
Et moult leur estoient convenables
Les deux boutz de l'arc tresboyteux
Bossu tortu et plain de neux.
Telles fleches devoient bien traire
Qui des aultres sont au contraire.
Je ne vous diray pas leur force
Car a présent ne m'en efforce
Vous orres la signifiance
Sans y obmettre diligence
Et vous diray que tout ce monte
Devant que je fine mon compte.
Je reviendrey a ma parolle
Des nobles gens de la carolle,
Dire me fault leur contenance
Et leur facon et leur semblance
Le dieu d'Amours or c'estoit pris
A une dame de hault pris
Pres se tenoit de son costé
Celle dame avoit nom Beaulté
Qui point n'estoit noire ne brune
Mais aussi clere que la lune
Estoit vers les aultres estoilles
Qui semblent petites chandelles,
Tendre chair eut comme rosée
Simple fut comme une espousée
Et blanche comme fleur de lys.
Le vis eut bel doulx et alis
Et estoit gresle et alignée
Fardée n'estoit ne pignée,
Car elle n'avoit pas mestier
De soy farder et nettier.
Cheveulx avoit bloncz et si longs
Qu'ilz luy battoient jusques aux talons,
Beaulx yeulx avoit, nez et la bouche
Moult grant douleur au cueur me touche
Quant de sa beaulté me remembre
Pour la facon de chascun membre.
Si belle femme n'est au monde
Jeune soit et de grand faconde
Saige, plaisante, gaye, et cointe
Gresle, gente, frisque et acointe.
Pres de Beaulté estoit Richesse
Une dame de grand haultesse
De grand pris et de grand affaire.
Qui a elle et aux siens meffaire
Osast et par faictz et par dictz
Tenu estoit des plus harditz
Qui luy peult ou nuyre ou aydier
Ce n'est mye d'huy ne d'hier
Que riches gens ont grant puissance
De faire secours et grevance.
Tous les plus grandz et les mineurs
A richesse portoient honneurs.
Chascun si l'appelloit sa dame
Et craignoit comme riche femme
Tous se mettoient en son dangier
Et la veult chascun calengier
Maintz trahystres et maintz envieulx
Souventes fois sont bien joyeulx.
De despriser ou de blasmer
Tous ceulx qui sont mieulx a aymer
Par devant comme mocquerie
Louant les gens en flaterie,
Et par doulces parolles oygnent,
Mais apres de leurs flesches poignent
Par derriere jusques a l'oz
Et abaissent des bons les loz
Et deslouent les alouez,
Maint preud'homme ont desalouez
Les losengeurs par leurs losenges
Et fait tenir de court estranges
Ceulx qui deussent estre privez
Que mal puissent estre arrivez
Telz losengeurs ou plains d'envie
Car nul preud'hom n'ayme leur vie.
De pourpre fut le vestement
De Richesse si noblement
Qu'en tout le monde n'est plus beau
Mieulx faict ny aussi plus nouveau.
Pourtraicté si furent d'or frais
Hystoires d'empereurs et roys
Et d'avantaige y avoit il
Ung ouvrage noble et subtil
A noyaulx d'or au col fermant
Et a bendes d'azur tenant.
Noblement eut le chief paré
De riches pierres décoré
Qui jettoient moult grande clarté
La tout estoit bien assorté.
Elle avoit moult riche sainture
Sainte par dessus sa vesture
De laquelle la boucle estoit
D'une pierre qui moult luysoit.
Celuy qui dessus soy la porte
Gardé est des venins en sorte
Qu'il n'est point en aucun dangier.
Celle sainture ou franc bauldrier
De richesses valoit grand somme,
Car si beau on n'avoit veu homme,
D'autres pierres estoient les mordens
Qui guarissoient du mal des dens,
Et portoit la pierre bon heur
Qui l'avoit povoit estre asseur
De sa santé et de sa veue
Quant au cueur jeun il l'avoit veue.
Les cloux estoient d'or espuré
Par dessus le tissu doré
Qui moult estoient grans et pesans
En chascun avoit deux besans,
Et avoit avecq ce richesse
Un ceptre d'or mis sur sa tresse
Si riche si plaisant et bel
Qu'oncques on ne vit le pareil,
De pierres estoit fort garoy
Précieuses et aplany.
Qui bien en vouldroit diviser
On ne les pourroit pas priser,
La sont rubis, saphirs, jagonces
Esmerauldes plus de cent onces
Mais devant est par grand maistrise
Une escarboucle bien assise.
Celle pierre si clere estoit
Que cil qui devant la mettoit
Tres bien povoit veoir au besoing
Se conduyre une lieue loing.
Telle grant clarté en yssoit
Que richesse en resplendissoit
Par tout son corps de par la face
Aussi faisoit toute la place.
Richesse tenoit par la main
Ung jouvencel de beaulté plain
C'est son amy Jolyveté
Ung homme qui au temps d'esté
Joyeusement se délectoit
Il se chaussoit bien et vestoit
Et avoit les cheveulx de pris
Bien eust cuydé estre repris
D'aucun meurtre ou larrecin
S'en son estable n'eust roucin
Pour cela avoit l'acointance
De richesse et la bien vueillance
Et tousjours avoit en pourpenses
De maintenir les grans despences,
Il les povoit bien maintenir
Puis qu'il y povoit bien fournir
Richesse luy livroit deniers
A mesures et a septiers.
Apres estoit Largesse assise
Qui bien fut duite et bien apprise
Du faire honneur et tout despendre
Du lignaige fut d'Alexandre
Qui point n'avoit plaisir de rien
Sinon quant il donnoit du sien,
Mais Avarice la chétive
N'est pas soigneuse et ententive
Comme Largesse de donner,
Pour ce fit Dieu tant foysonner
Tous ses biens qu'elle ne scavoit
Tant donner qu'elle plus avoit.
Moult eut Largesse pris et lotz
Les saiges avoit et les folz
Communement a son bandon
Tant avoit fait par son beau don.
Si aucun fust qui la haist
C'estoit son droit qu'elle le fist
De ses amys par beau service,
Et pour ce luy estoit propice
L'amour des povres et des riches
Folz sont les avers et les chiches,
Mais les riches n'ont aucun vice,
Ains sont plains de tout bénéfice
Avaricieux sont en paine
Et ne dorment jour de sepmaine
Nonobstant ilz ne peuvent querre
Ne seigneurie ne grand terre
Dont ilz facent leur voulenté
Car ilz n'ont pas d'amys planté,
Mais qui amys vouldra avoir
Chier ne doit avoir son avoir
Ains par beaulx dons amys doit querre
Car c'est la vertu de son erre,
Comme la pierre d'ayment
Attraict le fer subtilement
Ainsi attraict le cueur des gens
Qui a donner est diligens.
Largesse eut robe bonne et belle
D'une couleur toute nouvelle
Et visaige tres bien formé
Nul membre n'avoit difformé.
Largesse la vaillant et saige
Tint ung chevalier du lignaige
Au bon roy Artus de Bretaigne
C'est celluy qui porta l'enseigne
De valeur et le goufanon
Celluy qui a moult grant renom
Duquel l'on tient encor grand compte
Devant roy et devant maint conte.
Ce chevalier nouvellement
Estoit venu en tournoyement
Ou il avoit fait pour s'amye
Mainte jouste et chevalerie
Et prins par force et abatu
Maint chevalier et combatu.
Apres ceulx la estoit Franchise
Qui n'estoit ne brune ne bise
Ains estoit comme neige blanche
Courtoysie estoit joyeuse et franche.
Le nez avoit long et traitis
Yeulx vers rians, sourcilz faitis,
Les cheveulx tres blans et treslongs
Simple estoit comme sont coulons
Cueur ayant doulx et débonnaire.
Elle n'osoit dire ne faire
Nulle rien que faire ne deust,
Et si ung homme congneust
Qui souffrist pour son amytié
Tantost elle en eust eu pitié
Car elle avoit cueur pitoyable,
Tresfranc, tresdoulx et amyable.
Son habit fut de surquenye
Treshonneste sans villennye,
Mais elle n'estoit de bourras
Si belle n'eust jusqu'a Arras.
Si bien estoit cueillie et joincte
Qu'il n'y eut une seule poincte
Qui a son droit ne fust assise.
Bien estoit vestue Franchise
Car nulle robe n'est si belle
De dame ne de damoyselle,
Femme est plus cointe et plus mignote
En surquenie que en sa cote.
La surquenie qui fut blanche
Monstroit qu'elle estoit doulce et franche
Ung jouvencel qui la estoit
Tout joignant d'elle la vestoit
Lequel estoit moult renommé
Ne scay comme il estoit nommé
Gent estoit pour tenir grand compte
Et sembloit estre filz de conte.
Apres se tenoit Courtoysie
Fort prisée comme jolie
Orgueilleuse n'estoit ne folle
C'est celle qui a la carolle
La sienne mercy m'appella.
Oncques ne sceust quant je allay la
Et n'estoit nice ne vollaige
Mais saige et sans aucun oultraige.
Les beaulx respons et les beaulx dictz
Furent souvent par elle dictz
Et a nul ne portoit rancune.
Elle estoit clere comme lune
Le visaige avoit reluysant
Visaige ne scay si plaisant
Elle est en toute court bien digne
Soit de roy ou conte condigne
A l'huys se tint ung jouvencel
Accointable tres gent et bel
Faisant honneur a toute gent
De ce faire estoit diligent
En armes estoit bien instruict
Tresbien aprins et tres bien duict
De s'ayme fut bien aymé
Comme tresbel et bien formé
Laquelle de pres le suyvoit
Et voulentiers le poursuyvoit
D'elle je vous ay dit sans faille
Toute la facon et la taille
Ja plus ne vous en est compté
Car c'est celle qui la bonté
Me fist en ouvrant le vergier
Combien que je fusse estrangier.
Apres fut comme bien séant
Jeunesse au visaige riant
Qui n'avoit pas encor assez
Comme je croy douze ans passez
Nicette estoit et ne pensoit
A nul mal engin quel qu'il soit
Ains estoit moult joyeuse et gaie
Car nulle chose ne s'esmaye
Fors de jeu comme vous scavez
Son amy fut de loy privez
En maniere qu'il la baisoit
Et tout service luy faisoit
Devant tous ceulx de la carolle
Et memes qui eust tins parolle
Il n'eust ja esté d'eux honteux
Vous les aperceussies tous deux
Baiser comme deux columbeaux
Les personnaiges estoient beaux
Celluy estoit d'une mesme eage
Comme s'amye et de couraige
Tout ainsi carolloyent illecques
Tous ces gens et d'aultres avecques
Lesquelz estoient de leur meslée
Comme gent tresbien enseignée
Et de tresbon gouvernement
Qui la estoient communement.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:34

Comment le dieu d'Amours suyvant...

Comment le dieu d'Amours suyvant
Va au jardin en espiant
L'Amant tant qu'il y soit a point
Si que de ses fleches soit point
Quant j'euz regardé la semblance
De ceulx lesquelz menoient la dance
Ainsi comme j'ay dit devant
J'euz désir d'aller plus avant
Et vouloir de me exerciter
Pour ce beau verger visiter
Les pins les cedres qui la furent
Et les beaulx arbres qui y creurent
Les carolles ja deffailloient
Et plusieurs des gens s'en alloient
Avec leurs dames umbroyer
Soubz les arbres sans forvoyer
La démenoient joyeuse vie
De tout plaisance assouvie
Qui telle vie avoir pourroit
Aultre meilleure ne vouldroit.
Il n'est nul moindre Paradis
Qu'avoir amye a son devis
D'illecques me party a tant
Et m'en allay seul escoutant
Parmy le verger, ca et la,
Et le dieu d'Amours appella
Lors par devant luy Doulx Regart
A nul n'avoit il plus regart
Son arc doré sans plus attendre
Luy a lors commandé a tendre
Parquoy Doulx Regart le tendit
Et l'arc bien tendu luy rendit
Et puis luy bailla cinq sajettes
Fortes grandes d'aler loing prestes
Le dieu d'Amours tantost de loing
Me print a suyvir l'arc au poing
Dieu me gard de mortelle playe
Car je crains que vers moy n'essaye
Il me greveroit mallement
Ne vouc en doubtez nullement
Par le vergier allay delivre
Et celluy pensa a me suyvre
Mais en aulcun lieu n'arresté
Tant que j'euz par tous lieux esté.
Ce bel vergier par compassure
Estoit trestout d'une quarrure
Par tout autant long comme large
De fruict estoit plain le rivaige
Au moins excepté ung ou deux
Ou quelque mauvais arbre hideux.
Les pommiers estoient au vergier
Bien m'en souvient pour abréger
Qui portoient les pommes grenades
Proffitables pour les malades
Noyers la estoient a foison
Qui bien portoient en la saison
Tel fruit comme les noys muscades
Qui ne sont ameres ne fades
La estoient amendiers plantez
Et dedans le verger antez
Et maint figuier, et maint datier
Y trouvast, qui en eust mestier
La estoit mainte bonne espice
Cloux de girofle, et regalice
Graine de paradis nouvelle
Citail, anys, aussi canelle
Et mainte espice délectable
Moult fut celluy lieu convenable
La estoient les arbres non seiches
Qui portoyent les bons coing et pesches
Les chataingnes, pommes, et poires,
Neffles, prunes, blanches et noyres
Serises fresches nouvellettes
Cormes, alises, et noysettes
Les haultz lauriers et les hault pins
Estoient la dedans ces jardins
Oliviers aussi et cipres
Dont il n'en est gueres si pres
Les ormes y estoient branchez
Et aussi gros chesnes fourchez
Que vous yrois je plus comptant
Des arbres divers y eut tant
Que ce me seroit grant encombre
De les vous déclairer par nombre
Mais saichez que les arbres furent
Si loing a loing ainsi qu'ilz durent.
L'ung fut de l'autre loing assis
De cinq toyses voyre de six
Mais moult furent fueilluz et haultz
Pour garder de l'esté les chaulx
Si espes par dessus ilz furent
Quel challeurs percer ne le peurent
Ne ne pouvoient en bas descendre
Ne faire mal a l'herbe tendre.
Au verger sont dains et chevreulx
Et aussi plusieurs escureulx
Qui par sur les arbres sailloyent
Connis y estoient qui yssoyent
Bien souvent hors de leur tanieres
En moult de diverses manieres
Par lieux estoient cleres fontaines
Sans barbelotes et sans raines
Qui estoient des arbres ennombrez
Par moy ne vous seront nombrez
Et petitz ruysseaulx que Déduit
La avoit trouvez par conduit
L'eau alloit aval en faisant
Son, mélodieux et plaisant
Aux bortz des ruysseaux et des rives
Par belles facons jolives
Poingnoit l'herbe drue et plaisant
Grant soulas et plaisir faisant
L'amy povoit avec sa mye
Se déporter n'en doubtez mie
Et par les ruysseletz venoit
Autant d'eaue qu'il convenoit
Fn tresbeau lieu et délectable
Joyeulx plaisant et aggréable
La estoient toujours a planté
Les fleurs fust yver ou esté
Violette y estoit moult belle
Et aussi parvanche nouvelle
Fleurs y estoient rouges et blanches
Sur toutes autres les plus franches
De toutes diverses couleurs
De hault pris et de grans valleurs
Qui tresfort estoient souef flairans
Tres refragans et odorans
Je ne feray pas longue fable
Du lieu plaisant et délectable
Car il m'en fault en présent taire
Aussi a vous dire et retraire
Du verger toute la beaulté
Et la grant délectableté
Ma langue ne pourroit suffire
A le vous réciter et dire
Tant allay a dextre et senestre
Que je vis tout l'affaire et l'estre
De ce bel vergier assouvy
Mais le dieu d'Amours m'a suivy
Qui de loing m'estoit costoiant
Me regardant et espiant
Comme le veneur fait la beste
Pour me férir de sa sajecte.
En ung tresbeau lieu arrivay
Dernierement ou je trouvay
Une fontaine soubz ung pin
Mais depuis le temps de Pépin
N'avoit esté tel arbre veu
Et si estoit si tresbien creu
Qu'en ce verger n'avoit tel arbre
Dedans une pierre de marbre
Nature avoit par grant maistrise
Soubz le pin la fontaine mise
Et estoit dans la pierre escripte
Au bout d'amont lettre petite
Qui demonstroit que la dessus
Mourut le tresbeau Narcisus.
Narcisus fut ung damoyseau
Qu'amours tindrent en leur rouseau
Lequel amours tant fit destraindre
Tant plorer, tant gémir, et plaindre
Qu'il luy convint rendre son ame
Car Echo une noble dame
L'avoit plus aymé que riens n'ay
Et son cueur luy avoit donné
Qui luy dist qu'il luy donneroit
Son amour ou elle mourroit
Mais il fut par sa grant beaulté
Plain de desdaing et de fierté
Et ne luy voulut octroyer
Son amour tant le sceust prier.
Quant elle se vit esconduyre
Ung tel dueil en eut et tel yre
Qu'il luy convint par ce despit
Souffrir mort sans aucun respit,
Mais or devant qu'elle mourust
Pria a Dieu que une fois sust
Narcisus au félon couraige
Qui au cueur luy donnoit la raige
Dont el mourut vilainement
Eschauffé si cruellement
D'amours qu'il en fust affollé
Et aussi par sens désolé
Surprins sans en avoir plaisir
Et que amours tant le peust saisir
Que jamais n'en peust joye attendre
Affin de scavoir et entendre
Quel dueil souffrent les amoureux
Par leurs refuz trop rigoreux.
La priere fut recepvable
De Dieu et par luy acceptable
Car Narcisus par adventure
A la fontaine nette et pure
S'en vint soubz le pin umbroyer
Ung jour qu'il venoit de chasser
Lequel souffroit moult grant travail
D'avoir passé par mont et val
Si qu'il eut soif par grant oppresse
Du chault aussi par sa foyblesse
Quasi du tout perdant l'alaine
Alors qu'il trouva la fontaine
Que le pin de rame couvroit,
Il pensa adonc qu'il beuroit
A la fontaine seurement
Et se baissa hastivement.
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:34

Comment Narcisus se mira ...

