Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
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Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Ceste sentence ci rimée
Troveras escripte en Thimée
De Platon qui ne fu pas nices;
Et quant tu d'autre part obices
Que lait et vilain sunt li mot,
Ge te di devant Diex qui m'ot,
Se ge, quant mis les noms as choses,
Que ci reprendre et blasmer oses,
Coilles reliques apelasse,
Et reliques coilles clamasse,
Tu qui si m'en mors et depiques,
Me redéisses de reliques
Que ce fust lais mos et vilains.
Coilles est biaus mos, et si l'ains;
Si sunt par foi coillon et vit,
Onc nus plus biaus gaires ne vit.
Ge fis les mos, et sui certaine
Qu'onques ne fis chose vilaine;
Et quant por reliques m'oïsses
Coilles nomer, le mot préisses
Por si bel; et tant le prisasses,
Que par tout coilles aorasses,
Et les baisasses en eglises,
En or et en argent assises;
Et Diex qui sages est et fis,
Tient à bien fait quanque je fis.
Comment, par le cors Saint Omer,
N'oseroi-ge mie nomer
Proprement les ovres mon pere?
Convient-il que ge le compere?
Noms convenoit-il qu'il éussent,
Ou gens nomer ne les séussent,
Et por ce tex nons lor méismes,
Qu'en les nomast par ceus méismes.
Se fames nes noment en France,
Ce n'est fors desacoustumance:
Car le propre non lor pléust,
Qui acoustumé lor éust:
Et se proprement les nomassent,
Jà certes de riens n'i pechassent.
Acoustumance est trop poissans,
Et se bien la sui congnoissans,
Mainte chose desplest novele,
Qui par acoustumance est bele:
Chascune qui les va nomant,
Les apele ne sai comment,
Borces, hernois, riens, piches, pines,
Ausinc cum se fussent espines;
Mès quant les sentent bien joignans,
Ne les tiennent pas à poignans.
Or les noment si cum el suelent,
Quant proprement nomer nes vuelent.
Ge ne lor en ferai jà force;
Mès à riens nule ne m'efforce,
Quant riens voil dire apertement,
Tant cum à parler proprement.
Si dist-l'en bien en nos escoles
Maintes choses par paraboles,
Qui moult sunt beles à entendre;
Si ne doit l'en mie tout prendre
A la letre quanque l'en ot.
En ma parole autre sens ot,
Dont si briément parler voloie,
Au mains quant des coilles parloie,
Que celi que tu i vués metre:
Et qui bien entendroit la letre,
Le sens verroit en l'escripture
Qui esclarcist la chose oscure.
La vérité dedens reposte
Seroit clere, s'ele iert esposte:
Bien l'entendras, se bien répetes
Les argumens as grans poëtes;
Là verras une grant partie
Des secrés de philosophie,
Où moult te voldras déliter,
Et si porras moult profiter.
En délitant profiteras,
En profitant déliteras:
Car en lor gieus et en lor fables
Gisent profit moult delitables,
Sous qui lor pensées covrirent,
Quant le voir des fables ovrirent:
Si te convendroit à ce tendre,
Se bien vués la parole entendre.
Mès puis t'ai tiex deus mos rendus,
Se tu les as bien entendus,
Qui pris doivent estre à la letre
Tout proprement, sans glose metre.
Cette sentence ici rimée
Tu trouveras dans le Thimée
De Platon qui n'était pas sot;
Et quand tu m'objectais tantôt
Qu'il est des mots vilains sans doute,
Je dis devant Dieu qui m'écoute:
Toi qui les noms céans blâmais
Qu'aux choses donnai, si j'avais
Couilles reliques appelées
Et reliques couilles nommées,
Toi qui telle noise m'en fais,
Alors reliques trouverais
Un mot vilain et laid de même;
Couille est un beau mot et je l'aime,
Comme, ma foi, couillon et vit;
De plus beaux oncques nul ne vit.
Je fis les mots et suis certaine
De n'avoir fait chose vilaine,
Et si les reliques j'avais
Couilles nommé, tu trouverais
Ce mot si beau, qu'en nos églises,
Dans l'or et dans l'argent assises,
T'en irais couilles admirer,
Baiser et pieux adorer.
Or Dieu, la sagesse suprême,
Trouva bien ce que fis moi-même.
Par le corps du grand saint Omer,
Comment, je n'oserais nommer,
Ami, les oeuvres de mon père?
Me convient-il noise lui faire?
Bien fallait-il nom leur donner
Pour que l'on pût les désigner.
C'est pourquoi de tels noms ces choses
Avons nommé sans mettre gloses,
Pour que de ces noms seulement
On les nommât, pas autrement.
Si point ne les nomment en France
Les dames, c'est faute d'usance,
Et le propre nom leur plairait
Si telle la coutume était,
Car nommer par son nom la chose
Ne serait lors de péché cause.
Coutume est un lien puissant,
Et si la suis bien connoissant,
Mainte chose déplaît nouvelle
Qui par accoutumance est belle.
Chacune qui les va nommant
Les appelle ne sais comment,
Bourses, harnais, pieux, choses, pines,
Comme si c'était des épines;
Mais quand elle les sent tout près
Du piquant ne se plaint jamais.
Suivant son habitude, en somme,
Chacune par un nom les nomme.
Je ne veux pas leur reprocher;
Mais moi, quand je veux m'attacher
A clairement dire une chose,
Je ne saurais y mettre glose.
En nos écoles maint savant
Dit en paraboles souvent
Vérités belles à entendre;
Mais il ne faudrait pas tout prendre
A la lettre ce qu'on ouït.
En mon discours autre sens gît
Que celui que tu veux y mettre.
C'était pour mon penser émettre
Plus bref, quand des couilles parlais;
Mais si bien la lettre entendais,
Le sens verrais en l'écriture
Qui éclaircit la chose obscure.
Lève le voile où vérité
Se cache et verras sa clarté;
Bien l'entendras si tu répètes
Les arguments des grands poètes,
Et tu pourras en profiter,
Tout en sachant te délecter.
Car là verras en grand' partie
Les secrets de philosophie;
En profitant t'amuseras,
En t'amusant profiteras.
Car en leurs jeux comme en leurs fables
Gisent profits moult délectables,
Quand ils vont leurs pensers couvrant
Dessous un voile transparent,
Et c'est ce que tu peux apprendre
Si bien veux la parole entendre.
Mais depuis t'ai deux mots rendus
Si tu les as bien entendus,
Qui doivent pris être à la lettre,
Tout proprement sans glose y mettre.
Troveras escripte en Thimée
De Platon qui ne fu pas nices;
Et quant tu d'autre part obices
Que lait et vilain sunt li mot,
Ge te di devant Diex qui m'ot,
Se ge, quant mis les noms as choses,
Que ci reprendre et blasmer oses,
Coilles reliques apelasse,
Et reliques coilles clamasse,
Tu qui si m'en mors et depiques,
Me redéisses de reliques
Que ce fust lais mos et vilains.
Coilles est biaus mos, et si l'ains;
Si sunt par foi coillon et vit,
Onc nus plus biaus gaires ne vit.
Ge fis les mos, et sui certaine
Qu'onques ne fis chose vilaine;
Et quant por reliques m'oïsses
Coilles nomer, le mot préisses
Por si bel; et tant le prisasses,
Que par tout coilles aorasses,
Et les baisasses en eglises,
En or et en argent assises;
Et Diex qui sages est et fis,
Tient à bien fait quanque je fis.
Comment, par le cors Saint Omer,
N'oseroi-ge mie nomer
Proprement les ovres mon pere?
Convient-il que ge le compere?
Noms convenoit-il qu'il éussent,
Ou gens nomer ne les séussent,
Et por ce tex nons lor méismes,
Qu'en les nomast par ceus méismes.
Se fames nes noment en France,
Ce n'est fors desacoustumance:
Car le propre non lor pléust,
Qui acoustumé lor éust:
Et se proprement les nomassent,
Jà certes de riens n'i pechassent.
Acoustumance est trop poissans,
Et se bien la sui congnoissans,
Mainte chose desplest novele,
Qui par acoustumance est bele:
Chascune qui les va nomant,
Les apele ne sai comment,
Borces, hernois, riens, piches, pines,
Ausinc cum se fussent espines;
Mès quant les sentent bien joignans,
Ne les tiennent pas à poignans.
Or les noment si cum el suelent,
Quant proprement nomer nes vuelent.
Ge ne lor en ferai jà force;
Mès à riens nule ne m'efforce,
Quant riens voil dire apertement,
Tant cum à parler proprement.
Si dist-l'en bien en nos escoles
Maintes choses par paraboles,
Qui moult sunt beles à entendre;
Si ne doit l'en mie tout prendre
A la letre quanque l'en ot.
En ma parole autre sens ot,
Dont si briément parler voloie,
Au mains quant des coilles parloie,
Que celi que tu i vués metre:
Et qui bien entendroit la letre,
Le sens verroit en l'escripture
Qui esclarcist la chose oscure.
La vérité dedens reposte
Seroit clere, s'ele iert esposte:
Bien l'entendras, se bien répetes
Les argumens as grans poëtes;
Là verras une grant partie
Des secrés de philosophie,
Où moult te voldras déliter,
Et si porras moult profiter.
En délitant profiteras,
En profitant déliteras:
Car en lor gieus et en lor fables
Gisent profit moult delitables,
Sous qui lor pensées covrirent,
Quant le voir des fables ovrirent:
Si te convendroit à ce tendre,
Se bien vués la parole entendre.
Mès puis t'ai tiex deus mos rendus,
Se tu les as bien entendus,
Qui pris doivent estre à la letre
Tout proprement, sans glose metre.
Cette sentence ici rimée
Tu trouveras dans le Thimée
De Platon qui n'était pas sot;
Et quand tu m'objectais tantôt
Qu'il est des mots vilains sans doute,
Je dis devant Dieu qui m'écoute:
Toi qui les noms céans blâmais
Qu'aux choses donnai, si j'avais
Couilles reliques appelées
Et reliques couilles nommées,
Toi qui telle noise m'en fais,
Alors reliques trouverais
Un mot vilain et laid de même;
Couille est un beau mot et je l'aime,
Comme, ma foi, couillon et vit;
De plus beaux oncques nul ne vit.
Je fis les mots et suis certaine
De n'avoir fait chose vilaine,
Et si les reliques j'avais
Couilles nommé, tu trouverais
Ce mot si beau, qu'en nos églises,
Dans l'or et dans l'argent assises,
T'en irais couilles admirer,
Baiser et pieux adorer.
Or Dieu, la sagesse suprême,
Trouva bien ce que fis moi-même.
Par le corps du grand saint Omer,
Comment, je n'oserais nommer,
Ami, les oeuvres de mon père?
Me convient-il noise lui faire?
Bien fallait-il nom leur donner
Pour que l'on pût les désigner.
C'est pourquoi de tels noms ces choses
Avons nommé sans mettre gloses,
Pour que de ces noms seulement
On les nommât, pas autrement.
Si point ne les nomment en France
Les dames, c'est faute d'usance,
Et le propre nom leur plairait
Si telle la coutume était,
Car nommer par son nom la chose
Ne serait lors de péché cause.
Coutume est un lien puissant,
Et si la suis bien connoissant,
Mainte chose déplaît nouvelle
Qui par accoutumance est belle.
Chacune qui les va nommant
Les appelle ne sais comment,
Bourses, harnais, pieux, choses, pines,
Comme si c'était des épines;
Mais quand elle les sent tout près
Du piquant ne se plaint jamais.
Suivant son habitude, en somme,
Chacune par un nom les nomme.
Je ne veux pas leur reprocher;
Mais moi, quand je veux m'attacher
A clairement dire une chose,
Je ne saurais y mettre glose.
En nos écoles maint savant
Dit en paraboles souvent
Vérités belles à entendre;
Mais il ne faudrait pas tout prendre
A la lettre ce qu'on ouït.
En mon discours autre sens gît
Que celui que tu veux y mettre.
C'était pour mon penser émettre
Plus bref, quand des couilles parlais;
Mais si bien la lettre entendais,
Le sens verrais en l'écriture
Qui éclaircit la chose obscure.
Lève le voile où vérité
Se cache et verras sa clarté;
Bien l'entendras si tu répètes
Les arguments des grands poètes,
Et tu pourras en profiter,
Tout en sachant te délecter.
Car là verras en grand' partie
Les secrets de philosophie;
En profitant t'amuseras,
En t'amusant profiteras.
Car en leurs jeux comme en leurs fables
Gisent profits moult délectables,
Quand ils vont leurs pensers couvrant
Dessous un voile transparent,
Et c'est ce que tu peux apprendre
Si bien veux la parole entendre.
Mais depuis t'ai deux mots rendus
Si tu les as bien entendus,
Qui doivent pris être à la lettre,
Tout proprement sans glose y mettre.
Stephandra- Dans l'autre monde
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Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
L'Amant.
Dame, bien les i puis entendre,
Qu'il i sunt si légiers à prendre,
Qu'il n'est nus qui françois séust,
Qui prendre ne les i déust.
N'ont mestier d'autres déclarences,
Mais des poëtes les sentences,
Les fables et les métafores
Ne bé-ge pas à gloser ores;
Mès se ge puis estre garis,
Et li servises m'iert meris,
Dont si haut guerredon atens,
Bien les gloserai tout à tens,
Au mains ce qui m'en afferra,
Si que chascuns cler i verra.
Si vous tieng por bien escusée
De la parole ainsinc usée,
Et des deus mos dessus només,
Quant si proprement les només,
Qu'il ne m'i convient plus muser,
Ne mon tens en gloses user.
Mès ge vous cri por Dieu merci,
Ne me blasmez plus d'amer ci:
Se ge sui fox, c'est mon damage;
Mès au mains fis-ge lors que sage,
De ce cuit-ge bien estre fis,
Quant hommage à mon mestre fis;
Et se ge sui fox, ne vous chaille.
Je voil amer, comment qu'il aille,
La Rose où ge me sui voés.
Jà n'iert mes cuers d'autre doés;
Et se m'amor vous prometoie,
Jà voir promesse n'en tendroie.
Lors si seroie décevierre
Vers vous, ou vers mon mestre lierre,
Se je vous tenoie convent;
Mès ge vous ai bien dit souvent
Que ge ne voil aillors penser
Qu'à la Rose où sunt mi penser:
Et quant aillors penser me faites
Par vos paroles ci retraites
Que ge sui jà tous las d'oïr,
Jà m'en verrez de ci foïr,
Se ne vous en taisiez atant,
Puis que mes cuers aillors ne tent.
* * * * *
Dame, bien les i puis entendre,
Qu'il i sunt si légiers à prendre,
Qu'il n'est nus qui françois séust,
Qui prendre ne les i déust.
N'ont mestier d'autres déclarences,
Mais des poëtes les sentences,
Les fables et les métafores
Ne bé-ge pas à gloser ores;
Mès se ge puis estre garis,
Et li servises m'iert meris,
Dont si haut guerredon atens,
Bien les gloserai tout à tens,
Au mains ce qui m'en afferra,
Si que chascuns cler i verra.
Si vous tieng por bien escusée
De la parole ainsinc usée,
Et des deus mos dessus només,
Quant si proprement les només,
Qu'il ne m'i convient plus muser,
Ne mon tens en gloses user.
Mès ge vous cri por Dieu merci,
Ne me blasmez plus d'amer ci:
Se ge sui fox, c'est mon damage;
Mès au mains fis-ge lors que sage,
De ce cuit-ge bien estre fis,
Quant hommage à mon mestre fis;
Et se ge sui fox, ne vous chaille.
Je voil amer, comment qu'il aille,
La Rose où ge me sui voés.
Jà n'iert mes cuers d'autre doés;
Et se m'amor vous prometoie,
Jà voir promesse n'en tendroie.
Lors si seroie décevierre
Vers vous, ou vers mon mestre lierre,
Se je vous tenoie convent;
Mès ge vous ai bien dit souvent
Que ge ne voil aillors penser
Qu'à la Rose où sunt mi penser:
Et quant aillors penser me faites
Par vos paroles ci retraites
Que ge sui jà tous las d'oïr,
Jà m'en verrez de ci foïr,
Se ne vous en taisiez atant,
Puis que mes cuers aillors ne tent.
* * * * *
L'Amant.
Dame, qui sait bien son français
Les doit comprendre ou bien jamais;
Aussi je crois bien les entendre,
Car ils sont aisés à comprendre.
Pas n'ai besoin d'autres raisons;
Des poètes les fictions,
Fables, sentences, paraboles,
Ne veux point gloser en écoles.
Je gloserai tout à loisir
(Si Dieu mon coeur daigne guérir
Et si de ma longue constance
Il me donne la récompense),
Au moins sur ce qui m'adviendra,
Tant que chacun clair y verra.
Je vous tiens pour bien excusée
D'avoir tant votre langue usée
Et des deux mots ci-haut nommés
Et si proprement exprimés.
Aussi dès lors plus je ne muse,
Ni mon temps à gloser je n'use.
Pour Dieu, je demande merci,
Cessez de me blâmer ainsi.
Si je suis fol, c'est mon affaire;
Mais du moins je croyais bien faire,
De ceci je suis sûr, le jour
Où fis hommage au Dieu d'Amour.
Si je suis fol, n'en prenez peine,
Je veux aimer, quoi qu'il advienne,
La Rose à qui me suis donné,
Mon coeur par elle est dominé.
Si je vous donnais ma tendresse,
J'enfreindrais alors ma promesse;
Je serais envers vous trompeur,
Ou bien vers mon maître voleur,
Si j'acceptais telles avances.
J'ai dit en maintes circonstances
Que ne voulais ailleurs penser,
Qu'à la Rose est tout mon penser,
Et si penser ailleurs me faites
Par vos paroles indiscrètes
Que je suis ennuyé d'ouïr,
Vous me verrez d'ici m'enfuir
Si ne voulez faire silence,
Puisqu'elle est ma seule espérance.
* * * * *
Dame, qui sait bien son français
Les doit comprendre ou bien jamais;
Aussi je crois bien les entendre,
Car ils sont aisés à comprendre.
Pas n'ai besoin d'autres raisons;
Des poètes les fictions,
Fables, sentences, paraboles,
Ne veux point gloser en écoles.
Je gloserai tout à loisir
(Si Dieu mon coeur daigne guérir
Et si de ma longue constance
Il me donne la récompense),
Au moins sur ce qui m'adviendra,
Tant que chacun clair y verra.
Je vous tiens pour bien excusée
D'avoir tant votre langue usée
Et des deux mots ci-haut nommés
Et si proprement exprimés.
Aussi dès lors plus je ne muse,
Ni mon temps à gloser je n'use.
Pour Dieu, je demande merci,
Cessez de me blâmer ainsi.
Si je suis fol, c'est mon affaire;
Mais du moins je croyais bien faire,
De ceci je suis sûr, le jour
Où fis hommage au Dieu d'Amour.
Si je suis fol, n'en prenez peine,
Je veux aimer, quoi qu'il advienne,
La Rose à qui me suis donné,
Mon coeur par elle est dominé.
Si je vous donnais ma tendresse,
J'enfreindrais alors ma promesse;
Je serais envers vous trompeur,
Ou bien vers mon maître voleur,
Si j'acceptais telles avances.
J'ai dit en maintes circonstances
Que ne voulais ailleurs penser,
Qu'à la Rose est tout mon penser,
Et si penser ailleurs me faites
Par vos paroles indiscrètes
Que je suis ennuyé d'ouïr,
Vous me verrez d'ici m'enfuir
Si ne voulez faire silence,
Puisqu'elle est ma seule espérance.
* * * * *
Stephandra- Dans l'autre monde
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Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Comment Raison laisse l'Amant
Mélancolieux et dolant,
Puis s'est tourné devers Amis
Qui en son cas confort a mis.
Quant Raison m'ot, si s'en retorne,
Si me relest pensant et morne.
Adonc d'Amis me resovint,
Esvertuer lors me convint.
Aler y voil à quelque paine,
Es-vos Amis que Diex m'amaine;
Et quant il me vit en ce point,
Que tel dolor au cuer me point:
Amis.
Qu'est-ce, dist-il, biaus dous Amis,
Qui vous a en tel torment mis?
Bien voi qu'il vous est meschéu,
Dès que vous voi si esméu;
Mès or me dites quex noveles.
L'Amant.
M'aït Diex, ne bonnes, ne beles.
Amis.
Contés moi tost.
L'Amant.
Et ge li conte,
Si cum avés oï où conte:
Jà plus ne vous iert recordé.
Ami.
Avoi, dist-il, por le cors Dé,
Dangier aviés apaisié,
S'aviés le bouton baisié;
De noiant estes entrepris,
Se Bel-Acuel à esté pris;
Puis que tant s'est abandonnés
Que le baisier vous fu donnés,
Jamès prison ne le tendra;
Mais sans faille il vous convendra
Plus sagement à maintenir,
S'à bon chief en volés venir.
Confortés-vous: car bien sachiés
Qu'il iert de la prison sachiés,
Où il a por vous esté mis.
L'Amant.
Ha! trop i a fors anemis.
S'il n'i avoit que Male-Bouche;
C'est cis qui plus au cuer me touche:
Cis a les autres esméus;
Jà n'i éusse esté séus,
Se li glous ne chalemelast,
Paor et Honte me celast
Moult volentiers; néis Dangier
M'avoit lessié à ledengier.
Tuit trois s'estoient coi tenu,
Quant li déable i sunt venu
Que li glous i fist assembler.
Qui véist Bel-Acuel trembler,
Quant Jalousie l'escria,
(Car la vielle trop mal cria: )
Grant pitié li en péust prendre;
Je m'en foï sans plus atendre.
Lors fu le chastel maçoné
Où li dous est emprisoné.
Por ce, Amis, à vous me conseil,
Mort sui se n'i metés conseil.
Lors dist Amis cum bien apris,
Car d'Amors ot assés apris:
Comment Raison lors sans réplique
Laisse l'Amant mélancolique;
Il s'en retourne vers Ami
Qui son courage a raffermi.
A ces mots Raison interdite
Pensif et morne là me quitte,
Soudain d'Ami me ressouvient
Et d'aller à lui me convient.
Je m'y décide non sans peine;
Mais le voici, Dieu me l'amène,
Et quand il voit quelle douleur
Tourmente et déchire mon coeur:
Ami.
Doux Ami, dit-il, quelle peine
Derechef ainsi vous malmène?
Car bien vois à votre pâleur
Qu'il vous est arrivé malheur;
Voyons, dites, quelles nouvelles?
L'Amant.
Dieu m'assiste, bonnes ni belles!
Ami.
Parlez donc.
L'Amant.
Lors je lui contai
Ce que j'ai plus haut raconté,
Pas n'est besoin que je le die.
Ami.
Mais, dit-il, par la sainte hostie!
Danger vous aviez apaisé,
Le bouton vous aviez baisé,
Et de Bel-Accueil la capture
A ce point, ami, vous torture!
S'il s'est à vous abandonné
Tant qu'un baiser vous fut donné,
Il n'est prison qui le retienne.
Or donc, que votre coeur comprenne,
S'il veut à bonne fin venir,
Que plus sage il se doit tenir.
Consolez-vous, car sans nul doute
Il sortira, coûte que coûte,
Du fort où pour vous on l'a mis.
L'Amant.
Ah! trop forts sont ses ennemis!
Et sans ce maudit Malebouche
(C'est lui qui plus au coeur me touche,
Lui qui tous les autres émut),
Personne soupçonné ne m'eût.
Si n'eût tant bavardé ce traître,
Honte et Peur volontiers peut-être
M'eussent caché; voire Danger
S'était, ma foi, laissé toucher,
Tous trois s'étaient tenus tranquilles,
Lorsque surgirent ces reptiles
Que le coquin fit assembler.
Qui Bel-Accueil eût vu trembler
Lorsque s'écria Jalousie
(Car la vieille horriblement crie),
Eût été d'épouvante pris;
Sans plus attendre je m'enfuis.
Lors s'éleva la tour de pierre
Où Bel-Accueil se désespère.
Aussi vers vous, Ami, j'accours,
Je suis mort sans votre secours.
Lors dit Ami d'une voix tendre,
Lui qui savait l'amour comprendre:
Mélancolieux et dolant,
Puis s'est tourné devers Amis
Qui en son cas confort a mis.
Quant Raison m'ot, si s'en retorne,
Si me relest pensant et morne.
Adonc d'Amis me resovint,
Esvertuer lors me convint.
Aler y voil à quelque paine,
Es-vos Amis que Diex m'amaine;
Et quant il me vit en ce point,
Que tel dolor au cuer me point:
Amis.
Qu'est-ce, dist-il, biaus dous Amis,
Qui vous a en tel torment mis?
Bien voi qu'il vous est meschéu,
Dès que vous voi si esméu;
Mès or me dites quex noveles.
L'Amant.
M'aït Diex, ne bonnes, ne beles.
Amis.
Contés moi tost.
L'Amant.
Et ge li conte,
Si cum avés oï où conte:
Jà plus ne vous iert recordé.
Ami.
Avoi, dist-il, por le cors Dé,
Dangier aviés apaisié,
S'aviés le bouton baisié;
De noiant estes entrepris,
Se Bel-Acuel à esté pris;
Puis que tant s'est abandonnés
Que le baisier vous fu donnés,
Jamès prison ne le tendra;
Mais sans faille il vous convendra
Plus sagement à maintenir,
S'à bon chief en volés venir.
Confortés-vous: car bien sachiés
Qu'il iert de la prison sachiés,
Où il a por vous esté mis.
L'Amant.
Ha! trop i a fors anemis.
S'il n'i avoit que Male-Bouche;
C'est cis qui plus au cuer me touche:
Cis a les autres esméus;
Jà n'i éusse esté séus,
Se li glous ne chalemelast,
Paor et Honte me celast
Moult volentiers; néis Dangier
M'avoit lessié à ledengier.
Tuit trois s'estoient coi tenu,
Quant li déable i sunt venu
Que li glous i fist assembler.
Qui véist Bel-Acuel trembler,
Quant Jalousie l'escria,
(Car la vielle trop mal cria: )
Grant pitié li en péust prendre;
Je m'en foï sans plus atendre.
Lors fu le chastel maçoné
Où li dous est emprisoné.
Por ce, Amis, à vous me conseil,
Mort sui se n'i metés conseil.
Lors dist Amis cum bien apris,
Car d'Amors ot assés apris:
Comment Raison lors sans réplique
Laisse l'Amant mélancolique;
Il s'en retourne vers Ami
Qui son courage a raffermi.
A ces mots Raison interdite
Pensif et morne là me quitte,
Soudain d'Ami me ressouvient
Et d'aller à lui me convient.
Je m'y décide non sans peine;
Mais le voici, Dieu me l'amène,
Et quand il voit quelle douleur
Tourmente et déchire mon coeur:
Ami.
Doux Ami, dit-il, quelle peine
Derechef ainsi vous malmène?
Car bien vois à votre pâleur
Qu'il vous est arrivé malheur;
Voyons, dites, quelles nouvelles?
L'Amant.
Dieu m'assiste, bonnes ni belles!
Ami.
Parlez donc.
L'Amant.
Lors je lui contai
Ce que j'ai plus haut raconté,
Pas n'est besoin que je le die.
Ami.
Mais, dit-il, par la sainte hostie!
Danger vous aviez apaisé,
Le bouton vous aviez baisé,
Et de Bel-Accueil la capture
A ce point, ami, vous torture!
S'il s'est à vous abandonné
Tant qu'un baiser vous fut donné,
Il n'est prison qui le retienne.
Or donc, que votre coeur comprenne,
S'il veut à bonne fin venir,
Que plus sage il se doit tenir.
Consolez-vous, car sans nul doute
Il sortira, coûte que coûte,
Du fort où pour vous on l'a mis.
L'Amant.
Ah! trop forts sont ses ennemis!
Et sans ce maudit Malebouche
(C'est lui qui plus au coeur me touche,
Lui qui tous les autres émut),
Personne soupçonné ne m'eût.
Si n'eût tant bavardé ce traître,
Honte et Peur volontiers peut-être
M'eussent caché; voire Danger
S'était, ma foi, laissé toucher,
Tous trois s'étaient tenus tranquilles,
Lorsque surgirent ces reptiles
Que le coquin fit assembler.
Qui Bel-Accueil eût vu trembler
Lorsque s'écria Jalousie
(Car la vieille horriblement crie),
Eût été d'épouvante pris;
Sans plus attendre je m'enfuis.
Lors s'éleva la tour de pierre
Où Bel-Accueil se désespère.
Aussi vers vous, Ami, j'accours,
Je suis mort sans votre secours.
Lors dit Ami d'une voix tendre,
Lui qui savait l'amour comprendre:
Stephandra- Dans l'autre monde
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Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Amis.
Compains, ne vous desconfortés,
En bien amer vous desportés;
Li Diex d'Amors, et nuit et jor
Servés loiaument sans séjor:
Vers li ne vous desloiautés,
Trop seroit grant desloiautés
S'il vous en trovoit recréu,
Trop se tendroit à décéu
De ce qu'à homme vous reçut:
Onques cuers loiaus nel' déçut.
Faites quanqu'il vous encharja,
Tous ses commans gardés; car jà
A son propos, combien qu'il tarde,
Ne faudra hons qui bien les garde,
S'il ne li meschiet d'autre part,
Si cum Fortune se départ.
Du Diex d'Amors servir pensés,
En li soit tous vostres pensés.
C'est douce pensée et jolie,
Por ce seroit trop grant folie
Du lessier, puisqu'il ne vous lesse;
Neporquant il vous tient en lesse,
Si vous convient vers li plessier,
Quant vous ne le poés lessier.
Or vous dirai que vous ferés:
Une pièce vous tarderés
Du fort chastel aler véoir;
N'alés ne joer, ne séoir,
N'oïs n'i soiés ne véus,
Tant que cis vens soit tous chéus,
Au mains tant comme vous solés;
Jà soit ce que pas ne volés,
Près des murs, ne devant la porte;
Et, s'aventure là vous porte,
Faites semblant, comment qu'il aille,
Que de Bel-Acuel ne vous chaille;
Mès se de loing le véés estre
Ou à crenel, ou à fenestre,
Regardés-le piteusement,
Mès trop soit fait couvertement.
S'il vous revoit, liez en sera,
Jà por gardes nel' lessera;
Mès n'en fera chiere ne cin,
Se n'est, espoir, en larrecin;
Ou sa fenestre espoir clorra,
Quant as gens parler vous orra;
S'agueitera par la fendace
Tant cum vous serés en la place,
Jusques vous en serés tornés,
Se par autre n'est destornés.
Prenés-vous garde toutevoie
Que Male-Bouche ne vous voie:
S'il vous voit, si le salués,
Mès gardés que vous ne mués,
Ne ne faites chiere nesune
De haïne ne de rancune;
Et se vous aillors l'encontrés,
Nul maltalent ne li monstrés:
Sages hons son maltalent cuevre.
Si sachiés que cis font bone uevre,
Qui les décevéors déçoivent.
Sachiés qu'ainsinc faire le doivent
Chascun amant, au mains li sage.
Male-Bouche et tout son linage,
S'il vous devoient acorer,
Vous lo servir et honorer.
Offrés lor tout par grant faintise,
Cuer et cors, avoir et servise:
L'en seult dire, et voirs est, ce cuit,
Encontre vezié recuit.
De ceus bouler n'est pas pechiés
Qui de bouler sunt entechiés:
Male-Bouche si est boulierres,
Ostés bou, si demorra lierres.
Lierres est-il, sachiés de voir,
Bien le poés aparcevoir;
Nil ne doit avoir autre non,
Qui emble as gens lor bon renon,
N'il n'a jamès pooir du rendre;
L'en le déust miex mener pendre
Que tuit ces autres larronciaus
Qui deniers emblent à monciaus.
S'uns laronciaus emble deniers,
Robe à perche, blé en greniers,
Por quatre tans au mains iert quites,
Selonc les lois qui sunt escrites,
Et soit pris en present forfait.