Comment Narcisus se mira
A la fontaine et souspira
Par amour tant qu'il fit partir
L'ame du corps sans départir
Il vit en l'eaue clere et nette
Son vis, son nez, et sa bouchette
Dont il fut tresfort esbahy
Quant par son umbre fut trahy
Car il cuydoit veoir la figure
D'ung bel enfant a desmesure.
Amour qui se vouloit vengier
Du grant orgueil et du dangier
Que Narcisus luy avoit fait
Pugnit Narcisus par son fait,
Car tant musa a la fontaine
Qu'il ayma trop son umbre vaine
Et en mourut a la parfin,
De ceste amour telle est la fin
Quant il congneut qu'il ne pourroit
Acomplir ce qu'il désiroit
Et qu'il estoit si prins par sort
Qu'il ne povoit avoir confort
En nulle heure ny en nul temps,
Iré fut, et si mal contens
Que par grant dueil apres mourut,
Et par cela vengée fut
Celle qu'il avoit esconduite
Qui bien luy rendit son mérite.
Dames ceste exemple aprenez
Qui vers voz amys mesprenez
Car si vous le laissez mourir
Dieu le vous scaura bien merir.
Quant l'escript m'eust fait assavoir
Que c'estoit en ce lieu pour voir
La fontaine au beau Narcisus :
Je me tiray ung bien peu sus
Quant du damoyseau me souvint
A qui tant malement advint,
Et commencay a couarder
Et dedans n'osay regarder.
Et puis or je pensay que a seur
Sans point de peur et de malheur
Que a la fontaine aller povoye
Dont par folie m'eslongnoye.
Je m'aprochay de la fontaine
Pour l'eaue veoir tresclere et saine
Et la gravelle belle et nette
Qui au fons estoit tresparfaicte
Et plus luysante que argent fin
De la fontaine est cy la fin
De tout le monde la plus belle
Car l'eau était fresche et nouvelle
Nuyt et jour saillant a grans undes
Par deux fosses creuses et parfondes
Dont au tour croist l'herbe menue
Qui par l'eaue vient fresche et drue
Et en yver ne peult tarir
Ne faillir cesser ou mourir.
Au fons de la fontaine aval
Estoient deux pierres de cristal
Que je regarday a merveilles,
Jamais n'avoys veu les pareilles
De ces pierres je vous vueil dire
Quelque chose sans escondire
Quant le soleil qui tout aguette
Ses rays en la fontaine jecte
Et sa clarté du ciel descent
Et recoyt coulleurs plus de cent
Du cristal qui par le soleil
Devient inde, jaune et vermeil.
Ces cristaux sont tresmerveilleux
Et telle force ont chascun d'eulx
Que arbres fleurs et toute verdure
Appert, a qui la met sa cure.
Et pour faire la chose entendre
Une raison vous veulx aprendre
Ainsi comme ung mirouer monstre
Les choses qui sont alencontre
Et qu'on y voit sans couverture
Toute la facon et figure
Tout ainsi vous dis je pour veoir
Que le cristal sans decepvoir
Tout estre du verger accuse
A celluy qui dedans l'eau muse
Car tousjours quelque part qu'il soit
L'une moytié du verger voit
Et s'il se tourne maintenant
Il peult veoir tout le remanant,
Et n'y a si petite chose
Tant mussée ne tant enclose
Dont demonstrance ne soit faicte
Comme elle c'est au verger pourtraicte.
C'est le mirouer périlleux
Ou Narcisus tresorgueilleux
Vit sa face et ses deux yeulx vers
Dont il cheut puis mort tout envers
Qui en tel mirouer se mire
Ne peult avoir besoing de mire :
Nul n'est qui de ses yeulx le voye
Qui d'aymer ne soit mis en voye
Maint et vaillant homme a mis gaige
Au mirouer, car le plus saige
Le plus preux et plus affecté
Y a esté prins, et guetté
lllec sur tres mauvais oraige,
Car trop tost change le couraige.
La ne se vont conseiller nulz
Car Cupido filz de Vénus
Sema illec d'amour la graine
Laquelle encombre la fontaine
Et fit ses latz environ tendre
Et ses engins y mit pour prendre
Damoyselles et damoyseaulx
Amour ne veult autres oyseaulx,
Pour la graine qui fut semée
Ceste fontaine fut nommée
La fontaine d'amour par droit
Dont plusieurs ont en maint endroit
Parlé en rommant et en livre
Mais jamais n'orrez mieulx descripre
La vérité de la matiere
Quant dict vous auray la maniere.
Maintenant me plaist demeurer
A la fontaine et remirer
Les cristaux qui la démonstroient
Mille choses qui y estoient.
En malle heure m'y suis miré
J'en ay depuis moult souspiré
Ce mirouer m'a fort déceu,
Mais si j'eusse par devant sceu
De sa force et de sa puissance
La pas n'eusse fait résidence
Car fort esbahy me trouvay
Quant cheu es las je me approuvay.
Au mirouer entre mille choses
Choysir rosiers chargez de roses
Lesquelz estoient en ung destour
D'eau environné tout autour.
Alors me vint si grant envye
Que ne laissasse pour Pavye
Ne pour Paris que je ne allasse
La ou je vy la plus grant masse
Quant celle rose m'eut surpris
Dont maint autre a esté espris.
Vers le rosier tost me retrays,
Et saichez que quant je fuz pres
L'odeur de la plus savourée
Rose, m'entra en la pensée
Et en fuz si fort odoré
Qu'a la sentir trop demouré
Jamais je n'eusse pensé estre
Blasmé de fréquenter cest estre.
Tresvolentiers d'elles cueillisse
Au moins une que je tenisse
En ma main pour l'odeur sentir,
Mais je euz or peur du repentir,
Car il eust bien peu de léger
Peser au seigneur du verger.
Roses la estoient a mousseaulx
Rosiers ne vis oncques si beaulx
Ne boutons petis et bien clos
Et aultres qui estoient plus gros.
Lay en eut d'autre moyson
Lesquelz tendoient a leur saison
Et s'aprestoyent d'espanouir
Et a perfection venir.
Les roses ouvertes et lées
Sont en ung jour toutes halées,
Mais les boutons durent tous frais
A tout le moins deux jours ou trois.
Iceulx boutons tresfort me pleurent
Car oncques plus beaulx veuz ne furent.
Qui en pourroit ung acrocher
Il le devroit tenir moult cher.
Si ung chapeau j'en peusse avoir
Mieulx l'aymasse que nul avoir.
Entre tous ces boutons j'en vy
Ung si tresbel qu'envers celluy
Nul des autres riens ne prisay
Quant sa grant beaulté advisay,
Car une couleur l'enlumine
Qui est vermeille et aussi fine
Comme nature le sceust faire.
Des feuilles y eut mainte paire
Que nature par ses maistrises
Y avoit mises et assises.
La queue droicte comme ung jon
Fut, et dessus est le bouton
Qui ne s'encline ne ne pend
Son odeur par tout se répend
Et la souefveté qui en yst
Toute la place replandist.
Quant je l'euz senti au flairer
Ailleurs ne voulu repairer
Se je y osasse la main tendre
Et moy approcher pour le prendre
Je le feisse, mais les poingnans
Chardons, m'en faisoyent eslongnans
Espines trenchans et agues
Orties et ronces crochues
Ne me laissoyent plus avant traire
Car je craingnois a me mal faire.
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:35

Comment Amour au beau jardin...

Comment Amour au beau jardin
Traicta l'Amant de cueur fin
Ayma le bouton tellement
Ou'il en eust grant empeschement
Le dieu d'Amours qui l'arc tendu
M'avoit tout le jour attendu
A me poursuyr et espier
Si s'arresta soubz ung figuier
Et quant il eut bien apperceu
Que j'avoye si bien esleu
Le bouton qui plus me plaisoit
Et qui si fort mon cueur aisoit
Tantost une fleche il a prise
Et la dessus la corde mise.
Il l'entesa jusqu'a l'oreille
L'arc qui estoit fort a merveille
Et tyra a moy par tel guise
Que par l'ouyr la fleche a mise
Jusques au cueur par grant roydeur
Et lors me print une froideur
Dont j'ay dessoubz chault pelisson
Senti au cueur mainte frisson.
Quant j'euz esté ainsi bersé
A terre fuz tantost versé
Cueur me faillit, sueur me vint
Pasmer par force me convint
Quant je revins de pasmoyson
Et j'euz mon sens et ma raison
Je fuz moult vain et ay cuidé
Beaucoup de sang avoir vuydé.
Mais la sajette qui me point
De mon sang hors ne tyra point
Ains fut la playe toute seiche
Je prins lors a deuz mains la fleche
Et la commencay a tyrer
Et en la tyrant souspirer
Et tant tiray que je amenay
A moy le fust tout empenné,
Mais la sajette barbelée
Qui Beaulté estoit appellée
Fut dedans mon cueur si fichée
Qu'elle n'en peut estre arrachée
Ains demeura en mon corps toute
Sans en saillir de mon sang goutte
Angoisseux fus et moult troublé
Pour le péril qui fut doublé
Ne sceu que faire ne que dire
Ne pour ma playe trouver mire
Car par herbe ne par racine
Je ne sceu trouver médecine.
Vers le bouton se fléchissoit
Mon cueur qui ailleurs ne pensoit
Si je l'eusse eu a mon plaisir
Santé eusse eu a le saisir.
Le veoir sans plus et son odeur
Tresfort m'alegeoyt ma douleur.
Je me commencay a retraire
Vers le bouton a mon contraire
Amour avoit ja recouvrée
Une autre fleche a or ouvrée
Simplesse eut nom,c'est la seconde
Que maint homme parmy le monde
Et mainte femme faict aymer
Quant amour me vit opprimer
Il tyra vers moy sans menasse
La fleche sans fer par audace
Si que par l'oeil au corps m'entra
La sajette qui n'en ystra
Jamais ce croy par homme né
Car au tyrer ay amené
Le fust avec moy sans contans
Et le fer demeura dedans
Or saichez bien en vérité
Que si j'avoys devant esté
Du bouton bien entalenté
Plus grande fut ma voulenté
Et quant le mal plus m'angoissoit
Tant plus ma voulenté croissoit
D'aller tousjours a la rosette
Qui trop mieulx valoit que violette
Je m'en vouluz bien excuser
Mais cela ne peuz refuser
Car or tousjours mon cueur tendoit
A la chose qu'il demandoit
Aller m'y convenoit par force
Et d'autre part l'archier s'efforce
Et a me grever moult se peine
Sans me laisser aller sans peine
Il m'a faict pour mieulx m'affoler
La tierce fleche au corps voler
Qui Courtoysie est appellée
La playe me fut grande et lée
Parquoy je cheuz adonc pasmé
Dessoubz ung olivier ramé
Par moult long temps sans remuer.
Quant je me peuz evertuer
J'ay la fleche prins et osté
Tantost le fust de mon costé
Mais oncques ne sceu le fair traire
Pour chose que je peusse faire.
En me séant me suis rassis
Moult angoisseux et moult pensis
Fort me destraint ycelle playe
Et me semont que je me traye
Vers le bouton qui m'entalente
Et l'archier or me représente
La quarte fleche au pennon d'or
Qui le cueur me blessa encor
Telle fleche avoit nom Franchise
Laquelle il tira a sa guise
Donc bien me dois espouventer
Eschauldé doit chaleur doubter
Mais je n'y scauroye pourveoir
Car si je veisse la plouvoir
Carreaux et pierres par meslée
Aussi espes comme greslée
Si falloit il que je y allasse
Amour qui toute chose passe
Me donnoit cueur et hardement
De faire son commandement
Je fuz adonc sur pié dressé
Foyble vain et comme blessé
Si m'eschauffay moult de marcher
Non point différent pour l'archier
Vers le rosier ou mon cueur tent
Mais d'espines y avoit tant
De ronces et chardons agus
Non pourtant je ne fuz confus
Qu'au rosier ne voulusse attaindre
Et les espines tost enfraindre
Qui le rosier environnoient
Et de toute part me poignoient
Mais si bien me vint que j'estoye
Si pres du bouton que sentoye
La doulce odeur qui en yssoit
Si que mon mal se adoulcissoit
De ce me venoit tel guerdon
Quant le voyois en mon bandon
Que tous mes maulx entreobligeoye
Pour le délict ou me voyoye
Adonc fuz guéry et bien ayse
Car rien n'estoit qui tant me plaise
Comme d'estre illec a séjour
Partir n'en vouloye nul jour.
Quant illec je fuz longue piece
Le dieu d'Amours qui tout despiece
A mon cueur donc il fit bersault
Bailla nouvel et fier assault
Et me tira pour mon meschief
La quinte fleche de rechief
Jusques au cueur soubz la mammelle
Dont la grant douleur renouvelle
De mes playes en ung tenant
Trois foys me pasmay maintenant
Au revenir pleure et souspire
Car ma douleur devenoit pire
Si fort que je n'euz espérance
De guarison ne d'alégeance
Mieulx valloit estre mort que vis
Car en la fin par mon advis
Amour me fera ung martir
Par aultre lieu n'en peult partir
La sixiesme fleche il a prise
C'est celle que tresfort je prise
Et si la tient a moult pesant
C'est Beau Semblant qui ne consent
A nul amant qu'il se repente
D'aymer quelque peine qu'il sente
Elle est ague pour percer
Trenchant comme rasoir d'acier
Mais Amour avoit bien la pointe
D'ung précieux oingnement ointe
Affin qu'elle ne me peust nuyre
Car Amour ne veult que je empire
Mais vouloit que j'eusse alégeance
Par la force et par la puissance
De l'oignement si bon et plain
Que j'en eus trestout le corps sain.
Il est pour amans conforter
Et pour leurs maulx mieulx supporter
Celle fleche fut a moy traicte
Qui m'a au cueur grant playe faicte
Mais l'oingnement si s'espandit
Par mes playes et me rendit
Le cueur qui m'estoit tout failly
La mort m'eust en brief assailly
Si le doulx oignement ne fust
Je tiray hors a moy le fust
Mais le fer dedans demeura
Et par chaleur mon cueur n'aura
Six fleches y furent crochées
Qui ja n'en seront arrachées
Mais l'oignement moult ne valut
Toutesfois tresfort me dolut
La playe si que ma douleur
Me faisayt muer la couleur
En ceste fleche par coustume
Estoit doulceur et amertume.
J'ay bien congneu par sa puissance
Son ayde, secours et nuysance.
Grant trou me fit par sa pointure,
Mais fort me soulagea l'oingture
D'une part moingt, d'autre me cuist
Et ainsi m'ayde, ainsi me nuyst.
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:35

Comment Amours sans plus attendre...

Comment Amours sans plus attendre
Alla tout courant l'Amant prendre
En luy disant qu'il se rendist
A luy, et que plus n'attendist.
Le dieu d'Amours est descendu
Et est incontinent venu
Vers moy, puis tantost m'escrya
Vassal prins estes rien n'y a
De l'efforcer ne du deffendre
Ne differe point a te rendre
Tant plus voulentiers te rendras
Et plustost a mercy viendras.
Il est fol qui mene Dangier
Vers celluy qu'il doit calengier
Et qu'il luy convient supplier.
Tu ne pourras mieulx employer
Ta paine et pour toy advancer
Vers moy ne te peulx efforcer
Ta force te seroit contraire
Et te nuyroit en ton affaire.
Et si te veulx,bien enseigner
Que tu ne pourras rien gaigner
En la folye de ton orgueil,
Mais rend toy prins, car je le vueil
En paix et débonnairement,
Et je respondis simplement.
Sire vouluntiers me rendray
Ja vers vous ne me deffendray
A Dieu ne plaise que je pense
Faire vers vous quelque deffense,
Car ce n'est pas raison ne droit
Aussi mon cueur ne le vouldroit
Vous me povez prendre et tuer
Bien scay que ne vous peulx muer,
Car ma vie est en vostre main.
Vivre ne puis jusques a demain
Sinon par vostre voulenté.
J'attens par vous joye et santé,
Car par aultre ne puis avoir
Réconfort pour tout mon avoir
Voire confort et guarison.
Et si de moy vostre prison
Voulez faire comme indigne
Je ne me tiens pour engigne.
Or saichez que je n'ay point dire
Tant ay de vous bien ouy dire
Que mettre me vueil par office
Cueur et corps a vostre service,
Car si je fais vostre vouloir
Je ne m'en peulx en rien douloir,
Et espere qu'en aucun temps
Auray la mercy que j'attens.
Adonc me suis agenoillé
Pour or vouloir baiser son pié,
Mais il m'a la dextre main prise
Et dit, je t'ayme bien et prise
Puis que m'as ainsi respondu.
Oncq tel respons n'ay entendu,
D'homme vilain mal enseigné,
Et par ce point tu as gaigné
Que je vueil par ton advantaige
Qu'a présent me faces hommaige.
Tu me baiseras en la bouche
A qui aulcun vilain ne touche,
Je n'y laisse mye atoucher
Chascun vilain comme ung boucher,
Mais estre doit courtoys et frans
Celluy duquel l'hommaige prans,
Ce néantmoins celluy a paine
Qui a moy bien servir se paine
Honneur en aura tel doit estre
Joyeulx de servir si bon maistre
Et si hault seigneur de renom.
D'Amour porte le gomphanon
De Courtoysie la baniere,
Et si est de telle maniere
Si doulx, si franc et si gentil
Que celluy qui est bien subtil
A le servir et honnorer
Dedans luy ne peult demeurer
Villennye ne mesprison
Ne faulceté ne trahyson.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:36

Comment apres ce beau langaige...

Comment apres ce beau langaige
L'Amant humblement fit hommaige
Par jeunesse qui le déceut
Au dieu d'Amours qui le receut.
Bon homme feuz je les mains jointes
Et sachez que moult me fis cointes
Quant sa bouche toucha la moye
Ce fut ce dont j'euz au cueur joye.
Il me demanda lors ostage.
Amours parle a l'Amant
Amys dist il j'ay maint hommaige
Et d'ungs et d'autres gens receu
Dont j'ay esté moult tost déceu.
Les félons plains de faulceté
M'ont par maintesfois baraté,
Par eulx ay souffert mainte noyse,
Mais bien scauront comme il m'en poise
Si je les peulx a mon droit prendre
Je leur vouldray cherement vendre.
Et pource que je suis ton maistre
Je veulx bien de toy certain estre,
Et si te vueil a moy lier
Si que ne me puisses nier
De faire rien doresnavant.
Tien moy donc loyal convenant,
Péché seroit si tu trichoyes,
Car advis m'est que loyal soyes.
L'Amant respond a Amours
Sire dis je, or m'entendez
Ne scay pourquoy vous demandez
Plaiges de moy ne seureté.
Vous scavez bien la vérité
Comment le cueur tolu m'avez
Et prins ainsi que le scavez
Si que riens ne fera pour moy
Si ce n'est par le vostre octroy
Le cueur est vostre nompas mien,
Car il convient soit mal ou bien
Qu'il face tout vostre plaisir
Nul ne vous en peult dessaisir.
La garnison y avez mise
Qui le guerroye a vostre guise,
Et si de cela vous doubtez
Faictes y clef et l'emportez
Et la clef soit en lieu d'oustaige.
Amours a l'Amant
Par mon chief ce n'est mye oultraige
Respond, Amour je m'y acors
Il est assez seigneur du corps
Qui a le cueur a sa commande,
Oultrageux est qui plus demande.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:37

Comment Amours tresbien et souef...

Comment Amours tresbien et souef
Ferma d'une petite clef
Le cueur de l'Amant par tel guise
Qu'il n'entama point la chemise
Amour a de sa bourse traicte
Une petite clef bien faicte
Qui fut de fin or esueré.
Soubz elle demoura serré
Ton cueur qui sera seurement
Contrainct ne sera aultrement.
Plus est que mon petit doy mendre
Laquelle a mes amys veulx rendre.
L'Amant parle
La clef m'attacha au costé
Qui est de grande potesté
Et ferma mon cueur si tressouef
Qu'a grant paine senty la clef.
Ainsi fis sa voulenté toute,
Et quant je l'euz mis hors de doubte
Luy dis, je suis entalenté
De faire vostre voulenté,
Mais mon service recepvez
En gré et ne me décepvez.
Ce ne dis comme récréant,
De vous servir suis agréant,
Mais celluy en vain se travaille
De faire service qui vaille
Quant le service n'entalente
A cil a qui on le présente.
Amours a l'Amant
Amours respond ne t'espovente
Puis que consens en mon entente
Ton service prendray en gré
Et te mettray au hault degré
Si mauvaystié ne t'en retraict,
Mais si tost ne peult estre faict
Grand bien ne vient pas en peu d'heure
La convient grand paine et demeure.
Attens et souffre la destresse
Qui maintenant te nuyt et blesse,
Car je scay par quelle raison
Tu seras mis a guarison.
Je te donneray tel beaulté
Si tu te tiens a loyaulté
Qui tes playes te guarira
Quant je scauray et m'aperra
Si de bon cueur me serviras
Et comment tu exploicteras
Nuyt et jour mes commandemens
Que je commande aux vrays amans.
L'Amant parle a Amours
Sire dis je pour Dieu mercy
Avant que vous partez d'icy
Enchargez moy voz mandemens
Et selon voz enseignemens
Du tout je les accompliray
Et jamais n'y contrediray
Pource je les désire apprendre
Affin que ne puisse mesprendre.
Amour respond a l'Amant
Amours respond, tu dis tresbien
Si les entens et les retien,
Car le maistre pert peine toute
Quant le disciple qui escoute
Ne met tel soing a retenir
Qui luy en puisse souvenir.
L'Amant
Le dieu d'Amours lors m'enchangea
Tout ainsi que vous orrez ja
Mot a mot ses commandemens
Et comme disent les rommans
Qui veult aymer si y entende
Ainsi comme Amour le commande,
Car il les fait bon escouter
Qui son entente y veult bouter
Pource que la fin en est belle
Et que c'est matiere nouvelle
Qui du songe la fin orra
Je vous dis bien qu'il y pourra
Des jeuz d'Amours assez apprendre
Pourveu que bien y vueille entendre
Et bien concepvoir la substance
Du songe et la signifiance
La vérité qui est couverte
Vous en sera lors toute aperte
Quant déclarer m'orres le songe
Ou point n'est fable ne mensonge.
Stephandra
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Dans l'autre monde
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Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer  Empty Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer

Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:37

Comment le dieu d'Amours enseigne...

Comment le dieu d'Amours enseigne
L'Amant et dit qu'il face et tienne
Les reigles qu'il baille a l'Amant
Escriptes en ce bel rommant
Villennye premierement
Ce dist Amour vueil et comment
Que tu délaisses sans reprendre
Si tu ne veulx vers moy mesprendre
Si mauldis et excommunie
Tous ceulx qui ayment villennie
Villennie le villain faict
Aymé n'est par dict ne par faict
Villain est félon sans pitié
Sans service et sans amytié.
Apres garde toy de surtraire
Chose des gens qui face attraire
Proesse n'est pas de mesdire
En lieulx le sénéchal te mire
Qui fut par mesdire jadis
Mal renommé de tous mauldis
Autant que Gauvain eut le pris
Comme courtoys et bien apris
Autant eut Keulx de villennye
Par mesdire et par félonnie.
Des mocqueurs l'estandart portoit
Tant a mocquer se délectoit.
Or soye sage et raisonnable
En doulx parler et convenable
Aux grans personnes et menues
Et quant tu yras par les rues
Fais que tu soye coustumier
A saluer gens le premier
Si aucun devant te salue
N'ayes pas lors la langue mue
Ains garny toy du salut rendre
Sans demourer et sans attendre.
Apres gardes que tu ne dies
Aulcuns motz laitz et ribauldies
Ja pour nommer villaine chose
Ne doit ta bouche estre desclose
Je ne tiens pas a courtoys l'homme
Qui orde chose et laide nomme.
Toutes femmes sers et honnore
A les ayder peine et labore
Et si tu oys nul mesdisant
Qui les femmes soit desprisant
Blasme le et fais qu'il se taise
Fais si tu peulx chose qui plaise
Aux dames et aux damoyselles
Si qu'ilz ayent bonnes nouvelles
De ton parler et racompter
Par ce pourras en pris monter.
Apres cela d'orgueil te garde
Et a ce faire bien regarde
Orgueil est folie et péché
Et qui d'orgueil est entaché
Il ne peult son cueur employer
A servir ny a s'employer
Orgueilleux faict tout le contraire
De ce que vray amant doit faire
Mais qui d'amour se veult pener
Il se doit cointement mener
Car qui est coint n'a pas orgueil
Mais il est tresplaisant a l'oeil
Quant il n'est pas oultrecuidé
De ce doit il estre vuidé
De vestement et de chaussure
Selon ta rente ta mesure
Bien te dy que bel vestement
A l'homme siet honnestement
Et si dois ton habit bailler
A tel qui le saiche tailler
Et faire bien séant les pointes
Et les manches droictes et cointes
Soulliers, a las aussi houseaux
Ayez souvent frais et nouveaux
Lesquelz soient beaulx et faitis
Ne trop larges ne trop petis
De gans et de bourse de soye
Et de sainture te cointoye
Et si tu n'as si grand richesse
Que faire ne puisses largesse
Tout au plus mieulx te doys conduire
Que tu pourrois sans toy destruyre
Chapeau de fleurs qui moult peu couste
Ou des roses de Penthecouste
Peulx tu bien sur ton chief avoir
La ne convient pas grant avoir.
Ne seuffre sur toy nulle ordure
Lave tes mains et tes dens pure
Et si en tes ongles a du noir
Ne le laisse pas remanoir,
Tiens toy bien net, tes cheveulx pigne
Mais ne te farde ne ne guigne
Telles choses ne font sinon
Gens folz et de mauvais renom
Qui Amour par malle adventure
Ont trouvé encontre nature
Il te doit apres souvenir
De Joyeuseté maintenir
A Joye et a Déduit t'atourne
Amour n'a cure d'homme morne
La mélodie est moult courtoyse
Ou est Joyeuseté sans noyse
Amans sentent les maulx d'aymer
Une foys doulx et l'autre amer
Mal d'aymer est moult oultraigeux
Et l'Amant est tost en ses jeux
Tost se complaint tost se démente
A ung coup pleure a l'autre chante
Si tu scez nul beau desduit faire
Par lequel aux gens puisses plaire
Je t'ordonne que tu le faces
Chascun doit faire en toutes places
Ce qu'il scet que mieulx luy advient
Car bon loz pris et grace en vient
Si tu te sens juste et légier
Ne fais pas de saillir dangier
Et si tu es bien a cheval
Tu dois poindre amont et aval
Et si tu scais lances briser
Tu en peulx moult faire priser
Si aux armes es assuré
De tant plus seras honnoré
Si tu as clere et saine voix
Tu ne dois pas quérir forvois
De chanter si l'on t'en semont
Car beau chanter moult plaist adont
Aussi d'instrumens de musicque
Te fault avoir quelque pratique
Et pareillement de dancer
Ce te pourra moult avancer.
Ne te fais tenir pour aver
Car ce te pourroit moult grever
Car c'est bien raison que l'Amant
Donne du sien plus largement
Que les villains plains d'avarice
Ausquelz Amour n'est point propice
A qui il ne plaist de donner
D'estre Amant ne se doit pener.
Mais qui en veult avoir la grace
D'avarice tost se defface
Car cil qui par regard plaisant
Ou par doulce chere faisant
Ou par aulcun beau ris serin
Donne son cueur tout enterin
Bien doit apres si riche don
Donner nour avoir a bandon.
Maintenant te vueil recorder
Qu'a mes dis tu dois accorder
Car la parolle estant moult griefve
A retenir quant elle est briefve
Qui d'amours veult faire son estre
Bien saige sans orgueil doit estre
De cointise soit bien garni
Gaillard de largesse fourni
Apres t'en joings par pénitence
Que jour et nuyt sans repentance
A bien aymer soit ton penser
Toujours pense la sans cesser
Et recorde de la doulce heure
Dont la joye tant te demeure
Et affin que vray Amant soyes
Je te commande que tu ayes
En ung seul lieu ton cueur assis
Ferme constant et bien rassis
Sans barat et sans tricherie
Fraude ne nulle tromperie.
Qui en maintz lieux son cueur départ
Par tout en a petite part
Mais de celluy pas ne me doubte
Qui tient en ung lieu s'amour toute
Pource vueil qu'en ung lieu la mettes
Et qu'en autre part ne la prestes
Car si tu l'avoyes prestée
Elle seroit tost dégastée
Mais donne la en don tout quicte
Tu en auras plus gran mérite
Car bonté de chose prestée
Est tost rendue et acquitée
Mais de chose donnée en don
Doit estre moult grant le guerdon.
Or donnes la donc quictement
Et le fais débonnairement
Car on a la chose plus chiere
Qui est donnée a belle chiere
Peu doit estre ou rien guerdonnée
La chose par regret donnée
Quant tu auras ton cueur donné
Ainsi que je t'ay sermonné
Lors te viendront les adventures
Qui aux amans sont tres fort dures,
Souvent quant il te souviendra,
De tes amours te conviendra
Partir des jeux faisant devoir
Que nul ne puisse apercevoir
Le mal que tu souffres et l'angoisse
A une seullement t'adresse.
En maintes manieres seras
Travaillé, grant mal sentiras,
Une heure chault a l'autre froit
Passer te fault par ce destroit,
Vermeil une heure l'autre palle
Tu n'euz oncques fievre si malle
Ne quotidianes ne quartes.
Tu auras bien ains que tu partes
Les douleurs d'Amours essayées :
Tes forces y seront ployées
Tant qu'en pensant te troubleras
Et une grant piece seras
Ainsi comme est l'ymaige mue
Qui ne se crosle ne ne mue
Sans piedz sans mains sans doys crosler
Sans yeulx mouvoir et sans baller.
Au chief de piece reviendras
En ta mémoire et tressauldras,
Frayeur auras au revenir
De paour ne te pourras tenir.
Souspirs auras du cueur parfont,
Car saiches bien que ainsi le font
Ceux qui tel mal ont essayé
Dont tu seras lors esmayé.
Apres droit est qu'il te souvienne
De t'amye s'elle est loingtaine.
Lors malheureux te jugeras
Quant d'elle pres tu ne seras,
Et conviendra que ton cueur soit
En ce que ton oeil n'apercoyt,
Disant mes yeulx veulx envoyer
Apres pour le cueur convoyer,
Doivent ilz icy arrester ?
Nenny, mais voisent visiter
Ce dont le cueur a tel talent.
Je me peuz bien tenir pour lent
Quant de mon cueur si loingtain suis
Pour fol bien tenir je me puis.
Or iray plus ne laisseray
Ja a mon aise ne seray
Devant qu'aucune enseigne n'aye.
Adonc te mettras en la voye
Et iras soubz ung tel couvent
Qu'à ton vouloir fauldras souvent
Et gasteras en vain tes pas,
Car ce que quiers ne verras pas.
Or conviendra que tu retournes
Sans rien faire pensif et mornes,
Et si seras en grant meschief
Et te viendront tout de rechief
Gros souspirs plaintes et frissons
Plus poingnantes que hérissons
Qui ne le scait si le demande
A cil qui d'Amour tient la bande.
Ton cueur ne pourras apaiser,
Mais vouldras encore viser
Si tu verras par adventure
Celle dont tu as si grant cure.
Et si tu te peulx tant pener
Que puisses veoir et assener
Tu vouldras tres ententif estre
A tes yeulx saouler et repaistre.
Grant joye en ton cueur meneras
De la beaulté que tu voirras,
Et saiches que du regarder
Ton cueur feras frire et larder.
Et tout adonc en regardant
Alumeras le feu ardant.
Celluy qui ayme plus regarde,
Plus enflame son cueur et l'arde,
S'il art alume et fait flamer
Le feu qui faict les gens aymer.
Chascun amant suit par coustume
Le feu qui l'art et qui l'alume
Ouant le feu de plus pres il sent
Et il s'en va plus oppressant.
Le feu art celluy qui regarde
S'amye s'il n'y prent bien garde,
Car de tant plus qu'il s'en tient
A aymer plus fort se maintient.
Cela scet le saige musart
Que qui est pres du feu plus art.
Tant que t'amye ainsi verras
Jamais partir ne t'en pourras,
Et quant partir te conviendra
Par tout le jour te souviendra
De celle que tu auras veue
Dont tu te tiendras pour grue.
Aultre chose vient mallement
C'est que couraige et hardement
N'auras eu pour l'arraisonner
Ains as esté sans mot sonner
D'elle pres confus et empris
Dont tu cuidras avoir mespris
Que tu n'as la belle appellée
Devant qu'elle s'en fust allée.
Tourner te doit à grant contraire,
Car si tu n'en eusses peu traire
Fors seullement ung beau salut
Plus de cent marcz d'or te valut.
Alors prendras a dévaller
Quérant occasion d'aller
De rechief dehors en la rue
Ou tu avoys celle la veue
Que tu n'osas mettre a raison
Tu iroys bien en sa maison
Voulentiers si raison avoyes,
Il est droit que toutes tes voyes
Et tes alées et ton tour
S'en reviennent par la entour.
Devers les gens tresbien te celle
Quiers autre occasion que celle
Qui en ce lieu te fait aller
Car c'est grant sens de se celler.
Et s'il est chose que tu voyes
T'amye apoint et que la doyes
Arraisonner et saluer
Lors te fauldra couleur muer
Car tout le sens te frémira,
Parolle et sens tout te fauldra
Quant tu cuyderas commencer,
Et si tant te veulx avancer
Que ta raison commencer oses
Lors que devras dire trois choses
Tu n'en diras mie les deux
Tant seras adonc vergondeux,
Aucuns ne sont si appensez
Qu'en tel point n'oublient assez.
Quant ta raison sera finie
Sans ung seul mot de villennie
Moult desplaisant au cueur seras
Si riens oublié tu auras
Qui te estoit advenant a dire.
Adonc seras en grant martire,
C'est la bataille c'est la dure
C'est le contens qui toujours dure,
Ja fin ne prendra ceste guerre
Jusques qu'en vueilles la paix querre.
Quant les nuytz venues seront
Mille desplaisirs te verront,
Tu te coucheras en ton lict
Ou tu prendras peu de délict,
Car quant tu cuideras dormir
Tu commenceras a frémir
A tressaillir a démener
D'ung costé sur l'autre tourner,
Une heure envers et l'autre a dens
Comme cil qui a mal aux dens.
Lors te viendra a remembrance
Et sa facon et sa semblance
A qui nulle ne s'apareille.
Je te diray moult grant merveille.
Telle fois te sera advis
Que tu tiendras celle au cler vis
Entre tes bras et toute nue
Comme s'elle fust devenue
Du tout t'amye et ta compaigne,
Lors feras chasteaulx en Espaigne,
Et si auras joye de néant
Pour le temps qui sera béant
En la pensée délectable
La ou n'est que mensonge et fable
Mais peu y pourras demeurer.
Lors commenceras a pleurer
Et diras, mais ay je songé
Suis je remué ou bougé
D'ou peult venir ceste pensée.
Pleust or que dix fois la journée
Chose semblable revenist
Tant el me plaist et replenist
De joye et de bonne adventure
Mais ceste facon peu me dure.
Las verray je point que je soye
En tel point comme je songeoye
La mort ne me greveroit mye
Se je mouroys es bras m'amye.
Moult me griefve amour et tourmente
Souvent me plains et me démente,
Mais si Amour tant fait que j'aye
De m'amye l'entiere joye
Bien seroit mon mal racheté
La chose vueil de grant chierté.
Je ne me tiens mye pour saige
Quant je demande tel oultraige,
Car celluy qui quiert musardie
Bien dessert que l'on l'escondie.
Ne scay comment je l'ose dire
Plus fort que moy et plus grant sire
Que ne suis auroit grant honneur
En ung loyer assez mineur,
Mais si sans plus d'ung doulx baiser
La belle me vouloit ayser
Moult auroye riche desserte
De la paine que j'ay soufferte,
Mais forte chose est a venir.
Je me peulx bien pour fol tenir
D'avoir en tel lieu mon cueur mis
Dont a nul point ne suis submis.
Ce dis comme fol ennuyeulx
Car ung regard d'elle vault mieulx
Que d'autres plus de cent entiers,
Je la veisse moult voulentiers
Si c'estoit le vouloir de Dieu
Présentement en cestuy lieu.
Dieu quant sera il adjourné
Trop ay en ce lieu séjourné,
Je n'ayme mye tel désir
Quant je n'ay ce dont j'ay désir,
Désir est ennuyeuse chose
Quant la personne ne repose.
Moult m'ennuye certes et griefve
Quant l'aube maintenant ne creve
Et que la nuyt tost ne trespasse :
Car s'il fust jour je m'en allasse.
Ha soleil pour Dieu haste toy
Ne fais séjour apreste toy,
Fais départir la nuyt obscure
Et son ennuy qui trop me dure.
La nuyt ainsi tu contiendras
Et de repos point ne prendras
Tant seras de désir garny.
Et quant tu ne pourras l'ennuy
Souffrir en ton lict de veiller
Lors te fauldra appareiller
Vestir chausser et atourner
Ains que tu voyes adjourner,
Tu t'en iras en recellée
Par pluye soit ou par gelée,
Tout droit vers l'hostel de t'amye
Qui sera tres bien endormie
Et a toy ne pensera guiere.
Une heure iras à l'huis derriere
Scavoir s'il sera point ouvert
Et guetteras a descouvert
Tout seul a la pluye et au vent
Et puis iras a l'huis devant
Scavoir s'il y a ouverture
Et si tu y trouves faulture
Escouter doibs parmy la fente
Se nul de lever se démente
Et si la belle sans plus veille
Or te dis bien et te conseille
Que si elle te veoit langorer
En congnoissant que reposer
Ne peulx au lit pour s'amytié
Mieulx t'en aymera la moytié.
Quant en ce point ouy t'aura
En amour se consentira
Et aura vers toy amytié
Bien doibt dame aucune pitié
Avoir de celluy qui endure
Tel mal pour luy si trop n'est dure
Je te diray que tu dois faire
Pour l'amour de la débonnaire
De qui tu ne peulx aise avoir
Au départir fait ton devoir
De baiser l'huis guischet ou porte
A cela faire je t'enhorte
Et affin que l'on ne te voye
Devant la maison ou en voye
Fais que tu soyes retourné
Ains qu'il soit gueres ajourné
Iceulx pas et iceulz allers
Iceulx pensers iceulx parlers
Font aux amans soubz leurs drapeaulx
Rudement amaigrir leurs peaulx
Tu le pourras par toy scavoir
Si de bien aymer fais devoir
Et saiche bien qu'Amours ne laisse
Sur fin amant couleur ne gresse
De ce ne sont aparoissans
Ceulx qui dames vont trahissans
Et disent pour eulx losenger
Qu'ilz ont perdu boire et manger
Et je les voy comme jengleurs
Plus gras que abbez ne que prieurs
Encore te commande et charge
Que te faces tenir pour large
A la servante de l'hostel
Quelque beau don donne luy tel
Qu'elle die que tu es vaillant
T'amye et tous ses biens vueillans
Dois honnorer et chier tenir
Grant bien t'en peult par eux venir
Car cil qui est d'elle privé
Luy comptera qu'il t'a trouvé
Preux et courtois et libéral
Mieulx t'en prisera bon vassal
Du pays guere ne t'eslongne
Et si tu as si grant besongne
Qu'il te faille trop eslongier
Garde toy de ton cueur changier
En aultre qu'en la créature
Ou est ta pensée et ta cure
En pensant de tost retourner
Tu ne doys gueres séjourner
Fais or semblant que veoir te tarde
Celle qui a ton cueur en garde
Je t'ay dit comme et en quel guise
L'Amant doibt faire sa devise
Fais donc ainsi sur toute chose
Si fruict veulx avoir de la rose.
L'Amant parle a Amours
Quant Amours m'eut ce commandé
Je luy ay adonc demandé
Par quel moyen guise et comment
Peult endurer le vray Amant
Tout le mal que m'avez compté
Vous m'avez fort espouventé
De ce que vit l'homme et endure
En telle peine et telle ardure
En dueil en souspirs et en lermes
Et en tous poins et en tous termes
Et en soucy et en grant dueil
Certainement je m'esmerveil
Comment l'homme s'il n'est de fer
Peult vivre ung moys en tel enfer.
Sus ce propos et ma demande
Amour respond et sans amende.
Amours parle a l'Amant
Beaulz amys par l'ame mon pere
Nul n'a bien s'il ne le compere
On ayme trop mieulx l'achaté
Quant on l'a bien chier achaté
Et en plus grans gré sont receuz
Les biens qu'on a a griefz receuz
Que ceulz que l'on a eu pour néant
Car trop on les va violant.
Homme n'est qui le mal congnoisse
Que souffre l'Amant et l'angoisse
Nul ne pourroit le mal d'aymer
Et deust il espuiser la mer
Compter en rommant ou en livre
Et toutesfois il convient vivre
Les amans, il en est mestier
Chascun fuit de mort le sentier
Celluy qu'on met en chartre obscure
En la vermine et en l'ordure
Qui n'a pain d'orge ne d'avaine
Ne se meurt mye pour la peine
Espérance confort luy livre
Qu'il se cuide trouver délivre
Encor par quelque chevissance
Tout ainsi et en tel balance
Celluy qu'amours tient en prison
Cuide trop avoir garison,
Celle Espérance le conforte
Et cueur et talent luy aporte
De son corps a martyre offrir
Espérance luy faict souffrir
Les maux dont on ne scet le compte
Pour la joye qui trop hault monte
Espérance vainct par souffrir
Et faict l'Amant a vivre offrir
O bénoiste soit Espérance
Qui ainsi les amans avance
Moult est celle dame Courtoise
Qui ja ne lairra une toise
Nul vaillant homme jusques au chief
Ne pour péril ne pour meschef
Et au larron qu'on mene pendre
Luy faict telle mercy attendre
Espérance te gardera
Et ja de toy ne partira
Qu'elle ne garde ta personne
Au besoing, et oultre te donne
Trois aultres biens qui grant soulas
Font a ceulx qui sont en mes las
Premierement qui bien soulasse
Celluy que mal d'aymer enlasse
A qui Espérance s'accorde
C'est Doulx Penser que l'on recorde
Car quant l'Amant plaint et souspire
Et est en dueil et en martire
Doulx Penser vient a chief de piece
Qui l'ire et le courroux despiece
Et a l'Amant en souvenir
Faict de la joye souvenir
Et Espérance luy promet
Et apres au devant luy met
Les yeulx rians, le nez traictis,
Qui ne sont trop grans ne petis
Et la bouchette coulourée
L'alaine souefve et odorée
Ce luy plaist quant il se remembre
De la beaulté de chascun membre.
Amour va ses soulas doutant
Quant d'ung ris ou d'ung beau semblant
Luy souvient ou de belle chiere
Que luy a faict s'amye chiere
Doulx Penser ainsi assouage
Les douleurs d'Amours et la raige
C'est cil que je vueil que tu ayes
Et si l'autre tu refusoyes
Qui n'est mye nom de doulceur
Tu ne seras ja bien asseur.
Le second bien est Doulx Parler
Qui octroit a maint bachelier
Et a maintes dames secours
Car chascun qui de ses amours
Oyt parler moult s'en esbaudit
Si me semble que pour ce dit
La dame respond a ung mot
Et dit par ung parler mignot
Moult suis dit elle en bonne escolle
Quant de mon amy oy parolle
Se m'aist Dieu celluy m'a garie
Qu'il m'en parle quoy qui m'en die
Celle le Doulx Penser scavoit
Et du penser ce qui estoit
Congnoissoit toutes le manieres
Je te dis et vueil que tu quieres
Ung compaignon saige et celant
Auquel tu diras ton talent
Et descouvreras ton couraige
Il te fera grant avantaige
Quant tes maulx t'engoisseront fort
A luy iras par grant confort
Et parlerez vous deux ensemble
De la belle qui ton cueur emble
De sa beaulté de sa semblance
Et de sa simple contenance
Comment tu pourras chose faire
Qui a t'amye puisse plaire
Si ceulx qui seront tes amys
Ont a bien aymer leur cueur mys
Mieulx en vauldra la compaignie
Raison sera or qu'il te die
Si s'amye est pucelle ou non
Ses amys, ses parens, son nom
Par ce n'auras paour qu'il se amuse
A ta dame ne qu'il t'acuse.
Mais vous entreporterez foy
Et toy a luy et luy a toy.
Saiche que c'est moult belle chose
Quant on a homme a qui on ose
Tout son conseil dire et son gré
Ce desduyt prendras a bon gré
Et t'en tiendras a bien payé
Quant tu l'auras lors essayé.
Le tiers bien vient de regarder
C'est Doulx Regart qui scet tarder
A ceulx qui ont amours loingtaines
Pour ce te dis que tu tiennes
Pres de luy metz toy en sa garde.
Son soulas aucunesfois tarde.
Mais il est aux fins amoureux
Desduysant et fort savoureux.
Moult ont au matin bonne encontre
Les yeulx ausquelz dame dieu monstre
Le sainctuaire précieux
Dequoy ilz sont si curieux
Car le jour qu'ilz le peuvent veoir
Il ne leur doit mye mescheoir,
Tel ne doubte pluye ne vent
Ne nul aultre chose vivant
Et quant les yeulx ont leurs déduitz
Ilz sont si apris et si duys
Que eulx seulx or veullent avoir joye
Parquoy fault que le cueur s'esjoye
Car les maulx font assolagier
Ilz sont comme vray messaigier
Les quelz bien tost au cueur envoyent
Nouvelles de tout ce qu'il voyent
Et pour la joye qui les lie
Le cueur ses douleurs entroublie
Et sa destresse malle et fiere,
Car tout ainsi que la lumiere
Les tenebres devant soy chasse
Tout ainsi Doulx Regard efface
Les tenebres ou le cueur gist
Qui nuyt et jour d'amour languist,
Car le cueur de rien ne se deult
Quant l'oeil regarde ce qu'il veult.
Or t'ay je cy tout déclairé
Ce dont je te vis esgaré,
Car je t'ay compté sans mentir
Les biens qui peuvent guarentir
Les amans et garder de mort.
Tu scez qu'il te fera confort,
Au moins auras tu Espérance
Doulx Penser aussi sans doubtance
Puis Doulx Parler et Doulx Regard,
Je veuil que chascun d'eulx te gard
Jusques que mieulx puisses attendre
Aultre bien qui ne sera mendre
Lequel tu auras en avant,
Mais d'avantaige en as autant.
Stephandra
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Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer  Empty Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer

Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:38

Comment l'Amant dit cy qu'Amours...

Comment l'Amant dit cy qu'Amours
Le laissa en ses grans clamours
Incontinent qu'Amours m'eut dit
Son plaisir ne fut contredit.
Mais quant il fut esvanouy
Adonc fuz je bien esbay
Car devers moy je ne vis nulz
Dont de mes playes me doluz
Scavant que guarir ne pourroye
Fors par le bouton ou j'avoye
Tout mon cueur mis et ma science
Et n'avoie en nully fiance
Fors au dieu d'Amours de l'avoir,
Car je scavoye bien de voir
Que de l'avoir rien ne m'estoit
S'Amour ne s'en entremettoit
Les rosiers d'une claye furent
Cloz a l'environ comme ilz deurent
Mais je passasse la cloyson
Moult voulentiers pour l'achoyson
Du bouton flairant comme basme
Si je n'eusse crains yre ou blasme,
Mais a aulcuns eust peu sembler
Que les roses voulusse embler
Ce que jamais ne penseray
Ne jamais nul jour ne feray.
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Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer  Empty Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer

Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:38

Comment Bel Acueil humblement...

Comment Bel Acueil humblement
Offrit a l'Amant doulcement
Le passaige pour veoir les roses
Qu'il désiroit sur toutes choses
Ainsi que je me pourpensoye
Se oultre la voye passeroye
Je viz vers moy tout droit venant
Ung varlet bel et advenant
En qui n'estoit rien a blasmer.
Bel Acueil se faisoit nommer
Filz de Courtoysie la saige
Qui m'abandonna le passaige
De la haye moult doulcement
Et me dit amyablement.
Bel Acueil parle à l'Amant
Bel amy chier si bien vous plaist
Passer la haye sans arrest
Pour l'odeur des roses sentir.
Je vous y peulx bien garantir
Mal n'y aurez ne villennie,
Mais que vous gardez de folie.
Si en riens vous y peulx ayder
Je ne me quiers faire prier,
Car de faire vostre plaisir
En tout honneur j'ay le désir.
L'Amant respond
Sire dis je a Bel Acueil
Ceste promesse en gré recueil
Et vous rendz graces et mérites
De la bonté que vous me dictes,
Car moult vous vient de grant franchise,
Puis qu'il vous plaist en ceste guise
Prest suis de passer voulentiers
Par les ronces et esglentiers.
Vers le bouton m'en voys errant
Les roses tousjours odorant,
Et Bel Acueil me convoya
De son bien qui moult m'agréa.
Si pres allay sans point me faindre
Que je l'eusse bien peu attaindre.
Bel Acueil moult bien m'a servy
Quant le bouton si pres je vy,
Mais ung vilain qui rien n'avoit
D'illecques pres mussé estoit.
Dangier eut nom et fut portier
Et garde de chascun rosier.
En ung destour fut le pervers
D'herbes et de fueilles couvers
Pour ceulx espier et deffendre
Qui vont aux roses les mains tendre.
Il fut de trois acompaigné
Le lourt vilain mal engrongné,
De deux femmes et ung mauvais homme,
L'homme Male Bouche se nomme
Le faulx trahystre gengleur qu'il fut
Avec luy Honte, et Peur eut
Le plus vaillant d'eulx ce fut Honte.
Et saiches que qui a droict compte
Il trouvera par son lignaige
Que Raison fut sa mere saige
Son pere avoit a nom mal faict
Qui fut si hideux contrefaict
Qu'onques avec Raison ne geut,
Mais or de voir Honte conceut
Qui puis enfanta Chasteté
Qui a guerre yver et esté.
Quant Dieu eut fait de Honte naistre
Chasteté qui dame doit estre
De tous les rosiers et boutons
Assaillie fut des gloutons
Si qu'elle avoit besoing en vie
Car Vénus l'avoit assaillie
Qui nuyt et jour souvent luy emble
Boutons et roses tous ensemble.
Lors requist Raison comme fille
Chasteté que Vénus exille.
Desconseillée moult estoit
Et de prier Raison se hastoit.
Et luy presta a sa requeste
Honte qui est simple et honneste
Et qui tousjours veult sainctement
Faire tout son commandement.
Or sont pour roses garder quatre
Qui se laisseroient devant batre
Que rose ou bouton on emporte
Arrivé fusse a bonne porte
Si par eulx ne fusse guetté,
Car le franc et bien apointé
Bel Acueil se penoit de faire
Ce qu'il scavoit qui me deust plaire.
Souvent me semont d'approcher
Vers le bouton et atoucher
Au rosier qui estoit chargié.
De ce me donna il congié
Pource qu'il cuydoit que j'en vueille
Cueillir or une verte fueille
Pres du bouton qu'il m'a donné
Pour ce que pres de la fut né.
De la fueille me fis moult coint
Et quant je me senty acoint
De Bel Acueil et si privé
Je cuiday bien estre arrivé.
Lors prins je cueur et hardement
De dire a Bel Acueil comment
Amours m'avoit prins et navré
Sire dis je, jamais n'auré
Ayde sinon par une chose
Qui est dedans mon cueur enclose,
C'est bien pesante maladie
Ne scay comment je la vous die,
Car je vous crains a courroucier,
Mieulx vouldroye a cousteau d'acier
Piece a piece estre despiécé
Que vous en fussiez courroucé.
Bel Acueil a l'Amant
Dictes moy donc vostre vouloir
Et point ne me verrez douloir
De chose que me puissez dire.
L'Amant
Lors je luy dis saichez beau sire
Qu'Amours durement me tourmente
Ne cuidez pas que je vous mente.
Il m'a au cueur cinq playes faictes
Dont les douleurs n'en seront traictes
Si le bouton ne m'est baillé
Qui est des aultres mieulx taillé.
Il est ma mort et est ma vie
D'aultre chose plus n'ay envie,
Lors Bel Acueil c'est effrayez
Et dist
Bel Acueil a l'Amant
a frere vous bayez
A ce qui ne peult advenir.
Comment me voulez vous honnir
Vous me auriez par trop assotté
Si le bouton m'aviez osté
Du rosier, car ce n'est droicture
Qu'on l'oste de sa nourriture.
Vilain estes du demander
Laissez le croistre et amender,
Point ne veulx qu'il soit deserté
Du rosier qui l'a apporté
Pour aucun pris tant le tiens cher.
L'Acteur
Adonc saillit villain Dangier
De la ou il estoit mussé,
Grand estoit noir et héricé,
Yeulx ayans rouges comme feux
Le vis froncé, le nez hideux,
Qui s'escrya tout forcené.
Dangier a Bel Acueil
Bel Acueil a quoy amené
As tu cy autour ce vassault,
Tu fais grand mal si Dieu me fault
Il t'en prendra trop mallement
Mal ayt il sans vous seullement
Qui en ce dangier l'amena
Et dedans si droit l'assena.
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:39

Comment Dangier villainement...