Mès Male-Bouche trop forfait
Par s'orde vil langue despite
Qui ne puet, dès que il l'a dite
De sa goule mal renomée,
Restorer bonne renomée,
Compains, ne vous desconfortés,
En bien amer vous desportés;
Li Diex d'Amors, et nuit et jor
Servés loiaument sans séjor:
Vers li ne vous desloiautés,
Trop seroit grant desloiautés
S'il vous en trovoit recréu,
Trop se tendroit à décéu
De ce qu'à homme vous reçut:
Onques cuers loiaus nel' déçut.
Faites quanqu'il vous encharja,
Tous ses commans gardés; car jà
A son propos, combien qu'il tarde,
Ne faudra hons qui bien les garde,
S'il ne li meschiet d'autre part,
Si cum Fortune se départ.
Du Diex d'Amors servir pensés,
En li soit tous vostres pensés.
C'est douce pensée et jolie,
Por ce seroit trop grant folie
Du lessier, puisqu'il ne vous lesse;
Neporquant il vous tient en lesse,
Si vous convient vers li plessier,
Quant vous ne le poés lessier.
Or vous dirai que vous ferés:
Une pièce vous tarderés
Du fort chastel aler véoir;
N'alés ne joer, ne séoir,
N'oïs n'i soiés ne véus,
Tant que cis vens soit tous chéus,
Au mains tant comme vous solés;
Jà soit ce que pas ne volés,
Près des murs, ne devant la porte;
Et, s'aventure là vous porte,
Faites semblant, comment qu'il aille,
Que de Bel-Acuel ne vous chaille;
Mès se de loing le véés estre
Ou à crenel, ou à fenestre,
Regardés-le piteusement,
Mès trop soit fait couvertement.
S'il vous revoit, liez en sera,
Jà por gardes nel' lessera;
Mès n'en fera chiere ne cin,
Se n'est, espoir, en larrecin;
Ou sa fenestre espoir clorra,
Quant as gens parler vous orra;
S'agueitera par la fendace
Tant cum vous serés en la place,
Jusques vous en serés tornés,
Se par autre n'est destornés.
Prenés-vous garde toutevoie
Que Male-Bouche ne vous voie:
S'il vous voit, si le salués,
Mès gardés que vous ne mués,
Ne ne faites chiere nesune
De haïne ne de rancune;
Et se vous aillors l'encontrés,
Nul maltalent ne li monstrés:
Sages hons son maltalent cuevre.
Si sachiés que cis font bone uevre,
Qui les décevéors déçoivent.
Sachiés qu'ainsinc faire le doivent
Chascun amant, au mains li sage.
Male-Bouche et tout son linage,
S'il vous devoient acorer,
Vous lo servir et honorer.
Offrés lor tout par grant faintise,
Cuer et cors, avoir et servise:
L'en seult dire, et voirs est, ce cuit,
Encontre vezié recuit.
De ceus bouler n'est pas pechiés
Qui de bouler sunt entechiés:
Male-Bouche si est boulierres,
Ostés bou, si demorra lierres.
Lierres est-il, sachiés de voir,
Bien le poés aparcevoir;
Nil ne doit avoir autre non,
Qui emble as gens lor bon renon,
N'il n'a jamès pooir du rendre;
L'en le déust miex mener pendre
Que tuit ces autres larronciaus
Qui deniers emblent à monciaus.
S'uns laronciaus emble deniers,
Robe à perche, blé en greniers,
Por quatre tans au mains iert quites,
Selonc les lois qui sunt escrites,
Et soit pris en present forfait.
Mès Male-Bouche trop forfait
Par s'orde vil langue despite
Qui ne puet, dès que il l'a dite
De sa goule mal renomée,
Restorer bonne renomée,
Ami.
Ami, loyalement Amour
Servez sans cesse et nuit et jour;
Que votre coeur mieux lutter sache,
Et qu'à bien aimer il s'attache.
Soyez vers lui franc et loyal;
Car ce serait trop déloyal
A vous d'être lâche et parjure,
Ce serait peine à lui trop dure,
Lui qui votre hommage a reçu;
Oncques fin coeur ne l'a déçu.
Suivez donc ses leçons sans crainte
Et ses commandements sans feinte;
Car celui qui fidèlement
Le sert, jamais ne s'en repent,
A moins que Fortune inconstante
D'un autre côté le tourmente.
A servir Dieu d'Amours pensez,
En lui mettez tous vos pensers;
C'est douce pensée et jolie,
Et ce serait trop grand' folie
De le laisser injustement.
Il vous tient en laisse pourtant;
Mais il faut à lui vous soumettre
Et ne point en oubli le mettre.
Or voici ce que vous ferez:
Un petitet vous attendrez
Avant d'aller à la tour sombre
Rêver et rôder comme une ombre,
Et laissez le vent dévier.
Pas plus que n'êtes coutumier,
Avant tout, faites bien en sorte
Que près des murs, devant la porte,
Ne soyez vu ni jour ni nuit.
Si le hasard vous y conduit,
De Bel Accueil, quoi qu'il advienne,
Semblez ne point vous mettre en peine;
Mais toutefois discrètement
Regardez-le piteusement,
Si de loin le voyez paraître
Sur les créneaux, à la fenêtre;
Lui, s'il vous voit, content sera,
Malgré les gardes restera
Sans remuer ni main ni tête
(Si ce n'est peut-être en cachette),
Ou sa fenêtre fermera
Quand aux gens parler vous verra,
S'aguettera par la fendace
Tant que resterez en la place
Et ne serez en retourné,
A moins qu'il n'en soit détourné.
Surtout veillez bien qu'en la voie
Ce Malebouche ne vous voie.
Saluez-le s'il peut vous voir,
Mais gardez de vous émouvoir;
Qu'en vos traits n'apparaisse aucune
Marque de haine ou de rancune.
Ailleurs si vous le rencontrez,
Nulle colère ne montrez;
Le sage couvre sa colère.
Sachez que c'est bonne oeuvre faire
Que savoir tromper un trompeur.
C'est ainsi qu'un bon serviteur
Se doit conduire s'il est sage.
Malebouche et tout son lignage,
Dussent-ils tous vous éventrer,
Il faut servir et honorer.
Offrez-lui, par grand artifice,
Coeur et corps, avoir et service.
On dit, et c'est la vérité,
Contre fin soyez raffiné.
Bouler les gens n'est pas mal faire
Quand eux ils ne s'en privent guère.
Bouler, c'est tromper, ce dit-on,
Comme lierre est un larron;
Or Malebouche est boulierre,
Otez bou, restera lierre.
Il ne doit porter autre nom
Volant aux gens leur bon renom,
Mais sans pouvoir jamais le rendre.
Mieux devrait-on le mener pendre
Que tous ces autres larronneaux
Qui deniers volent à monceaux;
Car larron, quand deniers dérobe,
Grains en greniers, sur perche robe,
En flagrant délit s'il est pris,
La loi par quatre fois le prix
Lui fait payer le préjudice.
Mais Malebouche et sa malice,
Tant sa langue sale forfait,
Ne peut, le mal une fois fait,
Avec sa gueule mal famée
Restaurer bonne renommée,
Ami, loyalement Amour
Servez sans cesse et nuit et jour;
Que votre coeur mieux lutter sache,
Et qu'à bien aimer il s'attache.
Soyez vers lui franc et loyal;
Car ce serait trop déloyal
A vous d'être lâche et parjure,
Ce serait peine à lui trop dure,
Lui qui votre hommage a reçu;
Oncques fin coeur ne l'a déçu.
Suivez donc ses leçons sans crainte
Et ses commandements sans feinte;
Car celui qui fidèlement
Le sert, jamais ne s'en repent,
A moins que Fortune inconstante
D'un autre côté le tourmente.
A servir Dieu d'Amours pensez,
En lui mettez tous vos pensers;
C'est douce pensée et jolie,
Et ce serait trop grand' folie
De le laisser injustement.
Il vous tient en laisse pourtant;
Mais il faut à lui vous soumettre
Et ne point en oubli le mettre.
Or voici ce que vous ferez:
Un petitet vous attendrez
Avant d'aller à la tour sombre
Rêver et rôder comme une ombre,
Et laissez le vent dévier.
Pas plus que n'êtes coutumier,
Avant tout, faites bien en sorte
Que près des murs, devant la porte,
Ne soyez vu ni jour ni nuit.
Si le hasard vous y conduit,
De Bel Accueil, quoi qu'il advienne,
Semblez ne point vous mettre en peine;
Mais toutefois discrètement
Regardez-le piteusement,
Si de loin le voyez paraître
Sur les créneaux, à la fenêtre;
Lui, s'il vous voit, content sera,
Malgré les gardes restera
Sans remuer ni main ni tête
(Si ce n'est peut-être en cachette),
Ou sa fenêtre fermera
Quand aux gens parler vous verra,
S'aguettera par la fendace
Tant que resterez en la place
Et ne serez en retourné,
A moins qu'il n'en soit détourné.
Surtout veillez bien qu'en la voie
Ce Malebouche ne vous voie.
Saluez-le s'il peut vous voir,
Mais gardez de vous émouvoir;
Qu'en vos traits n'apparaisse aucune
Marque de haine ou de rancune.
Ailleurs si vous le rencontrez,
Nulle colère ne montrez;
Le sage couvre sa colère.
Sachez que c'est bonne oeuvre faire
Que savoir tromper un trompeur.
C'est ainsi qu'un bon serviteur
Se doit conduire s'il est sage.
Malebouche et tout son lignage,
Dussent-ils tous vous éventrer,
Il faut servir et honorer.
Offrez-lui, par grand artifice,
Coeur et corps, avoir et service.
On dit, et c'est la vérité,
Contre fin soyez raffiné.
Bouler les gens n'est pas mal faire
Quand eux ils ne s'en privent guère.
Bouler, c'est tromper, ce dit-on,
Comme lierre est un larron;
Or Malebouche est boulierre,
Otez bou, restera lierre.
Il ne doit porter autre nom
Volant aux gens leur bon renom,
Mais sans pouvoir jamais le rendre.
Mieux devrait-on le mener pendre
Que tous ces autres larronneaux
Qui deniers volent à monceaux;
Car larron, quand deniers dérobe,
Grains en greniers, sur perche robe,
En flagrant délit s'il est pris,
La loi par quatre fois le prix
Lui fait payer le préjudice.
Mais Malebouche et sa malice,
Tant sa langue sale forfait,
Ne peut, le mal une fois fait,
Avec sa gueule mal famée
Restaurer bonne renommée,
Stephandra- Dans l'autre monde
- Nombre de messages : 16007
Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
(l'ami toujours)
N'estaindre une parole sangle,
S'el l'a méue par sa jangle.
Bon fait Male-Bouche apaisier:
Aucunes fois seult-l'en baisier
Tel main qu'en vodroit qu'el fust arse;
Car fust ores li glous en Tarse!
Si janglast là quanqu'il vosist,
Mès qu'as amans riens ne tosist.
Bon fait estoper Male-Bouche,
Qu'il ne die blasme ou reprouche:
Male-Bouche et tous ses parens,
A qui jà Diex ne soit garans,
Par barat estuet barater,
Servir, chuer, blandir, flater,
Par hours, par adulacions,
Par fauces simulacions,
Et endiner et saluer:
Il fait trop bon le chien chuer
Tant qu'en ait la voie passée.
Bien seroit sa jangle quassée,
S'il li pooit sans plus sembler
Que n'éussiés talent d'embler
Le bouton qu'il vous a mis seure,
Par ce porrez estre au desseure.
La vielle qui Bel-Acuel garde,
Serves ausinc: que Mal-Feu l'arde!
Autel faites de Jalousie,
Que nostre Sires la maudie,
La dolereuse, la sauvage,
Qui tous jors d'autrui joie enrage!
Ele est si crueuse et si gloute,
Que tel chose vuelt avoir toute.
S'ele en lessoit à chascuns prendre,
Qu'el ne la troveroit jà mendre.
Moult est fox qui tel chose esperne,
C'est la chandele en la lanterne;
Qui mil en i alumeroit,
Jà mains de feu n'i troveroit.
Chascun set la similitude,
Se moult n'a l'entendement rude.
Se cestes ont de vous mestier,
Servés les de vostre mestier:
Faire lor devés cortoisie,
C'est une chose moult proisie,
Mès qu'il ne puissent aparçoivre
Que vous les bées à deçoivre.
Ainsinc vous estuet démener;
Les bras au col doit-l'en mener
Son anemi pendre ou noier,
Par chuer, par aplanoier,
S'autrement n'en puet l'en chevir.
Mais bien puis jurer et plevir
Qu'il n'a ci autre chevissance;
Car il sunt de tele poissance,
Qui en apert les assaudroit,
A son propos, ce cuit, faudroit.
Après ainsinc vous contendrés
Quant as autres portiers vendrez,
Se vous jà venir i poés,
Tex dons cum ci dire m'oés,
Chapiaus de flors en esclicetes,
Aumosnieres ou crespinetes,
Ou autres joélés petis,
Cointes et biaus et bien fetis,
Se vous en avés l'aisement,
Sans vous metre à destruiement,
Por apesier lor presentés:
Des maux après vous dementés,
Et du travail et de la paine
Qu'Amors vous fait, qui là vous maine.
Et se vous ne poés donner,
Par promesse estuet sermonner:
Prometés fort sans délaier,
Comment qu'il aille du paier;
Jurés fort et la foi bailliés,
Ains que conclus vous en ailliés.
Si lor priés qu'il vous secorent;
Et se vos yex devant eux plorent,
Ce vous iert moult grant avantage:
Plorés, si ferés trop que sage;
Devant eus vous agenoilliés
Jointes mains et vos yex moilliés
De chaudes lermes en la place,
Qui vous coulent aval la face,
Si qu'il les voient bien chéoir,
C'est moult grant pitié à véoir.
Lermes ne sont pas despiteuses,
Méismement as gens piteuses.
Et se vous ne poés plorer,
Covertement, sans demorer,
De vostre salive prengniés,
Ou jus d'oignons et les prengniés,
Ou d'aus, ou d'autres liquors maintes
Dont vos paupieres soient ointes:
S'ainsinc le faites, vous plorrés
Toutes les fois que vous vorrés.
Ainsinc l'ont fait maint bouléor,
Qui puis furent fin améor,
Qui les dames soloient prendre
As las que lor voloient tendre,
(l'ami toujours)
Ni d'un mot arrêter l'effet
De son pernicieux caquet.
Bon fait apaiser Malebouche,
Car souvent des lèvres on touche
La main qu'on voudrait voir brûler.
Que ne fait-on ce monstre aller
A Tarse à son aise médire?
Là ne saurait aux amants nuire.
Bon fait bâillonner ce vilain
Pour mettre à ses reproches fin.
Oui, Malebouche et sa lignée,
Du ciel haïe et dédaignée,
Bon fait par mensonges tromper,
Caresser, servir et duper
Par adulations trompeuses,
Simulations cauteleuses,
Profonds saluts et compliments;
Du chien calmons les grognements
Tant que n'avons franchi la voie.
Par dessus tout il faut qu'il croie,
Pour sa médisance endormir,
Que n'avez pouvoir de ravir
La Rose qu'il tient enserrée,
Et l'entreprise est assurée.
La Vieille (l'enfer l'arde!) aussi
Flattez qui garde votre ami;
Flattez, de même Jalousie
(Du Seigneur qu'elle soit honnie!),
Douloureux et sauvage coeur
Qu'enrage d'autrui le bonheur.
Elle est si gourmande et si gloute
Que telle chose avoir veut toute,
Qui moindre ne lui resterait
Pourtant, si chacun en prenait.
Qui telle épargne fait se berne;
C'est la chandelle en la lanterne;
Mille autres y allumerez,
Toujours même feu trouverez.
Chacun voit la similitude
S'il n'a l'entendement trop rude.
Or donc, s'ils ont de vous besoin,
Ami, servez-les avec soin,
Faites-leur à tous courtoisie,
Chose toujours bien accueillie;
Mais surtout ne leur laissez voir
Que vous voulez les décevoir;
Ainsi vous les pourrez séduire.
Les bras au col qui veut conduire
Son ennemi pendre ou noyer,
Le doit caresser ou choyer
S'il ne peut autrement le vaincre.
Besoin n'est de vous en convaincre,
Trop forts sont-ils; les attaquer
De front serait le but manquer.
Ensuite il vous conviendra faire
(Si vous pouvez, comme j'espère,
Jusqu'aux autres geôliers venir)
Tels dons que vous allez ouïr:
Chapeau de fleurs à bandelettes,
Aumônières, simples voilettes,
Ou maints autres petits cadeaux,
Comme gents et coquets joyaux
Et de bon goût plutôt que riches;
Car si trop sont mal vus les chiches,
Sottise est de se ruiner;
Sachez donc à propos donner,
Et vite s'éteindra leur haine.
Après, plaignez-vous de la peine,
Bien fort, et de l'affreux labeur
Qu'impose Amour à votre coeur.
Si ne pouvez telles largesses,
Soyez prodigue de promesses;
Promettre il faut sans hésiter
Du paiement sans s'inquiéter;
Allez, jurez avec audace,
Tant que d'accord quittiez la place.
Puis leur secours humble implorez,
Et devant eux si vous pleurez,
Ce vous sera grand avantage.
Pleurez, c'est un moyen moult sage;
Devant eux vous agenouillez,
Jointes mains et les yeux mouillés
De chaudes larmes en la place
Coulant à flots de votre face,
Et qu'on les aperçoive choir,
Moult grand' pitié font pleurs à voir;
Larmes jamais ne sont nuisibles,
Il n'est point de coeurs insensibles.
Mais si vous ne pouvez pleurer,
En tapinois, sans différer,
Humectez d'un peu de salive
Votre paupière trop rétive,
Ou frottez-la de jus d'oignon
Ou d'ail, ou d'autre mixtion;
Par cette innocente feintise
Vous pleurerez à votre guise.
Ainsi l'ont fait maints intrigants
Qui depuis furent fins amants
Et qui savaient les dames prendre
Aux filets qu'ils leur voulaient tendre,
N'estaindre une parole sangle,
S'el l'a méue par sa jangle.
Bon fait Male-Bouche apaisier:
Aucunes fois seult-l'en baisier
Tel main qu'en vodroit qu'el fust arse;
Car fust ores li glous en Tarse!
Si janglast là quanqu'il vosist,
Mès qu'as amans riens ne tosist.
Bon fait estoper Male-Bouche,
Qu'il ne die blasme ou reprouche:
Male-Bouche et tous ses parens,
A qui jà Diex ne soit garans,
Par barat estuet barater,
Servir, chuer, blandir, flater,
Par hours, par adulacions,
Par fauces simulacions,
Et endiner et saluer:
Il fait trop bon le chien chuer
Tant qu'en ait la voie passée.
Bien seroit sa jangle quassée,
S'il li pooit sans plus sembler
Que n'éussiés talent d'embler
Le bouton qu'il vous a mis seure,
Par ce porrez estre au desseure.
La vielle qui Bel-Acuel garde,
Serves ausinc: que Mal-Feu l'arde!
Autel faites de Jalousie,
Que nostre Sires la maudie,
La dolereuse, la sauvage,
Qui tous jors d'autrui joie enrage!
Ele est si crueuse et si gloute,
Que tel chose vuelt avoir toute.
S'ele en lessoit à chascuns prendre,
Qu'el ne la troveroit jà mendre.
Moult est fox qui tel chose esperne,
C'est la chandele en la lanterne;
Qui mil en i alumeroit,
Jà mains de feu n'i troveroit.
Chascun set la similitude,
Se moult n'a l'entendement rude.
Se cestes ont de vous mestier,
Servés les de vostre mestier:
Faire lor devés cortoisie,
C'est une chose moult proisie,
Mès qu'il ne puissent aparçoivre
Que vous les bées à deçoivre.
Ainsinc vous estuet démener;
Les bras au col doit-l'en mener
Son anemi pendre ou noier,
Par chuer, par aplanoier,
S'autrement n'en puet l'en chevir.
Mais bien puis jurer et plevir
Qu'il n'a ci autre chevissance;
Car il sunt de tele poissance,
Qui en apert les assaudroit,
A son propos, ce cuit, faudroit.
Après ainsinc vous contendrés
Quant as autres portiers vendrez,
Se vous jà venir i poés,
Tex dons cum ci dire m'oés,
Chapiaus de flors en esclicetes,
Aumosnieres ou crespinetes,
Ou autres joélés petis,
Cointes et biaus et bien fetis,
Se vous en avés l'aisement,
Sans vous metre à destruiement,
Por apesier lor presentés:
Des maux après vous dementés,
Et du travail et de la paine
Qu'Amors vous fait, qui là vous maine.
Et se vous ne poés donner,
Par promesse estuet sermonner:
Prometés fort sans délaier,
Comment qu'il aille du paier;
Jurés fort et la foi bailliés,
Ains que conclus vous en ailliés.
Si lor priés qu'il vous secorent;
Et se vos yex devant eux plorent,
Ce vous iert moult grant avantage:
Plorés, si ferés trop que sage;
Devant eus vous agenoilliés
Jointes mains et vos yex moilliés
De chaudes lermes en la place,
Qui vous coulent aval la face,
Si qu'il les voient bien chéoir,
C'est moult grant pitié à véoir.
Lermes ne sont pas despiteuses,
Méismement as gens piteuses.
Et se vous ne poés plorer,
Covertement, sans demorer,
De vostre salive prengniés,
Ou jus d'oignons et les prengniés,
Ou d'aus, ou d'autres liquors maintes
Dont vos paupieres soient ointes:
S'ainsinc le faites, vous plorrés
Toutes les fois que vous vorrés.
Ainsinc l'ont fait maint bouléor,
Qui puis furent fin améor,
Qui les dames soloient prendre
As las que lor voloient tendre,
(l'ami toujours)
Ni d'un mot arrêter l'effet
De son pernicieux caquet.
Bon fait apaiser Malebouche,
Car souvent des lèvres on touche
La main qu'on voudrait voir brûler.
Que ne fait-on ce monstre aller
A Tarse à son aise médire?
Là ne saurait aux amants nuire.
Bon fait bâillonner ce vilain
Pour mettre à ses reproches fin.
Oui, Malebouche et sa lignée,
Du ciel haïe et dédaignée,
Bon fait par mensonges tromper,
Caresser, servir et duper
Par adulations trompeuses,
Simulations cauteleuses,
Profonds saluts et compliments;
Du chien calmons les grognements
Tant que n'avons franchi la voie.
Par dessus tout il faut qu'il croie,
Pour sa médisance endormir,
Que n'avez pouvoir de ravir
La Rose qu'il tient enserrée,
Et l'entreprise est assurée.
La Vieille (l'enfer l'arde!) aussi
Flattez qui garde votre ami;
Flattez, de même Jalousie
(Du Seigneur qu'elle soit honnie!),
Douloureux et sauvage coeur
Qu'enrage d'autrui le bonheur.
Elle est si gourmande et si gloute
Que telle chose avoir veut toute,
Qui moindre ne lui resterait
Pourtant, si chacun en prenait.
Qui telle épargne fait se berne;
C'est la chandelle en la lanterne;
Mille autres y allumerez,
Toujours même feu trouverez.
Chacun voit la similitude
S'il n'a l'entendement trop rude.
Or donc, s'ils ont de vous besoin,
Ami, servez-les avec soin,
Faites-leur à tous courtoisie,
Chose toujours bien accueillie;
Mais surtout ne leur laissez voir
Que vous voulez les décevoir;
Ainsi vous les pourrez séduire.
Les bras au col qui veut conduire
Son ennemi pendre ou noyer,
Le doit caresser ou choyer
S'il ne peut autrement le vaincre.
Besoin n'est de vous en convaincre,
Trop forts sont-ils; les attaquer
De front serait le but manquer.
Ensuite il vous conviendra faire
(Si vous pouvez, comme j'espère,
Jusqu'aux autres geôliers venir)
Tels dons que vous allez ouïr:
Chapeau de fleurs à bandelettes,
Aumônières, simples voilettes,
Ou maints autres petits cadeaux,
Comme gents et coquets joyaux
Et de bon goût plutôt que riches;
Car si trop sont mal vus les chiches,
Sottise est de se ruiner;
Sachez donc à propos donner,
Et vite s'éteindra leur haine.
Après, plaignez-vous de la peine,
Bien fort, et de l'affreux labeur
Qu'impose Amour à votre coeur.
Si ne pouvez telles largesses,
Soyez prodigue de promesses;
Promettre il faut sans hésiter
Du paiement sans s'inquiéter;
Allez, jurez avec audace,
Tant que d'accord quittiez la place.
Puis leur secours humble implorez,
Et devant eux si vous pleurez,
Ce vous sera grand avantage.
Pleurez, c'est un moyen moult sage;
Devant eux vous agenouillez,
Jointes mains et les yeux mouillés
De chaudes larmes en la place
Coulant à flots de votre face,
Et qu'on les aperçoive choir,
Moult grand' pitié font pleurs à voir;
Larmes jamais ne sont nuisibles,
Il n'est point de coeurs insensibles.
Mais si vous ne pouvez pleurer,
En tapinois, sans différer,
Humectez d'un peu de salive
Votre paupière trop rétive,
Ou frottez-la de jus d'oignon
Ou d'ail, ou d'autre mixtion;
Par cette innocente feintise
Vous pleurerez à votre guise.
Ainsi l'ont fait maints intrigants
Qui depuis furent fins amants
Et qui savaient les dames prendre
Aux filets qu'ils leur voulaient tendre,
Stephandra- Dans l'autre monde
- Nombre de messages : 16007
Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
(et encore ^^)
Tant que par lor miséricorde
Lor ostassent du col la corde.
Et maint par tel barat plorerent
Qui onques par amors n'amerent;
Ains decevoient les puceles
Par tiex plors et par tiex faveles.
Lermes les cuers de tiex gens sachent,
Mès que sans plus barat n'i sachent;
Mès se vostre barat savoient,
Jamès de vous merci n'auroient.
Crier merci seroit néans,
Jamès n'entreriés léans;
Et s'a eus ne poés aler,
Faites i par aucun parler
Qui soit messagiers convenables,
Par vois, par letres, ou par tables,
Mès jà n'i metés propre non;
Jà cil n'i soit se cele non.
Cele resoit cil apelée,
La chose en iert trop miex celée.
Cil soit dame, cele soit sires,
Ainsinc escrivés vos martires;
Car mains amans ont décéu
Mains larrons[64] par l'escrit léu;
Li amant en sunt encusé,
Et li deduit d'amors rusé.
Mès en enfans ne vous fiés,
Car vous seriés conchiés:
Il ne sunt pas bon messagier;
Tous jors vuelent enfant ragier,
Gengler, ou monstrer ce qu'il portent
As traïtors qui les enortent;
Ou font nicement lor message,
Por ce qu'il ne sunt mie sage;
Tout seroit tantost publié,
Se moult n'estoient vezié.
Cist portiers, c'est chose séure,
Sunt de si piteuse nature,
Que se vos dons daignent reçoivre,
Il ne vous vodront pas deçoivre.
Sachiés que recéus serés
Après les dons que vous ferés.
Puis qu'il prennent, c'est chose faite,
Car si cum li loirres afaite
Por venir au soir et au main
Le gentil espervier à main,
Ainsinc sunt afaitié par dons
A donner graces et pardons
Li portiers as fins amoreus:
Tuit se rendent vaincus par eus.
Et s'il avient que les truissiés
Si orguilleux, que nes puissiés
Flechir par dons ne par prieres,
Par plors, ne par autres manieres,
Ains vous regietent tuit arriere
Par durs fais, par parole fiere,
Et vous ledengent durement,
Partés-vous en cortoisement,
Et les lessiés en ce saïn.
Onques fromage de gaain
Miex ne se cuit qu'il se cuiront:
Par vostre fuite se duiront
Maintes fois à vous enchaucier;
Ce vous porra moult avancier.
Vilains cuers sunt de tel fierté:
Ceus qui plus les ont en chierté,
Plus les prient et mains les prisent,
Plus les servent, plus les desprisent;
Mès quant il sunt de gens lessié,
Tost ont lor orguel abessié.
Ceus qu'il desprisoient, lor plesent,
Lors se dontent, lors se rapesent,
Qu'il ne lor est pas bel, mais lait
Moult durement, quant on les lait.
Li marinier qui par mer nage,
Cerchant mainte terre sauvage,
Tout regarde-il à une estoile,
Ne queurt-il pas tous jors d'un voile;
Ains le treschange moult souvent
Por eschever tempeste et vent;
Ausinc cuer qui d'amer ne cesse,
Ne queurt pas tous jors d'une lesse.
Or doit chacier, or doit foïr,
Qui vuet de bonne amor joïr.
D'autre part c'est bien plaine chose,
Ge ne vous i metrai jà glose;
Où texte vous poés fier.
Bon fait ces trois portiers prier:
Car nule riens cil n'i puet perdre
Qui se vuet au prier aerdre,
Combien qu'il soient bobancier,
Et si se puet bien avancier;
Prier les puet séurement,
Car il sera certainement
Ou refusé ou recéu,
N'en puet gaire estre décéu.
Riens n'i perdent li refusé,
Fors tant cum il i ont musé;
Ne jà cil maugré n'en sauront
A ceus qui prié les auront,
Ains lor sauront bon gré naïs
Quant les auront boutez laïs;
Qu'il n'est nus tant fel qui les oie,
Qui n'en ait à son cuer grant joie;
Et se pensent tretuit taisant
Qu'or sunt-il preus, bel et plesant,
Et qu'il ont toutes teches bonnes,
Quant requis sunt de tex personnes,
Comment qu'il aille du noier,
Ou d'escuser, ou d'otroier.
S'il sunt recéu, bien le soient,
Donques ont-il ce qu'il queroient;
Et se tant lor meschiet qu'il faillent,
Tuit franc et tuit quite s'en aillent;
C'est li faillirs envis peisibles,
Tant est noviaus délis possibles.
Mès ne soient pas coustumier
De dire as portiers au premier
Qu'il se vuelent d'eus acointer
Por la flor du Rosier oster;
Mès par amor loial et fine
De nete pensée enterine;
Sachiés qu'il sunt trestuit doutable;
Ce poés-vous croire sans fable,
Por qu'il soit qui bien les requiere,
Jà n'en sera bouté arriere,
Nus n'i doit estre refusés.
Mès se de mon conseil usés,
Jà d'eus prier ne vous penés,
Se la chose à fin ne menés;
Car espoir se vaincus n'estoient,
D'estre prié se vanteroient;
Mès jà puis ne s'en vanteront,
Que du fait parçonnier seront.
(et encore ^^)
Tant qu'elles, de compassion,
Leur ôtaient du col le cordon;
Mais maints roués ainsi pleurèrent
Qui par amour oncques n'aimèrent,
Et pucelles trompaient toujours
Par tels pleurs et tels mauvais tours.
Pleurs aussi geôliers apitoient,
Pourvu que la feinte ils ne voient;
Car si votre fourbe voyaient,
Jamais de vous pitié n'auraient;
En vain vous pourriez crier grâce,
Jamais n'entreriez dans la place.
Si vers eux ne pouvez aller,
Faites-leur par quelqu'un parler
Qui soit messager convenable,
Ou leur porte un poulet aimable;
Mais alors jamais n'y doit-on
Mettre ni l'un ni l'autre nom.
S'Elle y était Lui appelée,
La chose en serait mieux celée;
Lui dirait dame, Elle l'amant,
Ainsi contez voire tourment.
Car maint larron, livrant la lettre,
Pourrait les amants compromettre;
Les amants seraient accusés
Et les plaisirs d'amour brisés.
Aux enfants n'ayez confiance,
Car ils trompent par ignorance;
L'enfant est mauvais messager,
Toujours jaseur, toujours léger
Et joueur; ce qu'il porte il montre
Au premier traître qu'il rencontre.
Ou bien il remplit sottement
Sa mission, c'est évident,
Puisqu'il est sans expérience.
Choisissez donc avec prudence
Vos messagers, si ne voulez
Voir vos amours tôt dévoilés.
Ces geôliers sont, c'est chose sûre,
De si charitable nature,
Que vos présents s'ils ont reçu
Jamais vous n'en serez déçu.
S'ils acceptent, c'est chose faite,
Car leur complaisance s'achète,
Sachez-le, beaux deniers comptant.
Comme l'épervier défiant
Sur la main, séduit par le leurre,
Soir et matin vient à toute heure,
Ainsi sont amenés par dons
A donner grâces et pardons
Geôliers aux amoureux habiles,
Et vaincus deviennent serviles.
Mais s'il advient que les trouviez
Si hautains que ne les puissiez
Fléchir par dons ni par prières,
Par pleurs ni par autres manières,
S'ils vous repoussent fièrement
Et vous gourmandent durement,
Vous insultent et cherchent noise,
Parlez-leur de façon courtoise,
Et laissez-les en ce filet.
Oncques fromage ne se fait
L'automne, croyez-moi, plus vite.
Lors attendris par votre fuite,
Souvent vous suivre ils essaieront,
Et vos affaires mieux iront.
Vilains coeurs sont fiers à l'extrême,
Plus on les implore et les aime,
Et moins sont-ils reconnaissants,
Plus on les sert, plus sont méchants.
Mais par contre, quand on les laisse,
Aussitôt leur orgueil s'abaisse,
On les voit domptés s'apaiser
Et ceux qu'ils maltraitaient priser,
Car il n'est rien qui tant les blesse
Que fièrement quand on les laisse.
Le marin qui va naviguant
Maint rivage inconnu cherchant,
Ne regarde-t-il qu'une étoile
Et ne cargue-t-il qu'une voile?
Non; mais il en change souvent,
Pour esquiver tempête et vent.
Ainsi coeur qui d'aimer ne cesse
Ne suit même chemin sans cesse;
Tantôt chasse et tantôt doit fuir
Qui veut de bonne amour jouir.
Certaine est du reste la chose
Et n'a besoin d'aucune glose,
A la lettre on peut se fier.
Bon fait ces trois geôliers prier,
Car ne risque rien, somme toute,
Celui qui choisit cette route,
Fussent-ils des plus dédaigneux,
Et le succès peut être heureux.
Il peut prier sans crainte aucune,
Car enfin, de deux choses l'une,
Qu'il soit éconduit ou reçu,
Il ne peut guère être déçu.
Rien ne perd celui qu'on refuse,
Fors peut-être le temps qu'il use;
Et loin d'être mortifiés,
Les geôliers qu'il aura priés
Bon gré lui sauront au contraire,
Une fois seuls, de sa prière;
Le plus farouche avec bonheur
Aime entendre un solliciteur;
Satisfait, en lui-même il pense
Qu'il est beau, preux, plein d'importance
Et de mainte autre qualité,
Pour être ainsi sollicité.
Donc, ou celui-ci le refuse,
Ou bien l'agrée, ou bien s'excuse.
Si tout va bien, s'il réussit,
L'autre atteint le but qu'il poursuit,
Et si mal son affaire tourne
Tout simplement il s'en retourne.
On risque peu, pour en finir,
Et grand' chance est de réussir.
Surtout n'ayez pas l'imprudence
De dire au geôlier par avance
Que vous venez le cajoler
Pour la fleur du rosier voler.
Feignez amour fine au contraire,
Ame loyale et coeur sincère;
Car ils sont traîtres, méfiants
(Vous pouvez me croire céans);
Mais ceux qui bien font leur prière
Oncques n'en sont boutés arrière,
Jamais ne seront refusés.
Donc, si de mon conseil usez,
Ne vous perdez pas en prières .
Si la chose n'avance guères;
Car d'abord vaincus s'ils ne sont,
D'être priés se vanteront;
S'ils sont complices, au contraire,
Prudemment sauront-ils se taire.
Tant que par lor miséricorde
Lor ostassent du col la corde.
Et maint par tel barat plorerent
Qui onques par amors n'amerent;
Ains decevoient les puceles
Par tiex plors et par tiex faveles.
Lermes les cuers de tiex gens sachent,
Mès que sans plus barat n'i sachent;
Mès se vostre barat savoient,
Jamès de vous merci n'auroient.
Crier merci seroit néans,
Jamès n'entreriés léans;
Et s'a eus ne poés aler,
Faites i par aucun parler
Qui soit messagiers convenables,
Par vois, par letres, ou par tables,
Mès jà n'i metés propre non;
Jà cil n'i soit se cele non.
Cele resoit cil apelée,
La chose en iert trop miex celée.
Cil soit dame, cele soit sires,
Ainsinc escrivés vos martires;
Car mains amans ont décéu
Mains larrons[64] par l'escrit léu;
Li amant en sunt encusé,
Et li deduit d'amors rusé.
Mès en enfans ne vous fiés,
Car vous seriés conchiés:
Il ne sunt pas bon messagier;
Tous jors vuelent enfant ragier,
Gengler, ou monstrer ce qu'il portent
As traïtors qui les enortent;
Ou font nicement lor message,
Por ce qu'il ne sunt mie sage;
Tout seroit tantost publié,
Se moult n'estoient vezié.
Cist portiers, c'est chose séure,
Sunt de si piteuse nature,
Que se vos dons daignent reçoivre,
Il ne vous vodront pas deçoivre.
Sachiés que recéus serés
Après les dons que vous ferés.
Puis qu'il prennent, c'est chose faite,
Car si cum li loirres afaite
Por venir au soir et au main
Le gentil espervier à main,
Ainsinc sunt afaitié par dons
A donner graces et pardons
Li portiers as fins amoreus:
Tuit se rendent vaincus par eus.
Et s'il avient que les truissiés
Si orguilleux, que nes puissiés
Flechir par dons ne par prieres,
Par plors, ne par autres manieres,
Ains vous regietent tuit arriere
Par durs fais, par parole fiere,
Et vous ledengent durement,
Partés-vous en cortoisement,
Et les lessiés en ce saïn.
Onques fromage de gaain
Miex ne se cuit qu'il se cuiront:
Par vostre fuite se duiront
Maintes fois à vous enchaucier;
Ce vous porra moult avancier.
Vilains cuers sunt de tel fierté:
Ceus qui plus les ont en chierté,
Plus les prient et mains les prisent,
Plus les servent, plus les desprisent;
Mès quant il sunt de gens lessié,
Tost ont lor orguel abessié.
Ceus qu'il desprisoient, lor plesent,
Lors se dontent, lors se rapesent,
Qu'il ne lor est pas bel, mais lait
Moult durement, quant on les lait.
Li marinier qui par mer nage,
Cerchant mainte terre sauvage,
Tout regarde-il à une estoile,
Ne queurt-il pas tous jors d'un voile;
Ains le treschange moult souvent
Por eschever tempeste et vent;
Ausinc cuer qui d'amer ne cesse,
Ne queurt pas tous jors d'une lesse.
Or doit chacier, or doit foïr,
Qui vuet de bonne amor joïr.
D'autre part c'est bien plaine chose,
Ge ne vous i metrai jà glose;
Où texte vous poés fier.
Bon fait ces trois portiers prier:
Car nule riens cil n'i puet perdre
Qui se vuet au prier aerdre,
Combien qu'il soient bobancier,
Et si se puet bien avancier;
Prier les puet séurement,
Car il sera certainement
Ou refusé ou recéu,
N'en puet gaire estre décéu.
Riens n'i perdent li refusé,
Fors tant cum il i ont musé;
Ne jà cil maugré n'en sauront
A ceus qui prié les auront,
Ains lor sauront bon gré naïs
Quant les auront boutez laïs;
Qu'il n'est nus tant fel qui les oie,
Qui n'en ait à son cuer grant joie;
Et se pensent tretuit taisant
Qu'or sunt-il preus, bel et plesant,
Et qu'il ont toutes teches bonnes,
Quant requis sunt de tex personnes,
Comment qu'il aille du noier,
Ou d'escuser, ou d'otroier.
S'il sunt recéu, bien le soient,
Donques ont-il ce qu'il queroient;
Et se tant lor meschiet qu'il faillent,
Tuit franc et tuit quite s'en aillent;
C'est li faillirs envis peisibles,
Tant est noviaus délis possibles.
Mès ne soient pas coustumier
De dire as portiers au premier
Qu'il se vuelent d'eus acointer
Por la flor du Rosier oster;
Mès par amor loial et fine
De nete pensée enterine;
Sachiés qu'il sunt trestuit doutable;
Ce poés-vous croire sans fable,
Por qu'il soit qui bien les requiere,
Jà n'en sera bouté arriere,
Nus n'i doit estre refusés.
Mès se de mon conseil usés,
Jà d'eus prier ne vous penés,
Se la chose à fin ne menés;
Car espoir se vaincus n'estoient,
D'estre prié se vanteroient;
Mès jà puis ne s'en vanteront,
Que du fait parçonnier seront.
(et encore ^^)
Tant qu'elles, de compassion,
Leur ôtaient du col le cordon;
Mais maints roués ainsi pleurèrent
Qui par amour oncques n'aimèrent,
Et pucelles trompaient toujours
Par tels pleurs et tels mauvais tours.
Pleurs aussi geôliers apitoient,
Pourvu que la feinte ils ne voient;
Car si votre fourbe voyaient,
Jamais de vous pitié n'auraient;
En vain vous pourriez crier grâce,
Jamais n'entreriez dans la place.
Si vers eux ne pouvez aller,
Faites-leur par quelqu'un parler
Qui soit messager convenable,
Ou leur porte un poulet aimable;
Mais alors jamais n'y doit-on
Mettre ni l'un ni l'autre nom.
S'Elle y était Lui appelée,
La chose en serait mieux celée;
Lui dirait dame, Elle l'amant,
Ainsi contez voire tourment.
Car maint larron, livrant la lettre,
Pourrait les amants compromettre;
Les amants seraient accusés
Et les plaisirs d'amour brisés.
Aux enfants n'ayez confiance,
Car ils trompent par ignorance;
L'enfant est mauvais messager,
Toujours jaseur, toujours léger
Et joueur; ce qu'il porte il montre
Au premier traître qu'il rencontre.
Ou bien il remplit sottement
Sa mission, c'est évident,
Puisqu'il est sans expérience.
Choisissez donc avec prudence
Vos messagers, si ne voulez
Voir vos amours tôt dévoilés.
Ces geôliers sont, c'est chose sûre,
De si charitable nature,
Que vos présents s'ils ont reçu
Jamais vous n'en serez déçu.
S'ils acceptent, c'est chose faite,
Car leur complaisance s'achète,
Sachez-le, beaux deniers comptant.
Comme l'épervier défiant
Sur la main, séduit par le leurre,
Soir et matin vient à toute heure,
Ainsi sont amenés par dons
A donner grâces et pardons
Geôliers aux amoureux habiles,
Et vaincus deviennent serviles.
Mais s'il advient que les trouviez
Si hautains que ne les puissiez
Fléchir par dons ni par prières,
Par pleurs ni par autres manières,
S'ils vous repoussent fièrement
Et vous gourmandent durement,
Vous insultent et cherchent noise,
Parlez-leur de façon courtoise,
Et laissez-les en ce filet.
Oncques fromage ne se fait
L'automne, croyez-moi, plus vite.
Lors attendris par votre fuite,
Souvent vous suivre ils essaieront,
Et vos affaires mieux iront.
Vilains coeurs sont fiers à l'extrême,
Plus on les implore et les aime,
Et moins sont-ils reconnaissants,
Plus on les sert, plus sont méchants.
Mais par contre, quand on les laisse,
Aussitôt leur orgueil s'abaisse,
On les voit domptés s'apaiser
Et ceux qu'ils maltraitaient priser,
Car il n'est rien qui tant les blesse
Que fièrement quand on les laisse.
Le marin qui va naviguant
Maint rivage inconnu cherchant,
Ne regarde-t-il qu'une étoile
Et ne cargue-t-il qu'une voile?
Non; mais il en change souvent,
Pour esquiver tempête et vent.
Ainsi coeur qui d'aimer ne cesse
Ne suit même chemin sans cesse;
Tantôt chasse et tantôt doit fuir
Qui veut de bonne amour jouir.
Certaine est du reste la chose
Et n'a besoin d'aucune glose,
A la lettre on peut se fier.
Bon fait ces trois geôliers prier,
Car ne risque rien, somme toute,
Celui qui choisit cette route,
Fussent-ils des plus dédaigneux,
Et le succès peut être heureux.
Il peut prier sans crainte aucune,
Car enfin, de deux choses l'une,
Qu'il soit éconduit ou reçu,
Il ne peut guère être déçu.
Rien ne perd celui qu'on refuse,
Fors peut-être le temps qu'il use;
Et loin d'être mortifiés,
Les geôliers qu'il aura priés
Bon gré lui sauront au contraire,
Une fois seuls, de sa prière;
Le plus farouche avec bonheur
Aime entendre un solliciteur;
Satisfait, en lui-même il pense
Qu'il est beau, preux, plein d'importance
Et de mainte autre qualité,
Pour être ainsi sollicité.
Donc, ou celui-ci le refuse,
Ou bien l'agrée, ou bien s'excuse.
Si tout va bien, s'il réussit,
L'autre atteint le but qu'il poursuit,
Et si mal son affaire tourne
Tout simplement il s'en retourne.
On risque peu, pour en finir,
Et grand' chance est de réussir.
Surtout n'ayez pas l'imprudence
De dire au geôlier par avance
Que vous venez le cajoler
Pour la fleur du rosier voler.
Feignez amour fine au contraire,
Ame loyale et coeur sincère;
Car ils sont traîtres, méfiants
(Vous pouvez me croire céans);
Mais ceux qui bien font leur prière
Oncques n'en sont boutés arrière,
Jamais ne seront refusés.
Donc, si de mon conseil usez,
Ne vous perdez pas en prières .
Si la chose n'avance guères;
Car d'abord vaincus s'ils ne sont,
D'être priés se vanteront;
S'ils sont complices, au contraire,
Prudemment sauront-ils se taire.
Stephandra- Dans l'autre monde
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Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
(et toujours)
Et si sunt tuit de tel maniere,
Combien qu'il facent fiere chiere,
Que, se requis avant n'estoient,
Certainement il requerroient
Et se donneroient por noiant,
Qui si nes iroit asproiant.
Mès li chétis sermonnéor,
Et li fol large donnéor
Si forment les enorguillissent,
Que lor Roses lor enchiérissent:
Si se cuident faire avantage,
Mès il font lor cruel domage;
Car tretout por noient éussent,
Se jà requeste n'en méussent;
Por quoi chascuns autel féist
Que nus avant nes requéist;
Et s'il se vosissent loier,
Il en éussent bon loier,
Se tretuit à ce se méissent
Que tiex convenances féissent,
Que jamès nus nes sermonast,
Ne por noiant ne se donnast,
Ains lessast, por eus miex mestir,
As portiers lor Roses flestir.
Mès por riens hons ne me pleroit
Qui de son cors marchié feroit,
N'il ne me devroit mie plaire,
Au mains por tel besoingne faire;
Mès onques por ce n'atendés,
Requerés-les, et lor tendés
Les las por vostre proie prendre;
Car vous porriés tant atendre,
Que tost s'i porroient embatre
Ou un, ou deus, ou trois, ou quatre;
Voire cinquante-deus douzaines,
Dedans cinquante-deus semaines:
Tost seraient aillors torné,
Se trop aviés séjorné.
Envis à tens i vendriés,
Por ce que trop atendriés;
Ne lo que nus hons tant atende
Que fame s'amor li demande:
Car trop en sa biauté se fie
Qui atent que fame le prie;
Et quiconques vuet commencier,
Por tost sa besoigne avancier,
N'ait jà paor qu'ele le fiere,
Tant soit orguilleuse ne fiere,
Et que sa nef à port ne vengne,
Por que sagement se contengne.
Ainsinc, compains, esploiterés
Quant as portiés venus serés;
Mès quant correciés les verrés,
Jà de ce ne les requerrés.
Espiés-les en lor léesce,
Jà nes requerés en tristesce,
Se la tristesce n'estoit née
De Jalousie la desvée,
Qui por vous les éust batus,
Dont corrous s'i fust embatus.
Et se poés à ce venir
Qu'à privé les puissiés tenir,
Que li leus soit si convenans
Que n'i doutés les sorvenans,
Et Bel-Acuel soit eschapés,
Qui por vous est ore entrapés,
Quant Bel-Acuel fait vous aura
Si biau semblant cum il saura,
Car moult set gens bel acuellir,
Lors devés la Rose cuellir.
Tout véés-vous néis Dangier
Qui vous acuelle à ledangier,
Ou que Honte et Paor en groucent,
Mès que faintement s'en corroucent,
Et que laschement se deffendent,
Qu'en deffendant vaincu se rendent,
Si cum lors vous porra sembler;
Tout véés-vous Paor trembler,
Honte rougir, Dangier frémir,
Ou tous ces trois plaindre et gemir:
Ne prisiés tretout une escorce,
Cueillés la Rose tout à force,
Et monstrés que vous estes hon,
Quant leus iert, et tens et seson;
Car riens ne lor porroit tant plaire
Cum tel force, qui la set faire.
Car maintes fois sunt coustumieres
D'avoir si diverses manieres,
Qu'il vuelent par force donner
Ce qu'il n'osent abandonner;
Et faingnent que lor soit tolu
Ce que souffert ont et voulu.
Et sachiés que dolent seroient,
Se par tel deffence eschapoient;
Quelque léesce qu'en féissent,
Si dout que ne vous en haïssent,
Tant en seroient correcié,
Combien qu'en éussent groucié.
Mès se par paroles apertes
Les véés correcier acertes,
Et si sunt tuit de tel maniere,
Combien qu'il facent fiere chiere,
Que, se requis avant n'estoient,
Certainement il requerroient
Et se donneroient por noiant,
Qui si nes iroit asproiant.
Mès li chétis sermonnéor,
Et li fol large donnéor
Si forment les enorguillissent,
Que lor Roses lor enchiérissent:
Si se cuident faire avantage,
Mès il font lor cruel domage;
Car tretout por noient éussent,
Se jà requeste n'en méussent;
Por quoi chascuns autel féist
Que nus avant nes requéist;
Et s'il se vosissent loier,
Il en éussent bon loier,
Se tretuit à ce se méissent
Que tiex convenances féissent,
Que jamès nus nes sermonast,
Ne por noiant ne se donnast,
Ains lessast, por eus miex mestir,
As portiers lor Roses flestir.
Mès por riens hons ne me pleroit
Qui de son cors marchié feroit,
N'il ne me devroit mie plaire,
Au mains por tel besoingne faire;
Mès onques por ce n'atendés,
Requerés-les, et lor tendés
Les las por vostre proie prendre;
Car vous porriés tant atendre,
Que tost s'i porroient embatre
Ou un, ou deus, ou trois, ou quatre;
Voire cinquante-deus douzaines,
Dedans cinquante-deus semaines:
Tost seraient aillors torné,
Se trop aviés séjorné.
Envis à tens i vendriés,
Por ce que trop atendriés;
Ne lo que nus hons tant atende
Que fame s'amor li demande:
Car trop en sa biauté se fie
Qui atent que fame le prie;
Et quiconques vuet commencier,
Por tost sa besoigne avancier,
N'ait jà paor qu'ele le fiere,
Tant soit orguilleuse ne fiere,
Et que sa nef à port ne vengne,
Por que sagement se contengne.
Ainsinc, compains, esploiterés
Quant as portiés venus serés;
Mès quant correciés les verrés,
Jà de ce ne les requerrés.
Espiés-les en lor léesce,
Jà nes requerés en tristesce,
Se la tristesce n'estoit née
De Jalousie la desvée,
Qui por vous les éust batus,
Dont corrous s'i fust embatus.
Et se poés à ce venir
Qu'à privé les puissiés tenir,
Que li leus soit si convenans
Que n'i doutés les sorvenans,
Et Bel-Acuel soit eschapés,
Qui por vous est ore entrapés,
Quant Bel-Acuel fait vous aura
Si biau semblant cum il saura,
Car moult set gens bel acuellir,
Lors devés la Rose cuellir.
Tout véés-vous néis Dangier
Qui vous acuelle à ledangier,
Ou que Honte et Paor en groucent,
Mès que faintement s'en corroucent,
Et que laschement se deffendent,
Qu'en deffendant vaincu se rendent,
Si cum lors vous porra sembler;
Tout véés-vous Paor trembler,
Honte rougir, Dangier frémir,
Ou tous ces trois plaindre et gemir:
Ne prisiés tretout une escorce,
Cueillés la Rose tout à force,
Et monstrés que vous estes hon,
Quant leus iert, et tens et seson;
Car riens ne lor porroit tant plaire
Cum tel force, qui la set faire.
Car maintes fois sunt coustumieres
D'avoir si diverses manieres,
Qu'il vuelent par force donner
Ce qu'il n'osent abandonner;
Et faingnent que lor soit tolu
Ce que souffert ont et voulu.
Et sachiés que dolent seroient,
Se par tel deffence eschapoient;
Quelque léesce qu'en féissent,
Si dout que ne vous en haïssent,
Tant en seroient correcié,
Combien qu'en éussent groucié.
Mès se par paroles apertes
Les véés correcier acertes,
(et toujours)
Tous se ressemblent ces geôliers,
Et les plus durs, les plus altiers,
Si ne les courtisait personne,
Viendraient s'offrir, ne vous étonne,
Voire pour rien se donneraient,
Si nuls ne les sollicitaient.
Mais les sots, avec leurs caresses
Souvent et leurs folles largesses,
Font ces geôliers enorgueillir
Et d'autant Roses renchérir
Ils pensent avoir avantage
Et se font eux-mêmes dommage,
Car pour rien auraient possédé
Ce que si fort ont marchandé.
Si chacun voulait ainsi faire
Sans s'abaisser à la prière,
Bon marché certes l'on paierait
Geôlier qui se vendre voudrait.
Il faudrait que tous s'entendissent
Et telles conventions prissent,
Que jamais nul ne les priât,
Voire pour rien ne se donnât,
Mais laissât, pour mieux les contraindre,
Aux geôliers leurs Roses déteindre.
Pourtant homme ne me plairait
Qui de son corps marché ferait,
Et certe il ne saurait me plaire,
Au moins pour telle chose faire.
Mais cependant point n'attendez,
Et flattez-les, et leur tendez
Filets pour votre gibier prendre,
Car vous pourriez longtemps attendre
Et voir passer maint concurrent,
Un, deux, trois, quatre, voire un cent,
Voire cinquante-deux douzaines
Dedans cinquante-deux semaines,
Et tout serait alors perdu
Si vous aviez trop attendu.
Trop tard arriveriez ensuite,
Pour n'être pas venu plus vite.
Jamais n'attend l'homme d'honneur
Que femme demande son coeur,
Car trop en sa valeur se fie,
S'il attend que femme le prie;
Et quiconque veut commencer
Pour tôt sa besogne avancer,
Tant soit-elle orgueilleuse et fière,
Ne doit pas craindre sa colère,
Ni voir échouer malement
Sa nef, s'il agit sagement.
Ainsi vous conviendra-t-il faire
Quand aux geôliers aurez affaire.
Mais quand irrités les verrez,
Point ne les solliciterez.
Épiez-les en leur liesse
Et laissez-les en leur tristesse,
A moins que ne vienne de vous
Et leur tristesse et leur courroux,
Si par exemple Jalousie
Les a pour vous en sa folie
Trop fort gourmandes et battus,
D'où les voyez tant abattus.
Et si pouvez avoir la chance
De les tenir seuls en présence
En un lieu sûr et bien reclus
Où ne craigniez point les intrus,
Et qu'alors Bel-Accueil survienne,
Qui subit en la tour sa peine
Pour vous, lorsqu'il vous aura fait
Si Beau-Semblant, comme il le sait,
Quand aux gens plaire il se dispose,
Lors vous devez cueillir la Rose.
Alors si vous voyez Danger
Vous courir sus, vous outrager,
Si Peur et Honte se trémoussent,
Et par faintise se courroucent,
Et se défendent lâchement
Pour se rendre en se défendant,
Ce que bien sentirez vous-même:
Si vous voyez trembler Peur blême,
Honte rougir, Danger frémir,
Ou tous trois se plaindre et gémir,
Ne les prisez tous une écorce,
Et cueillez la Rose de force,
Et montrez ce qu'un homme vaut,
En temps et lieu, lorsqu'il le faut.
Car rien ne leur saurait tant plaire
Que succomber en telle guerre.
De force ils aiment à donner
Ce qu'ils n'osent abandonner,
Et tellement leur caractère
De cent façons change et diffère,
Qu'ils feignent à regret subir
Ce qui fait leur plus grand désir.
Voire ils seraient dolents, je pense,
S'ils échappaient par leur défense;
Tout en témoignant leur plaisir,
Ils ne feraient que vous haïr,
Tant leur serait dure l'offense,
Quelqu'eût été leur résistance.
Mais si vous les voyez pourtant
Courroucés sérieusement,
Tous se ressemblent ces geôliers,
Et les plus durs, les plus altiers,
Si ne les courtisait personne,
Viendraient s'offrir, ne vous étonne,
Voire pour rien se donneraient,
Si nuls ne les sollicitaient.
Mais les sots, avec leurs caresses
Souvent et leurs folles largesses,
Font ces geôliers enorgueillir
Et d'autant Roses renchérir
Ils pensent avoir avantage
Et se font eux-mêmes dommage,
Car pour rien auraient possédé
Ce que si fort ont marchandé.
Si chacun voulait ainsi faire
Sans s'abaisser à la prière,
Bon marché certes l'on paierait
Geôlier qui se vendre voudrait.
Il faudrait que tous s'entendissent
Et telles conventions prissent,
Que jamais nul ne les priât,
Voire pour rien ne se donnât,
Mais laissât, pour mieux les contraindre,
Aux geôliers leurs Roses déteindre.
Pourtant homme ne me plairait
Qui de son corps marché ferait,
Et certe il ne saurait me plaire,
Au moins pour telle chose faire.
Mais cependant point n'attendez,
Et flattez-les, et leur tendez
Filets pour votre gibier prendre,
Car vous pourriez longtemps attendre
Et voir passer maint concurrent,
Un, deux, trois, quatre, voire un cent,
Voire cinquante-deux douzaines
Dedans cinquante-deux semaines,
Et tout serait alors perdu
Si vous aviez trop attendu.
Trop tard arriveriez ensuite,
Pour n'être pas venu plus vite.
Jamais n'attend l'homme d'honneur
Que femme demande son coeur,
Car trop en sa valeur se fie,
S'il attend que femme le prie;
Et quiconque veut commencer
Pour tôt sa besogne avancer,
Tant soit-elle orgueilleuse et fière,
Ne doit pas craindre sa colère,
Ni voir échouer malement
Sa nef, s'il agit sagement.
Ainsi vous conviendra-t-il faire
Quand aux geôliers aurez affaire.
Mais quand irrités les verrez,
Point ne les solliciterez.
Épiez-les en leur liesse
Et laissez-les en leur tristesse,
A moins que ne vienne de vous
Et leur tristesse et leur courroux,
Si par exemple Jalousie
Les a pour vous en sa folie
Trop fort gourmandes et battus,
D'où les voyez tant abattus.
Et si pouvez avoir la chance
De les tenir seuls en présence
En un lieu sûr et bien reclus
Où ne craigniez point les intrus,
Et qu'alors Bel-Accueil survienne,
Qui subit en la tour sa peine
Pour vous, lorsqu'il vous aura fait
Si Beau-Semblant, comme il le sait,
Quand aux gens plaire il se dispose,
Lors vous devez cueillir la Rose.
Alors si vous voyez Danger
Vous courir sus, vous outrager,
Si Peur et Honte se trémoussent,
Et par faintise se courroucent,
Et se défendent lâchement
Pour se rendre en se défendant,
Ce que bien sentirez vous-même:
Si vous voyez trembler Peur blême,
Honte rougir, Danger frémir,
Ou tous trois se plaindre et gémir,
Ne les prisez tous une écorce,
Et cueillez la Rose de force,
Et montrez ce qu'un homme vaut,
En temps et lieu, lorsqu'il le faut.
Car rien ne leur saurait tant plaire
Que succomber en telle guerre.
De force ils aiment à donner
Ce qu'ils n'osent abandonner,
Et tellement leur caractère
De cent façons change et diffère,
Qu'ils feignent à regret subir
Ce qui fait leur plus grand désir.
Voire ils seraient dolents, je pense,
S'ils échappaient par leur défense;
Tout en témoignant leur plaisir,
Ils ne feraient que vous haïr,
Tant leur serait dure l'offense,
Quelqu'eût été leur résistance.
Mais si vous les voyez pourtant
Courroucés sérieusement,
Stephandra- Dans l'autre monde
- Nombre de messages : 16007
Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
(...)
Et viguereusement deffendre,
Vous n'i devés jà la main tendre;
Mès toutefois pris vous rendés,
Merci criant, et atendés
Jusques cil trois portiers s'en aillent,
Qui si vous griévent et travaillent;
Et Bel-Acuel tous seus remaingne,
Qui tout abandonner vous daingne;
Ainsinc vers eus vous contenés
Cum preus et vaillans et senés.
De Bel-Acuel vous prenés garde
Par quel semblant il vous regarde,
Comment que soit, ne de quel chiere;
Conformés-vous à sa maniere:
S'ele est ancienne et méure,
Vous metrés toute vostre cure
En vous tenir méurement;
Et s'il se contient nicement,
Nicement vous recontenés.
De li ensivre vous penés:
S'il est liés, faites chiere lie,
S'il est correciés, corrocie;
S'il rit, riés; plorés s'il plore,
Ainsinc vous tenés chacune hore.
Ce qu'il amera, si amés,
Ce qu'il blasmera, si blasmés,
Et loés quanqu'il loera;
Moult plus en vous s'en fiera.
Cuidiés que dame à cuer vaillant
Aint ung garçon fol et saillant
Qui s'en ira par nuit resver,
Ausinc cum s'il déust desver,
Et chantera dès mienuit,
Cui qu'il soit bel, ne cui qu'anuit?
Ele en craindroit estre blasmée,
Et vil tenuê, et diffamée.
Tex amors sunt tantost séuës,
Qu'il les fléutent par les ruës;
Ne lor chaut gaires qui le sache;
Fox est qui son cuer i atache.
Et s'uns sages d'amors parole
A une damoisele fole,
S'il li fait semblant d'estre sages,
Jà là ne torra ses corages.
Ne pensés jà qu'il i aviengne,
Por quoi sagement se contiengne.
Face ses meurs as siens onnis,
Ou autrement il iert honnis;
Qu'el cuide qu'il soit uns lobierres,
Uns regnarz, uns enfantosmieres.
Tantost la chetive le laisse,
Et prent ung autre où moult s'abaisse;
Le vaillant homme arriere boute,
Et prent le pire de la route:
Là norrit ses amors, et couve
Tout autresinc cum fait la louve,
Cui sa folie tant empire,
Qu'el prent des lous tretout le pire.
Se Bel-Acuel poés trover,
Que vous puissiés o li joer
As eschiés, as dés, ou as tables,
Ou à autres gieus délitables,
Du gieu adès le pis aiés,
Tous jors au dessous en soiés.
Au gieu dont vous entremetrés
Perdés quanque vous i metrés;
Prengne des gieus la seignorie,
De vos pertes se gabe et rie.
Loés toutes ses contenances,
Et ses ators et ses semblances,
Et servés de vostre pooir;
Néis quant se devra séoir,
Aportés-li quarré ou sele,
Miex en vaudra vostre querele.
Se poutie poés véoir
Sor li de quelque part chéoir,
Ostés-li tantost la poutie,
Néis s'ele n'i estoit mie;
Ou se sa robe trop s'empoudre,
Soulevés-la li de la poudre;
Briément faites en toute place
Quanque vous pensés qui li place.
S'ainsinc le faites, n'en doutés,
Jà n'en serés arrier boutés,
Ains vendrés à vostre propos,
Tout ausinc cum ge le propos.