Comment Dangier villainement
Bouta hors despiteusement
L'Amant d'avecques Bel Acueil
Dont il eut en son cueur grant dueil
Fuyez vassal fuyez d'icy
A peu que je ne vous occy
Bel Acueil mal vous congnoissoit
Qui a vous servir s'engoissoit,
Vous le vouliez cy allier
Mauvais se fait en vous fier,
Car en présent est esprouvée
La trahyson qu'avez trouvée.
L'Amant a part soy
Je n'osay la plus remanoir
Pour le villain hideux et noir
Qui me menassoit assaillir
La haye m'a faicte saillir
A tresgrant peur et tresgrant haste
Le villain a parler se haste
Et dit que si plus fais retour
Qu'il me fera prendre ung mal tour
Lors s'en est Bel Acueil fouy
Et je demeuray esbay
Honteux et mat dont me repens
Qu'oncques je luy dis mon pourpens
De ma follye ay je recors
Et voy que livré est mon corps
A dueil a peine et a martyre
Mais de ce ay je plus grand yre
Que je n'osay passer la haye,
Mal n'est aulcun qu'Amour n'essaye
Ne cuidez pas que nul congnoisse
S'il n'a aymé que c'est qu'engoisse
Amours vers moy tres bien s'aquitte
De la peine qu'il m'avoit dicte
Car cueur ne pourroit pas penser
Ne bouche d'homme recenser
De ma douleur la quarte part
A peu que le cueur ne me part
Quant de la rose me souvient
Dont tant esloingner me convient
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:39

Comment Raison de Dieu aymée...

Comment Raison de Dieu aymée
Est or de sa tour dévalée
Qui l'Amant chastie et reprent
De ce que folle amour emprent
En ce point grant piece arresté
Tant que me vis comme maté
La dame de la haulte garde
Qui de sa tour aval regarde
C'est Raison ainsi appellée
Or est de sa tour dévallée
Et tout droit vers moy est venue.
Et n'estoit vieille ne chenue
Ne trop maisgre, maisgre ne grasse
Semblablement haulte ne basse
Les yeulx qui en son chief estoyent
Comme deux estoilles luysoient
Au chief avoit une couronne
Bien ressemblant haulte personne
A son semblant et a son vis
Comme formée en Paradis :
Car nature ne scavoit pas
Oeuvre faire de tel compas
Saichez si la lettre ne ment
Que Dieu la fit nomméement
A sa semblance et son ymaige
Et luy donna tel avantaige
Qu'elle a povoir et seigneurie
De garder l'homme de follye
Mais qu'il soit tel que bien la croye
Ainsi comme me démentoye
Raison a moy parler commence
Raison a l'Amant
Beau amys Folye et Enfance
T'ont mis en peine et en esmoy,
Mal visas au beau temps de moy
Qui trop fit ton cueur esgayer.
Tu allas trop mal umbroyer
Au vergier dont Oyseuse porte
La clef dont elle ouvrit la porte
Fol est qui s'acointe d'Oyseuse
Son acointance est trop périlleuse
Bien t'a trahy, bien t'a déceu,
Car Amours jamais ne t'eust veu
Si Oyseuse ne t'eust conduit
Au doulx vergier ou est Déduit
Oui d'affoler gens a l'usaige
Mais foleur n'est pas vasselaige.
Si tu as follement ouvré
Fais or tant qu'il soit recouvré
Car la folie moult empire
Celluy qui tost ne s'en retire
Garde donc bien que tu ne croyes
Le conseil par qui tu souloyes
Bien folloye qui se chastie
Et quant jeune homme faict folie
On ne s'en doit esmerveiller
Je te viens dire et conseiller
Que l'Amour mettes en oubly
Dont je te voy si affoibly
Si affligé et tourmenté.
Je ne vois mye ta santé
Ne ta garison mesmement
Car moult désire mallement
Dangier le faulx te guerroyer.
Tu n'es pas or a l'essayer.
Encor Dangier riens ne me monte
Envers ma belle fille Honte
Qui les roses deffend et garde
Comme celle qui n'est musarde
Et a pour compaignie peur
Dont tu dois avoir grand frayeur
Et avec eulx est Malle bouche
Qui ne seuffre que nul y touche
Avant que la chose soit faicte
La a il en cent lieux retraicte
Moult as affaire a malle gent
Regarde lequel est plus gent
Ou de laisser ou de poursuyvre
Ce qui te fait en douleur vivre
C'est le mal qui Amours a nom
Ou n'est que tout mal sans renom
Follie si doit chascun croire
Car qui ayme ne peult bien faire
Ne beau vaisselage comprendre
S'il est clerc il perd son apprendre
Et puis s'il faict aultre mestier
Gueres n'en pourra exploicter
Ainsi a celluy plus de peine
Qu'aulcun hermite ne blanc moine
La peine en est desmesurée
Et la joye a courte durée.
Qui joye en a bien peu luy dure
Et de l'avoir est adventure
Car je voy que maintz se travaillent
Qui en la fin du tout y faillent
Oncques mon conseil n'entendis
Quant au dieu d'Amours te rendis
Le cueur que tu as trop vollaige
Te fit comprende tel oultraige
Une folie est tost emprise
Mais d'en yssir est la mesprise,
Mais est amour a nonchalloir
Qui te peult nuyre et non valoir
Car folie est trop acourant
Quant on ne luy court au devant
Prens hardiment aux dens le frain
Et d'honte ton cueur a refrain
Tu dois mettre forte deffence
Encontre ce que ton cueur pense
Qui tousjours son couraige croit
Ne peult estre que fol ne soit.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:41

Cy respond l'Amant par rebours...


Cy respond l'Amant par rebours
A Raison qui luy blasme Amours
Quant j'euz ouy ce chastiment
Respondy furieusement
Dame je vous vueil moult prier
Que me laissez de chastier
Vous me dictes que je refraine
Mon cueur qu'Amours ne le retienne
Cuydez vous qu'Amours se consente
Que je refrainne et que démente
Le cueur qui est a soy tout quictes
Estre ne peult ce que vous dictes
Amour a mon cueur tant dompté
Qui n'est plus en ma voulenté.
Il a ung mestier si forment
Qu'il luy a faicte clef fermant
Pource laissez moy du tout faire
Vous pourriez gaster tout l'affaire
Et useriez vostre francoys.
Mieulx vouldroye mourir aincoys
Qu'Amours or m'eust de Faulceté
Ne de Raison la arresté.
Il me veult louer ou blasmer
Au dernier de mes maulx d'aymer
Dont m'ennuye qui ne chastie.
Adonc s'est raison départie
Qui bien voit que pour sermonner
De ce ne me pourroit tourner.
Je demeure seul d'ire plains
Souvent pleure et souvent me plains
Car de moy n'euz point chevissance
Tant qu'il me vint en remembrance
Qu'Amours me dist lors que je quisse
Ung compaignon a qui je deisse
Mon conseil tout entierement
Pour moy oster de grant tourment
Adonc pourpensay que j'avoye
Ong compaignon que je scavoye.
Bon et loyal, Amys eut nom
Oncques n'euz si bon compaignon.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:41

Comment par le conseil d'Amours...

Comment par le conseil d'Amours
L'Amant vint faire ses clamours
A Amys qui tout lay compta
Lequel moult le réconforta
A Amys vins par grant allure
Et luy dis tout l'encloueure
Dont je me sentoye encloué
Si comme Amours m'avoit loué
A luy me plaingny de Dangier
Qui tant me vouloit ledangier
Et Bel Acueil fit en aller
Quant il me vit a luy parler
Du bouton a qui je tendoye
Et me dist que le comperroye
Si jamais par nulle achoison
Me voyoit passer la cloison
Quant Amys sceut la vérité
Il ne m'a pas espoventé
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:42

Comment Amys moult doulcement...

Comment Amys moult doulcement
Donne réconfort a l'Amant
Il me dist compaignon or soyez
Seur et point ne vous esmayez,
Je congnois de pieca Dangier
Pres a mal dire et ledangier
A menasser et a mesdire
Ceulx qui luy veullent contredire,
Je l'ay de pieca esprouvé.
Si vous l'avez félon trouvé
Tout aultre sera au dernier
Je le congnois comme ung denier.
Amollir vous le pourrez bien
Par prieres et beau maintien.
Je vous diray que vous ferez,
Je vueil que vous le requerez
Vous pardonner sa malveillance
Par amour et par accordance :
Et luy mettez bien en couvant
Que jamais de lors en avant
Rien ne ferez qui luy desplaise
Mais toute chose qui luy plaise
Car il veult bien qu'on le blandist.
L'Amant
Tant parla Amys et tant dist
Qu'il m'a presque réconforté
Et le hardement apporté
En mon cueur d'aller assayer
Si Dangier pourray allyer.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:43

Comment l'Amant vint a Dangier...

Comment l'Amant vint a Dangier
Luy prier que plus laidangier
Ne le voulsist, et par ainsi
Humblement luy crioit mercy
A Dangier suis venu honteux
De ma paix faire convoiteux,
Mais la haye ne passay pas
Pource qu'il m'eust nyé le pas.
Je le trouvay sur piedz dressé
Par félon semblant courroussé
En sa main ung baston d'espine.
Je me tins vers luy la teste encline
Et luy diz sire je suis icy
Venu pour vous crier mercy
Moult me desplaist amerement
Que vous courroucay nullement,
Mais je suis prest de l'amender
Comme le vouldrez commander.
Certes Amour le me fit faire
Dont je ne puis mon cueur retraire,
Mais je n'auray jamais plaisance
De chose dont ayez nuysance.
J'ayme mieulx souffrir ma malaise
Que faire riens qui vous desplaise,
Si vous requiers que vous ayez
Pitié de moy et appaisez
Vostre ire qui fort m'espovente,
Et je vous jure mon entente
Que vers vous je me contiendray
Et plus en riens ne m'esprendray.
Pource vueillez moy octroyer
Ce que ne me debvez nyer,
Vueillez que j'ayme sans escande
Aultre chose ne vous demande,
Toutes voz aultres volentez
Feray si ce me consentez.
Vous ne me povez destourber
Je ne vous quiers de ce lober,
Car j'aymeray puis qu'il me plaist
Quoy qu'il en soit bel ou desplaist,
Mais je ne vouldroys pour finance
Qu'il fut a vostre desplaisance.
Moult trouvay Dangier lait et lent
A pardonner son maltalent
Toutesfois il m'a pardonné
En la fin tant l'ay sermonné,
Et me dit par sentence briefve.
Dangier a l'Amant
Ta parolle riens ne me griefve
Si ne te vueil pas esconduyre
Certes je n'ay vers toy point d'yre.
Si tu aymes il ne m'en chault
Se ne me faict ne froit ne chault,
Or aymes donc, mais que tu soyes
Loing de mes roses, toutesvoyes
Tu n'en auras mal, paour n'en ayes
Si tu passes jamais les hayes.
L'Amant
Ainsi m'octroya ma requeste
Et je l'alay compter en feste
A Amys qui s'en jouyt
Comme courant quant il me ouyt.
Amys a l'Amant
Or va bien dit il vostre affaire,
Encor vous sera débonnaire
Dangier qui fait a maintz tourment
Ouant vers eulx est marry forment.
S'il estoit pris en bonne vaine
Pitié auroit de vostre paine.
Vous debvez souffrir et attendre
Tant qu'en bon point le puissez prendre
Car maint félon cueur est vaincu
Pour souffrir souvent et menu,
Car je l'ay maintesfois trouvé
Tres félon et bien esprouvé.
L'Amant
Moult me conforta doulcement
Amys qui mon avancement
Vouloit aussi bien comme moy.
De luy prins congié sans esmoy
A la haye que Dangier garde
Puis retournay, car moult me tarde
Que le bouton encor revoye
Puis qu'avoir ne puis aultre joye.
Dangier se prent garde souvent
Si je luy tiens bien mon couvent,
Mais garde n'a que luy mesface,
Car trop redoubte sa menace.
Je me suis pené longuement
A faire son commandement
Pour l'acointer et pour l'atraire,
Mais ce me tourne a grant contraire
Que sa mercy trop me demeure.
Si voit il souvent que je pleure
Et que je me plains par soupir
Pource qu'il me fait trop croupir
Delez la haye que je n'ose
Passer pour aller a la rose.
Tant feis qu'il a certainement
Congneu a mon contenement
Qu'amours mallement me maistrise
Et qu'il n'y a point de faintise
En mon cueur ne deslayaulté,
Mais il est de tel cruaulté
Qu'il ne se daigne encor refraindre
Tant me voye pleurer et plaindre.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:43

Comment Pitié avec Franchise...

Comment Pitié avec Franchise
Allerent par tresbelle guise
Parler a Dangier pour l'Amant
Qui estoit d'aymer en tourment
Comme j'estoys en ceste paine
Devers moy vint que Dieu amaine
Franchise avec elle Pitié.
Oncques riens n'y eut despité :
A Dangier allerent tout droit,
Car l'une et l'autre me vouldroit
Bien aider et tresvoulentier
Attendu qu'il en fut mestier.
La parolle a premiere prise
Par sa mercy dame Franchise
Et dist a Dangier fermement.
Franchise a Dangier
Vous avez tort de cest amant
Qui par vous est si mal mené
Dont trop estes avillenné :
Car il n'a pas encor apris
Qu'il ait vers vous de rien mespris.
S'Amour le faict par force aymer
Le debvez vous pour ce blasmer,
Trop plus pert il que vous ne faictes
Qu'il en a maintes paines traictes,
Mais amour ne veult consentir
Qu'il s'en vueille en rien repentir,
Et qui vif le debvroit larder
Il ne s'en pourroit pas garder.
Mais beau sire qui vous avance
De luy faire paine et grevance,
Avez vous guerre a luy emprise
Puis que tant il vous ayme et prise
Aussi qu'il est de voz subjectz.
S'Amours le tient pris en ses rethz
Et le faict a luy obéyr
Le debvez vous pourtant hayr
Non, mais le deussiez espargnier
Plus que l'orgueilleux pautonnier.
Courtoysie veult qu'on sequeure
Celluy dont on est au dessure,
Moult a dur cueur qui n'amollie
Quant il treuve qui le supplie.
Pitié a Dangier
Pitié dist, c'est bien vérité
Que Fureur vaincq Humilité
Et quant trop dure l'aygreté
C'est follie et grant mauvaisetié.
Dangier pour ce vous vueil requerre
Que vous ne maintenez plus guerre
Vers cest Amant qui languist la
Lequel onc Amour n'avilla.
Advis m'est que vous le grevez
Assez plus que vous ne devez,
Il eut trop malle pénitance
Des lors enca que l'acointance
Bel Acueil luy avoit fortraicte
C'est la chose qu'il plus couvoite.
Il fut assez devant troublé
Mais ores en son mal doublé
Comme de mort est assailli
Quant Bel Acueil luy est failli.
Pourquoy luy estes vous contraire
Trop grant mal luy fait Amour traire,
Car tant de mal soustient qu'el n'eust
Besoing d'avoir pis s'il vous pleust.
Or ne l'allez contrariant,
Car en fin n'en serez riant,
Souffrez que Bel Acueil luy face
Désormais quelque bien et grace
Aux pécheurs fault miséricorde
Puis que Franchise si accorde,
Je vous en prie et admonneste
Ne refusez pas sa requeste,
Car trop est fol et despitaire
Qui pour nous deux ne veult rien faire.
Lors ne peult plus Dangier durer
Ains le fallut amesurer.
Dangier a Franchise et Pitié
Dames dit il je ne vous ose
Esconduire de ceste chose,
Car trop seroit grant villennie.
Je vueil qu'il ayt la compaignie
De Bel Acueil puis qu'il vous plaist
Je n'y mettray jamais arrest.
L'Acteur
Lors est a Bel Acueil allée
Franchise la bien emparée
Et luy a dit courtoysement
Franchise a Bel Acueil
Trop vous estes de cest Amant
Bel Acueil grant piece eslongné
Regarder ne l'avez daigné
Dont ses pensers sont durs et tristes
Depuis le temps que ne le vistes
Or pensez de le resjouyr
Si de m'amour voulez jouyr
Et de faire sa voulenté.
Saichez que nous avons dompté
Moy et Pitié tresbien Dangier
Qui vous en faisoit estrangier.
Bel Acueil aux deux dames
Je feray tout vostre plaisir
Dames ainsi le vueil choisir
Puis que Dangier l'a octroyé.
L'Amant
Lors le m'a Franchise envoyé
Bel Acueil au commencement
Me salua moult doulcement.
S'il eust esté de moy tyré
Arriere n'en fut empiré
Mais il monstra plus beau semblant
Qu'il n'avoit fait oncques devant
Luy adonc par la main m'a pris
Pour mener dedans le pourpris
Quet Dangier m'avoit calengié
Et eu d'aller par tout congié.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:44

Comment Bel Acueil doulcement...