* * * * *
Et viguereusement deffendre,
Vous n'i devés jà la main tendre;
Mès toutefois pris vous rendés,
Merci criant, et atendés
Jusques cil trois portiers s'en aillent,
Qui si vous griévent et travaillent;
Et Bel-Acuel tous seus remaingne,
Qui tout abandonner vous daingne;
Ainsinc vers eus vous contenés
Cum preus et vaillans et senés.
De Bel-Acuel vous prenés garde
Par quel semblant il vous regarde,
Comment que soit, ne de quel chiere;
Conformés-vous à sa maniere:
S'ele est ancienne et méure,
Vous metrés toute vostre cure
En vous tenir méurement;
Et s'il se contient nicement,
Nicement vous recontenés.
De li ensivre vous penés:
S'il est liés, faites chiere lie,
S'il est correciés, corrocie;
S'il rit, riés; plorés s'il plore,
Ainsinc vous tenés chacune hore.
Ce qu'il amera, si amés,
Ce qu'il blasmera, si blasmés,
Et loés quanqu'il loera;
Moult plus en vous s'en fiera.
Cuidiés que dame à cuer vaillant
Aint ung garçon fol et saillant
Qui s'en ira par nuit resver,
Ausinc cum s'il déust desver,
Et chantera dès mienuit,
Cui qu'il soit bel, ne cui qu'anuit?
Ele en craindroit estre blasmée,
Et vil tenuê, et diffamée.
Tex amors sunt tantost séuës,
Qu'il les fléutent par les ruës;
Ne lor chaut gaires qui le sache;
Fox est qui son cuer i atache.
Et s'uns sages d'amors parole
A une damoisele fole,
S'il li fait semblant d'estre sages,
Jà là ne torra ses corages.
Ne pensés jà qu'il i aviengne,
Por quoi sagement se contiengne.
Face ses meurs as siens onnis,
Ou autrement il iert honnis;
Qu'el cuide qu'il soit uns lobierres,
Uns regnarz, uns enfantosmieres.
Tantost la chetive le laisse,
Et prent ung autre où moult s'abaisse;
Le vaillant homme arriere boute,
Et prent le pire de la route:
Là norrit ses amors, et couve
Tout autresinc cum fait la louve,
Cui sa folie tant empire,
Qu'el prent des lous tretout le pire.
Se Bel-Acuel poés trover,
Que vous puissiés o li joer
As eschiés, as dés, ou as tables,
Ou à autres gieus délitables,
Du gieu adès le pis aiés,
Tous jors au dessous en soiés.
Au gieu dont vous entremetrés
Perdés quanque vous i metrés;
Prengne des gieus la seignorie,
De vos pertes se gabe et rie.
Loés toutes ses contenances,
Et ses ators et ses semblances,
Et servés de vostre pooir;
Néis quant se devra séoir,
Aportés-li quarré ou sele,
Miex en vaudra vostre querele.
Se poutie poés véoir
Sor li de quelque part chéoir,
Ostés-li tantost la poutie,
Néis s'ele n'i estoit mie;
Ou se sa robe trop s'empoudre,
Soulevés-la li de la poudre;
Briément faites en toute place
Quanque vous pensés qui li place.
S'ainsinc le faites, n'en doutés,
Jà n'en serés arrier boutés,
Ains vendrés à vostre propos,
Tout ausinc cum ge le propos.
* * * * *
(...)
Et avec vigueur se défendre,
Soyez prudent, sachez attendre,
Ouvertement capitulez,
Criez merci, dissimulez,
Tant que ces trois geôliers s'en aillent
Qui tant vous grèvent et travaillent,
Et Bel-Accueil seul laissent là
Qui tout à vous se donnera.
Ainsi faites-leur bon visage,
Comme prudent, vaillant et sage.
Observez aussi Bel-Accueil,
Quelle est sa mine et de quel oeil
Il vous regarde, et, pour lui plaire,
Conformez-vous à sa manière.
S'il est et grave et sérieux,
Il faut vous montrer à ses yeux
De sérieuse contenance.
Feignez la candeur, l'innocence,
Si le trouvez simple, innocent;
Imitez-le fidèlement;
S'il rit, riez; pleurez s'il pleure,
Ainsi tenez-vous à toute heure;
S'il est gai, montrez-vous joyeux,
Et s'il se fâche, coléreux;
Avec soin aimez ce qu'il aime,
Ce qu'il blâme blâmez de même
Et louez tout ce qu'il louera,
Et plus en vous il se fiera.
Penséz-vous que dame vaillante
Aime d'un sot l'humeur galante,
Qui comme un fou toute la nuit
S'en va rêver et, dès minuit,
Chanter les amours de sa mie,
Et qui pour lui plaire l'ennuie?
Elle craindrait se voir blâmer,
Vile tenir et diffamer.
Telles amours sont bientôt sues
Quand ils les flûtent par les rues;
Que leur chaut si quelqu'un le sait?
Bien folle qui les aimerait.
Si dans l'amoureuse querelle
Avecque folle damoiselle
Un sage parle sagement
S'en ira son esprit au vent,
Et près de sa folle maîtresse
Il échouera pour sa sagesse.
Il doit aux siennes conformer
Ses moeurs, s'il veut se faire aimer;
Car le suppose alors la belle
Renard, enjôleur, infidèle,
Et la chétive, le laissant,
Prend un autre et va s'abaissant;
Car, pour le vaillant éconduire,
De la troupe elle prend le pire.
Là couve et nourrit ses amours,
Comme on voit la louve toujours,
Dans sa folie et son délire,
De tous les loups prendre le pire.
Si Bel-Accueil pouvez trouver,
Que puissiez avec lui jouer
Aux échecs, aux dés, voire aux tables,
Ou tous autres jeux délectables,
Toujours du jeu le pis ayez,
Toujours le plus faible soyez,
Faites qu'il gagne la partie,
De vos pertes se moque et rie,
Et tout l'enjeu que vous mettez
Avec bonne grâce perdez.
Louez toutes ses contenances 8119
Et ses atours et ses semblances;
Toujours de tout votre pouvoir
Servez-le; s'il se veut asseoir,
Apportez-lui carré ou selle;
Mieux en ira votre querelle.
Si sur elle venez à voir
Quelque grain de poussière choir,
Otez-le dessus votre amie,
Quand même il n'y en aurait mie.
Et si sa robe traîne trop,
Soulevez-la vite aussitôt.
Bref, autant que pourrez le faire,
Faites tout ce qui peut lui plaire.
Si vous suivez bien mes avis,
Vous ne serez arrière mis,
Mais viendrez où votre âme aspire,
Comme je viens de vous le dire.
* * * * *
Et avec vigueur se défendre,
Soyez prudent, sachez attendre,
Ouvertement capitulez,
Criez merci, dissimulez,
Tant que ces trois geôliers s'en aillent
Qui tant vous grèvent et travaillent,
Et Bel-Accueil seul laissent là
Qui tout à vous se donnera.
Ainsi faites-leur bon visage,
Comme prudent, vaillant et sage.
Observez aussi Bel-Accueil,
Quelle est sa mine et de quel oeil
Il vous regarde, et, pour lui plaire,
Conformez-vous à sa manière.
S'il est et grave et sérieux,
Il faut vous montrer à ses yeux
De sérieuse contenance.
Feignez la candeur, l'innocence,
Si le trouvez simple, innocent;
Imitez-le fidèlement;
S'il rit, riez; pleurez s'il pleure,
Ainsi tenez-vous à toute heure;
S'il est gai, montrez-vous joyeux,
Et s'il se fâche, coléreux;
Avec soin aimez ce qu'il aime,
Ce qu'il blâme blâmez de même
Et louez tout ce qu'il louera,
Et plus en vous il se fiera.
Penséz-vous que dame vaillante
Aime d'un sot l'humeur galante,
Qui comme un fou toute la nuit
S'en va rêver et, dès minuit,
Chanter les amours de sa mie,
Et qui pour lui plaire l'ennuie?
Elle craindrait se voir blâmer,
Vile tenir et diffamer.
Telles amours sont bientôt sues
Quand ils les flûtent par les rues;
Que leur chaut si quelqu'un le sait?
Bien folle qui les aimerait.
Si dans l'amoureuse querelle
Avecque folle damoiselle
Un sage parle sagement
S'en ira son esprit au vent,
Et près de sa folle maîtresse
Il échouera pour sa sagesse.
Il doit aux siennes conformer
Ses moeurs, s'il veut se faire aimer;
Car le suppose alors la belle
Renard, enjôleur, infidèle,
Et la chétive, le laissant,
Prend un autre et va s'abaissant;
Car, pour le vaillant éconduire,
De la troupe elle prend le pire.
Là couve et nourrit ses amours,
Comme on voit la louve toujours,
Dans sa folie et son délire,
De tous les loups prendre le pire.
Si Bel-Accueil pouvez trouver,
Que puissiez avec lui jouer
Aux échecs, aux dés, voire aux tables,
Ou tous autres jeux délectables,
Toujours du jeu le pis ayez,
Toujours le plus faible soyez,
Faites qu'il gagne la partie,
De vos pertes se moque et rie,
Et tout l'enjeu que vous mettez
Avec bonne grâce perdez.
Louez toutes ses contenances 8119
Et ses atours et ses semblances;
Toujours de tout votre pouvoir
Servez-le; s'il se veut asseoir,
Apportez-lui carré ou selle;
Mieux en ira votre querelle.
Si sur elle venez à voir
Quelque grain de poussière choir,
Otez-le dessus votre amie,
Quand même il n'y en aurait mie.
Et si sa robe traîne trop,
Soulevez-la vite aussitôt.
Bref, autant que pourrez le faire,
Faites tout ce qui peut lui plaire.
Si vous suivez bien mes avis,
Vous ne serez arrière mis,
Mais viendrez où votre âme aspire,
Comme je viens de vous le dire.
* * * * *
Stephandra- Dans l'autre monde
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Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Comment l'Amant monstre à Amis
Devant lui ses trois ennemis,
Et dît que tost le temps viendra
Qu'au juge d'eulx se complaindra.
Dous amis, qu'est-ce que vous dites?
Nus hons, s'il n'est faus ypocrites,
Ne feroit ceste déablie:
Onc ne fu greignor establie.
Vous volés que j'oneure et serve
Ceste gent qui est fauce et serve?
Serf sunt-il et faus voirement,
Fors Bel-Acuel tant solement.
Vostre consel est-il or tiex?
Traïstres seroie mortiex,
Se servoie por decevoir:
Car bien puis dire de ce voir,
Quant ge voil les gens espier,
Ge les suel avant deffier.
Souffrés au mains que ge deffie
Male-Bouche qui si m'espie,
Ains qu'ainsinc l'aille décevant,
Ou li prie que de ce vent
Qu'il m'a levé, que il l'abate,
Ou il convient que ge le bate;
Ou, s'il li plaist, qu'il le m'amende,
Ou g'en prendrai par moi l'amende;
Ou, s'il ne vuet, que je m'en plaingne
Au juge qui l'amende en preingne.
Amis.
Compainz, compainz, ce doivent querre
Cil qui sont en aperte guerre,
Mès Male-Bouche est trop couvers,
Il n'est mie anemis ouvers,
Car quant il het ou homme ou fame,
Par derrier le blasme et diffame.
Traïstres est, Diex le honnisse!
Si rest drois que l'en le traïsse.
D'omme traïstre g'en di fi,
Puis qu'il n'a foi, point ne m'i fi.
Il het les gens où cuer dedens,
Et lor rit de bouche et de dens.
Onques tex homs ne m'abeli,
De moi se gart, et ge de li.
Drois est qui à traïr s'amort,
Qu'il ait par traïson sa mort,
Se l'en ne s'en puet autrement
Vengier plus honorablement;
Et se de li vous volés plaindre,
Li cuidiés-vous sa gengle estaindre?
Nel' porriés espoir prover,
Ne soffisans garans trover,
Et se provés l'aviés ores,
Ne se teroit-il pas encores.
Se plus provés, plus janglera,
Plus i perdrés qu'il ne fera:
S'en iert la chose plus séuë,
Et vostre honte plus créuë;
Car tex cuide abessier sa honte,
Ou vengier, qui l'acroist et monte,
De prier que soit abatus
Cil blasmes, ou qu'il soit batus.
Jà voir por ce ne l'abatroit,
Non par Diex point, qui le batroit.
Atendre qu'il le vous ament,
Noient seroit, se Diex m'ament.
Jà voir amende n'en prendroie,
Bien l'offrist, ains li pardonroie;
Et s'il i a deffiement,
Sor sains vous jur que vraiement
Bel-Acuel iert mis es aniaus,
Ars en feu, ou noiés en iaus,
Ou sera si fors enserrés,
Qu'espoir jamès ne le verrés.
Lors aurés le cuer plus dolant
Qu'onques Karles n'ot por Rolant,
Quant en Ronceval mort reçut
Par Guenelon qui les déçut.
L'Amant.
Ice ne vois-ge pas querant,
Or voise au déable le rant;
Ge le vodroie avoir pendu,
Qui si m'a mon poivre espandu.
Amis.
Compains, ne vous chaille du pendre,
Autre venjance en convient prendre:
Ne vous affiert pas tex offices,
Bien en conviengne à ces justices;
Mès par traïson le boulés,
Se mon consel croire voulés.
Comment l'Amant à son ami,
Parlant de son triple ennemi,
Dit qu'il attend l'heure propice
Pour tes appeler en justice.
C'est vous qui me parlez ainsi?
Hypocrite et faux, doux ami,
J'aurais cette idée infernale?
Onc n'en fut de plus immorale.
Fors Bel-Accueil tant seulement,
Serfs sont-ils tous et faux vraiment,
Et vous voulez qu'honore et serve
Cette gent vile et fausse et serve!
C'est vous qui donnez conseil tel!
Je serais traître et criminel
Si le servais par duperie.
Toujours, et je m'en glorifie,
Quand je veux les gens épier,
Je vais d'abord les défier.
Souffrez au moins que je défie
Ce Malebouche qui m'épie,
Avant d'aller le décevant,
Ou que lui dise que ce vent
Par lui soulevé, qu'il l'abatte,
Ou qu'il convient que je le batte;
Ou s'amende à moi, s'il lui plaît,
Et l'amende pour moi serait,
Ou s'il ne veut, que je m'en plaigne
Au juge qui l'amende prenne.
Ami.
Cela serait bon, compagnon,
Contre ennemi loyal et bon;
Mais ce Malebouche est trop lâche,
C'est un ennemi qui se cache,
Et quand un homme ou femme hait
Par derrière les compromet.
C'est un traître, Dieu le honnisse!
Donc il est droit qu'on le trahisse;
Il hait les hommes au dedans
Et rit de la bouche et des dents.
D'un traître point ne me soucie,
Puisqu'il n'a foi, point ne m'y fie.
Nul traître ne fut mon ami,
De moi se garde et moi de lui.
Ma foi, je trouve bon qu'un traître
Par trahison trouve son maître,
Si l'on ne s'en peut autrement
Venger plus honorablement.
Quand vous iriez de lui vous plaindre,
Croyez-vous son caquet éteindre?
D'ailleurs ne le sauriez prouver
Ni témoins suffisants trouver,
Et cent preuves pourriez-vous faire
Qu'il ne saurait encore se taire;
Plus prouverez, plus il dira,
Plus y perdrez qu'il ne fera.
Mieux serait la chose connue
Et votre honte encore accrue;
Car tel croit sa honte amoindrir
Ou venger, qui la fait grandir,
En voulant par justice abattre
Le mensonge ou le menteur battre.
Voire, pour Dieu, point n'abattrait
Le mal, celui qui le battrait.
Attendre qu'à vous il s'amende
Serait sottise, Dieu m'entende!
L'amende même n'en prendrais,
Lui l'offrant, mais pardonnerais;
Et si défi lui voulez faire,
Grands saints! sera, c'est chose claire,
Bel-Accueil de chaînes lié,
Au feu brûlé, dans l'eau noyé,
Ou mis en prison si profonde
Que plus ne le verrez au monde.
Lors aurez le coeur plus dolent
Que Charlemagne quand Roland
A Roncevaux perdit la vie
De Gannelon par l'infamie.
L'Amant.
Ce n'est pas là ce que je veux.
Or aille au diable le boiteux!
Je voudrais ce fol mener pendre
Qui fit mon poivre ainsi répandre.
Ami.
Pourquoi le pendre, compagnon?
Autre vengeance cherchez donc.
A vous ne convient tel office,
C'est le lot des gens de justice;
Mais trompez-le par trahison,
Et rangez-vous à ma raison.
Devant lui ses trois ennemis,
Et dît que tost le temps viendra
Qu'au juge d'eulx se complaindra.
Dous amis, qu'est-ce que vous dites?
Nus hons, s'il n'est faus ypocrites,
Ne feroit ceste déablie:
Onc ne fu greignor establie.
Vous volés que j'oneure et serve
Ceste gent qui est fauce et serve?
Serf sunt-il et faus voirement,
Fors Bel-Acuel tant solement.
Vostre consel est-il or tiex?
Traïstres seroie mortiex,
Se servoie por decevoir:
Car bien puis dire de ce voir,
Quant ge voil les gens espier,
Ge les suel avant deffier.
Souffrés au mains que ge deffie
Male-Bouche qui si m'espie,
Ains qu'ainsinc l'aille décevant,
Ou li prie que de ce vent
Qu'il m'a levé, que il l'abate,
Ou il convient que ge le bate;
Ou, s'il li plaist, qu'il le m'amende,
Ou g'en prendrai par moi l'amende;
Ou, s'il ne vuet, que je m'en plaingne
Au juge qui l'amende en preingne.
Amis.
Compainz, compainz, ce doivent querre
Cil qui sont en aperte guerre,
Mès Male-Bouche est trop couvers,
Il n'est mie anemis ouvers,
Car quant il het ou homme ou fame,
Par derrier le blasme et diffame.
Traïstres est, Diex le honnisse!
Si rest drois que l'en le traïsse.
D'omme traïstre g'en di fi,
Puis qu'il n'a foi, point ne m'i fi.
Il het les gens où cuer dedens,
Et lor rit de bouche et de dens.
Onques tex homs ne m'abeli,
De moi se gart, et ge de li.
Drois est qui à traïr s'amort,
Qu'il ait par traïson sa mort,
Se l'en ne s'en puet autrement
Vengier plus honorablement;
Et se de li vous volés plaindre,
Li cuidiés-vous sa gengle estaindre?
Nel' porriés espoir prover,
Ne soffisans garans trover,
Et se provés l'aviés ores,
Ne se teroit-il pas encores.
Se plus provés, plus janglera,
Plus i perdrés qu'il ne fera:
S'en iert la chose plus séuë,
Et vostre honte plus créuë;
Car tex cuide abessier sa honte,
Ou vengier, qui l'acroist et monte,
De prier que soit abatus
Cil blasmes, ou qu'il soit batus.
Jà voir por ce ne l'abatroit,
Non par Diex point, qui le batroit.
Atendre qu'il le vous ament,
Noient seroit, se Diex m'ament.
Jà voir amende n'en prendroie,
Bien l'offrist, ains li pardonroie;
Et s'il i a deffiement,
Sor sains vous jur que vraiement
Bel-Acuel iert mis es aniaus,
Ars en feu, ou noiés en iaus,
Ou sera si fors enserrés,
Qu'espoir jamès ne le verrés.
Lors aurés le cuer plus dolant
Qu'onques Karles n'ot por Rolant,
Quant en Ronceval mort reçut
Par Guenelon qui les déçut.
L'Amant.
Ice ne vois-ge pas querant,
Or voise au déable le rant;
Ge le vodroie avoir pendu,
Qui si m'a mon poivre espandu.
Amis.
Compains, ne vous chaille du pendre,
Autre venjance en convient prendre:
Ne vous affiert pas tex offices,
Bien en conviengne à ces justices;
Mès par traïson le boulés,
Se mon consel croire voulés.
Comment l'Amant à son ami,
Parlant de son triple ennemi,
Dit qu'il attend l'heure propice
Pour tes appeler en justice.
C'est vous qui me parlez ainsi?
Hypocrite et faux, doux ami,
J'aurais cette idée infernale?
Onc n'en fut de plus immorale.
Fors Bel-Accueil tant seulement,
Serfs sont-ils tous et faux vraiment,
Et vous voulez qu'honore et serve
Cette gent vile et fausse et serve!
C'est vous qui donnez conseil tel!
Je serais traître et criminel
Si le servais par duperie.
Toujours, et je m'en glorifie,
Quand je veux les gens épier,
Je vais d'abord les défier.
Souffrez au moins que je défie
Ce Malebouche qui m'épie,
Avant d'aller le décevant,
Ou que lui dise que ce vent
Par lui soulevé, qu'il l'abatte,
Ou qu'il convient que je le batte;
Ou s'amende à moi, s'il lui plaît,
Et l'amende pour moi serait,
Ou s'il ne veut, que je m'en plaigne
Au juge qui l'amende prenne.
Ami.
Cela serait bon, compagnon,
Contre ennemi loyal et bon;
Mais ce Malebouche est trop lâche,
C'est un ennemi qui se cache,
Et quand un homme ou femme hait
Par derrière les compromet.
C'est un traître, Dieu le honnisse!
Donc il est droit qu'on le trahisse;
Il hait les hommes au dedans
Et rit de la bouche et des dents.
D'un traître point ne me soucie,
Puisqu'il n'a foi, point ne m'y fie.
Nul traître ne fut mon ami,
De moi se garde et moi de lui.
Ma foi, je trouve bon qu'un traître
Par trahison trouve son maître,
Si l'on ne s'en peut autrement
Venger plus honorablement.
Quand vous iriez de lui vous plaindre,
Croyez-vous son caquet éteindre?
D'ailleurs ne le sauriez prouver
Ni témoins suffisants trouver,
Et cent preuves pourriez-vous faire
Qu'il ne saurait encore se taire;
Plus prouverez, plus il dira,
Plus y perdrez qu'il ne fera.
Mieux serait la chose connue
Et votre honte encore accrue;
Car tel croit sa honte amoindrir
Ou venger, qui la fait grandir,
En voulant par justice abattre
Le mensonge ou le menteur battre.
Voire, pour Dieu, point n'abattrait
Le mal, celui qui le battrait.
Attendre qu'à vous il s'amende
Serait sottise, Dieu m'entende!
L'amende même n'en prendrais,
Lui l'offrant, mais pardonnerais;
Et si défi lui voulez faire,
Grands saints! sera, c'est chose claire,
Bel-Accueil de chaînes lié,
Au feu brûlé, dans l'eau noyé,
Ou mis en prison si profonde
Que plus ne le verrez au monde.
Lors aurez le coeur plus dolent
Que Charlemagne quand Roland
A Roncevaux perdit la vie
De Gannelon par l'infamie.
L'Amant.
Ce n'est pas là ce que je veux.
Or aille au diable le boiteux!
Je voudrais ce fol mener pendre
Qui fit mon poivre ainsi répandre.
Ami.
Pourquoi le pendre, compagnon?
Autre vengeance cherchez donc.
A vous ne convient tel office,
C'est le lot des gens de justice;
Mais trompez-le par trahison,
Et rangez-vous à ma raison.
Stephandra- Dans l'autre monde
- Nombre de messages : 16007
Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
L'Amant.
Compains, à ce consel m'acort,
Jà n'istrai mès de cest acort;
Neporquant se vous séussiés
Aucun art dont vous péussiés
Controver aucune maniere
Du chastel prendre plus legiere,
Ge la vodroie bien entendre,
Se la me voliés aprendre.
Amis.
Oïl, ung chemin bel et gent,
Mès il n'est preus à povres gent.
Compains, au chastel desconfire,
Puet-l'en bien plus brief voie eslire
Sans mon art et sans ma doctrine,
Et rompre jusqu'en la racine
La forteresse de venuë;
Jà n'i aurait porte tenuë,
Tretuit se lesseroient prendre,
N'est riens qui les péust deffendre;
Nus n'i oseroit mot sonner.
Le chemin a non Trop-Donner;
Fole-Largesce le fonda,
Qui mains amans i afonda.
Ge congnois trop bien le sentier,
Car ge m'en issi avant ier,
Et pelerins i ai esté
Plus d'ung iver et d'ung esté.
Largesce lesserés à destre,
Et tornerez à main senestre;
Vous n'aurés jà plus d'une archie
La sente batuë et marchie,
Sans point user vostre soler,
Que vous verrés les murs croler,
Et chanceler tors et torneles,
Jà tant ne seront fors ne beles,
Et tout par eus ovrir les portes,
Por noient fussent les gens mortes.
De cele part est li chastiaus
Si fiébles, qu'uns rostis gastiaus
Est plus fors à partir en quatre,
Que ne sunt li murs à abatre:
Par-là seroit-il pris tantost.
Il n'i conviendroit jà grant ost
Comme il feroit à Charlemaigne,
S'il voloit conquerre Alemaigne.
En ce chemin, mien escientre,
Povres hons nule fois n'i entre;
Nus n'i puet povre homme mener,
Nus par soi n'i puet assener;
Mès qui dedens mené l'auroit,
Maintenant le chemin sauroit
Autresinc bien cum ge sauroie,
Jà si bien apris ne l'auroie:
Et s'il vous plest, vous le saurés,
Car assés tost appris l'aurés,
Se sans plus poés grant avoir
Por despens outrageus avoir.
Mès ge ne vous i menrai pas,
Povreté m'a véé le pas,
A l'issir le me deffendi.
Quanque j'avoie i despendi,
Et quanque de l'autrui reçui;
Tous mes créanciers en déçui,
Si que ge n'en poi nus paier,
S'en me devoit pendre ou noier.
N'i venés, dist-ele, jamès,
Puis qu'à despendre n'i a mès.
Vous i enterrés à grant poine,
Se Richesce ne vous y moine;
Mès à tous ceus qu'ele i conduit
Au retorner lor griève et nuit.
A l'aler o vous se tenra,
Mès jà ne vous en ramenra;
Et de tant soiés asséur,
Se ens entrés par nul éur,
Jà n'en istrés ne soir ne main,
Se Povreté n'i met la main,
Par qui sunt en destresce maint.
Dedens Fole-Largesce maint,
Qui ne pense à riens fors à geus,
Et à despens faire outrageus:
El despent ausinc ses deniers
Cum s'el les puisast en greniers,
Sans conter et sans mesurer,
Combien que ce doie durer.
* * * * *
Compains, à ce consel m'acort,
Jà n'istrai mès de cest acort;
Neporquant se vous séussiés
Aucun art dont vous péussiés
Controver aucune maniere
Du chastel prendre plus legiere,
Ge la vodroie bien entendre,
Se la me voliés aprendre.
Amis.
Oïl, ung chemin bel et gent,
Mès il n'est preus à povres gent.
Compains, au chastel desconfire,
Puet-l'en bien plus brief voie eslire
Sans mon art et sans ma doctrine,
Et rompre jusqu'en la racine
La forteresse de venuë;
Jà n'i aurait porte tenuë,
Tretuit se lesseroient prendre,
N'est riens qui les péust deffendre;
Nus n'i oseroit mot sonner.
Le chemin a non Trop-Donner;
Fole-Largesce le fonda,
Qui mains amans i afonda.
Ge congnois trop bien le sentier,
Car ge m'en issi avant ier,
Et pelerins i ai esté
Plus d'ung iver et d'ung esté.
Largesce lesserés à destre,
Et tornerez à main senestre;
Vous n'aurés jà plus d'une archie
La sente batuë et marchie,
Sans point user vostre soler,
Que vous verrés les murs croler,
Et chanceler tors et torneles,
Jà tant ne seront fors ne beles,
Et tout par eus ovrir les portes,
Por noient fussent les gens mortes.
De cele part est li chastiaus
Si fiébles, qu'uns rostis gastiaus
Est plus fors à partir en quatre,
Que ne sunt li murs à abatre:
Par-là seroit-il pris tantost.
Il n'i conviendroit jà grant ost
Comme il feroit à Charlemaigne,
S'il voloit conquerre Alemaigne.
En ce chemin, mien escientre,
Povres hons nule fois n'i entre;
Nus n'i puet povre homme mener,
Nus par soi n'i puet assener;
Mès qui dedens mené l'auroit,
Maintenant le chemin sauroit
Autresinc bien cum ge sauroie,
Jà si bien apris ne l'auroie:
Et s'il vous plest, vous le saurés,
Car assés tost appris l'aurés,
Se sans plus poés grant avoir
Por despens outrageus avoir.
Mès ge ne vous i menrai pas,
Povreté m'a véé le pas,
A l'issir le me deffendi.
Quanque j'avoie i despendi,
Et quanque de l'autrui reçui;
Tous mes créanciers en déçui,
Si que ge n'en poi nus paier,
S'en me devoit pendre ou noier.
N'i venés, dist-ele, jamès,
Puis qu'à despendre n'i a mès.
Vous i enterrés à grant poine,
Se Richesce ne vous y moine;
Mès à tous ceus qu'ele i conduit
Au retorner lor griève et nuit.
A l'aler o vous se tenra,
Mès jà ne vous en ramenra;
Et de tant soiés asséur,
Se ens entrés par nul éur,
Jà n'en istrés ne soir ne main,
Se Povreté n'i met la main,
Par qui sunt en destresce maint.
Dedens Fole-Largesce maint,
Qui ne pense à riens fors à geus,
Et à despens faire outrageus:
El despent ausinc ses deniers
Cum s'el les puisast en greniers,
Sans conter et sans mesurer,
Combien que ce doie durer.
* * * * *
L'Amant.
A vos conseils, Ami, me range,
Ne craignez plus que mon coeur change.
Mais cependant, si vous saviez
Aucun art par quoi vous puissiez
Imaginer quelque autre mode
Du castel prendre plus commode,
Je l'ouïrais bien volontiers
Si me l'apprendre consentiez.
Ami.
Je sais route gente et joyeuse,
Mais à pauvres gens dangereuse.
Ami, pour le fort conquérir,
Plus brève route on peut choisir,
Sans mon art et sans ma doctrine,
Et rompre jusqu'à la racine
La forteresse en un moment
Et les portes incontinent
Forcer; tous se laisseraient prendre
Et rien n'est qui les pût défendre.
Nul n'oserait un mot sonner.
Cette route a nom Trop-Donner;
Jadis la fit Folle-Largesse
Où maint amant en grand' détresse
Sombra; je connais ce sentier,
Car j'en sortis avant-hier,
Et j'y fis maint pèlerinage,
Hiver comme été, maint voyage.
Largesse à droite laisserez,
Puis à main gauche tournerez.
Environ un jet d'arbalète
Suivez la sente large et nette,
Et, sans vos souliers écorcher,
Vous verrez murailles pencher
Et chanceler tours et tourelles,
Tant hautes et fortes soient-elles,
Et les portes soudain s'ouvrir.
Pour néant vous verriez mourir
Tous les défenseurs de la place;
Car de ce côté, quoi qu'on fasse,
Est si faible ce fort château,
Que le moindre rôti gâteau
Est plus dur à couper en quatre
Que ne sont ces murs à abattre.
Par là serait-il pris tantôt,
Et n'y conviendrait si grand ost
Qu'il n'en fallut à Charlemagne
Allant conquérir l'Allemagne.
En cette route, je le sais,
Pauvre homme ne passe jamais,
Seul ne s'y peut même introduire,
Nul pauvre ne l'y peut conduire.
Mais si quelqu'un mené l'avait,
Aussi bien la route il saurait
Que moi, qui par expérience
Jadis l'appris dans mon enfance.
Et s'il vous plaît, vous la saurez,
Car apprise assez tôt l'aurez,
Si possédez grandes richesses
A faire excessives largesses.
Mais je n'y puis guider vos pas
Car Pauvreté ne le veut pas,
Et m'a défendu le passage;
J'ai gaspillé mon héritage,
Ce que j'avais d'autrui reçu,
Tous mes créanciers j'ai déçu
Sans pouvoir un denier leur rendre,
Me devrait-on noyer ou pendre.
«De revenir gardez-vous bien,
Dit-elle, si n'avez plus rien.»