Comment Bel Acueil doulcement
Mene l'Amant joyeusement
Au vergier pour veoir la rose
Qui luy fut délectable chose
Je fuz venu ce m'est advis
D'ung bas Enfer en Paradis
Car Bel Acueil par tout me mene
Qui a faire mon gré se peine
Comme j'euz la rose approchée
Ung peu la trouvay engrossée
Et congneuz qu'elle estoit plus creue
Que quant au premier je l'euz veue
Et avec ce s'eslargissoit
Par dessus si m'embellissoit
De ce qu'el n'estoit si ouverte
Que la graine fust descouverte,
Aincois estoit encore close
Entre les fueilles de la rose
Qui amont droictes se levoyent
Et la place dedans employent
Or ne povoit paroir la graine
Pour la place qui estoit pleine
Elle fut lors Dieu la bénye
Trop plus belle que espanouye
Plus gracieuse et plus vermeille
Moult m'esbahys de la merveille
Comment elle estoit embellye
Pource qu'Amour plus fort me lye
Et de tant plus estraint ses las
Comme je y prens plus de soulas
Grant piece ay illec demeuré
De Bel Acueil enamouré
Que je trouvay grant compaignie
Et quant j'ay veu qu'il ne me nye
Ne son soulas ne sa devise
Une chose luy ay requise
Qui bien est a ramentevoir.
Sire dis je, saichez de veoir
Que je suis moult fort envieux
D'avoir ung baiser savoureux
De la rose qui si fort flaire
Et s'il ne vous debvoit desplaire
Je vous requerroye ce don
Pour Dieu sire dictes le don
Et j'auray du baiser l'octroy.
Tresdoulx amy or dictes moy
Tost s'il vous plaist que je la baise
La chose ne vous doit desplaire.
Bel Acueil escondit l'Amant
Amy dit il si Dieu me gard
Si Chasteté n'avoit regard
Ja ne vous fust par moy nyé
Mais je n'ose pour Chasteté
Vers laquelle ne veulx mesprendre
Et m'a voulu tousjours deffendre
Que du baiser congié ne donne
A nul amant qui m'en sermonne
Car qui a baiser peult attaindre
A peine peult a tant remaindre
Et saichez qui l'on octroye
Le baiser il a de sa proye
Le mieulx et le plus advenant
Et avec ce le remanant.
L'Amant
Quant je l'ouys ainsi respondre
Plus ne le veulx de ce semondre
Tant le doubtoye a courroucer.
L'on ne doit pas aulcun presser
Oultre son gré ne prier trop.
Vous scavez bien qu'au premier cop
On ne couppe pas bien ung chesne
Et n'a on pas les vins de Lesne
Tant qu'ilz soyent estrains et pressez
L'octroy si me tarda assez
Du baiser que je désiroye,
Mais Vénus qui tousjours guerroye
Chasteté me vint au secours
C'est la mere au grant dieu d'Amours
Qui a secouru maint amant.
El tenoit ung brandon flammant
En sa main destre dont la flamme
A eschauffée mainte dame.
Elle fut cointe et bien coiffée
Déesse sembloit ou fée
Par le grant atour qu'elle avoit.
Bien peult congnoistre qui la veoit
Que point n'est de religion.
Je en feray cy mention
De son habit tant décoré
Ne de son beau tissu doré
Du fermail ne de sa courroye
Car a cela trop demeurroye
Mais bien saichez certainement
Que vestue estoit coinctement
Et point n'estoit en elle Orgueil
Vénus se trait vers Bel Acueil
Et luy a commencé a dire
Vénus a Bel Acueil
Pourquoy vous faictes vous beau sire
Vers cest Amant si dangereux
D'avoir ung baiser amoureuz
Vous ne luy deussiez refuser
Car vous scavez bien et voyez
Qu'il sert et ayme en loyaulté
Et en luy est assez beaulté
Cy qu'il est digne d'estre aymé
Voyez comme il est bien formé
Comme il est beau, comme il est gent
Franc et courtoys a toute gent
Et avec ce il n'est pas vieulx
Mais est jeune, dont il vault mieulx
Il n'est dame ne chastelaine
Que je ne tienne pour villaine
S'elle faisoit de luy Dangier
En luy octroyant ce loyer
Donc le baiser luy octroyez
Mieulx ne vous scauriez employer.
Je cuide que la doulce alaine
Et sa bouche n'est pas villaine
Ne faicte pour a nulluy nuyre
Mais pour soulacer et desduyre
Car ces levres sont vermeillettes
Et a les dens blanches et nettes
Et n'y a tache ny ordure
Bien est ce m'est advis droicture
Qu'ung baiser luy soit octroyé
Il luy sera bien employé
Car tant plus que vous attendrez
Autant de temps saichez perdrez .
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:44

Comme l'ardant brandon Vénus...

Comme l'ardant brandon Vénus
Ayda a l'Amant plus que nulz
Tant que la rose alla baiser
Pour mieulx son amour appaiser
Bel Acueil qui sentit l'odeur
Du brandon du feu et l'ardeur
Ung baiser m'octroya en don
Au moyen d'icelluy brandon
Je ne fuz guere demeuré
Qu'ung baiser doulx et savouré.
J'euz de la belle rose pris
Dont de joye fut moult surpris
Car telle odeur m'entra au corps
Qu'il en tyra la douleur hors
Et adoulcit le mal d'aymer
Qui long temps m'eust semblé amer
Je ne fuz oncques si tres aise
Bien est gary qui tel fleur baise
Qui tant est doulce et redolent
Je ne seray ja si dolent
S'il m'en souvient que je ne soye
Tout plain de soulas et de joye
Mais non pourtant j'ay maintz ennuitz
Souffers, et maintes malles nuitz
Depuis qu'euz la rose baisée
La mer n'est point si appaisée
Qu'el ne se trouble a peu de vent
Amours si se changent souvent.
Or est il temps que je vous compte
Comment je fuz mené a honte
Par qui je fuz puis moult grevé
Et comment le mur fut levé
Et le chasteau puissant et fort
Qu'Amours print puis par son effort
Toute l'histoire vueil poursuivre
Et la declarer a délivre
Affin qu'elle revienne et plaise
A la belle que Dieu tienne aise
Qui bon guerdon or m'en vendra
Mieulx que quant nulle luy plaira
Malle Bouche plain de ruine
De maint amant pense et divine
Et tout le mal qu'il scet retrait.
Garde se print du doulx atrait
Que Bel Acueil me daigna faire
Et tant qu'il ne s'en peult plus faire
Il fut filz d'une vieille ireuse
Et langue avoit moult périlleuse
Tresfort puante et moult amere
Mieulx en resembloit a sa mere.
Malle Bouche des lors en ca
A nous accuser commenca.
Et si dist qu'il mettroit son oeil
Pour veoir si moy et Bel Acueil
Avions mauvais acointement.
Tant parla le faulx follement
De moy et filz de Courtoisie
Qu'il fit esveiller Jalousie
Qui se leva par grant frayeur
Quant elle eut ouy le jengleur
Incontinent elle s'est levée
Courant comme toute insensée
Vers Bel Acueil qui aymast mieulx
Estre ravy jusques aux cieulx.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:45

Comment par la voix Male Bouche...

Comment par la voix Male Bouche
Qui des bons souvent dit reprouche
Jalousie moult doulcement
Tensa Bel Acueil pour l'Amant
Par parolles fut assailly
Pourquoy as tu le cueur failly
Dit elle tres mauvais garson
Dont j'ay mauvaise souspeson.
Bien pert que tu crois losengiers
Trop tost telz garsons estrangiers.
En toy plus ne me veulx fier,
Mais estroict te feray lier
Et enferrer en une tour,
Car je ne voy aultre retour.
Trop s'est de toy honte eslongnée
Et si ne s'est pas bien songnée
De toy pour te tenir de court.
Il m'est advis qu'elle secourt
Moult mauvaisement Chasteté
Puis qu'ung garson mal arresté
Laisse a nostre pourpris venir
Pour elle et moy avillenir.
L'Amant
Bel Acueil ne sceut que respondre
Aincois lors s'en alla escondre
Si qu'il ne fust illec trouvé
Et prins avec moy reprouvé
Mais quant je vis venir la grive
Qui contre moy tanse et estrive
Je fuz tantost tourné en fuyte
Pour la riotte qui me incite.
Honte c'est dehors avant traicte
Qui moult se cuyde estre forfaicte
En se monstrant humble et tres simple.
Ung voile avoit en lieu de gimple
Ainsi comme nonnain d'abbaye,
Et pource qu'el fut esbaye
Commenca a parler tout bas.
Honte parlant a Jalousie
Pour Dieu dame ne croyez pas
Malle Bouche le losengier
Veu qu'il est pour nous laidangier,
Car maint preud'homme a amusé.
Il a Bel Acueil accusé,
Mais ce n'est mie le premier.
Malle Bouche est bien coustumier
De racompter faulces nouvelles
De damoyseaulx et damoyselles,
Sans faulte ce n'est pas mensonge
Bel Acueil en son faict ne songe.
On luy a souffert a attraire
Telz gens dont il n'avoit que faire,
Mais certes je n'ay pas créance
Qu'il eust oncques nulle science
De mauvaistié ne de follye,
Mais il est vray que Courtoysie
Qui est sa mere luy enseigne
Que d'acointer gens ne se faigne.
Oncques n'ayma qu'en bonne guise
Par courtoysie et sans faintise,
En son amour n'est aultre chose
Sinon joyeuseté enclose
Et qu'il se esbat et dit parolle
Sans faillir j'ay esté trop molle
De le garder et chastier
Dont je vous veulx mercy crier.
Si j'ay esté ung peu trop lente
De bien faire j'en suis dolente,
De ma folie me repens,
Mais je mettray tout mon pourpens
Adonc pour Bel Acueil garder,
Jamais ne m'en quiers retarder.
Jalousie parle a Honte
Adonc respondit Jalousie
Honte, j'ay paour d'estre trahie
Car Lecherie est tant montée
Que trop pourroit estre ahontée
Merveille n'est si je m'en deulx,
Car Luxure regne en tous lieux
Son pouvoir ne fine de croistre
Soit en abbaye ou en cloistre
Et n'est point Chasteté assur,
Pource feray de nouvel mur
Clorre les rosiers et les roses.
Si que plus ne seront descloses
En vostre garde peu me fie,
Car je congnois je vous affie
Que l'on pert trop en telle garde.
On me tiendroit bien pour musarde
Si garde je ne m'en prenoye.
Certes je clorray fort la haye
A ceulx qui pour me varier
Viennent les roses espier.
Il ne me sera ja paresse
Que ne face une forteresse
Qui les roses clorra autour.
Au meillieu sera une tour
Pour Acueil mettre en la prison
Car j'ay trop grant paour de Raison
Je croy si bien garder son corps
Qu'il n'aura povoir d'issir hors
Aussi compaignie tenir
Aux garsons qui pour le honnir
De parolles le vont huant.
Trop l'ont trouvé nice et truant
Fol et légier a recepvoir,
Mais si je vis saichez de voir
Que trop mal leur fit Faulx Semblant.
L'Acteur
A ce mot survint Paour tremblant
Mais elle fut si esbaye
Quant elle eut ouy Jalousie
Qu'oncques ne luy osa mot dire
Pource qu'el la sentoit en yre.
El se tira en aultre part
Et Jalousie a tant se part.
Paour et Honte laissa ensemble
Ausquelz le cueur du corps leur tremble,
Mais Paour qui tint la teste encline
Parla a Honte sa cousine.
Paour parle a Honte
Honte dist elle moult me poise
Dont il nous convient ouyr noyse
Car jamais nous n'eusmes diffamé
Aulcun reproche ne aulcun blasme.
Or nous ledange Jalousie
Qui nous mescroit de villennie,
Allons a Dangier hardiment
Et luy démonstrons clerement
Qu'il a faicte lasche entreprise
Car il n'a pas grant paine mise
A bien garder cestuy vergier.
Nous luy dirons pour abrégier
Que trop a Bel Acueil souffert
A faire son gré en appert
Et qu'il se gouverne aultrement
Ou qu'il saiche certainement
Que fuir fault de ceste terre,
Car porter ne pourrois la guerre
De Jalousie ne l'attaine
S'il la recueilloit en sa haine.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:46

Comment Honte et Paour aussi...

Comment Honte et Paour aussi
Vindrent a Dangier par soussi
De la rose le ledangier
Que bien ne gardoit son vergier
A ce conseil se sont tenues
Puis s'en sont a Dangier venues
Et l'ont trouvé tres mal plaisant
Dessoubz ung aubespin gisant.
En lieu avoit de chevecel
Soubz son chief d'herbe ung grant moncel
Qui commencoit a sommeillier.
Mais Honte l'a fait esveillier
Qui le blasma et courut seure.
Honte a Dangier
Comment dormez vous a ceste heure
Dangier par tres malle adventure
Fol est cil qui en vous s'assure
Pour garder rose ne bouton
Nemplus que queue de mouton.
Vous estes lasche comme mouche
Qui deussiez estre fort farouche
Et toutes les gens débouter.
Folie vous a fait bouter
En ce vergier par grand meffait
Bel Acueil dont blasmer nous fait.
Quant vous dormez nous en avons
La noyse, et mes nous n'en povons.
Vous estes vous ores couché,
Or vous levez et soit bouché
Chascun pertuys de ceste haye
Faictes tant que chascun vous haye
Car il n'affiert a vostre nom
Que vous faciez se ennuy non.
Si franc et doulx est Bel Acueil
Fier devez estre et plain d'orgueil
Et de mocquerie et d'oultraige,
Car ung vilain courtois est raige.
J'ay ouy ce n'est d'huy ne d'hier
Dire qu'on ne peult espervier
En nul temps faire d'ung buysart
Tous ceulx vous tiennent pour musart
Qui vous ont trouvé débonnaire.
Voulez vous doncques aux gens plaire
Et faire service et bonté
Ce vous vient de grant lacheté.
Vous avez bruyt de toute gent
D'estre trop lasche et négligent
Et que vous croyez jenglerie,
Puis Paour luy dist sans mocquerie.
Paour a Dangier
Certes Dangier moult m'esmerveil
Que n'estes en plus grant esveil
De garder ce que vous devez,
Trop en pourriez estre grevez
Si Jalousie lors en groingne.
Elle est moult fiere et moult griffoingne
Qui de tencer scet l'industrie.
Elle en a fort Honte assaillie
Et chassé par sa grand menace
Bel Acueil hors de ceste place
Et juré qu'el ne quiert durer
Si vif ne la fait emmurer.
C'est tout par vostre mauvaistié,
Car vous n'avez pas bien guetté,
Et croy que cueur vous est failly,
Mais mal en serez acueilly
Et l'heure cens fois mauldirez
Que Jalousie congneue aurez.
L'Acteur
Le villain leva son aumusse
Fronca les yeulx ses dens ne musse
Et fut plain d'ire et enroueillé
Le nez froncé le vis roueillé
Quant il se vid si malmener.
Dangier
Je puis dist il bien forcener
Quant vous me tenez pour vaincu
Or ay je certes trop vescu
Si ce pourpris ne peulx garder
Tout vif me puisse on larder
Si jamais homs vivans y entre
Trop yré suis au cueur du ventre
Puis qu'aulcun y a mis le pié
Mieulx aymasse d'ung espié
Estre féru parmy le corps
Je fis que fol bien me recors.
Si m'amenderay par vous deux
Jamais ne seray paresseuz
De ceste closture deffendre
Si je y peulx aulcun entreprendre
Mieux luy vauldroit estre a Pavie
Jamais en nul jour de ma vie
Ne me tiendray pour recréant
Nul n'y viendra tant soit bruyant
L'Amant
Lors s'est Dangier sur pied dressé
Semblant faict estre courroucé
En sa main ung baston a pris
Et va cherchant par le pourpris
S'il trouvera pertuys ne trace
Ne sente affin qu'elle la face
Estouper diligentement.
Dangier est changé aultrement
Car il m'est beaucoup plus divers
Qu'il ne souloit et plus pervers
Et plus fier qu'il ne souloit estre
Il est trop périlleux estre
Car je n'auray jamais loysir
De veoir ce que j'ay en désir
Moult ay le cueur du ventre yré
D'avoir Bel Acueil conjuré
Et bien saiches que chascun membre
Me frémist quant je me remembre
De la rose que je souloye
Veoir de bien pres quant je vouloye
Et quant du baiser suis recors
Qui me mit une odeur au corps
Assez plus doulce que de basme
A bien peu que je ne me pasme
Car encor ay au cueur enclose
La doulce saveur de la rose
Et saiches quant il me souvient
Que ainsi eslongner me convient
Et qu'avoir ne peulx mon devis
Mieulx vouldroys estre mort que vis,
Mal toucha la rose a ma bouche
S'amour ne seuffre que j'atouche
Une aultre fois encor a elle
J'en ay trouvé la saveur telle
Que trop grande est sa couvoitise
Qui esprent mon cueur et attise
Moult me viendront pleurs et souspirs
Longues pensées cours dormirs
Frissons et plaintes et complaintes
Telles douleurs auray je maintes
Or suis je cheu en telle peine
Par Malle Bouche la haultaine
Sa langue desloyalle et faulse
M'a pourchassée ceste faulse
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 00:47

Comment par envieux atour...