Là vous entrerez à grand' peine
Si richesse ne vous y mène,
Mais à tous ceux qu'elle y conduit
Au retour fait grand mal et nuit;
En allant, près de vous se peine,
Mais jamais ne vous en ramène,
Et si par bonheur vous entrez,
Soir ni matin n'en sortirez,
Ayez-en, Ami, l'assurance,
Que Pauvreté ne vous relance
Qui plonge en malheur maints amants.
Folle-Largesse là-dedans
Reste et mène joyeuse vie,
Dépens outrés et chère lie,
Et là prodigue ses deniers
Comme puisant à pleins greniers,
Sans calcul comme sans mesure,
Pensant que l'argent toujours dure.
* * * * *
A vos conseils, Ami, me range,
Ne craignez plus que mon coeur change.
Mais cependant, si vous saviez
Aucun art par quoi vous puissiez
Imaginer quelque autre mode
Du castel prendre plus commode,
Je l'ouïrais bien volontiers
Si me l'apprendre consentiez.
Ami.
Je sais route gente et joyeuse,
Mais à pauvres gens dangereuse.
Ami, pour le fort conquérir,
Plus brève route on peut choisir,
Sans mon art et sans ma doctrine,
Et rompre jusqu'à la racine
La forteresse en un moment
Et les portes incontinent
Forcer; tous se laisseraient prendre
Et rien n'est qui les pût défendre.
Nul n'oserait un mot sonner.
Cette route a nom Trop-Donner;
Jadis la fit Folle-Largesse
Où maint amant en grand' détresse
Sombra; je connais ce sentier,
Car j'en sortis avant-hier,
Et j'y fis maint pèlerinage,
Hiver comme été, maint voyage.
Largesse à droite laisserez,
Puis à main gauche tournerez.
Environ un jet d'arbalète
Suivez la sente large et nette,
Et, sans vos souliers écorcher,
Vous verrez murailles pencher
Et chanceler tours et tourelles,
Tant hautes et fortes soient-elles,
Et les portes soudain s'ouvrir.
Pour néant vous verriez mourir
Tous les défenseurs de la place;
Car de ce côté, quoi qu'on fasse,
Est si faible ce fort château,
Que le moindre rôti gâteau
Est plus dur à couper en quatre
Que ne sont ces murs à abattre.
Par là serait-il pris tantôt,
Et n'y conviendrait si grand ost
Qu'il n'en fallut à Charlemagne
Allant conquérir l'Allemagne.
En cette route, je le sais,
Pauvre homme ne passe jamais,
Seul ne s'y peut même introduire,
Nul pauvre ne l'y peut conduire.
Mais si quelqu'un mené l'avait,
Aussi bien la route il saurait
Que moi, qui par expérience
Jadis l'appris dans mon enfance.
Et s'il vous plaît, vous la saurez,
Car apprise assez tôt l'aurez,
Si possédez grandes richesses
A faire excessives largesses.
Mais je n'y puis guider vos pas
Car Pauvreté ne le veut pas,
Et m'a défendu le passage;
J'ai gaspillé mon héritage,
Ce que j'avais d'autrui reçu,
Tous mes créanciers j'ai déçu
Sans pouvoir un denier leur rendre,
Me devrait-on noyer ou pendre.
«De revenir gardez-vous bien,
Dit-elle, si n'avez plus rien.»
Là vous entrerez à grand' peine
Si richesse ne vous y mène,
Mais à tous ceux qu'elle y conduit
Au retour fait grand mal et nuit;
En allant, près de vous se peine,
Mais jamais ne vous en ramène,
Et si par bonheur vous entrez,
Soir ni matin n'en sortirez,
Ayez-en, Ami, l'assurance,
Que Pauvreté ne vous relance
Qui plonge en malheur maints amants.
Folle-Largesse là-dedans
Reste et mène joyeuse vie,
Dépens outrés et chère lie,
Et là prodigue ses deniers
Comme puisant à pleins greniers,
Sans calcul comme sans mesure,
Pensant que l'argent toujours dure.
* * * * *
Stephandra- Dans l'autre monde
- Nombre de messages : 16007
Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Comment Povreté fait requestes
A Richesce moult deshonnestes,
Qui riens ne prise tous ses ditz,
Mais de tout l'a fait esconditz.
Povreté maint à l'autre chief,
Plaine de honte et de meschief,
Qui trop sueffre au cuer grant moleste.
Et fait si honteuse requeste,
Et tant ot de durs escondis,
Et n'a ne bons faits, ne bons dis,
Ne delitables, ne plesans.
Jà ne sera si bien fesans,
Que chascuns ses ovres ne blasme;
Chascun la viltoie et mesame.
Mès de Povreté ne vous chaille,
Fors de penser, comment qu'il aille,
Comment la porrés eschever.
Riens ne puet tant homme grever,
Comme chéoir en povreté:
Ce sevent bien li endeté
Qui tout le lor ont despendu;
Maint ont esté por li pendu.
Bien le resevent cil et dient
Qui contre lor voloir mendient;
Moult lor convient soffrir dolor,
Ains que gens lor doignent du lor.
Ausinc le doivent cil savoir
Qui d'amors vuelent joie avoir:
Car povre n'a dont s'amor pesse,
Si cum Ovide le confesse.
Povreté fait homme despire,
Et haïr et vivre à martire,
E tolt au sage neis le sen.
Por Diex, compains, gardés-vous en,
Et vous efforciez bien de croire
Ma parole esprovée et voire;
Que j'ai, ce sachiés, esprové
Et par experiment trové,
Néis en ma propre personne,
Tretout quanque je vous sermonne.
Si sai miex que povreté monte,
Par ma mesese et par ma honte,
Biaus compains, que vous ne savés,
Qui tant sofferte ne l'avés.
Si vous devés en moi fier,
Car gel' di por vous chastier:
Moult a benéurée vie
Cil qui par autri se chastie.
Vaillans hons suel estre clamés,
Et de tous compaignons amés,
Et despendoie liement
En tous leus plus que largement,
Tant cum fui riches hons tenus:
Or sui si povres devenus
Par les despens Fole-Largesce,
Qui m'a mis en ceste destresce,
Que ge n'ai fors à grant dangier,
Ne que boivre, ne que mangier,
Ne que chaucier, ne que vestir,
Tant me set danter et mestir
Povreté qui tout ami tolt.
Et sachiés, compains, que sitost
Comme Fortune m'ot ça mis,
Je perdi trestous mes amis,
Fors ung, ce croi ge vraiement,
Qui m'est remès tant solement.
Fortune ainsinc les me toli
Par Povreté qui vint o li:
Toli? par foi non fist, ge ment,
Ains prist ses choses proprement:
Car de voir sai que se miens fussent,
Jà por li lessié ne m'éussent.
De riens donc vers moi ne mesprist,
Quant ses amis méismes prist:
Siens, voire, mès riens n'en savoie,
Car tant achatés les avoie
De cuer et de cors et d'avoir,
Que les cuidoic tous avoir.
Mès quant ce vint au derrenier,
Je n'oi pas vaillant ung denier,
Et quant en ce point me sentirent,
Tuit cil amis si s'enfoïrent,
Et me firent trestuit la moë
Quant il me virent sous la roë
De Fortune envers abatu,
Tant m'a par Povreté batu.
Si ne m'en doi-ge mie plaindre,
Qu'el m'a fait cortoisie graindre
Qu'onques n'oi vers li deservi:
Car entor moi si très-cler vi,
Tant m'oint les yex d'un fin colire,
Qu'el m'ot fait bastir et confire,
Si-tost comme Povreté vint,
Qui d'amis m'osta plus de vingt;
Voire certes, que ge ne mente,
Plus de quatre cens et cinquente.
Oncs linz, se ses iex i méist,
Ce que ge vi pas ne véist:
Car Fortune tantost en place
La bonne amor à plaine face,
De mon bon ami me monstra,
Par Povreté qui m'encontra;
Onc ne l'éusse congnéu,
Se mon besoing n'éust véu.
Mès quant le sot, il acorut,
Et quanqu'il pot me secorut,
Et tout m'offrit quanqu'il avoit,
Por ce que mon besoing savoit.
* * * * *
A Richesce moult deshonnestes,
Qui riens ne prise tous ses ditz,
Mais de tout l'a fait esconditz.
Povreté maint à l'autre chief,
Plaine de honte et de meschief,
Qui trop sueffre au cuer grant moleste.
Et fait si honteuse requeste,
Et tant ot de durs escondis,
Et n'a ne bons faits, ne bons dis,
Ne delitables, ne plesans.
Jà ne sera si bien fesans,
Que chascuns ses ovres ne blasme;
Chascun la viltoie et mesame.
Mès de Povreté ne vous chaille,
Fors de penser, comment qu'il aille,
Comment la porrés eschever.
Riens ne puet tant homme grever,
Comme chéoir en povreté:
Ce sevent bien li endeté
Qui tout le lor ont despendu;
Maint ont esté por li pendu.
Bien le resevent cil et dient
Qui contre lor voloir mendient;
Moult lor convient soffrir dolor,
Ains que gens lor doignent du lor.
Ausinc le doivent cil savoir
Qui d'amors vuelent joie avoir:
Car povre n'a dont s'amor pesse,
Si cum Ovide le confesse.
Povreté fait homme despire,
Et haïr et vivre à martire,
E tolt au sage neis le sen.
Por Diex, compains, gardés-vous en,
Et vous efforciez bien de croire
Ma parole esprovée et voire;
Que j'ai, ce sachiés, esprové
Et par experiment trové,
Néis en ma propre personne,
Tretout quanque je vous sermonne.
Si sai miex que povreté monte,
Par ma mesese et par ma honte,
Biaus compains, que vous ne savés,
Qui tant sofferte ne l'avés.
Si vous devés en moi fier,
Car gel' di por vous chastier:
Moult a benéurée vie
Cil qui par autri se chastie.
Vaillans hons suel estre clamés,
Et de tous compaignons amés,
Et despendoie liement
En tous leus plus que largement,
Tant cum fui riches hons tenus:
Or sui si povres devenus
Par les despens Fole-Largesce,
Qui m'a mis en ceste destresce,
Que ge n'ai fors à grant dangier,
Ne que boivre, ne que mangier,
Ne que chaucier, ne que vestir,
Tant me set danter et mestir
Povreté qui tout ami tolt.
Et sachiés, compains, que sitost
Comme Fortune m'ot ça mis,
Je perdi trestous mes amis,
Fors ung, ce croi ge vraiement,
Qui m'est remès tant solement.
Fortune ainsinc les me toli
Par Povreté qui vint o li:
Toli? par foi non fist, ge ment,
Ains prist ses choses proprement:
Car de voir sai que se miens fussent,
Jà por li lessié ne m'éussent.
De riens donc vers moi ne mesprist,
Quant ses amis méismes prist:
Siens, voire, mès riens n'en savoie,
Car tant achatés les avoie
De cuer et de cors et d'avoir,
Que les cuidoic tous avoir.
Mès quant ce vint au derrenier,
Je n'oi pas vaillant ung denier,
Et quant en ce point me sentirent,
Tuit cil amis si s'enfoïrent,
Et me firent trestuit la moë
Quant il me virent sous la roë
De Fortune envers abatu,
Tant m'a par Povreté batu.
Si ne m'en doi-ge mie plaindre,
Qu'el m'a fait cortoisie graindre
Qu'onques n'oi vers li deservi:
Car entor moi si très-cler vi,
Tant m'oint les yex d'un fin colire,
Qu'el m'ot fait bastir et confire,
Si-tost comme Povreté vint,
Qui d'amis m'osta plus de vingt;
Voire certes, que ge ne mente,
Plus de quatre cens et cinquente.
Oncs linz, se ses iex i méist,
Ce que ge vi pas ne véist:
Car Fortune tantost en place
La bonne amor à plaine face,
De mon bon ami me monstra,
Par Povreté qui m'encontra;
Onc ne l'éusse congnéu,
Se mon besoing n'éust véu.
Mès quant le sot, il acorut,
Et quanqu'il pot me secorut,
Et tout m'offrit quanqu'il avoit,
Por ce que mon besoing savoit.
* * * * *
Comment Pauvreté fait requête
A Richesse moult déshonnête
Qui rien ne prise tout son dit
Et sans pitié vous reconduit.
Pauvreté demeure à l'arrière
Pleine de honte et de misère,
Le coeur d'affliction broyé
Et morne implorant la pitié;
Mais durement on la repousse.
Jamais une parole douce,
Un mot délectable et plaisant;
Elle n'ira si bien faisant
Que chacun ses oeuvres ne blâme,
Ne la méprise et ne l'infâme.
Or ne songez à Pauvreté
Que pour telle calamité
Éviter de toute manière;
Car il n'est ici-bas misère
Telle que choir en pauvreté.
Ce n'ignore pas l'endetté
Qui ses biens gaspilla d'enfance,
Maints elle mène à la potence;
Bien le savent, bien le diront
Ceux qui mendiant leur pain vont,
Ils endurent moult grand' souffrance
Avant d'obtenir allégeance.
L'Amant le doit aussi savoir
Qui d'amour veut plaisir avoir.
Le pauvre, Ovide le confesse,
N'a rien dont son amour repaisse.
Pauvreté fait homme haïr,
Mépriser, martyre souffrir,
Lui prend jusqu'à l'intelligence.
Croyez-en mon expérience,
Ami, pour Dieu, gardez-vous-en;
Je n'éprouvai que trop souvent,
Hélas! sur ma propre personne
Tout ce qu'ici je vous sermonne,
Et je sais mieux, beau compagnon,
Que vous, par mon abjection,
Ce que Pauvreté nous réserve.
Que Dieu longtemps nous en préserve!
Or, fiez-vous à mes avis,
Pour vous instruire je le dis,
Et moult a bienheureuse vie
Qui par autrui se fortifie.
J'étais pour vaillant renommé
Et de cent compagnons aimé
Tant que je fis large dépense,
Gaîment coulant mon existence,
Tant que je fus riche tenu;
Or je suis pauvre devenu
Des oeuvres de Folle-Largesse,
Qui m'a mis en telle détresse
Que je n'ai, fors à grand danger,
Ni que boire, ni que manger,
Humble vêtement ni chaussure,
Tellement m'accable et torture
Pauvreté qui prend nos amis.
Car, sache-le, quand m'eut là mis,
Compagnon, la male Fortune,
Tous, sans exception aucune,
Je les perdis, sauf un vraiment
Qui m'est demeuré seulement.
Ainsi tous les prit la cruelle,
Pauvreté traînant après elle.
Je mens; elle ne me prit rien;
Ce qu'elle prit était son bien.
Car si tous ces amis miens fussent,
Jamais ainsi laissé ne m'eussent;
Donc nul dommage ne me fit
Lorsque ses amis me reprit.
Oui, siens; et dans mon ignorance,
Moi qui de coeur et de finance
Si cher achetés les avais,
Tous bien à moi je les croyais.
Mais, à la fin, de moi s'enfuirent
Tous ces amis, quand ils sentirent
Que n'avais plus un seul denier;
Tous ces ingrats, jusqu'au dernier,
Tous me firent soudain la moue,
Quand ils me virent sous la roue
De Fortune à l'envers jeté,
Tant me battit par Pauvreté.
Mais j'ai tort de me plaindre d'elle,
Qui m'octroya faveur plus belle
Que jamais ne le méritai.
Lors je vis clair, en vérité,
Tant elle oignit d'un fin collyre
Qu'elle avait pour moi fait confire,
Mes yeux, dès que Pauvreté vint,
Qui m'ôta d'amis plus de vingt,
Voire certe, à moins que je mente,
Plus de quatre cents et cinquante.
Oncques lynx, à l'oeil si perçant,
Ne fut plus que moi clairvoyant;
Car Fortune dans ma disgrâce
La bonne amour à pleine face
De mon bon ami me montra
Par Pauvreté qui me navra.
Jamais n'aurais su sa tendresse
S'il n'eût découvert ma détresse;
Mais aussitôt il accourut,
Tant qu'il pouvait me secourut
Et m'offrit, pour calmer ma peine,
Tretout son avoir à main pleine.
* * * * *
A Richesse moult déshonnête
Qui rien ne prise tout son dit
Et sans pitié vous reconduit.
Pauvreté demeure à l'arrière
Pleine de honte et de misère,
Le coeur d'affliction broyé
Et morne implorant la pitié;
Mais durement on la repousse.
Jamais une parole douce,
Un mot délectable et plaisant;
Elle n'ira si bien faisant
Que chacun ses oeuvres ne blâme,
Ne la méprise et ne l'infâme.
Or ne songez à Pauvreté
Que pour telle calamité
Éviter de toute manière;
Car il n'est ici-bas misère
Telle que choir en pauvreté.
Ce n'ignore pas l'endetté
Qui ses biens gaspilla d'enfance,
Maints elle mène à la potence;
Bien le savent, bien le diront
Ceux qui mendiant leur pain vont,
Ils endurent moult grand' souffrance
Avant d'obtenir allégeance.
L'Amant le doit aussi savoir
Qui d'amour veut plaisir avoir.
Le pauvre, Ovide le confesse,
N'a rien dont son amour repaisse.
Pauvreté fait homme haïr,
Mépriser, martyre souffrir,
Lui prend jusqu'à l'intelligence.
Croyez-en mon expérience,
Ami, pour Dieu, gardez-vous-en;
Je n'éprouvai que trop souvent,
Hélas! sur ma propre personne
Tout ce qu'ici je vous sermonne,
Et je sais mieux, beau compagnon,
Que vous, par mon abjection,
Ce que Pauvreté nous réserve.
Que Dieu longtemps nous en préserve!
Or, fiez-vous à mes avis,
Pour vous instruire je le dis,
Et moult a bienheureuse vie
Qui par autrui se fortifie.
J'étais pour vaillant renommé
Et de cent compagnons aimé
Tant que je fis large dépense,
Gaîment coulant mon existence,
Tant que je fus riche tenu;
Or je suis pauvre devenu
Des oeuvres de Folle-Largesse,
Qui m'a mis en telle détresse
Que je n'ai, fors à grand danger,
Ni que boire, ni que manger,
Humble vêtement ni chaussure,
Tellement m'accable et torture
Pauvreté qui prend nos amis.
Car, sache-le, quand m'eut là mis,
Compagnon, la male Fortune,
Tous, sans exception aucune,
Je les perdis, sauf un vraiment
Qui m'est demeuré seulement.
Ainsi tous les prit la cruelle,
Pauvreté traînant après elle.
Je mens; elle ne me prit rien;
Ce qu'elle prit était son bien.
Car si tous ces amis miens fussent,
Jamais ainsi laissé ne m'eussent;
Donc nul dommage ne me fit
Lorsque ses amis me reprit.
Oui, siens; et dans mon ignorance,
Moi qui de coeur et de finance
Si cher achetés les avais,
Tous bien à moi je les croyais.
Mais, à la fin, de moi s'enfuirent
Tous ces amis, quand ils sentirent
Que n'avais plus un seul denier;
Tous ces ingrats, jusqu'au dernier,
Tous me firent soudain la moue,
Quand ils me virent sous la roue
De Fortune à l'envers jeté,
Tant me battit par Pauvreté.
Mais j'ai tort de me plaindre d'elle,
Qui m'octroya faveur plus belle
Que jamais ne le méritai.
Lors je vis clair, en vérité,
Tant elle oignit d'un fin collyre
Qu'elle avait pour moi fait confire,
Mes yeux, dès que Pauvreté vint,
Qui m'ôta d'amis plus de vingt,
Voire certe, à moins que je mente,
Plus de quatre cents et cinquante.
Oncques lynx, à l'oeil si perçant,
Ne fut plus que moi clairvoyant;
Car Fortune dans ma disgrâce
La bonne amour à pleine face
De mon bon ami me montra
Par Pauvreté qui me navra.
Jamais n'aurais su sa tendresse
S'il n'eût découvert ma détresse;
Mais aussitôt il accourut,
Tant qu'il pouvait me secourut
Et m'offrit, pour calmer ma peine,
Tretout son avoir à main pleine.
* * * * *
Stephandra- Dans l'autre monde
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Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Comment Amis recorde cy
A l'Amant, qu'un seul vray Amy
En sa povreté il avoit,
Qui tout son avoir lui offroit.
Amis, dist-il, fais vous savoir,
Vez-ci mon cors, vez-ci l'avoir
Où vous avés autant cum gié,
Prenés-en sans prendre congié;
Mès combien? se vous nel' savés,
Tout, se de tout mestier avés;
Car, amis, ne prise une prune
Contre ami les biens de Fortune,
Et les biens naturex méismes,
Puis que si nous entrevéismes,
Por quoi nos cuers conjoins éumes,
Que bien nous entrecongnéumes;
Car ainçois nous entr'esprovasmes,
Si que bons amis nous trovasmes;
Car nus ne set, sans esprover,
S'il puet loial ami trover.
Vous gard-ge tous jors obligiés,
Tant sunt poissans d'amor li giés;
Car moi por vostre garison
Poés, dist-il, metre en prison,
Por plevines ou por ostages,
Et mes biens vendre et metre en gages.
Ne s'en tint mie encor à tant,
Por ce qu'il ne m'allast flatant,
Ainçois m'en fist à force prendre,
Car n'i osoie la main tendre,
Tant iere maz et vergongneus,
A loi de povre besongneus,
Cui honte a si la bouche close,
Que sa mesese dire n'ose,
Mais sueffre, et s'enclost et se cache,
Que nus sa povreté ne sache,
Et monstre le plus bel dehors:
Ainsinc ge le fesoie alors.
Ce ne font pas, bien le recors,
Li mendians poissans de cors,
Qui se vont partout embatant,
Plus qu'il puéent chacun flatant,
Et le plus let dehors démonstrent
A tretous ceus qui les encontrent,
Et le plus bel dedens réponnent
Por décevoir ceus qui lor donnent;
Et vont disant que povres sont,
Et les grasses pitances ont,
Et les grans deniers en tresor.
Mès atant me tairai dès or,
Que g'en porroie bien tant dire,
Qu'il m'en iroit de mal en pire;
Car tous jors héent ypocryte
Vérité qui contre eus est dite.
Ainsinc es devant diz amis
Mon fol cuer son travail a mis;
Si sui par mon fol senz traïs,
Despis, diffamé et haïs
Sans ochoison d'autre deserte
Que de la devant dite perte
De toutes gens communément,
Fors que de vous tant solement;
Que vos amors pas ne perdés,
Mès à mon cuer vous aerdés;
Et tous jors, si cum ge le croi,
Qui d'amer vous pas ne recroi,
Se Diex plaist, vous i aerdrés;
Mès por ce que vous me perdrés,
Quant à corporel compaignie,
En ceste terrienne vie,
Quant li derreniers jors vendra,
Que Mors son drois des cors prendra,
Car icel jor, bien le recors,
Ne nous toldra fors que le cors,
Et toutes les apartenances
De par les corporex sustances;
Car ambedui, ce sai, morron
Plus-tost, espoir, que ne vorron,
Mès ce n'iert pas, espoir, ensemble,
Car Mort tous compaignons dessemble.
Si sai-ge bien certainement
Que, se loial amor ne ment,
Se vous vivez et ge moroie,
Tous jors en vostre cuer vivroie;
Et se devant moi moriés,
Tous jors où mien revivriés
Après vostre mort par mémoire,
Si cum vesquist, ce dist l'istoire,
Pyrithoüs après sa mort,
Que Theseus tant ama mort.
Tant le queroit, tant le si voit,
(Car cil dedens son cuer vivoit)
Que vis en enfer l'ala querre,
Tant l'ot amé vivant sor terre.
Et povreté fait pis que Mort:
Car ame et cors tormente et mort,
Tant cum l'ung o l'autre demore,
Non pas sans plus une sole hore;
Et lor ajoute à dampnement
Larrecin et parjurement,
Avec toutes autres durtés
Dont chascuns est griément hurtés,
Ce que mort ne vot mie faire,
Mès ainçois les en fait retraire,
Et si lor fait en son venir
Tous temporiex tormens fenir;
Et sans plus, comment que soit griéve,
En une sole hore les griéve.
Por ce, biaus compains, vous semon
Qu'il vous membre de Salemon
Qui fut roi de Gherusalen;
Car de li moult de bien a-l'en.
Il dit, et bien i prenés garde:
Biau fils, de povreté te garde
Tous les jors que tu as à vivre,
Et la cause en rent en son livre;
Car en ceste vie terrestre,
Miex vaut morir que povres estre.
Et cil qui povres apparront,
Lor propres freres les harront.
Et por la povreté douteuse,
Il parle de la souffreteuse
Que nous apelons indigence,
Qui si ses hostes desavance.
Onc si despite ne vi gens
Cum ceus que l'en voit indigens.
Por tesmoings néis les refuse
Chascuns qui de droit escript use,
Por ce qu'il sunt en loi clamé
Equipolens as diffamé.
Comment Ami rappelle ici
A l'Amant, que seul un ami
Lui fut fidèle en sa misère,
Lui offrant sa fortune entière.
Ami, dit-il, je viens vous voir;
Voici mon corps et mon avoir,
Ils sont à vous comme à moi-même,
Prenez sans crainte, je vous aime.
--Mais combien?--Si ne le savez,
Tout, si de tout besoin avez;
Ami, je ne prise une prune,
Contre ami, les biens de Fortune,
Et même les biens naturels,
Du jour où nous nous vîmes tels
Que, sitôt que nous nous connûmes,
Nos coeurs conjoints à jamais eûmes,
Et qu'après nous être éprouvés,
Bons amis nous sommes trouvés;
Car nul ne sait, s'il ne l'éprouve,
Quand un ami loyal il trouve.
Eussiez-vous pris tout ce j'ai,
Que je serais votre obligé,
Tant sont puissants, lorsque l'on s'aime,
Les liens du coeur. Car moi-même,
Dit-il, pour votre guérison,
Vous pouvez me mettre en prison
Pour caution ou pour otage,
Et mes biens vendre et mettre en gage.
Là ne s'en tint pas cet ami
Qui m'allait consolant ainsi;
Mais il m'en fit de force prendre,
Car je n'osais la main y tendre,
Tant j'étais triste et vergogneux,
Ainsi qu'un pauvre besogneux
Qui par la honte a bouche close
Et sa détresse dire n'ose,
Et montre le plus beau dehors,
Ainsi que je faisais alors,
Mais souffre et s'enferme et se cache,
Sa pauvreté pour qu'on ne sache.
Ce ne font pas les Mendiants,
Je sais, ces moines florissants
De corps, qui laids dehors se montrent
A tous les passants qu'ils rencontrent,
Et qui se vont partout glissant,
Tant qu'ils peuvent chacun flattant,
Pour décevoir ceux qui leur donnent,
Mais de tout par dedans foisonnent,
Qui vous disent que pauvres sont,
Et les grasses pitances ont
Et grands deniers cachés en terre.
Mais maintenant il faut m'en taire;
Tant du reste en dire pourrais,
Que de mal en pire choirais,
Car rien ne hait tant l'hypocrite
Que vérité contre lui dite.
Ainsi j'étais fol quand je mis
Ma confiance en ces amis.
Victime suis de ma folie,
Haï, méprisé pour la vie,
Et le seul prix de ma bonté
Fut d'être soudain rejeté
De toute la foule égoïste,
Sauf un dont l'amitié subsiste.
C'est vous qui point ne vous cachez,
Mais à mon coeur vous attachez,
Et toujours, comme je le pense,
Puisqu'il vous aime avec constance,
Plaise à Dieu! vous attacherez.
Mais, hélas! un jour vous perdrez
Ma corporelle compagnie
En cette terrienne vie,
Lorsque le dernier jour viendra
Et lorsque la Mort reprendra
Ses droits sur notre corps fragile;
Mais en ce jour la Mort agile,
Compagnon, ne nous prendra rien
Hormis le corps, je le sais bien,
Et toutes les appartenances
De nos corporelles substances;
Car tous deux, je le sais, mourrons,
Certes, plus tôt que ne voudrons.
Mais égal sort ne nous prépare
La Mort qui les amis sépare,
Et je ne doute nullement
Que, si loyal amour ne ment,
En votre coeur je ne demeure.
S'il advient que premier je meure,
Car avant moi si vous mouriez,
Toujours au mien revivriez
Après votre mort par mémoire;
Comme vécut, nous dit l'histoire,
Pirithoüs, après sa mort,
Que Thésée adorait encor.
Tant le suivait l'image chère
Qu'il aima tant sur cette terre
Et qui vivait dedans son coeur,
Qu'il l'alla chercher de douleur
Aux enfers. Pauvreté fait pire
Qui met âme et corps à martyre,
Sans même une heure de répit,
Tant que l'une avec l'autre vit,
Les pousse à damnable aventure,
Au vice, au larcin, au parjure
Et toutes les calamités
Dont les humains sont tourmentés;
Ce que la mort ne saurait faire
Puisque les en garde au contraire
Et fait pour eux, en son venir,
Tous temporels tourments finir,
Et sans plus, combien que les grève,
En une heure vous les enlève.
Pour ce, vous prierai, compagnon,
De vous rappeler Salomon,
De Jérusalem ce roi sage,
Dont nous avons maint bon adage.
Il dit: «Beau fils, en vérité,
Garde-toi bien de pauvreté
Tous les jours qu'il te reste à vivre.»
Et la cause en est en son livre:
«Oui, sur cette terre il vaut mieux
Mourir que vivre besogneux;
Car tous ceux qui pauvres paraissent
Leurs propres frères les délaissent.»
Et puis, parlant des souffreteux,
Il nous montre les pauvres honteux
Qui croupissent dans l'indigence,
Source d'éternelle souffrance.
Oncques plus misérables gens
Je ne vois que les indigents;
Pour témoins même les refuse
Chacun qui de droit écrit use,
Stephandra- Dans l'autre monde
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Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Trop est povreté lede chose;
Mes toutevois bien dire l'ose,
Que se vous aviés assés
Deniers et joiaus amassés,
Et tant donner en porriés,
Comme prometre en vorriés,
Lors coilleriés boutons et Roses,
Jà si ne seraient encloses.
Mès vous n'estes mie si riches,
Et si n'estes avers ne chiches:
Donnés donc amiablement
Biaus petis dons resnablement,
Si que n'en cheiez en poverte,
Damaige i auriés et perte:
Li plusors vous en moqueroient,
Qui de riens ne vous secorroient,
Se vous aviés le chaté
Oultre sa valeur achaté.
Il affiert bien que l'en present
De fruit novel un bel present
En toailles, ou en paniers;
De ce ne soiés jà laniers.
Pommes, poires, noiz ou cerises,
Cormes, prunes, freses, merises,
Chastaignes, coinz, figues, vinetes,
Pesches, parmains, ou alietes,
Nefles entées, ou framboises,
Beloces d'Avesnes, jorroises,
Roisins noviaus lor envoiés,
Et des meures fresches aiés,
Et se les avés achetées,
Dites que vous sunt présentées
D'ung vostre ami, de loing venues,
Tout les achatiés-vous es rues;
Ou donnés Roses vermeilletes,
Primeroles, ou violetes,
Ou biaus glaons en la seson;
En tex dons n'a pas desreson.
Sachiés que dons les gens afolent,
As mesdisans les jangles tolent:
Se mal ès donnéors savoient,
Tous les biens du monde en diroient.
Biaus dons soustiennent maint bailli
Qui fussent ore mal bailli;
Biaus dons de vins et de viandes
Ont fait donner maintes provendes;
Biaus dons si font, n'en doutés mie,
Porter tesmoing de bonne vie:
Moult tiennent par tout biau leu dons,
Qui biau don donne, il est prodons.
Dons donnent loz as donnéors,
Et empirent les prenéors,
Quant il lor naturel franchise
Obligent à autrui servise.
Que vous diroie à la parsomme?
Par don sunt pris et Diex et homme.
Compains, entendés ceste note
Que je vous amoneste et note.
Sachiés, se vous volés ce faire
Que ci m'avés oï retraire,
Li Diex d'Amors jà n'i faudra
Quant le fort chastel assaudra,
Qu'il ne vous rende sa promesse;
Car il et Venus la déesse
Tant as portiers se combatront,
Que la forterece abatront:
Si porrez lors coillir la Rose,
Jà si fort ne sera enclose.
Mès quant l'en a la chose aquise,
Si reconvient-il grant mestrise
En bien garder et sagement,
Qui joïr en vuet longuement.
Car la vertu n'est mie mendre
De bien garder et de deffendre
Les choses, quant el sunt aquises,
Que del aquerre en quelques guises.
S'est bien drois que chétis se claime
Valez, quant il pert ce qu'il aime,
Por quoi ce soit par sa defaute;
Car moult est digne chose et haute
De bien savoir garder s'amie,
Si que l'en ne la perde mie,
Méismement, quant Diex la donne
Sage, cortoise, simple et bonne,
Qui s'amor doint et point ne vende.
Car onques amor marchéande
Ne fu par fame controvée,
Fors par ribaudie provée;
N'il n'i a point d'amor, sans faille,
En fame qui por don se baille.
Tel amor fainte, Mal-Feu l'arde!
Là ne doit-l'en pas metre garde.
Si sunt-eles voir presque toutes
Convoiteuses de prendre, et gloutes
De ravir et de devorer,
Si qu'il n'i puist riens demorer,
A ceus qui plus por lor se claiment,
Et qui plus loiaument les aiment:
Car Juvenaus si nous raconte,
Qui de Berine tient son conte,
Car ils sont par la loi nommés
L'équivalent des infamés.
Trop est Pauvreté laide chose;
Mais toutefois, bien dire l'ose,
Ami, si vous aviez assez
Deniers et joyaux amassés,
Vous cueilleriez boutons et roses;
Pour vous elles ne seraient closes,
Si donner autant vous pouviez
Comme promettre voudriez.
Mais pourtant, sans être aussi riche,
Si n'êtes avare ni chiche,
Donnez-leur raisonnablement
Beaux petits dons aimablement,
Mais sans épuiser votre bourse;
Car si vous étiez sans ressource,
Personne ne vous soutiendrait,
Chacun de vous se moquerait
D'avoir payé la marchandise
Outre sa valeur, c'est sottise.
A mon avis, rien n'est plaisant
Comme de faire un beau présent,
Tel que fruits nouveaux en corbeille,
C'est un don que je vous conseille,
Figues, vinettes et marrons,
Pêches, alises, groseillons,
Pommes, poires, noix ou cerises,
Cormes, prunes, fraises, merises;
Raisins nouveaux leur envoyez,
Gents bouquets d'avoine liés,
Amandes, framboises mûres
Ou bien encor nèfles et mûres;
Et si les avez achetés,
Dites qu'ils furent apportés
A vous de lointaine venue,
Les eussiez-vous pris dans la rue.
Donnez encore avec raison
De beaux glaïeuls en la saison,
Bouquets de roses vermeillettes,
Fleurs de printemps et violettes.
Jolis dons changent bien les gens,
Ferment la bouche aux médisants.
L'obligé, loin d'être nuisible,
De vous dit tout le bien possible.
Beaux dons soutiennent maints baillis
Qui sans eux seraient bien petits;
De vins, de mets belles offrandes
Ont fait donner maintes prébendes.
On vante l'homme généreux,
Qui donne est toujours vertueux;
Les beaux dons font, n'en doutez mie,
Trouver témoins de bonne vie;
Beaux dons donnent los aux donneurs,
Comme ils enchaînent les preneurs,
Et leur naturelle franchise
Asservissent par convoitise.
Que vous dirai-je encor? Beaux dons
Dieu, comme l'homme, trouve bons.
Ainsi, sachez me bien comprendre,
Et si bien savez vous y prendre,
Le Dieu d'Amour ne manquera,
Quand le castel assaillira,
D'accomplir toute sa promesse.
Car, avec Vénus la déesse,
Tant ces geôliers ils combattront
Que la forteresse abattront,
Et vous pourrez cueillir la Rose,
Si durement qu'elle soit close.
Mais quand acquise vous sera,
Par grande adresse il vous faudra
La bien garder et grand' prudence,
Pour avoir longue jouissance;
Car souvent acquérir, ami,
Combien qu'il nous cause d'ennui,
Est plus facile, quoi qu'on dise,
Que de garder la chose acquise.
A bon droit plaint ses tristes jours
Qui perd l'objet de ses amours,
Quand même ce serait sa faute.
Car c'est chose bien digne et haute
Que savoir amante garder,
Sans partage la posséder,
Surtout lorsque Dieu nous la donne
Sage et courtoise, et simple et bonne,
Sans rien demander en retour.
Car oncques mercenaire amour
Ne vint que d'âme corrompue
Et par la débauche perdue.
Oncques la femme qui se vend
D'un pur amour n'aima d'amant;
A cet amour infâme et lâche
Nul coeur honnête ne s'attache.
Plus on se donne aveuglément,
Plus on aime loyalement,
Plus les femmes sont rigoureuses,
Presque toutes, et convoiteuses
De tout ravir et dévorer,
Tant qu'il y peut rien demeurer.
Car Juvénal ce nous raconte,
Qui d'Ibérine fait son conte,
Mes toutevois bien dire l'ose,
Que se vous aviés assés
Deniers et joiaus amassés,
Et tant donner en porriés,
Comme prometre en vorriés,
Lors coilleriés boutons et Roses,
Jà si ne seraient encloses.
Mès vous n'estes mie si riches,
Et si n'estes avers ne chiches:
Donnés donc amiablement
Biaus petis dons resnablement,
Si que n'en cheiez en poverte,
Damaige i auriés et perte:
Li plusors vous en moqueroient,
Qui de riens ne vous secorroient,
Se vous aviés le chaté
Oultre sa valeur achaté.
Il affiert bien que l'en present
De fruit novel un bel present
En toailles, ou en paniers;
De ce ne soiés jà laniers.
Pommes, poires, noiz ou cerises,
Cormes, prunes, freses, merises,
Chastaignes, coinz, figues, vinetes,
Pesches, parmains, ou alietes,
Nefles entées, ou framboises,
Beloces d'Avesnes, jorroises,
Roisins noviaus lor envoiés,
Et des meures fresches aiés,
Et se les avés achetées,
Dites que vous sunt présentées
D'ung vostre ami, de loing venues,
Tout les achatiés-vous es rues;
Ou donnés Roses vermeilletes,
Primeroles, ou violetes,
Ou biaus glaons en la seson;
En tex dons n'a pas desreson.
Sachiés que dons les gens afolent,
As mesdisans les jangles tolent:
Se mal ès donnéors savoient,
Tous les biens du monde en diroient.
Biaus dons soustiennent maint bailli
Qui fussent ore mal bailli;
Biaus dons de vins et de viandes
Ont fait donner maintes provendes;
Biaus dons si font, n'en doutés mie,
Porter tesmoing de bonne vie:
Moult tiennent par tout biau leu dons,
Qui biau don donne, il est prodons.
Dons donnent loz as donnéors,
Et empirent les prenéors,
Quant il lor naturel franchise
Obligent à autrui servise.
Que vous diroie à la parsomme?
Par don sunt pris et Diex et homme.
Compains, entendés ceste note
Que je vous amoneste et note.
Sachiés, se vous volés ce faire
Que ci m'avés oï retraire,
Li Diex d'Amors jà n'i faudra
Quant le fort chastel assaudra,
Qu'il ne vous rende sa promesse;
Car il et Venus la déesse
Tant as portiers se combatront,
Que la forterece abatront:
Si porrez lors coillir la Rose,
Jà si fort ne sera enclose.
Mès quant l'en a la chose aquise,
Si reconvient-il grant mestrise
En bien garder et sagement,
Qui joïr en vuet longuement.
Car la vertu n'est mie mendre
De bien garder et de deffendre
Les choses, quant el sunt aquises,
Que del aquerre en quelques guises.
S'est bien drois que chétis se claime
Valez, quant il pert ce qu'il aime,
Por quoi ce soit par sa defaute;
Car moult est digne chose et haute
De bien savoir garder s'amie,
Si que l'en ne la perde mie,
Méismement, quant Diex la donne
Sage, cortoise, simple et bonne,
Qui s'amor doint et point ne vende.
Car onques amor marchéande
Ne fu par fame controvée,
Fors par ribaudie provée;
N'il n'i a point d'amor, sans faille,
En fame qui por don se baille.
Tel amor fainte, Mal-Feu l'arde!
Là ne doit-l'en pas metre garde.
Si sunt-eles voir presque toutes
Convoiteuses de prendre, et gloutes
De ravir et de devorer,
Si qu'il n'i puist riens demorer,
A ceus qui plus por lor se claiment,
Et qui plus loiaument les aiment:
Car Juvenaus si nous raconte,
Qui de Berine tient son conte,
Car ils sont par la loi nommés
L'équivalent des infamés.
Trop est Pauvreté laide chose;
Mais toutefois, bien dire l'ose,
Ami, si vous aviez assez
Deniers et joyaux amassés,
Vous cueilleriez boutons et roses;
Pour vous elles ne seraient closes,
Si donner autant vous pouviez
Comme promettre voudriez.
Mais pourtant, sans être aussi riche,
Si n'êtes avare ni chiche,
Donnez-leur raisonnablement
Beaux petits dons aimablement,
Mais sans épuiser votre bourse;
Car si vous étiez sans ressource,
Personne ne vous soutiendrait,
Chacun de vous se moquerait
D'avoir payé la marchandise
Outre sa valeur, c'est sottise.
A mon avis, rien n'est plaisant
Comme de faire un beau présent,
Tel que fruits nouveaux en corbeille,
C'est un don que je vous conseille,
Figues, vinettes et marrons,
Pêches, alises, groseillons,
Pommes, poires, noix ou cerises,
Cormes, prunes, fraises, merises;
Raisins nouveaux leur envoyez,
Gents bouquets d'avoine liés,
Amandes, framboises mûres
Ou bien encor nèfles et mûres;
Et si les avez achetés,
Dites qu'ils furent apportés
A vous de lointaine venue,
Les eussiez-vous pris dans la rue.
Donnez encore avec raison
De beaux glaïeuls en la saison,
Bouquets de roses vermeillettes,
Fleurs de printemps et violettes.
Jolis dons changent bien les gens,
Ferment la bouche aux médisants.
L'obligé, loin d'être nuisible,
De vous dit tout le bien possible.
Beaux dons soutiennent maints baillis
Qui sans eux seraient bien petits;
De vins, de mets belles offrandes
Ont fait donner maintes prébendes.
On vante l'homme généreux,
Qui donne est toujours vertueux;
Les beaux dons font, n'en doutez mie,
Trouver témoins de bonne vie;
Beaux dons donnent los aux donneurs,
Comme ils enchaînent les preneurs,
Et leur naturelle franchise
Asservissent par convoitise.
Que vous dirai-je encor? Beaux dons
Dieu, comme l'homme, trouve bons.
Ainsi, sachez me bien comprendre,
Et si bien savez vous y prendre,
Le Dieu d'Amour ne manquera,
Quand le castel assaillira,
D'accomplir toute sa promesse.
Car, avec Vénus la déesse,
Tant ces geôliers ils combattront
Que la forteresse abattront,
Et vous pourrez cueillir la Rose,
Si durement qu'elle soit close.
Mais quand acquise vous sera,
Par grande adresse il vous faudra
La bien garder et grand' prudence,
Pour avoir longue jouissance;
Car souvent acquérir, ami,
Combien qu'il nous cause d'ennui,
Est plus facile, quoi qu'on dise,
Que de garder la chose acquise.
A bon droit plaint ses tristes jours
Qui perd l'objet de ses amours,
Quand même ce serait sa faute.
Car c'est chose bien digne et haute
Que savoir amante garder,
Sans partage la posséder,
Surtout lorsque Dieu nous la donne
Sage et courtoise, et simple et bonne,
Sans rien demander en retour.
Car oncques mercenaire amour
Ne vint que d'âme corrompue
Et par la débauche perdue.
Oncques la femme qui se vend
D'un pur amour n'aima d'amant;
A cet amour infâme et lâche
Nul coeur honnête ne s'attache.
Plus on se donne aveuglément,
Plus on aime loyalement,
Plus les femmes sont rigoureuses,
Presque toutes, et convoiteuses
De tout ravir et dévorer,
Tant qu'il y peut rien demeurer.
Car Juvénal ce nous raconte,
Qui d'Ibérine fait son conte,
Stephandra- Dans l'autre monde
- Nombre de messages : 16007
Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Que miex vosist ung des yex perdre
Que soi à ung seul homme aerdre;
Car nus seus n'i peuist soffire,
Tant estoit de chaude matire;
Car jà fame n'iert si ardans,
Ne ses amors si bien gardans,
Que de son chier ami ne vuelle
Et les deniers et la despuelle.
Or vez que les autres feroient,
Qui por dons as hommes s'otroient.
Nesune ne puet-l'en trover
Qui ne se vueille ainsinc prover;
Tant l'ait homme en subjeccion,
Toutes ont ceste entencion.
Vez ci la rigle qu'il en baille;
Mès il n'est rigle qui ne faille,
Car des mauveses entendi,
Quant ceste sentence rendi.
Mès s'el n'est tiex cum ge devis,
Loial de cuer, simple de vis,
Ge vous dirai que l'en doit faire.
Valez cortois et debonnaire
Qui vuet à ce metre sa cure,
Gart que du tout ne s'aséure
En sa biauté, ne en sa forme:
Drois est que son engin enforme
De meurs et d'ars et de sciences;
Car qui les fins et les provences
De biauté sauroit regarder,
Biauté se puet trop poi garder:
Tantost a faite sa vesprée
Com les floretes en la prée;
Car biauté est de tel matire,
Que el plus vit, et plus empire.
Mès le sens, qui le vuet acquerre,
Tant cum il puet vivre sor terre,
Fait à son mestre compaignie,
Et miex vaut au chief de sa vie
Qu'il ne fist au commencement;
Tous jors va par avancement:
Jà n'iert par tens apetisiés,
Bien doit estre amés et prisiés
Valez de noble entendement,
Quant il en use sagement.
Moult redoit estre fame liée,
Quant ele a s'amor emploiée
En biau valet cortois et sage,
Qui de sens a tel tesmoignage.
Neporquant s'il me requeroit
Consel, savoir se bon seroit
Qu'il féist rimes jolietes,
Motez, fabliaux, ou chançonnetes
Qu'il vueille à s'amie envoier
Por li chevir et apoier:
Ha, las! de ce ne puet chaloir,
Biau dit i puet trop poi valoir.
Li diz, espoir, loé seront,
D'autre preu petit i feront;
Mès une grant borse pesans,
Toute farsie de besans,
Se la véoit saillir en place,
Tost i corroit à plaine brace;
Qu'eles sunt mès si aorsées,
Que ne corent fors as borsées.
Jadis soloit estre autrement,
Or va tout par empirement.
Jadis au tens des premiers peres
Et de noz premeraines meres,
Si cum la letre le tesmoigne,
Par qui nous savons la besoigne,
Furent amors loiaus et fines,
Sans covoitise et sans rapines;
Li siecles ert moult précieus,
N'estoit pas si délicieus
Ne de robes, ne de viandes;
Il coilloient és bois les glandes
Por pain, por char et por poissons,
Et cerchoient par ces boissons,
Par vaus, par plains et par montaingnes,
Pommes, poires, noiz et chastaingnes,
Boutons et mores et pruneles,
Framboises, freses et ceneles,
Feves et poiz, et tex chosetes,
Cum fruis, racines et herbetes;
Et des espis des blés frotoient,
Et des roisins és chans grapoient,
Sans metre en pressouer, n'en esnes.
Li miel décoroient des chesnes,
Dont habundamment se vivoient,
Et de l'iaue simple bevoient,
Sans querre piment ne claré,
N'onques ne burent vin paré;
N'iert point la terre lors arée,
Mès si cum Diex l'avoit parée
Par soi-méismes aportoit
Ce dont chascun se confortoit;
Ne queroient saumons ne luz,
Et vestoient les cuirs veluz,
Et faisoient robes de laines,
Sans taindre en herbes ne en graines,
Si cum el venoient des bestes.
Covertes ierent de genestes,
De foillies et de ramiaus
Lor bordetes et lor hamiaus,
Et fesoient en terre fosses,
Es roches et es tiges grosses
Des chesnes crués se rebotoient,
Quant les tempestes redotoient.
* * * * *
Qu'elle eût mieux aimé perdre un oeil
Qu'à un seul homme faire accueil;
Un seul ne lui pouvait suffire,
Tant était chaude en son délire.
Coeur de femme n'est si ardent
Ni ses amours si bien gardant,
Que du cher ami la dépouille
Et l'or plus ou moins ne chatouille.
Jugez par là ce que femme est
Qui son corps aux enchères met.
Ainsi toutes, ami, sont faites
Les femmes, toutes sont coquettes;
Quelque soit leur affection,
Toutes ont même intention.
Tel est la règle qu'il en baille,
Mais il n'est règle qui ne faille;
Car des mauvaises il parlait
Quand cette sentence il rendait.
Et si votre amante n'est telle,
Mais d'attraits simple et de coeur belle,
Il vous faudra faire autrement.
Courtois et débonnaire amant
A bien aimer qui met sa cure
Ne doit pas que sur sa tournure
Compter, ses grâces, sa beauté;
Il lui faut un esprit doté
Encor d'utiles connaissances;
Car pour qui sait juger les chances
Et avantages de beauté,
Elle n'est que fragilité,
Elle est tantôt évanouie
Comme fleurettes de prairie;
Car ainsi qu'elles beauté vit,
Plus elle va, plus dépérit.
Mais le sens, pour toute la vie,
Tient à son maître compagnie,
Mieux vaut à la fin qu'au début,
Et plus il approche du but
Moins sur lui le temps a de prise.
Aussi femme chérit et prise
Amant de noble entendement,
Quand il en use sagement.
Aussi doit être bien heureuse
Entre toutes femme amoureuse
Qui sut octroyer son amour
A beau serviteur, en retour
Qui lui donna courtois et sage
De sens semblable témoignage.
Cependait s'il me demandait
Conseil, savoir si bon serait
De faire rimes joliettes,
Motets, fabliaux, chansonnettes
Qu'il veuille à sa mie envoyer
Pour lui plaire et pour l'égayer,
Hélas! ami, c'est triste à dire,
Mais beaux dits ne sauraient suffire.
Peut-être loués ils seront,
Autre profit ne porteront.
Mais si grande bourse et pesante
De besans pleine et résonnante
Elles voyaient céans saillir,
Vite à bras ouverts d'y courir,
Tant femmes sont intéressées
Qu'elles ne courent qu'aux boursées.
Jadis soulait être autrement.
Mais tout dégénère à présent.
Jadis au temps des premiers pères,
Au temps de nos premières mères,
Comme l'histoire le prétend,
Car c'est elle qui nous l'apprend,
Était amour loyale et fine,
Sans convoitise et sans rapine.
Durant ces siècles précieux
Tant n'était le monde envieux
De fins mets, de parures vaines;
Au bois il cueillait glands et faînes
Au lieu de chairs et de poissons,
Et cherchait parmi les buissons
Boutons et mûres et prunelles,
Framboises, fraises et cinelles,
Pommes, poires, fèves et noix,
Châtaignes, racines et pois,
Herbes et fruits de la campagne,
Par val, par plaine et par montagne,
Et les épis de blé frottait,
Et raisins aux champs grapillait,
Des cuviers sans se mettre en peine,
Du miel découlant d'un vieux chêne
Abondamment se nourrissait
Et d'eau de source s'abreuvait,
Sans chercher piment ni piquette
Ni vin vieilli dans la feuillette.
Le sol n'était pas labouré,
Et tel que Dieu l'avait paré
Engendrait tout en abondance
Et donnait à l'homme l'aisance.
Point de brochets ni de saumons;
Il se revêtait de toisons
Ou se faisait robe de laine,
Sans teinture d'herbe ou de graine,
Comme la portaient les agneaux.
Les chaumières dans les hameaux
De frais genêt étaient couvertes,
De rameaux et de feuilles vertes;
Ou fosse en terre il se faisait
De rocs et branches qu'il coupait,
Ou se mettait au creux d'un chêne,
S'il craignait tempête prochaine.
* * * * *
Que soi à ung seul homme aerdre;
Car nus seus n'i peuist soffire,
Tant estoit de chaude matire;
Car jà fame n'iert si ardans,
Ne ses amors si bien gardans,
Que de son chier ami ne vuelle
Et les deniers et la despuelle.
Or vez que les autres feroient,
Qui por dons as hommes s'otroient.
Nesune ne puet-l'en trover
Qui ne se vueille ainsinc prover;
Tant l'ait homme en subjeccion,
Toutes ont ceste entencion.
Vez ci la rigle qu'il en baille;
Mès il n'est rigle qui ne faille,
Car des mauveses entendi,
Quant ceste sentence rendi.
Mès s'el n'est tiex cum ge devis,
Loial de cuer, simple de vis,
Ge vous dirai que l'en doit faire.
Valez cortois et debonnaire
Qui vuet à ce metre sa cure,
Gart que du tout ne s'aséure
En sa biauté, ne en sa forme:
Drois est que son engin enforme
De meurs et d'ars et de sciences;
Car qui les fins et les provences
De biauté sauroit regarder,
Biauté se puet trop poi garder:
Tantost a faite sa vesprée
Com les floretes en la prée;
Car biauté est de tel matire,
Que el plus vit, et plus empire.
Mès le sens, qui le vuet acquerre,
Tant cum il puet vivre sor terre,
Fait à son mestre compaignie,
Et miex vaut au chief de sa vie
Qu'il ne fist au commencement;
Tous jors va par avancement:
Jà n'iert par tens apetisiés,
Bien doit estre amés et prisiés
Valez de noble entendement,
Quant il en use sagement.
Moult redoit estre fame liée,
Quant ele a s'amor emploiée
En biau valet cortois et sage,
Qui de sens a tel tesmoignage.
Neporquant s'il me requeroit
Consel, savoir se bon seroit
Qu'il féist rimes jolietes,
Motez, fabliaux, ou chançonnetes
Qu'il vueille à s'amie envoier
Por li chevir et apoier:
Ha, las! de ce ne puet chaloir,
Biau dit i puet trop poi valoir.
Li diz, espoir, loé seront,
D'autre preu petit i feront;
Mès une grant borse pesans,
Toute farsie de besans,
Se la véoit saillir en place,
Tost i corroit à plaine brace;
Qu'eles sunt mès si aorsées,
Que ne corent fors as borsées.
Jadis soloit estre autrement,
Or va tout par empirement.
Jadis au tens des premiers peres
Et de noz premeraines meres,
Si cum la letre le tesmoigne,
Par qui nous savons la besoigne,
Furent amors loiaus et fines,
Sans covoitise et sans rapines;
Li siecles ert moult précieus,
N'estoit pas si délicieus
Ne de robes, ne de viandes;
Il coilloient és bois les glandes
Por pain, por char et por poissons,
Et cerchoient par ces boissons,
Par vaus, par plains et par montaingnes,
Pommes, poires, noiz et chastaingnes,
Boutons et mores et pruneles,
Framboises, freses et ceneles,
Feves et poiz, et tex chosetes,
Cum fruis, racines et herbetes;
Et des espis des blés frotoient,
Et des roisins és chans grapoient,
Sans metre en pressouer, n'en esnes.
Li miel décoroient des chesnes,
Dont habundamment se vivoient,
Et de l'iaue simple bevoient,
Sans querre piment ne claré,
N'onques ne burent vin paré;
N'iert point la terre lors arée,
Mès si cum Diex l'avoit parée
Par soi-méismes aportoit
Ce dont chascun se confortoit;
Ne queroient saumons ne luz,
Et vestoient les cuirs veluz,
Et faisoient robes de laines,
Sans taindre en herbes ne en graines,
Si cum el venoient des bestes.
Covertes ierent de genestes,
De foillies et de ramiaus
Lor bordetes et lor hamiaus,
Et fesoient en terre fosses,
Es roches et es tiges grosses
Des chesnes crués se rebotoient,
Quant les tempestes redotoient.
* * * * *
Qu'elle eût mieux aimé perdre un oeil
Qu'à un seul homme faire accueil;
Un seul ne lui pouvait suffire,
Tant était chaude en son délire.
Coeur de femme n'est si ardent
Ni ses amours si bien gardant,
Que du cher ami la dépouille
Et l'or plus ou moins ne chatouille.
Jugez par là ce que femme est
Qui son corps aux enchères met.
Ainsi toutes, ami, sont faites
Les femmes, toutes sont coquettes;
Quelque soit leur affection,
Toutes ont même intention.
Tel est la règle qu'il en baille,
Mais il n'est règle qui ne faille;
Car des mauvaises il parlait
Quand cette sentence il rendait.
Et si votre amante n'est telle,
Mais d'attraits simple et de coeur belle,
Il vous faudra faire autrement.
Courtois et débonnaire amant
A bien aimer qui met sa cure
Ne doit pas que sur sa tournure
Compter, ses grâces, sa beauté;
Il lui faut un esprit doté
Encor d'utiles connaissances;
Car pour qui sait juger les chances
Et avantages de beauté,
Elle n'est que fragilité,
Elle est tantôt évanouie
Comme fleurettes de prairie;
Car ainsi qu'elles beauté vit,
Plus elle va, plus dépérit.
Mais le sens, pour toute la vie,
Tient à son maître compagnie,
Mieux vaut à la fin qu'au début,
Et plus il approche du but
Moins sur lui le temps a de prise.
Aussi femme chérit et prise
Amant de noble entendement,
Quand il en use sagement.
Aussi doit être bien heureuse
Entre toutes femme amoureuse
Qui sut octroyer son amour
A beau serviteur, en retour
Qui lui donna courtois et sage
De sens semblable témoignage.
Cependait s'il me demandait
Conseil, savoir si bon serait
De faire rimes joliettes,
Motets, fabliaux, chansonnettes
Qu'il veuille à sa mie envoyer
Pour lui plaire et pour l'égayer,
Hélas! ami, c'est triste à dire,
Mais beaux dits ne sauraient suffire.
Peut-être loués ils seront,
Autre profit ne porteront.
Mais si grande bourse et pesante
De besans pleine et résonnante
Elles voyaient céans saillir,
Vite à bras ouverts d'y courir,
Tant femmes sont intéressées
Qu'elles ne courent qu'aux boursées.
Jadis soulait être autrement.
Mais tout dégénère à présent.
Jadis au temps des premiers pères,
Au temps de nos premières mères,
Comme l'histoire le prétend,
Car c'est elle qui nous l'apprend,
Était amour loyale et fine,
Sans convoitise et sans rapine.
Durant ces siècles précieux
Tant n'était le monde envieux
De fins mets, de parures vaines;
Au bois il cueillait glands et faînes
Au lieu de chairs et de poissons,
Et cherchait parmi les buissons
Boutons et mûres et prunelles,
Framboises, fraises et cinelles,
Pommes, poires, fèves et noix,
Châtaignes, racines et pois,
Herbes et fruits de la campagne,
Par val, par plaine et par montagne,
Et les épis de blé frottait,
Et raisins aux champs grapillait,
Des cuviers sans se mettre en peine,
Du miel découlant d'un vieux chêne
Abondamment se nourrissait
Et d'eau de source s'abreuvait,
Sans chercher piment ni piquette
Ni vin vieilli dans la feuillette.
Le sol n'était pas labouré,
Et tel que Dieu l'avait paré
Engendrait tout en abondance
Et donnait à l'homme l'aisance.
Point de brochets ni de saumons;
Il se revêtait de toisons
Ou se faisait robe de laine,
Sans teinture d'herbe ou de graine,
Comme la portaient les agneaux.
Les chaumières dans les hameaux
De frais genêt étaient couvertes,
De rameaux et de feuilles vertes;
Ou fosse en terre il se faisait
De rocs et branches qu'il coupait,
Ou se mettait au creux d'un chêne,
S'il craignait tempête prochaine.
* * * * *
Stephandra- Dans l'autre monde
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Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Comment les gens du temps passé
N'avoient nul tresor amassé,
Fors tout commun par bonne foy;
Et n'avoient ne prince ne roy.
Et quant par nuit dormir voloient,
En leu de coites aportoient
En lor casiaus monceaus de gerbes,
De foilles, ou de mousse, ou d'erbes;
Et quant li airs iert apaisiés,
Et li tens cler et aésiés,
Et li vens mol et delitables,
Si cum en printens pardurables,
Et cil oisel chascun matin
S'estudient en lor latin
A l'aube du jor saluer
Qui tout lor fait les cuers muer:
Zephirus et Flora sa fame,
Qui des flors est déesse et dame,
Cil dui font les floretes nestre,
Flors ne congnoissent autre mestre:
Car par tout le monde ensement,
Les vont cil et cele sement,
Et les forment et les colorent
Des colors dont les flors honorent
Puceles et valez proisiés,
De biaus chapelez renvoisiés,
Por l'amor des fins amoreus;
Car moult ont en grant amor eus.
De floretes lor estendoient
Les coustepointes qui rendoient
Tel resplendor par ces herbaiges,
Par ces prés et par ces ramaiges,
Qu'il vous fust avis que la terre
Vosist emprendre estrif et guerre
Au ciel d'estre miex estelée,
Tant iert par ses flors revelée.
Sor tex couches cum ge devise,
Sans rapine et sans covoitise,
S'entr'acoloient et baisoient
Cil cui li geu d'Amors plaisoient;
Cil arbre vert par ces gaudines,
Lor paveillons et lor cortines,
De lor rains sor eus estendoient
Qui du soleil les deffendoient.
Là démenoient lor karoles,
Lor geu et lor oiseuses foles
Les simples gens asséurées,
De toutes cures escurées,
Fors de mener jolivetés
Par loiaus amiabletés.
N'encor n'avoit fet roi ne prince
Meffais qui l'autrui tolt et pince.
Trestuit pareil estre soloient,
Ne riens propre avoir ne voloient.
Bien savoient cele parole
Qui n'est mençongiere ne fole:
Qu'onques Amor et seignorie
Ne s'entrefirent compaignie,
Ne ne demorerent ensemble;
Cil qui mestrie, les dessemble.
* * * * *
N'avoient nul tresor amassé,
Fors tout commun par bonne foy;
Et n'avoient ne prince ne roy.
Et quant par nuit dormir voloient,
En leu de coites aportoient
En lor casiaus monceaus de gerbes,
De foilles, ou de mousse, ou d'erbes;
Et quant li airs iert apaisiés,
Et li tens cler et aésiés,
Et li vens mol et delitables,
Si cum en printens pardurables,
Et cil oisel chascun matin
S'estudient en lor latin
A l'aube du jor saluer
Qui tout lor fait les cuers muer:
Zephirus et Flora sa fame,
Qui des flors est déesse et dame,
Cil dui font les floretes nestre,
Flors ne congnoissent autre mestre:
Car par tout le monde ensement,
Les vont cil et cele sement,
Et les forment et les colorent
Des colors dont les flors honorent
Puceles et valez proisiés,
De biaus chapelez renvoisiés,
Por l'amor des fins amoreus;
Car moult ont en grant amor eus.
De floretes lor estendoient
Les coustepointes qui rendoient
Tel resplendor par ces herbaiges,
Par ces prés et par ces ramaiges,
Qu'il vous fust avis que la terre
Vosist emprendre estrif et guerre
Au ciel d'estre miex estelée,
Tant iert par ses flors revelée.
Sor tex couches cum ge devise,
Sans rapine et sans covoitise,
S'entr'acoloient et baisoient
Cil cui li geu d'Amors plaisoient;
Cil arbre vert par ces gaudines,
Lor paveillons et lor cortines,
De lor rains sor eus estendoient
Qui du soleil les deffendoient.
Là démenoient lor karoles,
Lor geu et lor oiseuses foles
Les simples gens asséurées,
De toutes cures escurées,
Fors de mener jolivetés
Par loiaus amiabletés.
N'encor n'avoit fet roi ne prince
Meffais qui l'autrui tolt et pince.
Trestuit pareil estre soloient,
Ne riens propre avoir ne voloient.
Bien savoient cele parole
Qui n'est mençongiere ne fole:
Qu'onques Amor et seignorie
Ne s'entrefirent compaignie,
Ne ne demorerent ensemble;
Cil qui mestrie, les dessemble.