Comment par envieux atour
Jalousie fit une tour
Pour enfermer et tenir prins
Bel Acueil qui avoit surprins
Maintenant droit est que vous die
La maniere de Jalousie
Qui est malle suspection.
Il n'y eut au pays macon
Ne pionnier qu'elle ne mande
Et leur fit faire par commande
Entre les rosiers grans fossez
Qui cousteront deniers assez
Car ilz sont larges et profons
Dessus les bors font les macons
Ung mur de quarreaux bien taillez
Bien apointez et habillez
Dont le fondement par mesure
Est assis sur roche tresdure
Jusque au pied du fossé décent
Vient amont en estrécissant
Car l'oeuvre en est plus forte assez
Les murs furent si compassez
Qu'ilz sont d'une mesme quarrure
Chascun cent toyses de pas dure
Et sont autant longs comme lez.
Les tournelles sont les alez
Qui richement sont entaillées
Et faictes de pierres taillées.
Aux quatre coings en y a quatre
Qui seroient fortes a abatre.
Et si y a quatre portaulx
Dont les murs sont espes et haulx,
Il en y a ung au devant
Bien deffensable et ensuyvant
Deux de costé et ung derriere
Qui ne doubte coup qu'on luy fiere.
Bonnes portes sont la coulans
Pour faire ceulx dehors doulans
Et pour eulx prendre et retenir
S'ilz osassent avant venir
Et au meillieu de la pourprise
Est une tour de grant devise
Bien faicte d'ouvrier et de maistre
Nulle plus belle ne peult estre.
Elle fut forte, large, et haulte
Dont le mur n'en doit faire faulte
Pour engin, qu'on saiche getter
Car on destrampa le mortier
De fort vin aigre et de chaux vive
La pierre est de roche nayve
Dont on a fait le fondement
Qui est dure comme ayment
Celle tour la fut toute ronde
Plus belle n'est en tout le monde
Ne par dedans mieulx ordonnée.
Elle est dehors environnée
D'unes Iyesses qui sont entour
Entre les Iysses et la tour
Sont les rosiers espes plantez
Ou roses sont a grand plantez
Dedans ceste tour a pierrieres
Et engins de maintes manieres
Vous pourriez bien les mangonneaux
Veoir par dessus les haulx carreaux,
Et aux archieres de la tour
Sont arbalestres tout entour
Pour mieulx la deffence tenir.
Qui pres des murs vouldroit venir
Il pourroit bien estre trop nices
Dehors des murs sont unes Iysses
De bon fort mur a carneaulz bas
Si que chevaulx ne pevent pas
Venir aux fossez d'une allée
Qu'il n'y eust avant grant meslée
Jalousie a garnison mise
Au chasteau que je vous devise
Et m'est advis que Dangier porte
La clef de la premiere porte
Qui ouvre devers orient
Avec elle a mon escient
Trente sergens la sont par conte
Et l'autre porte garde Honte
Qui ouvre par devers midy
Elle fut moult saige, et vous dy
Qu'elle eut sergens a grant plante
Pres a faire sa voulente.
Peur eut grant connestablerie
Et fut a garder establie
L'autre porte qui fust assise
A main senestre contre byse.
Paour si ne sera ja asseure
S'elle n'est enclose a serreure
Et si ne l'ouvre pas souvent
Car quant elle oyt bruyre le vent
Ou petites souris saillir
Elle commence a tressaillir
Malle Bouche que Dieu maudie
Eut souldoyers de Normandie
Qui gardent la porte destroictz.
Et si saichez bien qu'aultres troys
Vont et viennent quant il eschet
Qu'il fault faire par nuyt le guet
Il monte le soir aux craneaulx
Et attrempe ses chalemeaulx
Et ses buccines et ses cors.
Une heure dit chans de discors
Et nouveaulx sons de contretailles
Aux chalemeaulx de Cornouailles
Et aultresfois dit a la fluste
Qu'onque femme ne treuva juste
Aulcune n'est qui ne s'en rie
S'elle oyt parler de lécherie
Ceste est putte, ceste se farde
Et l'autre follement regarde
Ceste est vilaine, et ceste est fole
Et ceste trop a de parolle
Male Bouche qui riens n'espargne
Sur chascun trouve sa flacargne.
Jalousie que Dieu confonde
Bien a garnie la tour ronde
Et saches bien qu'elle y a mis
Des plus privez de ses amys
Tant qu'il y a grant guarnison
Et Bel Acueil est en prison
Amont en la tour enserré
Dont l'huys est si tres fort barré
Que puissance n'a qu'il en ysse.
Une vieille que Dieu honnisse
A mis a l'huys pour le guetter
Qui ne faict nul autre mestier
Qu'a espier tant seullement
Qu'il ne se meuve follement
Nul ne la pourroit enginer
Ne pour seigner ne pour guiner.
Elle eut du bien et de l'angoisse
Qu'amours a ses sergens départ
En jeunesse moult bien sa part.
Bel Acueil se taist et escoute
Pour la vieille que trop redoubte
Et n'est si hardy qui se meuve
Que la vieille sur luy ne treuve
Car le vieille scait toute dance.
Incontinent que Jalousie
Se fut de Bel Acueil saisie
Et qu'elle l'eut faict emmurer,
Elle se print a assurer
Son chastel qu'elle vit si fort
Et luy donna grant réconfort.
Elle n'a gardé que gloutons
Luy emblent roses ne boutons,
Trop sont les rosiers cloz forment
Dont en veillant et en dormant
Peult elle trop bien estre asseur.
L'Amant
Mais je qui fuz dehors le mur
Fuz livré a mort et a paine
Qui scauroit quel vie je maine
Bien en debvroit grant pitié prendre.
Amour me scait ores bien vendre
Les grans biens qu'il m'avoit prestez
Que cuydois avoir achetez.
Il me les vend trop de rechief,
Car je suis en plus grant meschief
Pour la joye que j'ay perdue
Que si je ne l'eusse oncques veue.
Que vous yrois je devisant
Je ressemble bien le paisant
Qui gette en terre sa semence
Et a joye quant il commence
Qu'elle proffite moult en herbe,
Mais devant qu'il en cueille gerbe
La nyele tres fort la greve
Qui a travers le blé se leve
Et fait les grains dedans mourir
Quant les espitz doivent florir
L'espérance luy est tollue
Laquelle trop tost avoit eue.
Ainsi crains je que ne vous mente
Perdre l'espérance et l'attente
Qu'Amours m'avoit tant avancé
Et que j'avoye commencé
A dire ma grand privaulté
A Bel Acueil qui appresté
Estoit de recepvoir mes jeux.
Mais Amours est si couraigeux
Qu'il me tollist tout en une heure
Quant je cuide estre bien asseure.
C'est ainsi comme de fortune
Qui met au cueur des gens rancune
Aultre fois les flate et les hue
En trop petit de temps se mue.
Une heure rit et l'aultre est morne
Ayant une roe qui tourne
Celluy qu'elle veult elle met
Du plus bas amont au sommet,
Et celluy qui est sur la roe
Reverse a un tour en la boe.
Je suis celluy qui est versé
Mal veis le mur et le fossé
Que passer n'ose ne ne puis.
Je n'euz bien ne joye oncques puis
Que Bel Acueil fut en prison,
Car ma joye et ma guarison
Qui est dedans le mur enclose
Est toute en luy et en la rose.
De la conviendra il qu'il ysse
Si Amour veult que je guarisse,
Car ja d'ailleurs ne quiers que j'aye
Honneur, santé ne bien ne joye.
Ha Bel Acueil beau doulx amys
Si vous estes en prison mis
Gardez moy au moins vostre cueur
Et ne souffrez pas pour fureur
Que Jalousie la sauvaige
Mette vostre cueur en servaige
Ainsi comme elle a fait le corps.
S'elle vous chastie dehors
Ayez dedans cueur gayement
Encontre tout son chastiement.
Si le corps en prison est mis
Que le cueur ne soit point soubzmis.
Car franc cueur ne laisse a aymer
Pour battre ne pour diffamer.
Si Jalousie est vers vous dure
Et vous fait ennuy et laidure
Faictes luy du grief a l'encontre,
Et du Dangier qu'elle vous monstre
Vous vengez au moins en pensant
Puis que ne povez aultrement.
Si en ce point vous le faisez
Je me tiendrois bien pour aysez,
Mais je suis en moult grant soucy
Que faire ne veuillez ainsi
Car espoir a comme scavez
Malgré de ce que vous avez
Esté pour moy mis en prison.
Si n'esse pas pour mesprison
Que j'aye encor vers vous faicte,
Oncques par moy ne fut retraicte
La chose qui est a celer,
Mais il me poise pour parler
Plus que a vous de celle meschance,
Car j'en seuffre la pénitence
Plus grand que nul ne pourroit dire.
A peu que je ne confons dire
Quant il me souvient de ma perte
Qui est si grande et si aperte.
Je ne scay pourquoy desconfort
Ne me donne tantost la mort
Quant je congnois et scay de voir
Ainsi qu'il est bon a scavoir
Que les losengeurs envieux
Sont a me nuyre curieux.
Ilz tendent a vous decepvoir
Vous le povez appercevoir
Et faire tant par leur flavelle
Qu'ilz vous tirent a leur cordelle.
Mais mallement suis esmayé
Que par vous ne suis oublié,
Si je pers vostre bienvueillance
Jamais ailleurs n'auray fiance,
Et si j'avoys perdu Espoir
J'en entrerois en desespoir.
Si apres trespassa Guillaume
De Lorris et n'en fit plus pseaulme.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 11:28

Fin de la partie I

Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer  Guilla10

Guillaume de Lorris ou Guillaume de Loris (né à Lorris vers 1200 et mort vers 1238) est un poète français du Moyen Âge.
À l'exception de son lieu de naissance, Lorris et de son extraction noble, on ne sait quasiment rien de sa vie. Protégé du comte de Poitiers, il est l'auteur de la première partie du Roman de la rose, environ 4 000 vers, qu'il laisse inachevé et que Jean de Meung termine une quarantaine d'années plus tard.



Partie II

Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer  Jean10

Jean de Meun, Jehan de Meung, Jean de Meung ou Jean Chopinel, Jean Clopinel (v. 1240 à Meung - v. 1305 à Paris) est un poète français du xiiie siècle, connu surtout pour sa suite du Roman de la Rose.
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 11:32

Cy endroit trespassa Guillaume
De Loris, et n'en fist plus pseaulme;
Mais, après plus de quarante ans,
Maître Jehan de Meung ce Rommans
Parfist, ainsi comme je treuve;
Et ici commence son oeuvre.

De Lorris Guillaume ici même
Mourut sans finir son poème;
Mais, après plus de quarante ans,
Maître Jean de Meung ce Romans
Parfit, ainsi comme je treuve,
Et ici commence son oeuvre.
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 11:36

[Et si l'ai-ge perdu, espoir,
A poi que ne m'en desespoir!]
Désespoir, las! ge non ferai,
Jà ne m'en desespererai;
Car s'esperance m'iert faillans,
Ge ne seroie pas vaillans.
En li me dois réconforter,
Qu'Amors por miex mes maus porter,
Me dist qu'il me garantiroit,
Et qu'avec moi par-tout iroit.
Mès de tout ce qu'en ai-ge affaire,
S'ele est cortoise et debonnaire?
El n'est de nulle riens certaine,
Ains met les amans en grant paine,
Et se fait d'aus dame et mestresse,
Mains en déçoit par sa promesse:

[S'Il m'est réservé de le voir,
Oui, j'en mourrai de désespoir!]
De désespoir! Non, je le jure,
Car ce serait me faire injure.
Si l'espérance me manquait,
Par trop lâche mon coeur serait.
Il faut qu'elle me réconforte;
Amour, pour que mieux je supporte
Mes maux, dit qu'il me défendrait
Et qu'avec moi partout irait.
Mais, après tout, la belle affaire;
Elle est courtoise et débonnaire,
C'est vrai, mais certaine de rien,
Les amants laisse en grand chagrin
Et se fait d'eux dame et maîtresse
Pour les leurrer par sa promesse;

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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 11:38

Qu'el promet tel chose sovent
Dont el ne tenra jà convent.
Si est peril, se Diex m'amant,
Car en amer maint bon Amant
Par li se tiennent et tendront,
Qui jà nul jor n'i aviendront.
L'en ne s'en scet à quoi tenir,
Qu'el ne scet qu'est à avenir.
Por ce est fox qui s'en aprime:
Car, quant el fait bon silogime,
Si doit l'en avoir grant paor
Qu'el ne conclue du pior,
Qu'aucune fois l'a l'en véu,
S'en ont esté maint decéu.
Et non porquant si vodroit-ele
Que le meillor de la querele
Éust cil qui la tient o soi.
Si fui fox quant blasmer l'osoi.
Et que me vaut or son voloir,
S'ele ne me fait desdoloir?
Trop poi, qu'el n'i puet conseil metre,
Fors solement que de prometre.
Promesse sans don ne vaut gaires,
Avoir me lest tant de contraires,
Que nus n'en puet savoir le nombre.
Dangier, Paor, Honte m'encombre,
Et Jalousie, et Male-Bouche
Qui envenime et qui entouche
Tous ceus dont il fait sa matire,
Par langue les livre à martire.
Cil ont en prison Bel-Acueil,
Qu'en trestous mes pensers acueil,
Et sai que s'avoir ne le puis
En brief tens, jà vivre ne puis.

Car elle nous promet souvent
Choses qui restent à néant.
Par Dieu, dangereuse Espérance!
Combien par elle avec constance
A bien aimer s'attacheront
Qui jamais ne réussiront!
D'avenir elle n'est maîtresse,
Comment donc croire à sa promesse?
Aussi, bien fol qui s'y fierait;
Car si beaux biens elle promet,
Bien souvent, hélas! on l'a vue
Mainte âme aussi laisser déçue.
Toujours on doit avoir grand' peur
De son conseil faux et trompeur.
Et pourtant que demande-t-elle?
Qu'au coeur qui lui reste fidèle,
Tout vienne au gré de son désir.
Fol que je suis de la honnir!
Mais que me vaut son assistance
S'elle ne calme ma souffrance?
Hélas! rien. Car elle ne fait
Que promettre et rien plus ne sait
(Sans don promesse ne vaut guère),
Et me laisse avoir de misère
Plus que nul n'oserait songer.
M'accablent Peur, Honte et Danger,
Et Jalousie et Malebouche
Qui tous ceux que sa langue touche
Empoisonne de son venin
Et met à martyre sans fin.
Bel-Accueil en prison ils laissent
A qui tous mes pensers s'adressent,
Et si je ne puis en jouir,
Il me faudra bientôt mourir.
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 11:40

Ensor que tout me repartuë
L'orde vielle, puant, mossuë,
Qui de si près le doit garder,
Qu'il n'ose nuli regarder.
Dès or enforcera mi diex;
Sans faille voirs est que li Diex
D'Amors trois dons, soe merci
Me donna, mès ge les pers ci:
Doulx-Penser qui point ne m'aïde,
Doulx-Parler qui me faut d'aïde,
Le tiers avoit non Doulx-Regart:
Perdu les ai, se Diex me gart.
Sans faille biaus dons i ot; mès
Il ne me vaudront riens jamès,
Se Bel-Acueil n'ist de prison,
Qu'il tiennent par grant mesprison.
Por lui morrai, au mien avis,
Qu'il n'en istra, ce croi, jà vis.
Istra! non voir. Par quel proesce
Istroit-il de tel forteresce?
Par moi, voir, ne sera-ce mie,
Ge n'ai, ce croi, de sens demie,
Ains fis grant folie et grant rage
Quant au Diex d'Amors fis hommage.
Dame Oiseuse le me fist faire,
Honnie soit et son affaire,
Qui me fist où joli vergier
Par ma proiere herbergier!
Car, s'ele éust nul bien séu,
El ne m'éust onques créu;
L'en ne doit pas croire fol homme
De la value d'une pomme.
Blasmer le doit-l'en et reprendre,
Ains qu'en li laist folie emprendre;



Surtout c'est elle qui me tue
La vieille puante et moussue,
Qui de si près le doit garder
Que nul il n'ose regarder.
Dès lors augmenteront mes peines;
Pourtant trois grâces souveraines
Daigna m'accorder Dieu d'Amours
Vaines, las! en ces sombres jours.
C'est Doux-Penser qui point ne m'aide,
Doux-Parler que point ne possède
Et le troisième Doux-Regard.
Si Dieu ne m'aide sans retard,
Je les perdrai sans aucun doute,
Car leur vertu s'usera toute
Si Bel-Accueil reste en prison
Qu'ils tiennent par grand' trahison.
De ma mort il sera la cause,
Car jamais vivant, je suppose,
Il n'en sortira. Sortir, las!
Par quelle prouesse mon bras
L'arracher de la forteresse?
Je n'ai plus force ni sagesse
Depuis que ma folle fureur
D'Amour me fit le serviteur.
Dame Oyseuse me le fit faire
Lorsque, cédant à ma prière
(Dieu la honnisse!), du verger
L'huis elle ouvrit pour m'héberger.
On ne doit propos de fol homme
Priser la valeur d'une pomme;
Et si nul bien elle avait su,
Jamais elle ne m'aurait cru
Ni laissé folie entreprendre
Sans me blâmer et me reprendre;
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 11:41

Et je fui fox, et el me crut.
Onques par li biens ne me crut;
El m'acomplit tout mon voloir,
Si m'en estuet plaindre et doloir.
Bien le m'avoit Raison noté,
Tenir m'en puis por assoté,
Quant dès lors d'amer ne recrui,
Et le conseil Raison ne crui.
Droit ot Raison de moi blasmer,
Quant onques m'entremis d'amer;
Trop griés maus m'en convient sentir,
Par foi, je m'en voil repentir.
Repentir? las! ge que feroie?
Traïtres, faus, honnis seroie.
Maufez m'auroient envaï,
J'auroie mon seignor traï.
Bel-Acueil reseroit traïs!
Doit-il estre par moi haïs,
S'il, por moi faire cortoisie,
Languist en la tor Jalousie?
Cortoisie me fit-il voire
Si grant, que nus nel' porroit croire,
Quant il volt que ge trespassasse
La haie et la Rose baisasse.
Ne l'en doi pas mal gré savoir,
Ne ge ne l'en saurai jà voir.
Jà, se Diex plaist, du Diex d'Amors,
Ne de li plaintes ne clamors,
Ne d'Esperance, ne d'Oiseuse,
Qui tant m'a esté gracieuse,
Ne ferai mès; car tort auroie
Se de lor bien-fait me plaignoie.
Dont n'i a mès fors du soffrir,
Et mon cors à martire offrir,



Or, j'étais fol, elle me crut,
Nul bien par elle ne m'échut;
Je la trouvai trop complaisante,
Et je pleure et je me lamente.
Raison me l'avait bien-noté,
Pourquoi sa voix n'ai-je écouté
Quand elle me faisait défense
D'aimer, ô fatale démence!
Moult sage était de me blâmer
Raison quand j'entrepris d'aimer,
D'où me vint trop dure avanie;
Je veux oublier ma folie.
Oublier, las! Je ne saurais!
Au démon je succomberais!
Je serais lâche, faux et traître!
Comment! je renierais mon maître
Et Bel-Accueil serait trahi!
De moi doit-il être haï,
Si pour sa tendre courtoisie
L'enserre en sa tour Jalousie?
Nul ne croirait pareille horreur;
Lui qui m'octroya la faveur
De franchir la barrière close
Afin d'aller baiser la Rose!
Non! Je ne lui saurai jamais
Nul mauvais gré de ses bienfaits;
Jamais ne me plaindrai d'Oyseuse
Qui pour moi fut si gracieuse,
Ni d'Espérance, ni d'Amour,
S'il plaît à Dieu, qui tour à tour
M'ont secouru dans ma détresse;
Jamais n'aurai telle faiblesse.
Non! Mon devoir est de souffrir,
De mon corps au martyre offrir,
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 11:42