* * * * *
Comment les gens du temps passé
N'avaient nul trésor amassé,
La terre à tous était commune
Et royauté n'était aucune.
Et quand la nuit dormir voulait,
Au lieu de couettes apportait
En sa case monceaux de gerbes,
De mousses, de feuilles ou d'herbes;
Et quand l'air était apaisé,
Le temps serein et reposé,
Et le vent doux et délectable
En ce printemps invariable,
Les oiseaux lors chaque matin
S'étudiaient en leur latin
A saluer du jour l'aurore
Qui fait leur petit coeur éclore;
Des fleurs la reine aux yeux si doux,
Flore et Zéphir son tendre époux
Faisaient ci-bas fleurettes naître,
Fleurs ne connaissent d'autre maître.
Car c'est pour les fins amoureux
Qu'en grand amour ils ont tous deux,
Qu'ils les sèment et les colorent
Des couleurs dont les fleurs honorent
Des puceles et des varlets
Les beaux et brillants chapelets.
Pour eux ils tendaient des fleurettes
Les courtepointes joliettes
Dont partout buissons et forêt
Et la plaine respendissait,
Au point de croire que la terre
Au ciel eût déclaré la guerre,
A qui serait mieux, étoilé,
Tant son orgueil était gonflé.
Sur ces couches dont je devise,
Sans rapine et sans convoitise,
Chacun s'accolait et baisait
A qui le jeu d'amour plaisait.
Les arbres par les verts bocages,
Rideaux et pavillons sauvages,
Leurs rameaux étendaient sur eux
Du soleil pour calmer les feux;
Et là tous menaient leurs karoles,
Leurs jeux, leurs joyeusetés folles,
Les hommes heureux, sans soucis,
De toutes peines affranchis,
Fors de mener joyeuse vie
Et loyale folâtrerie.
Méfait qui prend le bien d'autrui
Rois ni princes n'avait bâti,
Tous étaient égaux sur la terre,
A posséder ne songeaient guère;
Car ils connaissaient bien ce mot
Qui n'est ni mensonger ni sot:
Oncques Amour et seigneurie
N'ont voyagé de compagnie,
Oncques ne purent s'épouser,
Car gouverner, c'est diviser.
* * * * *
N'avaient nul trésor amassé,
La terre à tous était commune
Et royauté n'était aucune.
Et quand la nuit dormir voulait,
Au lieu de couettes apportait
En sa case monceaux de gerbes,
De mousses, de feuilles ou d'herbes;
Et quand l'air était apaisé,
Le temps serein et reposé,
Et le vent doux et délectable
En ce printemps invariable,
Les oiseaux lors chaque matin
S'étudiaient en leur latin
A saluer du jour l'aurore
Qui fait leur petit coeur éclore;
Des fleurs la reine aux yeux si doux,
Flore et Zéphir son tendre époux
Faisaient ci-bas fleurettes naître,
Fleurs ne connaissent d'autre maître.
Car c'est pour les fins amoureux
Qu'en grand amour ils ont tous deux,
Qu'ils les sèment et les colorent
Des couleurs dont les fleurs honorent
Des puceles et des varlets
Les beaux et brillants chapelets.
Pour eux ils tendaient des fleurettes
Les courtepointes joliettes
Dont partout buissons et forêt
Et la plaine respendissait,
Au point de croire que la terre
Au ciel eût déclaré la guerre,
A qui serait mieux, étoilé,
Tant son orgueil était gonflé.
Sur ces couches dont je devise,
Sans rapine et sans convoitise,
Chacun s'accolait et baisait
A qui le jeu d'amour plaisait.
Les arbres par les verts bocages,
Rideaux et pavillons sauvages,
Leurs rameaux étendaient sur eux
Du soleil pour calmer les feux;
Et là tous menaient leurs karoles,
Leurs jeux, leurs joyeusetés folles,
Les hommes heureux, sans soucis,
De toutes peines affranchis,
Fors de mener joyeuse vie
Et loyale folâtrerie.
Méfait qui prend le bien d'autrui
Rois ni princes n'avait bâti,
Tous étaient égaux sur la terre,
A posséder ne songeaient guère;
Car ils connaissaient bien ce mot
Qui n'est ni mensonger ni sot:
Oncques Amour et seigneurie
N'ont voyagé de compagnie,
Oncques ne purent s'épouser,
Car gouverner, c'est diviser.
* * * * *
Stephandra- Dans l'autre monde
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Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Ici commence le Jaloux
A parler et dire, oyans tous,
A sa femme qu'elle est trop baulde,
Et l'appelle faulse ribaulde.
Pour ce voit-l'en des mariages,
Quant li mariz cuide estre sages,
Et chastie sa femme et bat,
Et la fait vivre en tel débat,
Qu'il li dit qu'ele est nice et fole,
Dont tant demore à la karole,
Et dont el hante si sovent
Des jolis valez le convent,
Que bonne amor n'i puet durer,
Tant s'entrefont maus endurer,
Quant cil vuet la mestrise avoir
Du cors sa fame et de l'avoir.
Trop estes, fait-il, vilotiere,
Si avés trop nice maniere:
Quant sui en mon labor alés,
Tantost espringués et balés,
Et démenés tel esbaudie,
Que ce semble grant ribaudie;
Et chantés cum une seraine.
Diex vous mete en male semaine!
Et quant vois à Romme ou en Frise
Porter notre marchéandise,
Vous devenés tantost si cointe,
Car ge sai bien qui m'en acointe,
Que par tout en va la parole;
Et quant aucuns vous en parole
Porquoi si cointe vous tenés
En tous les leus où vous venés,
Vous respondés: Hari, hari,
C'est por l'amor de mon mari.
Por moi, las! dolereus chétis,
Qui set se ge forge ou ge tis,
Ou se ge sui ou mors ou vis?
L'en me devroit flatir où vis
Une vessie de mouton.
Certes ge ne vail ung bouton,
Quant autrement ne vous chasti;
Moult m'avés or grant los basti
Quant de tel chose vous vantés:
Chascun set bien que vous mentés.
Por moi, las! doleureus, por moi,
Maus gans de mes mains enformoi,
Et crueusement me déçui
Quant onques vostre foi reçui
Le jor de nostre mariage,
Por me mener tel rigolage.
Por moi menés-vous tel bobant,
Qui cuidiés-vous aler lobant?
Jà n'ai-ge mie le pooir
De tiex cointeries véoir,
Que cil ribauz saffre, friant,
Qui ces putains vont espiant,
Entor vous remirent et voient,
Quant par ces ruës vous convoient.
A cui parés-vous ces chastaignes?
Qui me puet faire plus d'engaignes?
Vous faites de moi chape à pluie,
Quant orendroit lés vous m'apuie.
Ge voi que vous estes plus simple
En cel sorcot, en cele guimple,
Que torterele ne coulons;
Ne vous chaut s'il est cors ou lons,
Quant sui tous seus lés vous presens.
Qui me donroit quatre besens,
Combien que debonnaire soie,
Se por honte ne le laissoie,
Ne me tendroie de vous batre,
Por vostre grant orguel abatre:
Et sachiés qu'il ne me plest mie
Qu'il ait en vous nule cointie,
Soit à karole, soit à dance,
Fors solement en ma présence.
* * * * *
A parler et dire, oyans tous,
A sa femme qu'elle est trop baulde,
Et l'appelle faulse ribaulde.
Pour ce voit-l'en des mariages,
Quant li mariz cuide estre sages,
Et chastie sa femme et bat,
Et la fait vivre en tel débat,
Qu'il li dit qu'ele est nice et fole,
Dont tant demore à la karole,
Et dont el hante si sovent
Des jolis valez le convent,
Que bonne amor n'i puet durer,
Tant s'entrefont maus endurer,
Quant cil vuet la mestrise avoir
Du cors sa fame et de l'avoir.
Trop estes, fait-il, vilotiere,
Si avés trop nice maniere:
Quant sui en mon labor alés,
Tantost espringués et balés,
Et démenés tel esbaudie,
Que ce semble grant ribaudie;
Et chantés cum une seraine.
Diex vous mete en male semaine!
Et quant vois à Romme ou en Frise
Porter notre marchéandise,
Vous devenés tantost si cointe,
Car ge sai bien qui m'en acointe,
Que par tout en va la parole;
Et quant aucuns vous en parole
Porquoi si cointe vous tenés
En tous les leus où vous venés,
Vous respondés: Hari, hari,
C'est por l'amor de mon mari.
Por moi, las! dolereus chétis,
Qui set se ge forge ou ge tis,
Ou se ge sui ou mors ou vis?
L'en me devroit flatir où vis
Une vessie de mouton.
Certes ge ne vail ung bouton,
Quant autrement ne vous chasti;
Moult m'avés or grant los basti
Quant de tel chose vous vantés:
Chascun set bien que vous mentés.
Por moi, las! doleureus, por moi,
Maus gans de mes mains enformoi,
Et crueusement me déçui
Quant onques vostre foi reçui
Le jor de nostre mariage,
Por me mener tel rigolage.
Por moi menés-vous tel bobant,
Qui cuidiés-vous aler lobant?
Jà n'ai-ge mie le pooir
De tiex cointeries véoir,
Que cil ribauz saffre, friant,
Qui ces putains vont espiant,
Entor vous remirent et voient,
Quant par ces ruës vous convoient.
A cui parés-vous ces chastaignes?
Qui me puet faire plus d'engaignes?
Vous faites de moi chape à pluie,
Quant orendroit lés vous m'apuie.
Ge voi que vous estes plus simple
En cel sorcot, en cele guimple,
Que torterele ne coulons;
Ne vous chaut s'il est cors ou lons,
Quant sui tous seus lés vous presens.
Qui me donroit quatre besens,
Combien que debonnaire soie,
Se por honte ne le laissoie,
Ne me tendroie de vous batre,
Por vostre grant orguel abatre:
Et sachiés qu'il ne me plest mie
Qu'il ait en vous nule cointie,
Soit à karole, soit à dance,
Fors solement en ma présence.
* * * * *
Ici l'homme jaloux commence
A crier et sa femme tance
Devant tous, l'appelant catin,
Coureuse et mauvaise putain.
Pour ce voit-on en mariage,
Quand le mari pense être sage,
Qu'il gourmande sa femme et bat
Et la fait vivre en tel débat,
Qu'il lui dit qu'elle est sotte et folle
De tant muser à la karole
Et de rechercher si souvent
Des gents varlets l'accointement,
Et qu'il n'est bonne amour qui dure
Lorsque de tels maux on endure,
Ce parce qu'il veut seul avoir
Le corps de sa femme et l'avoir.
Vous êtes trop, dit-il, fringante
Et trop d'allures provocante.
Sitôt qu'à mon travail je cours,
Tôt vous sautez, balez toujours
Et chantez comme une syrène
(Dieu vous mette en male semaine!),
Et menez tels amusements
Qu'ils semblent vils déportements.
Quand je vais à Rome ou en Frise
Débiter notre marchandise,
Si coquette on vous voit tantôt,
Car je sais bien quel est mon lot,
Qu'incontinent chacun en glose,
Et s'il vous demande la cause
Pourquoi si belle vous tenez
En tous les lieux où vous venez
De votre époux pendant l'absence,
Alors avec grande impudence,
Vous répondez: «Hari, hari,
C'est pour l'amour de mon mari.»
Pour moi, combien que je pâtisse,
Qui sait si je forge ou je tisse,
Si je suis mort ou bien vivant?
Je ne vaux un bouton vaillant
Quand autrement ne vous châtie;
On me devrait une vessie
De mouton envoyer au nez.
Le beau renom que me donnez!
Car moi, malheureux, pris au piége,
De quels gants mes deux mains ganté-je?
Quand de ceci vous vous vantez,
Chacun sait bien que vous mentez.
Pour moi faites-vous telle chère?
Qui pensez-vous tromper, ma chère?
Je fus cruellement déçu,
Votre foi lorsque j'ai reçu
Le jour de notre mariage,
Pour me mener tel rigolage!
Vous savez bien que n'ai pouvoir
De tant de belles choir voir,
Mais ces ribauds qu'elles attirent,
Ces vils goinfres qui vous admirent
Et vous suivent par les chemins
Comme tretoutes ces putains;
Je suis votre capote à pluie
Lorsqu'à votre bras je m'appuie.
Pour qui donc cuisent ces marrons?
Peut-on me faire plus d'affronts!
Plus que tourterelle ou poulette
Je vous vois, sous votre cornette,
L'air simple et doux; mais ce jupon,
Que vous chaut qu'il soit court ou long,
Quand tous deux sommes tête à tête?
N'était la honte qui m'arrête,
Et si bon que je sois encor,
Qui m'offrirait cinq besans d'or
Ne me retiendrait de vous battre,
Pour votre grand orgueil abattre.
Sachez enfin qu'il me déplaît
Que tant de luxe ma femme ait
A la karole ou à la danse,
Fors seulement en ma présence.
* * * * *
A crier et sa femme tance
Devant tous, l'appelant catin,
Coureuse et mauvaise putain.
Pour ce voit-on en mariage,
Quand le mari pense être sage,
Qu'il gourmande sa femme et bat
Et la fait vivre en tel débat,
Qu'il lui dit qu'elle est sotte et folle
De tant muser à la karole
Et de rechercher si souvent
Des gents varlets l'accointement,
Et qu'il n'est bonne amour qui dure
Lorsque de tels maux on endure,
Ce parce qu'il veut seul avoir
Le corps de sa femme et l'avoir.
Vous êtes trop, dit-il, fringante
Et trop d'allures provocante.
Sitôt qu'à mon travail je cours,
Tôt vous sautez, balez toujours
Et chantez comme une syrène
(Dieu vous mette en male semaine!),
Et menez tels amusements
Qu'ils semblent vils déportements.
Quand je vais à Rome ou en Frise
Débiter notre marchandise,
Si coquette on vous voit tantôt,
Car je sais bien quel est mon lot,
Qu'incontinent chacun en glose,
Et s'il vous demande la cause
Pourquoi si belle vous tenez
En tous les lieux où vous venez
De votre époux pendant l'absence,
Alors avec grande impudence,
Vous répondez: «Hari, hari,
C'est pour l'amour de mon mari.»
Pour moi, combien que je pâtisse,
Qui sait si je forge ou je tisse,
Si je suis mort ou bien vivant?
Je ne vaux un bouton vaillant
Quand autrement ne vous châtie;
On me devrait une vessie
De mouton envoyer au nez.
Le beau renom que me donnez!
Car moi, malheureux, pris au piége,
De quels gants mes deux mains ganté-je?
Quand de ceci vous vous vantez,
Chacun sait bien que vous mentez.
Pour moi faites-vous telle chère?
Qui pensez-vous tromper, ma chère?
Je fus cruellement déçu,
Votre foi lorsque j'ai reçu
Le jour de notre mariage,
Pour me mener tel rigolage!
Vous savez bien que n'ai pouvoir
De tant de belles choir voir,
Mais ces ribauds qu'elles attirent,
Ces vils goinfres qui vous admirent
Et vous suivent par les chemins
Comme tretoutes ces putains;
Je suis votre capote à pluie
Lorsqu'à votre bras je m'appuie.
Pour qui donc cuisent ces marrons?
Peut-on me faire plus d'affronts!
Plus que tourterelle ou poulette
Je vous vois, sous votre cornette,
L'air simple et doux; mais ce jupon,
Que vous chaut qu'il soit court ou long,
Quand tous deux sommes tête à tête?
N'était la honte qui m'arrête,
Et si bon que je sois encor,
Qui m'offrirait cinq besans d'or
Ne me retiendrait de vous battre,
Pour votre grand orgueil abattre.
Sachez enfin qu'il me déplaît
Que tant de luxe ma femme ait
A la karole ou à la danse,
Fors seulement en ma présence.
* * * * *
Stephandra- Dans l'autre monde
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Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Comment le Jaloux si reprent
Sa femme, et dit que trop mesprent
De démener ou joie ou feste,
Et que de ce trop le moleste.
D'autre part nel' puis plus celer,
Entre vous et ce bacheler
Robichonet au vert chapel,
Qui si tost vient à vostre apel,
Avés-vous terres à partir?
Vous ne poés de li partir.
Tous jors ensemble flajolés,
Ne sai que vous entrevolés,
Que vous poés-vous entredire:
Tout vif m'estuet enragier d'ire
Par vostre fol contenement.
Par iceli Diex qui ne ment,
Se vous jamès parlés à li,
Vous en aurés le vis pali,
Voires certes plus noir que more:
Car de cops, se Diex me secore,
Ains que ne vous ost le musage,
Vous donrai tant par ce visage,
Qui tant est as musars plaisans,
Que vous tendrés coie et taisans.
Ne jamès hors sans moi n'irés;
Mès à l'ostel me servirés
En bons aniaus de fer rivée.
Déables vous font si privée
De ces ribaus plains de losenge,
Dont vous déussiés estre estrange.
Ne vous pris-ge por moi servir?
Cuidiés-vous m'amor deservir
Par acointier ces ors ribaus,
Por ce qu'il ont les cuers si baus,
Et qu'il vous retruevent si baude?
Vous estes mauvese ribaude,
Si ne me puis en vous fier:
Maufé me firent marier.
Ha! se Theofrates créusse,
Jà fame espousée n'éusse;
Il ne tient pas homme por sage
Qui fame prent par mariage,
Soit bele, ou lede, ou povre, ou riche:
Car il dit, et por voir l'affiche
En son noble livre Auréole
Qui bien fait à lire en escole,
Qu'il i a vie trop grevaine,
Plaine de travail et de paine,
Et de contens et de riotes,
Par les orguelz des fames sotes,
Et de dangiers et de reprouches
Que font et dient par lor bouches,
Et de requestes et de plaintes
Que truevent par ochoisons maintes:
Si ra grant paine en eus garder,
Por lor fox voloirs retarder.
Et qui vuet povre fame prendre,
A norrir la l'estuet entendre,
Et à vestir et à chaucier;
Et se tant se cuide essaucier
Qu'il la prengne riche forment,
A soffrir la a grant torment;
Tant la trueve orguilleuse et fiere,
Et sorcuidée et bobanciere,
Que son mari ne prisera
Riens, et par tout desprisera
Ses parens et tout son lignage,
Par son outrecuidé langage.
S'ele est bele, tuit i aqueurent,
Tuit la porsivent, tuit l'eneurent,
Tuit i hurtent, tuit i travaillent,
Tuit i luitent, tuit i bataillent,
Tuit à li servir s'estudient,
Tuit li vont entor, tuit la prient,
Tuit i musent, tuit la convoitent,
Si l'ont en la fin, tant exploitent:
Car tor de toutes pars assise
Envis eschape d'estre prise.
S'el rest lede, el vuet à tous plaire;
Et comment porroit nus ce faire
Qu'il gart chose que tuit guerroient,
Ou qui vuet tous ceus qui la voient?
S'il prent à tout le monde guerre,
Il n'a pooir de vivre en terre;
Nus nes garderait d'estre prises
Por tant qu'el fussent bien requises.
Penelope néis prendroit
Qui bien à li prendre entendroit;
Si n'ot-il meillor fame en Grece.
Si feroit-il par foi Lucrece,
Jà soit ce qu'el se soit occise,
Por ce qu'à force l'avoit prise
Le fiz au roi Tarquinius;
N'onc, ce dit Titus Livius,
Maris, ne peres, ne parens
Ne li porent estre garens,
Por poine qui nus i méist,
Que devant eus ne s'océist.
Du duel lessier moult la requistrent,
Moult de beles raisons li distrent,
Et ses maris méismement
La confortoit piteusement,
Et de bon cuer li pardonnoit
Tout le fait, et li sermonnoit,
Et s'estudioit à trover
Vives raisons por li prover
Que ses cors n'avoit pas pechié,
Quant li cuers ne volt li pechié:
Car cors ne puet estre pechierres
Se li cuers n'en est consentierres.
Mès ele qui son duel menoit,
Ung coutel en son sein tenoit
Repost, que nus ne le véist,
Quant por soi ferir le préist,
Et lor respondi sans aloigne:
Biaus seignors, qui que me pardoigne
L'ort pechié dont si fort me poise,
Ne comment que du pardon voise,
Ge ne m'en pardoint pas la paine.
* * * * *
Sa femme, et dit que trop mesprent
De démener ou joie ou feste,
Et que de ce trop le moleste.
D'autre part nel' puis plus celer,
Entre vous et ce bacheler
Robichonet au vert chapel,
Qui si tost vient à vostre apel,
Avés-vous terres à partir?
Vous ne poés de li partir.
Tous jors ensemble flajolés,
Ne sai que vous entrevolés,
Que vous poés-vous entredire:
Tout vif m'estuet enragier d'ire
Par vostre fol contenement.
Par iceli Diex qui ne ment,
Se vous jamès parlés à li,
Vous en aurés le vis pali,
Voires certes plus noir que more:
Car de cops, se Diex me secore,
Ains que ne vous ost le musage,
Vous donrai tant par ce visage,
Qui tant est as musars plaisans,
Que vous tendrés coie et taisans.
Ne jamès hors sans moi n'irés;
Mès à l'ostel me servirés
En bons aniaus de fer rivée.
Déables vous font si privée
De ces ribaus plains de losenge,
Dont vous déussiés estre estrange.
Ne vous pris-ge por moi servir?
Cuidiés-vous m'amor deservir
Par acointier ces ors ribaus,
Por ce qu'il ont les cuers si baus,
Et qu'il vous retruevent si baude?
Vous estes mauvese ribaude,
Si ne me puis en vous fier:
Maufé me firent marier.
Ha! se Theofrates créusse,
Jà fame espousée n'éusse;
Il ne tient pas homme por sage
Qui fame prent par mariage,
Soit bele, ou lede, ou povre, ou riche:
Car il dit, et por voir l'affiche
En son noble livre Auréole
Qui bien fait à lire en escole,
Qu'il i a vie trop grevaine,
Plaine de travail et de paine,
Et de contens et de riotes,
Par les orguelz des fames sotes,
Et de dangiers et de reprouches
Que font et dient par lor bouches,
Et de requestes et de plaintes
Que truevent par ochoisons maintes:
Si ra grant paine en eus garder,
Por lor fox voloirs retarder.
Et qui vuet povre fame prendre,
A norrir la l'estuet entendre,
Et à vestir et à chaucier;
Et se tant se cuide essaucier
Qu'il la prengne riche forment,
A soffrir la a grant torment;
Tant la trueve orguilleuse et fiere,
Et sorcuidée et bobanciere,
Que son mari ne prisera
Riens, et par tout desprisera
Ses parens et tout son lignage,
Par son outrecuidé langage.
S'ele est bele, tuit i aqueurent,
Tuit la porsivent, tuit l'eneurent,
Tuit i hurtent, tuit i travaillent,
Tuit i luitent, tuit i bataillent,
Tuit à li servir s'estudient,
Tuit li vont entor, tuit la prient,
Tuit i musent, tuit la convoitent,
Si l'ont en la fin, tant exploitent:
Car tor de toutes pars assise
Envis eschape d'estre prise.
S'el rest lede, el vuet à tous plaire;
Et comment porroit nus ce faire
Qu'il gart chose que tuit guerroient,
Ou qui vuet tous ceus qui la voient?
S'il prent à tout le monde guerre,
Il n'a pooir de vivre en terre;
Nus nes garderait d'estre prises
Por tant qu'el fussent bien requises.
Penelope néis prendroit
Qui bien à li prendre entendroit;
Si n'ot-il meillor fame en Grece.
Si feroit-il par foi Lucrece,
Jà soit ce qu'el se soit occise,
Por ce qu'à force l'avoit prise
Le fiz au roi Tarquinius;
N'onc, ce dit Titus Livius,
Maris, ne peres, ne parens
Ne li porent estre garens,
Por poine qui nus i méist,
Que devant eus ne s'océist.
Du duel lessier moult la requistrent,
Moult de beles raisons li distrent,
Et ses maris méismement
La confortoit piteusement,
Et de bon cuer li pardonnoit
Tout le fait, et li sermonnoit,
Et s'estudioit à trover
Vives raisons por li prover
Que ses cors n'avoit pas pechié,
Quant li cuers ne volt li pechié:
Car cors ne puet estre pechierres
Se li cuers n'en est consentierres.
Mès ele qui son duel menoit,
Ung coutel en son sein tenoit
Repost, que nus ne le véist,
Quant por soi ferir le préist,
Et lor respondi sans aloigne:
Biaus seignors, qui que me pardoigne
L'ort pechié dont si fort me poise,
Ne comment que du pardon voise,
Ge ne m'en pardoint pas la paine.
* * * * *
Ici le Jaloux à sa femme
Fait remontrances et la blâme
De mener tels déportements
Et qu'ils lui pèsent trop longtemps.
De plus, s'il faut que je le nomme,
Entre vous et puis ce jeune homme,
Robichonnet au vert chapeau,
Qui sitôt vient à votre appeau,
Avés-vous partages de terre?
Vous ne pouvez vous en défaire.
Toujours ensemble flageolez;
Ne sais quoi vous entrevoulez,
Ce que pouvez vous entredire:
Vous me faire enrager d'ire
Par votre fol déréglement.
Par Dieu le père qui ne ment,
Si je vous vois tous deux, je jure
Que pâlira votre figure
Ou noircira plus qu'Africain;
Car, Dieu m'aide, avant votre sein
Purger de tel libertinage,
Tant frapperai votre visage
A tous ces ribauds si coquet,
Que j'abattrai votre caquet.
Jamais n'irez seule en la rue;
En bons anneaux de fer tenue
Me servirez à la maison.
Assurément c'est le démon
Qui vous a faite ainsi l'amie
Des ribauds pleins de flaterie,
Et qu'au moins vous devriez fuir.
Ne vous pris-je pour me servir?
Pensez-vous donc ainsi, ma femme,
Mériter l'amour de mon âme
En accueillant ces vils manants?
S'ils sont si fort entreprenants,
C'est qu'ils vous trouvent provocante;
Vous êtes catin impudente
Et ne puis en vous me fier,
Le diable me fit marier!
Quand il nous dit que nul n'est sage
De prendre femme en mariage,
Que Théophraste n'ai-je cru?
Belle ou laide n'eusse voulu,
Pauvre ni riche prendre femme.
Dans l'Auréole il le proclame.
Oyez ce que ce noble écrit,
Bon à lire en école, dit:
La vie est trop pesante et pleine,
Hélas! de travail et de peine,
De maux, de querelles, de deuil,
Des sottes femmes par l'orgueil,
Qui cherchent occasions maintes,
Par leurs requêtes et leurs plaintes
Et leur babil sempiternel,
De nous causer ennui mortel.
Combattre et vaincre leur folie,
Les garder, c'est peine inouïe!
Qui veut femme pauvre choisir,
S'il la prend, c'est pour la nourrir
Et lui donner robe et chaussure;
Et si, par ambition pure,
La prend riche, il a grand tourment
A la supporter seulement;
Tant il la trouve dédaigneuse,
Fière, hautaine et vaniteuse,
Que son mari ne prisera
Rien, et partout méprisera
Ses parents et tout son lignage,
Par son outrecuidant langage.
Est-elle belle? tous d'accourir,
La suivre, flatter et servir;
Tous y heurtent, tous y travaillent,
Tous y luttent, tous y bataillent;
C'est à qui le mieux lui plaira,
Plus autour d'elle tournera.
Tous y musent, tous la convoitent
Et l'ont en la fin, tant exploitent:
Car fort de toutes parts pressé
Est bientôt pris ou renversé.
Est-elle laide? A tous veut plaire.
Chose à qui tretous font la guerre
Et qui s'offre au premier venant,
Qui donc garderait, et comment?
S'il prend à tout le monde guerre,
Il n'a pouvoir de vivre en terre,
Malgré tout prise elle sera
Aussitôt qu'on la pressera.
La meilleure femme de Grèce,
Hélas! avec un peu d'adresse,
Pénélope voire on prendrait;
Lucrèce, même on séduirait,
Malgré qu'elle se soit occise,
Parce qu'à force l'avait prise
Le fils du roi Tarquinius.
Oncques, dit Titus Livius,
Ni parents, ni mari, ni père,
Combien qu'ils sussent dire ou faire,
Ne purent la dissuader
Devant eux de se poignarder.
De se calmer moult la requirent
Et moult belles raisons lui dirent,
Et son mari pareillement
La consolait piteusement,
Et tout à sa chère Lucrèce
Pardonnait de bon coeur; sans cesse
Il s'étudiait à trouver
Vives saisons pour lui prouver
Que son corps n'était pas coupable,
Son coeur étant irréprochable,
Car corps ne peut être pécheur
Si consentant n'est pas le coeur.
Mais elle en sa douleur s'obstine,
Saisit soudain sur sa poitrine
Un couteau que caché tenait
Et que personne ne voyait,
Et leur répond impatiente:
Quoique votre bonté consente
A me pardonner, beaux seigneurs,
L'outrage source de mes pleurs,
Lucrèce n'en tient aucun compte
Et ne pardonne pas sa honte.
* * * * *
Fait remontrances et la blâme
De mener tels déportements
Et qu'ils lui pèsent trop longtemps.
De plus, s'il faut que je le nomme,
Entre vous et puis ce jeune homme,
Robichonnet au vert chapeau,
Qui sitôt vient à votre appeau,
Avés-vous partages de terre?
Vous ne pouvez vous en défaire.
Toujours ensemble flageolez;
Ne sais quoi vous entrevoulez,
Ce que pouvez vous entredire:
Vous me faire enrager d'ire
Par votre fol déréglement.
Par Dieu le père qui ne ment,
Si je vous vois tous deux, je jure
Que pâlira votre figure
Ou noircira plus qu'Africain;
Car, Dieu m'aide, avant votre sein
Purger de tel libertinage,
Tant frapperai votre visage
A tous ces ribauds si coquet,
Que j'abattrai votre caquet.
Jamais n'irez seule en la rue;
En bons anneaux de fer tenue
Me servirez à la maison.
Assurément c'est le démon
Qui vous a faite ainsi l'amie
Des ribauds pleins de flaterie,
Et qu'au moins vous devriez fuir.
Ne vous pris-je pour me servir?
Pensez-vous donc ainsi, ma femme,
Mériter l'amour de mon âme
En accueillant ces vils manants?
S'ils sont si fort entreprenants,
C'est qu'ils vous trouvent provocante;
Vous êtes catin impudente
Et ne puis en vous me fier,
Le diable me fit marier!
Quand il nous dit que nul n'est sage
De prendre femme en mariage,
Que Théophraste n'ai-je cru?
Belle ou laide n'eusse voulu,
Pauvre ni riche prendre femme.
Dans l'Auréole il le proclame.
Oyez ce que ce noble écrit,
Bon à lire en école, dit:
La vie est trop pesante et pleine,
Hélas! de travail et de peine,
De maux, de querelles, de deuil,
Des sottes femmes par l'orgueil,
Qui cherchent occasions maintes,
Par leurs requêtes et leurs plaintes
Et leur babil sempiternel,
De nous causer ennui mortel.
Combattre et vaincre leur folie,
Les garder, c'est peine inouïe!
Qui veut femme pauvre choisir,
S'il la prend, c'est pour la nourrir
Et lui donner robe et chaussure;
Et si, par ambition pure,
La prend riche, il a grand tourment
A la supporter seulement;
Tant il la trouve dédaigneuse,
Fière, hautaine et vaniteuse,
Que son mari ne prisera
Rien, et partout méprisera
Ses parents et tout son lignage,
Par son outrecuidant langage.
Est-elle belle? tous d'accourir,
La suivre, flatter et servir;
Tous y heurtent, tous y travaillent,
Tous y luttent, tous y bataillent;
C'est à qui le mieux lui plaira,
Plus autour d'elle tournera.
Tous y musent, tous la convoitent
Et l'ont en la fin, tant exploitent:
Car fort de toutes parts pressé
Est bientôt pris ou renversé.
Est-elle laide? A tous veut plaire.