Et d'atendre en bonne espérance
Tant qu'Amors m'envoie alejance.
Atendre merci me convient,
Car il me dist, bien m'en sovient:
Ton servise prendrai en gré,
Et te metrai en haut degré,
Se mauvestié ne le te tost;
Mès, espoir, ce n'iert mie tost,
Grans biens ne vient pas en poi d'hore,
Eins i convient metre demore.
Ce sunt si dit tout mot à mot,
Bien pert que tendrement m'amot.
Or n'i a fors de bien servir,
Se ge voil son gré deservir;
Qu'en moi seroient li defaut,
Où Diex d'Amors pas ne defaut
Par foi, que Diex ne failli onques.
Certes il defaut en moi donques,
Si ne sai-ge pas dont ce vient,
Ne jà ne saurai, se Dé vient.
Or aut si cum aler porra,
Or face Amor ce qu'il vorra,
Ou d'eschaper, ou d'encorir,
S'il vuet, si me face morir.
N'en vendroie jamès à chief,
Si sui-ge mors se ne l'achief,
Ou s'autre por moi ne l'achieve;
Mais s'Amors, qui si fort me grieve,
Por moi le voloit achever,
Nus maus ne me porroit grêver
Qui m'avenist en son servise.
Or aut du tout à sa devise,
Mete-il conseil, s'il li viaut metre,
Ge ne m'en sai plus entremetre;



Et d'attendre en bonne espérance
Qu'Amour enfin m'offre allégeance.
C'est le parti qui me convient,
Car autant comme il m'en souvient,
Voici mot à mot sa promesse
Qui pour moi montre sa tendresse:
«Je prendrai ton service à gré
Et te veux mettre en haut degré
Si tes méfaits ne s'y opposent.
Mais de bien longs délais s'imposent;
La Fortune est lente à venir,
Et moult fait attendre et souffrir.»
Servons-le donc sans défaillance
Pour mériter sa bienveillance.
S'il est un coupable, c'est moi,
Et non Dieu d'Amours, par ma foi,
Car Dieu ne saurait faillir oncques;
En moi seul est le péché doncques.
D'où me vint-il? Je ne le sais,
Et ne veux le savoir jamais.
Qu'Amour me sauve ou sacrifie,
S'il veut, qu'il m'arrache la vie;
Or advienne ce qu'il pourra,
Qu'Amour fasse ce qu'il voudra,
Je reconnais mon impuissance.
La mort finira ma souffrance
Bientôt, à moins d'un prompt secours;
Mais si le cruel Dieu d'Amours
Voulait terminer mon supplice,
Je ne craindrais à son service
Nul mal, nulle calamité.
Or qu'il fasse à sa volonté,
Or qu'il dispose de ma vie,
Je n'ai plus de lutter l'envie.
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 11:43

Mès, comment que de moi aviengne,
Je li pri que il li soviengne
De Bel-Acueil après ma mort,
Qui sans moi mal faire m'a mort.
Et toutesfois, por li déduire,
A vous, Amors, ains que ge muire,
Dès que ne puis porter son fès,
Sans repentir me fais confès,
Si cum font li loial Amant,
Et voil faire mon testament.
Au départir mon cuer li lés,
Jà ne seront autre mi lés.

Cy est la très-belle Raison,
Qui est preste en toute saison
De donner bon conseil à ceulx
Qui d'eulx saulver sont paresceux.


Tant cum ainsinc me démentoie
Des grans dolors que ge sentoie,
Ne ne savoie où querre mire
De ma tristece ne de m'ire,
Lors vi droit à moi revenant
Raison la bele, l'avenant,
Qui de sa tor jus descendi
Quant mes complaintes entendi:
Car, selonc ce qu'ele porroit,
Moult volentiers me secorroit.

Raison.

Biaus Amis, dist Raison la bele,
Comment se porte ta querele?



Mais, quoi qu'il me puisse advenir,
Qu'il daigne au moins se souvenir
De Bel-Accueil, si je succombe,
Dont la bonté creusa ma tombe.
Toutefois recevez, Amour,
Avant que je meure, en ce jour,
Puisque trop lourde est ma misère,
Pour lui ma volonté dernière;
Oyez du plus fidèle amant
Les derniers voeux, le testament:
Mon coeur, mon unique richesse,
Au départir à lui je laisse.


Ici la très-belle Raison
Revient, qui en toute saison
De ses sages conseils dirige
Celui qui son salut néglige.


Tandis qu'ainsi me lamentais
Des grand' douleurs que je sentais,
Et qu'en vain cherchais allégeance
A ma tristesse et ma souffrance,
Je vis droit à moi revenir,
Lorsqu'elle m'entendit gémir,
Raison, la belle, l'entendue,
De sa tour en bas descendue,
Car autant comme elle pouvait
Moult volontiers me secourait.

Raison.

Ami, dit Raison la jolie,
Comment se porte ta folie?
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 11:49

Seras-tu jà d'amer lassés?
N'as-tu mie éu mal assés?
Que te semble des maus d'amer?
Sunt-il trop dous ou trop amer?
En sçai-tu le meillor eslire
Qui te puist aidier et soffire?
As-tu or bon seignor servi,
Qui si t'a pris et asservi,
Et te tormente sans sejor?
Il te meschéi bien le jor
Que tu hommage li féis,
Fox fus quant à ce te méis;
Mès sans faille tu ne savoies
A quel seignor afaire avoies:
Car se tu bien le congnéusses,
Onques ses homs esté n'éusses;
Ou se tu l'éusses esté,
Jà nel' servisses ung esté,
Non pas ung jor, non pas une hore,
Ains croi que sans point de demore
Son hommage li renoiasses,
Ne jamès par Amor n'amasses.
Congnois-le tu point?

L'Amant.

Oïl, Dame.

Raison.

Non fais.

L'Amant.

Si fais.

Raison.

De quoi, par t'ame?



Ne seras-tu d'aimer lassé?
N'as-tu de maux encore assé?
Cet Amour est-il, que t'en semble,
Amer ou doux, ou tout ensemble?
De ses maux, dis-moi, le meilleur
Suffira-t-il à ton bonheur?
C'est là, je crois, un moult bon maître
Qui t'asservit, t'a pris en traître
Et te tourmente sans séjour.
Comme tu fus heureux le jour
Où tu te mis en son servage
Et lui rendis ton fol hommage!
Évidemment tu ne savais
A quel seigneur affaire avais.
Car si tu l'avais su, je pense,
Tu n'aurais fait telle imprudence;
Ou si son homme avais été,
Servi ne l'aurais un été,
Non pas un jour, non pas une heure;
Mais, je crois, sans plus de demeure,
Son hommage aurais renié
Et par Amour n'aurais aimé.
Le connais-tu ce jour?

L'Amant.

Oui, Dame.

Raison.

Nenni.

L'Amant.

Si.

Raison.

Comment, par ton âme?
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 11:51

L'Amant.

De tant qu'il me dist: Tu dois estre
Moult liés, dont tu as si bon mestre,
Et seignor de si haut renon.

Raison.

Congnois-le tu de plus?

L'Amant.

Ge non,
Fors tant qu'il me bailla ses regles,
Et s'en foï plus tost c'uns egles,
Et je remès en la balance.

Raison.

Certes, c'est povre congnoissance;
Mais or voil que tu le congnoisses,
Qui tant en as éu d'angoisses,
Que tout en est deffigurés.
Nus las chetis mal-éurés
Ne puet faire emprendre greignor:
Bon fait congnoistre son seignor;
Et se cestui bien congnoissoies,
Légiérement issir porroies
De la prison où tant empires.

L'Amant.

Dame, ne puis, il est mes Sires,
Et ge ses liges homs entiers;
Moult i entendist volentiers
Mon cuer, et plus en apréist,
S'il fust qui leçon m'en préist.




L'Amant.

Il dit: «Tu dois être flatté
Que t'ait pour son homme accepté,
De tel renom seigneur et maître.»

Raison.

Ne s'est-il pas fait plus connaître?

L'Amant.

Non, fors qu'il m'a baillé ses lois
Et, comme un aigle, par les bois
S'enfuit, me laissant en balance.

Raison.

Certes, c'est pauvre connaissance.
Je veux que tu connaisses mieux
Qui t'a rendu si malheureux
Que tu en es méconnaissable.
Il n'est être si misérable
Dont ne soit moindre le labeur.
Bon fait connaître son seigneur,
Et si tu connaissais ce maître,
Sortir essaierais-tu peut-être
De la prison où tu languis.

L'Amant.

C'est mon sire, dame, ne puis;
Je me suis fait son homme lige
Pourtant du joug mon coeur s'afflige
Et volontiers le secouerait,
Un bon moyen s'il apprenait.
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 11:52

Raison.

Par mon chief, ge la te voil prendre,
Puis que tes cuers i vuet entendre.
Or te démonsterrai sans fable
Chose qui n'est point démonstrable;
Si sauras tantost sans science,
Et congnoistras sans congnoissance
Ce qui ne puet estre séu,
Ne démonstré, ne congnéu.
Quant à ce que jà plus en sache
Nus homs qui son cuer i atache,
Ne que por ce jà mains s'en dueille,
S'il n'est tex que foïr le vueille,
Lors t'aurai le neu desnoé
Que tous jors troveras noé.
Or i met bien t'entencion,
Vez-en ci la descripcion.
Amors ce est paix haïneuse,
Amors est haïne amoreuse;
C'est loiautés la desloiaus,
C'est la desloiauté loiaus;
C'est paor toute asséurée,
Esperance desesperée;
C'est raison toute forcenable,
C'est forcenerie resnable;
C'est dous péril à soi noier,
Grief fais legier à paumoier;
C'est Caribdis la périlleuse[5],
Désagréable et gracieuse;
C'est langor toute santéive,
C'est santé toute maladive;
C'est fain saoule en habondance,
C'est convoiteuse soffisance;




Raison.

Par mon chef, je veux te l'apprendre,
Puisque ton coeur y veut entendre.
Céans je te vais, sans manquer,
Chose inexplicable expliquer;
Alors tu sauras sans science,
Et connaîtras sans connaissance
Ce qui ne peut être conçu,
Non plus démontré ni connu.
Seule une chose est que je sache:
Si quelqu'un son coeur y attache,
Il n'a, pour ne plus en souffrir,
Qu'un remède, c'est de le fuir.
Mets-y ton attention toute
Et la description écoute,
Car le noeud t'aurai dénoué
Que toujours trouverais noué.
Amour, affection haineuse,
Amour, c'est la haine amoureuse,
C'est déloyale loyauté
Et loyale déloyauté;
C'est la peur toute rassurée,
Espérance désespérée,
Une furibonde raison,
Un raisonnable furibond;
C'est Carybde la périlleuse
Désagréable et gracieuse,
Horrible et séduisant danger,
Fardeau lourd à mouvoir léger;
C'est la faim soûle d'abondance,
C'est convoiteuse suffisance,
Une salutaire langueur,
Santé qui consume le coeur,
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 11:53

C'est la soif qui tous jors est ivre,
Yvresce qui de soif s'enyvre;
C'est faus délit, c'est tristor lie,
C'est léesce la corroucie;
Dous maus, douçor malicieuse,
Douce savor mal savoreuse;
Entechiés de pardon péchiés,
De péchiés pardon entechiés;
C'est poine qui trop est joieuse,
C'est felonnie la piteuse;
C'est le gieu qui n'est pas estable,
Estat trop fers et trop muable;
Force enferme, enfermeté fors,
Qui tout esmuet par ses effors;
C'est fol sens, c'est sage folie,
Prospérité triste et jolie;
C'est ris plains de plors et de lermes,
Repos travaillans en tous termes;
Ce est enfers li doucereus,
C'est paradis li dolereux;
C'est chartre qui prison soulage,
Printems plains de fort yvernage;
C'est taigne qui riens ne refuse,
Les porpres et les buriaus use;
Car ausinc bien sunt amoretes
Sous buriaus comme sous brunetes;
Car nus n'est de si haut linage,
Ne nus ne trueve-l'en si sage,
Ne de force tant esprové,
Ne si hardi n'a-l'en trové,
Ne qui tant ait autres bontés
Qui par Amors ne soit dontés.
Tout li mondes vait ceste voie;
C'est li Diex qui tous les desvoie,



C'est la soif qui toujours est ivre,
Ivresse qui de soif s'enivre,
Tristesse gaie, amer bonheur;
Amour, c'est liesse en fureur,
Doux mal, douceur malicieuse,
Douce saveur mal savoureuse;
Un adorable et saint péché,
De péché saint acte entaché;
C'est une peine délectable,
C'est férocité pitoyable,
C'est le jeu toujours inconstant,
État trop stable et trop mouvant,
Pusillanimité virile;
C'est une force trop débile
Contre qui pourtant nul effort
N'a triomphé, tant fût-il fort;
C'est fol sens et sage folie,
Prospérité triste et jolie;
C'est un enfer moult doucereux,
C'est un paradis douloureux,
Oeil souriant qui toujours pleure,
Repos travaillant à toute heure,
Au prisonnier douce prison,
Printemps glaciale saison,
Avare qui rien ne refuse.
Amour la pourpre et la bure use,
Car aussi bien naissent amours
Sous la bure et sous le velours;
Car nul homme ici-bas si sage,
Si grand, de si puissant lignage,
Ni de force tant éprouvé,
Ni si hardi n'a-t-on trouvé,
De telle valeur ni science,
Qu'Amour ne tienne en sa puissance.
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 11:55

Se ne sunt cil de male vie
Que Genius escommenie,
Por ce qu'il font tort à Nature:
Ne por ce, se ge n'ai d'aus cure,
Ne voil-ge pas que les gens aiment
De cele amor dont il se claiment
En la fin las, chétis, dolant,
Tant les va Amors afolant.
Mès se tu viaus bien eschever
Qu'Amors ne te puisse grever,
Et veus garir de ceste rage,
Ne pués boivre si bon bevrage
Comme penser de li foïr,
Tu n'en pués autrement joïr.
Se tu le sius, il te sivra,
Se tu le fuis, il te fuira.

L'Amant.

Quant j'oi Raison bien entenduë,
Qui por noient s'est débatuë,
Dame, fis-ge, de ce me vant,
Ge n'en sai pas plus que devant
A ce que m'en puisse retraire.
En ma leçon a tant contraire,
Que ge n'en sai noient aprendre,
Si la sai ge bien par cuer rendre,
C'onc mes cuers riens n'en oblia,
Voire entendre quanqu'il i a,
Por lire tout communément,
Ne mès à moi tant solement;
Mès puis qu'Amors m'avés descrite,
Et tant blasmée et tant despite,



Tous suivent le même chemin,
Ce Dieu les tient tous sous sa main.
J'excepte gens de male vie
Que Génius excommunie
Puisque tort à Nature ils font
J'ai pour eux un dégoût profond;
Aussi je veux que tous méprisent
Ce vil amour dont ils se disent
Usés, malheureux, un beau jour,
Tant les dégrade cet amour.
Or si tu veux bien dans la suite
D'Amour éviter la poursuite
Et de cette rage guérir,
N'hésite pas, songe à le fuir.
A ton mal pour venir en aide
Je ne connais d'autre remède;
Si tu le suis, il te suivra,
Si tu le fuis, il te fuira.

L'Amant.

Quand j'ouïs Raison l'entendue
Qui s'est en vain bien débattue:
Dame, lui dis-je, assurément
Je ne sais pas plus que devant
A mon mal comment me soustraire.
En la leçon tout est contraire,
Et rien certe elle ne m'apprit.
Je sais par coeur ce qu'avez dit,
Tant mon âme était empressée
De bien saisir votre pensée,
Pour y puiser complètement
Votre sage commandement.
Mais Amour que de tant de blâme,
De mépris vous poursuivez, dame,
Stephandra
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Message par Stephandra Mer 02 Jan 2013, 11:56

Prier vous voil dou defenir,
Si qu'il m'en puist miex sovenir,
Car ne l'oï defenir onques.

Raison.

Volentiers: or i entens donques.
Amors, se bien suis apensée,
C'est maladie de pensée
Entre deus personnes annexes
Franches entr'eus, de divers sexes,
Venans as gens par ardor née
De vision désordenée,
Por eus acoler et baisier,
Et por eus charnelment aisier.
Amors autre chose n'atant,
Ains s'art et se délite en tant.
De fruit avoir ne fait-il force,
En déliter sans plus s'efforce;
Si sunt aucun de tel maniere,
Qui cest amor n'ont mie chiere,
Toutevois fin amant se faignent,
Mès par Amors amer ne daignent,
Et se gabent ainsinc des Dames,
Et lor prometent cors et ames,
Et jurent mençonges et fables
A ceus qu'il truevent décevables,
Tant qu'il ont lor délit éu;
Mais cil sunt li mains décéu:
Car ades vient-il miex, biau mestre,
Décevoir, que décéus estre.
De l'autre Amor dirai la cure
Selonc la devine Escripture;
Méismement en ceste guerre
Où nus ne scet le moien querre;



Veuillez au moins le définir
Pour qu'il m'en puisse souvenir,
Car ne l'ouïs définir oncques.

Raison.

Volontiers; or écoute doncques.
Entre deux êtres s'attirant,
Libres, de sexe différent,
Amour, si je suis bien sensée,
Est un grand mal de la pensée
Qui leur vient d'une folle ardeur.
Ils n'ont plus qu'un désir au coeur,
Baiser, caresse mutuelle,
Jouissance, en un mot, charnelle.
Amour n'a point d'autre désir,
Mais brûle et cherche le plaisir;
Procréer n'est point son attente,
Seule la volupté le tente.
Pourtant j'en connais en retour
Qui n'aiment pas de cet amour,
Et pourtant fins amants se feignent,
Mais par amour aimer ne daignent,
Et vont des dames se moquant,
Corps et âme leur promettant,
Et jurent mensonges et fables
Aux coeurs qu'ils trouvent décevables,
Tant qu'enfin soient comblés leurs voeux.
En amour ce sont les heureux;
Oui, car toujours mieux vaut-il être
Trompeur que trompé, mon beau maître.
L'autre amour dirai maintenant
La sainte Écriture suivant.
Malgré que nul en cette guerre
Mon amour ne recherche guère,
Stephandra
Stephandra
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