Chose à qui tretous font la guerre
Et qui s'offre au premier venant,
Qui donc garderait, et comment?
S'il prend à tout le monde guerre,
Il n'a pouvoir de vivre en terre,
Malgré tout prise elle sera
Aussitôt qu'on la pressera.
La meilleure femme de Grèce,
Hélas! avec un peu d'adresse,
Pénélope voire on prendrait;
Lucrèce, même on séduirait,
Malgré qu'elle se soit occise,
Parce qu'à force l'avait prise
Le fils du roi Tarquinius.
Oncques, dit Titus Livius,
Ni parents, ni mari, ni père,
Combien qu'ils sussent dire ou faire,
Ne purent la dissuader
Devant eux de se poignarder.
De se calmer moult la requirent
Et moult belles raisons lui dirent,
Et son mari pareillement
La consolait piteusement,
Et tout à sa chère Lucrèce
Pardonnait de bon coeur; sans cesse
Il s'étudiait à trouver
Vives saisons pour lui prouver
Que son corps n'était pas coupable,
Son coeur étant irréprochable,
Car corps ne peut être pécheur
Si consentant n'est pas le coeur.
Mais elle en sa douleur s'obstine,
Saisit soudain sur sa poitrine
Un couteau que caché tenait
Et que personne ne voyait,
Et leur répond impatiente:
Quoique votre bonté consente
A me pardonner, beaux seigneurs,
L'outrage source de mes pleurs,
Lucrèce n'en tient aucun compte
Et ne pardonne pas sa honte.
* * * * *
Stephandra- Dans l'autre monde
- Nombre de messages : 16007
Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Comment Lucrece par grant ire
Son cuer point, derrompt et dessire,
Et chiet morte sur terre adens,
Devant son mari et parens.
Lors fiert de grant angoisse plaine,
Son cuer, si le fent, et se porte
Devant eus à la terre morte;
Mès ains pria qu'il travaillassent
Tant por li, que sa mort venjassent.
Cest exemple volt procurer
Por les fames asséurer
Que nus force ne lor méust,
Qui de mort morir ne déust;
Dont li rois et ses fiz en furent
Mis en exil, et la morurent.
N'onc puis Romains por ce desroi
Ne voldrent faire à Romme roi.
Si n'est-il mès nule Lucrece,
Ni Penelope nule en Grece,
Ne prodefame nule en terre,
S'il iert qui les séust requerre.
Ainsinc le dient li païen,
N'onques nus n'i trova moien;
Maintes néis par eus se baillent,
Quant li requeréors deffaillent:
Et cil qui font les mariages.
Si ont trop merveilleus usages,
Et coustume si despareille,
Qu'il me vient à trop grant merveille.
Ne sai dont vient ceste folie,
Fors de rage et de desverie.
Je voi que qui cheval achete,
N'iert jà si fox que riens i mete,
Comment que l'en l'ait bien couvert,
Se tout nel' voit à descouvert,
Par tout le regarde et descuevre;
Mès la fame si bien se cuevre,
Ne jà n'i sera descouverte,
Ne por gaaigne, ne por perte,
Ne por solas, ne por mesese,
Por ce sans plus qu'el ne desplese
Devant qu'ele soit espousée;
Et quant el voit la chose outrée,
Lors primes monstre sa malice,
Lors pert s'ele a en li nul vice;
Lors fait au fol ses meurs sentir,
Que riens n'i vaut le repentir.
Si sai-ge bien certainement,
Combien qu'el se maint sagement,
N'est nus qui marié se sente,
S'il n'est fox, qui ne s'en repente.
Prodefame, par saint Denis,
Dont il est mains que de fenis,
Si cum Valerius tesmoigne,
Ne puet nus amer qu'il n'en poigne
De grans paors et de grans cures,
Et d'autres meschéances dures:
Mains que de fenis, par ma teste,
Par comparoison plus honeste,
Voire mains que de blans corbiaus,
Combien qu'el aient les cors biaus.
Et ne porquant, quoi que g'en die,
Por ce que ceus qui sunt en vie,
Ne puissent dire que ge queure
A toutes fames trop aseure:
Qui prodefame vuet congnoistre,
Soit seculiere, ou soit de cloistre,
Se travail vuet metre en li querre,
C'est oisel cler semé en terre,
Si legierement congnoissable,
Qu'il est au cine noir semblable.
Juvenaus néis le conferme,
Qui redit par sentence ferme:
Se tu trueves chaste moillier,
Va-t'en au temple agenoillier,
Et Jupiter enclin aore,
Et de sacrefier labore
A Juno la dame honorée
Une vache toute dorée:
Qu'onc puis merveilleuse aventure
N'avint à nule créature.
Et qui vuet les males amer,
Dont deçà mer et delà mer,
(Si cum Valérius raconte,
Qui de voir dire n'a pas honte),
Sunt essains plus grans que de mouches,
Qui se recuillent en lor rouches,
A quel chief en cuide-il venir?
Mal se fait à tel rain tenir,
Et qui s'i tient, bien le recors,
Il en perdra l'ame et le cors.
Valerius qui se doloit
De ce que Rufin se voloit
Marier, qui ses compains iere,
Si li dist par parole fiere:
Diex tous-poissans, dist-il, amis,
Gart que tu ne soies jà mis
Es las de fames tant poissant,
Toutes choses par art froissant.
Juvenaus méismes escrie
A Postumus qui se marie:
Postumus, vués-tu fame prendre?
Ne pués-tu pas trover à vendre
Ou hars, ou cordes, ou chevestres,
Ou saillir hors par les fenestres
Dont l'en puet hault et loing véoir,
Ou lessier toi d'un pont chéoir?
Quel forsenerie te maine
A cest tonnent, à ceste paine?
Li rois Phoroneus méismes
Qui, si comme nous apréismes,
Ses lois au pueple grec donna,
Où lit de sa mort sermonna,
Et dist à son frere Leonce:
Frere, fait-il, ge te dénonce
Que très benéuré morusse,
S'onc fame espousée n'éusse;
Et Leonce tantost la glose
Li demanda de ceste chose:
Tuit li maris, dist-il, l'espruevent,
Et par experiment le truevent;
Et quant tu auras fame prise,
Tu le sauras bien à devise.
Pierres Abailart reconfesse
Que suer Heloïs, l'abbesse
Du Paraclet, qui fu s'amie,
A corder ne se voloit mie
Son cuer point, derrompt et dessire,
Et chiet morte sur terre adens,
Devant son mari et parens.
Lors fiert de grant angoisse plaine,
Son cuer, si le fent, et se porte
Devant eus à la terre morte;
Mès ains pria qu'il travaillassent
Tant por li, que sa mort venjassent.
Cest exemple volt procurer
Por les fames asséurer
Que nus force ne lor méust,
Qui de mort morir ne déust;
Dont li rois et ses fiz en furent
Mis en exil, et la morurent.
N'onc puis Romains por ce desroi
Ne voldrent faire à Romme roi.
Si n'est-il mès nule Lucrece,
Ni Penelope nule en Grece,
Ne prodefame nule en terre,
S'il iert qui les séust requerre.
Ainsinc le dient li païen,
N'onques nus n'i trova moien;
Maintes néis par eus se baillent,
Quant li requeréors deffaillent:
Et cil qui font les mariages.
Si ont trop merveilleus usages,
Et coustume si despareille,
Qu'il me vient à trop grant merveille.
Ne sai dont vient ceste folie,
Fors de rage et de desverie.
Je voi que qui cheval achete,
N'iert jà si fox que riens i mete,
Comment que l'en l'ait bien couvert,
Se tout nel' voit à descouvert,
Par tout le regarde et descuevre;
Mès la fame si bien se cuevre,
Ne jà n'i sera descouverte,
Ne por gaaigne, ne por perte,
Ne por solas, ne por mesese,
Por ce sans plus qu'el ne desplese
Devant qu'ele soit espousée;
Et quant el voit la chose outrée,
Lors primes monstre sa malice,
Lors pert s'ele a en li nul vice;
Lors fait au fol ses meurs sentir,
Que riens n'i vaut le repentir.
Si sai-ge bien certainement,
Combien qu'el se maint sagement,
N'est nus qui marié se sente,
S'il n'est fox, qui ne s'en repente.
Prodefame, par saint Denis,
Dont il est mains que de fenis,
Si cum Valerius tesmoigne,
Ne puet nus amer qu'il n'en poigne
De grans paors et de grans cures,
Et d'autres meschéances dures:
Mains que de fenis, par ma teste,
Par comparoison plus honeste,
Voire mains que de blans corbiaus,
Combien qu'el aient les cors biaus.
Et ne porquant, quoi que g'en die,
Por ce que ceus qui sunt en vie,
Ne puissent dire que ge queure
A toutes fames trop aseure:
Qui prodefame vuet congnoistre,
Soit seculiere, ou soit de cloistre,
Se travail vuet metre en li querre,
C'est oisel cler semé en terre,
Si legierement congnoissable,
Qu'il est au cine noir semblable.
Juvenaus néis le conferme,
Qui redit par sentence ferme:
Se tu trueves chaste moillier,
Va-t'en au temple agenoillier,
Et Jupiter enclin aore,
Et de sacrefier labore
A Juno la dame honorée
Une vache toute dorée:
Qu'onc puis merveilleuse aventure
N'avint à nule créature.
Et qui vuet les males amer,
Dont deçà mer et delà mer,
(Si cum Valérius raconte,
Qui de voir dire n'a pas honte),
Sunt essains plus grans que de mouches,
Qui se recuillent en lor rouches,
A quel chief en cuide-il venir?
Mal se fait à tel rain tenir,
Et qui s'i tient, bien le recors,
Il en perdra l'ame et le cors.
Valerius qui se doloit
De ce que Rufin se voloit
Marier, qui ses compains iere,
Si li dist par parole fiere:
Diex tous-poissans, dist-il, amis,
Gart que tu ne soies jà mis
Es las de fames tant poissant,
Toutes choses par art froissant.
Juvenaus méismes escrie
A Postumus qui se marie:
Postumus, vués-tu fame prendre?
Ne pués-tu pas trover à vendre
Ou hars, ou cordes, ou chevestres,
Ou saillir hors par les fenestres
Dont l'en puet hault et loing véoir,
Ou lessier toi d'un pont chéoir?
Quel forsenerie te maine
A cest tonnent, à ceste paine?
Li rois Phoroneus méismes
Qui, si comme nous apréismes,
Ses lois au pueple grec donna,
Où lit de sa mort sermonna,
Et dist à son frere Leonce:
Frere, fait-il, ge te dénonce
Que très benéuré morusse,
S'onc fame espousée n'éusse;
Et Leonce tantost la glose
Li demanda de ceste chose:
Tuit li maris, dist-il, l'espruevent,
Et par experiment le truevent;
Et quant tu auras fame prise,
Tu le sauras bien à devise.
Pierres Abailart reconfesse
Que suer Heloïs, l'abbesse
Du Paraclet, qui fu s'amie,
A corder ne se voloit mie
Comment Lucrèce par grande ire
Son coeur perce, rompt et déchire
Et tombe expirante céans,
Devant ses époux et parents.
Lors irritée en son coeur porte
De cruels coups et tombe morte;
Mais avant les voulut charger
De son affreux trépas venger.
Cet exemple elle vous procure,
Pour que les femmes il assure
Que quiconque les veut forcer
On le doit faire trépasser;
Aussi le roi et ses fils furent
En exil mis et là moururent,
Et depuis ce grand désarroi
Rome ne voulut plus de roi.
Mais, las! il n'est plus de Lucrèce,
Non plus de Pénélope en Grèce
Ni d'honnête femme ici-bas;
Et croyez-moi, n'en cherchez pas,
Car ce serait peine perdue,
C'est chose des païens connue.
Maintes même on en voit s'offrir
Quand nul ne les vient requérir.
Les partisans du mariage
Ont un trop singulier usage
Et si bizarre, à mon avis,
Que constamment il m'a surpris.
Ne sais d'où vient cette folie
Fors de rage ou de frénésie.
Car qui veut cheval acquérir
N'est pas si fol d'un prix offrir,
Combien qu'avec soin on le couvre,
Si tout entier ne le découvre,
Partout regarde et n'omet rien;
Mais femme se couvre si bien
Que ne se montre découverte
Jamais, ni pour gain ni pour perte,
Pour mésaise ni pour soulas,
Pour, sans plus, ne déplaire pas
Devant que ne soit épousée.
Mais la chose une fois passée,
Lors fait au fol ses moeurs sentir;
Trop tard lui vient le repentir,
Quand elle montre sa malice
Et ne voile plus aucun vice.
Aussi, combien que sagement
Femme se tienne, assurément
Nul n'est qui marié se sente,
S'il n'est fol, qui ne s'en repente.
Femme honnête, par saint Denis!
Il en est moins que de Phénix.
Valérius nous dit lui-même:
Sans souffrir grands tourments nul n'aime
Et grands soucis et grandes peurs
Et niaints autres affreux malheurs.
Moins que de phénix, par ma tête!
Par comparaison plus honnête,
Voire moins que de blancs corbeaux,
Combien que fussent leurs corps beaux.
Et cependant, quoi que j'en die,
Afin que ceux qui sont en vie
Ne puissent répondre, qu'à tort
Toutes les loge en même bord:
C'est oiseau clair semé sur terre;
Qui veut, nonnain ou séculière,
Honnête femme dénicher,
Peut tout son temps perdre à chercher
Cet oiseau bien reconnaissable
Et tout au cygne noir semblable.
Voici, du reste, ce qu'écrit
Juvénal confirmant mon dit:
«Si jamais trouves femme honnête,
Cours au temple, courbe la tête,
Jupiter adore à genoux,
Immole ainsi qu'à son époux,
A Junon la dame honorée,
Une vache toute dorée,
Car jamais n'apparut aux yeux
Événement plus merveilleux.»
D'autre part, Valérius conte,
Et de l'affirmer n'a pas honte:
«Si males femmes veux aimer,
Deçà comme delà la mer
En sont essaims plus drus qu'abeilles
Se rassemblant en leurs corbeilles.»
A quelle fin veut-il venir?
Mal fait telle branche tenir,
Et qui s'y tient, je le proclame,
Y perdra son corps et son âme.
Valérius qui se peinait
De ce que Rufin se voulait
Marier, son ami d'enfance,
Lui faisait telle remontrance:
«Dieux tout-puissants, ami, dit-il,
Es-tu déjà pour ton péril
Pris dans les lacs puissants des femmes
Toutes perfides et infâmes »
Et Juvénal ainsi priait
Postumus qui se mariait:
«Postumus, tu veux femme prendre?
Ne peux-tu donc trouver à vendre
Ou hart, ou licol, ou cordeau,
Du haut d'un pont sauter à l'eau,
Ou par fenêtre d'où la vue
Mesure une immense étendue?
Pourquoi courir si follement
A cette peine, à ce tourment?»
Le roi Phoronéus encore
Qui jadis, aucun ne l'ignore,
Ses lois au peuple grec donna,
A son lit de mort sermonna,
Comme suit, son frère Léonce:
«Mon frère, dit-il, je t'annonce
Que bien heureux j'expirerais
Si femme onc épousé n'avais.»
Et Léonce tantôt la glose
Lui demandant de cette chose:
«Tous l'ont éprouvé les maris
Et par expérience appris,
Et lorsque tu auras pris femme,
Bien le sauras-tu, sur mon âme!»
Et Pierre Abeilard l'avouait,
Que l'abbesse du Paraclet,
Soeur Héloïse, son amie,
Réprimandait, ne voulant mie
Son coeur perce, rompt et déchire
Et tombe expirante céans,
Devant ses époux et parents.
Lors irritée en son coeur porte
De cruels coups et tombe morte;
Mais avant les voulut charger
De son affreux trépas venger.
Cet exemple elle vous procure,
Pour que les femmes il assure
Que quiconque les veut forcer
On le doit faire trépasser;
Aussi le roi et ses fils furent
En exil mis et là moururent,
Et depuis ce grand désarroi
Rome ne voulut plus de roi.
Mais, las! il n'est plus de Lucrèce,
Non plus de Pénélope en Grèce
Ni d'honnête femme ici-bas;
Et croyez-moi, n'en cherchez pas,
Car ce serait peine perdue,
C'est chose des païens connue.
Maintes même on en voit s'offrir
Quand nul ne les vient requérir.
Les partisans du mariage
Ont un trop singulier usage
Et si bizarre, à mon avis,
Que constamment il m'a surpris.
Ne sais d'où vient cette folie
Fors de rage ou de frénésie.
Car qui veut cheval acquérir
N'est pas si fol d'un prix offrir,
Combien qu'avec soin on le couvre,
Si tout entier ne le découvre,
Partout regarde et n'omet rien;
Mais femme se couvre si bien
Que ne se montre découverte
Jamais, ni pour gain ni pour perte,
Pour mésaise ni pour soulas,
Pour, sans plus, ne déplaire pas
Devant que ne soit épousée.
Mais la chose une fois passée,
Lors fait au fol ses moeurs sentir;
Trop tard lui vient le repentir,
Quand elle montre sa malice
Et ne voile plus aucun vice.
Aussi, combien que sagement
Femme se tienne, assurément
Nul n'est qui marié se sente,
S'il n'est fol, qui ne s'en repente.
Femme honnête, par saint Denis!
Il en est moins que de Phénix.
Valérius nous dit lui-même:
Sans souffrir grands tourments nul n'aime
Et grands soucis et grandes peurs
Et niaints autres affreux malheurs.
Moins que de phénix, par ma tête!
Par comparaison plus honnête,
Voire moins que de blancs corbeaux,
Combien que fussent leurs corps beaux.
Et cependant, quoi que j'en die,
Afin que ceux qui sont en vie
Ne puissent répondre, qu'à tort
Toutes les loge en même bord:
C'est oiseau clair semé sur terre;
Qui veut, nonnain ou séculière,
Honnête femme dénicher,
Peut tout son temps perdre à chercher
Cet oiseau bien reconnaissable
Et tout au cygne noir semblable.
Voici, du reste, ce qu'écrit
Juvénal confirmant mon dit:
«Si jamais trouves femme honnête,
Cours au temple, courbe la tête,
Jupiter adore à genoux,
Immole ainsi qu'à son époux,
A Junon la dame honorée,
Une vache toute dorée,
Car jamais n'apparut aux yeux
Événement plus merveilleux.»
D'autre part, Valérius conte,
Et de l'affirmer n'a pas honte:
«Si males femmes veux aimer,
Deçà comme delà la mer
En sont essaims plus drus qu'abeilles
Se rassemblant en leurs corbeilles.»
A quelle fin veut-il venir?
Mal fait telle branche tenir,
Et qui s'y tient, je le proclame,
Y perdra son corps et son âme.
Valérius qui se peinait
De ce que Rufin se voulait
Marier, son ami d'enfance,
Lui faisait telle remontrance:
«Dieux tout-puissants, ami, dit-il,
Es-tu déjà pour ton péril
Pris dans les lacs puissants des femmes
Toutes perfides et infâmes »
Et Juvénal ainsi priait
Postumus qui se mariait:
«Postumus, tu veux femme prendre?
Ne peux-tu donc trouver à vendre
Ou hart, ou licol, ou cordeau,
Du haut d'un pont sauter à l'eau,
Ou par fenêtre d'où la vue
Mesure une immense étendue?
Pourquoi courir si follement
A cette peine, à ce tourment?»
Le roi Phoronéus encore
Qui jadis, aucun ne l'ignore,
Ses lois au peuple grec donna,
A son lit de mort sermonna,
Comme suit, son frère Léonce:
«Mon frère, dit-il, je t'annonce
Que bien heureux j'expirerais
Si femme onc épousé n'avais.»
Et Léonce tantôt la glose
Lui demandant de cette chose:
«Tous l'ont éprouvé les maris
Et par expérience appris,
Et lorsque tu auras pris femme,
Bien le sauras-tu, sur mon âme!»
Et Pierre Abeilard l'avouait,
Que l'abbesse du Paraclet,
Soeur Héloïse, son amie,
Réprimandait, ne voulant mie
Stephandra- Dans l'autre monde
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Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Por riens qu'il l'a préist à fame:
Ains li faisoit la genne dame
Bien entendant et bien letrée,
Et bien amant, et bien amée,
Argumens à li chastier
Qu'il se gardast de marier;
Et li provoit par escritures,
Et par raisons, que sunt trop dures
Condicions de mariage,
Combien que la fame soit sage.
Car les livres avoit léus,
Et estudiés et séus,
Et les meurs feminins savoit,
Car tous essaiés les avoit;
Et requeroit que il l'amast,
Mès que nul droit n'i reclamast
Fors que de grace et de franchise,
Sans seignorie et sans mestrise,
Si qu'il péust estudier,
Tous siens, tous frans, sans soi lier;
Et li redisoit toutevoies,
Que plus plesans érent lor joies,
Et li solas plus en croissoient,
Quant plus à tart s'entrevéoient.
Mès il, si cum escript nous a,
Qui tant l'amoit, puis l'espousa
Contre son amonestement,
Si l'en meschéi ledement:
Car puis qu'el fu, si cum moi semble,
Par l'acors d'ambedeus ensemble,
D'Argenteil nonain revestue,
Fu la coille à Pierre tolue
A Paris, en son lit, de nuis,
Dont moult ot travail et ennuis,
Et fu puis ceste meschéance
Moine de saint Denis en France,
Puis abbé d'une autre abbaie,
Puis fonda, ce dit en sa vie,
Une abbaie renomée,
Qui du Paraclet fut nomée,
Dont Heloïs fu abéesse,
Qui devant iert nonain professe,
Ele méismes le raconte,
Et escrit, et n'en a pas honte,
A son ami que tant amoit,
Que père et seignor le clamoit,
Une merveilleuse parole
Que moult de gens tindrent à fole,
Qui est escrite en ses epistres,
Qui bien cercheroit les chapitres,
Qu'el li manda par letre expresse,
Puis qu'el fu néis abéesse;
Se li empereres de Romme
Sous qui doivent estre tuit homme,
Me daignoit voloir prendre à fame,
Et faire moi du monde dame,
Si vodroie-ge miex, dist-ele,
Et Diex à tesmoing en apele,
Estre ta putain apelée,
Que empereris coronée.
Mès ge ne croi mie, par m'ame,
Conques puis fust une tel fame.
Si croi-ge que la lectréure
La mist à ce que la nature
Que des meurs feminins avoit,
Vaincre et danter miex en savoit.
Certes, se Pierres la créust,
Onc espousée ne l'éust.
Mariages est maus liens,
Ainsinc m'aïst saint Juliens
Qui pelerins errans herberge,
Et saint Lienart qui defferge
Les prisonniers bien repentans,
Quant les voit à soi démentans:
Miex me venist estre alé pendre
Au jor que ge dui fame prendre,
Quant si cointe fame acointai;
Mors sui quant fame si cointe ai.
Mès, par le fiz sainte Marie,
Que me vaut ceste cointerie,
Ceste robe cousteuse et chiere
Qui si vous fait haucier la chiere,
Et tant me grieve et ataïne,
Tant est longue et tant vous traïne?
Por quoi tant d'orguel demenés,
Que g'en deviens tous forcenés.
Que me fait-ele de profit,
Combien qu'ele as autres profit?
A moi ne fait-ele fors nuire:
Car quant me voil à vous déduire,
Ge la trueve si encombreuse,
Si grevaine et si ennuieuse,
Que ge n'en puis à chief venir,
Ne vous i puis adroit tenir,
Tant me faites et tors et ganches
De bras, de trumiaus et de hanches,
Et tant vous alés détortant.
Ne sai comment ce va, fors tant
Que bien voi que ma druerie
Ne mes solas ne vous plaist mie:
Néis au soir quant ge me couche,
Ains que vous reçoive en ma couche,
Si cum prodons fait sa moillier,
Là vous estuet-il despoillier:
N'avés sor chief, sor cors, sor hanche
C'une coiffe de toile blanche,
Et les treçons yndes ou vers,
Espoir sous la coiffe couvers;
Les robes et les pennes grises
Sunt lores à la perche mises
Toute la nuit pendans à l'air.
Que me puet or tout ce valair,
Fors à vendre ou à engagier?
Vif me véés-vous enragier,
Et morir de la male-rage,
Si ge ne veut tout et engage;
Car, puis que par jor si me nuisent,
Et par nuit point ne me déduisent,
Quel profit i puis-ge autre atendre,
Fors que d'engagier ou de vendre?
Ne vous, se par le voir alés,
De nule riens miex n'en valés,
Ne de sens, ne de loiauté,
Non, par Dies, néis de biauté.
Et se nuz homs, por moi confondre,
Voloit oposer ou respondre
Que les bontés des choses bonnes
Vont bien és estranges personnes,
Et que biaus garnemens font beles
Les dames et les damoiseles;
Certes quiconques ce diroit,
Ge diroie qu'il mentiroit:
Car la biautez des beles choses,
Soient violetes ou roses,
Ou dras de soie, ou flors de lis,
Si cum escrit où livres lis,
Sunt en eus et non pas ès dames;
Car savoir doivent toutes fames
Que jà fame jor qu'ele vive,
N'aura fors sa biauté naïve;
Et tout autant dis de bonté,
Cum de biauté vous ai conté.
Si di, por ma parole ovrir,
Qui vodroit un femier covrir
De dras de soie ou de floretes
Bien colorées et bien netes,
Si seroit certes li femiers,
Qui de puir est coustumiers,
Tex cum avant estre soloit;
Et se nus hons dire voloit,
Se li femiers est lait par ens
Defors est-il plus biaus parens:
Tout ainsinc les dames se perent
Por ce que plus beles en perent,
Ou por lor ledure repondre.
Par foi ci ne sai-ge respondre,
Fors tant que tel décepcion
Vient de la fole vision
Des yex qui parées les voient,
Par quoi li cuers si se desvoient
Por la plesant impression
De lor imaginacion,
Qu'il ne sevent aparcevoir
Ne la mençonge, ne le voir,
Ne le sofime devisier
Par defaut de bien avisier.
Mès s'il éussent yex de lins,
Jà por lor mautiaus sebelins,
Pour rien sa femme devenir;
Mais pour combattre son désir,
Bien entendue et bien lettrée,
Et bien aimante, et bien aimée,
Ne cessait de le supplier
De ne jamais se marier,
Et lui prouvait, par écritures
Et par raisons, que sont trop dures
Les lois du mariage à tous,
Combien soient sages les époux.
Car elle avait l'histoire lue,
Étudiée au long et sue,
Et les moeurs des femmes savait,
Par l'essai qu'elle en avait fait,
Et le priait de l'aimer telle
Sans réclamer nul droit sur elle,
Fors droit de franchise et d'amour,
Sans s'imposer et sans détour,
Et de se livrer à l'étude
Tout entier et sans servitude.
Et puis ensuite elle ajoutait
Que plus doux leur plaisir était
Et plus vive leur jouissance,
Quand plus longue était leur absence.
Mais Pierre, comme écrit nous a,
Si fort l'aimait, qu'il l'épousa
Malgré sa longue résistance,
D'où lui vint dure méchéance.
Car d'un commun accord après,
Elle ayant été, comme sais,
D'Argenteuil nonnain revêtue,
Fut la couille à Pierre tondue,
A Paris, en son lit, de nuit,
Dont eut grand' peine et grand ennui,
Et fut depuis sa méchéance
Moine de Saint-Denis en France,
Puis d'une autre abbaye abbé;
Une autre ensuite il a fondé,
Comme il le dit, bien renommée.
Qui fut du Paraclet nommée,
Dont sa mie abbesse il nomma,
Nonnain professe jusque-là.
Elle-même nous le raconte
Et même écrit, et n'a pas honte,
A son ami que tant aimait
Que père et seigneur le clamait,
Une merveilleuse parole,
Que maintes gens tiennent pour folle,
Qu'en ses épîtres trouverait
Qui bien chapitres chercherait.
Elle lui dit par lettre expresse
Aussitôt qu'elle fut abbesse:
«Oui, si l'empereur des Romains,
Sous qui doivent tous les humains
Fléchir, daignait me prendre à femme
Et faire moi du monde dame,
J'aimerais mieux, et sur ce point
Je prends Dieu lui-même à témoin,
Être ta putain appelée
Qu'impératrice couronnée.»
Mais, par mon âme, à mon avis,
Telle femme ne fut depuis.
Je crois que grâce à sa science
Et la profonde connaissance
Que du coeur féminin avait,
Mieux se vaincre et dompter savait,
Et si Pierre l'eût écoutée,
Oncques ne l'eût-il épousée.
Mariage est mauvais lien;
Aussi, m'assiste saint Julien,
Asile aux pèlerins qui prête,
Et saint Léonard qui rachète
Les prisonniers bien repentants,
Quand vers lui les voit lamentants,
Mieux j'eusse fait de m'aller pendre
Le jour où je dus femme prendre
Et si coquette la choisis,
Si coquette que mort j'en suis.
Mais que me vaut (fils de Marie!),
Toute cette coquetterie,
Ces atours si chers, si coûteux,
Qui vous font l'air si glorieux?
Plus votre robe est longue et traîne,
Plus elle m'agace et me gêne,
Car tant d'orgueil vous a donné
Que j'en deviens tout forcené.
En quoi m'est-elle profitable?
Pour tous les autres agréable,
Toujours elle me fait gémir;
Car si je veux de vous jouir,
Je la trouve si encombrante,
Si ennuyeuse et si gênante,
Qu'à mes fins je ne puis venir
Ni dans mes bras vous retenir.
Tant faites mouvements de manches,
De reins, de jambes et de hanches,
Et tant vous allez démenant
Que ne puis rien; et clairement
Je vois que ma galanterie
Et mes jeux ne vous plaisent mie.
Et quand je me couche le soir,
Au lit prêt à vous recevoir,
Comme tout bon mari doit faire,
Vous vous dépouillez tout entière,
Où votre tête et votre sein
Couvrez d'une coiffe de lin,
Où les rubans bleus, verts et roses,
Sont clos; toutes ces belles choses,
Robes, tissus d'un prix si cher,
Toute la nuit pendent en l'air.
A quoi donc peuvent m'être utiles
Ces riens encombrants et futiles,
Fors à vendre ou bien engager?
Vous me verrez vif enrager
Et mourir de la male rage,
Si tôt ne les vends et n'engage.
Car si tout cela tant me nuit
Le jour et ne me sert la nuit,
Quel profit pourrais-je en attendre
A moins de l'engager ou vendre?
Et vous-même, pour en finir,
Si la raison pouvez ouïr,
Sachez que vous n'y gagnez guère
Ni pour la sagesse, ma chère,
Par Dieu, ni pour la loyauté,
Encore moins pour la beauté.
Et si quelqu'un, pour me confondre,
Voulait opposer ou répondre,
Que rehaussent nos qualités
Des bonnes choses les bontés,
Et que beaux ornements font belles
Les dames et les damoiselles,
Certes quiconque le dirait
Je proclame qu'il mentirait.
Car la beauté des belles choses,
Soit violettes, fraîches roses,
Ou draps de soie ou fleurs de lys,
Comme dans les livres je lis,
Est leur bien, non celui des dames;
Car savoir doivent toutes femmes
Que rien ne peut être ajouté
A leur naturelle beauté.
Ce que pour la beauté j'expose
Est pour la bonté même glose.
Pour mon penser mieux définir,
Qui voudrait un fumier couvrir
De drap de soie ou de fleurettes
Aux couleurs brillantes et nettes,
Certes resterait le fumier,
Qui de puer est coutumier,
Tel comme avant il soulait être;
Et si quelqu'un voulait émettre
Que le fumier est laid dedans,
Mais beau grâce à ses ornements,
Comme se parent damoiselles,
Afin de paraître plus belles
Ou pour déguiser leur laideur;
Contre une si bizarre erreur,
Ma foi, je ne saurais que dire,
Sinon pourtant que tel délire
Et que telle déception
Vient de la folle vision
Des yeux, qui la parure voient,
Sans plus, d'où les coeurs se dévoient
Par la plaisante impression
De leur imagination;
Car ils ne savent, comme en songe.
Distinguer le vrai du mensonge
Ni le sophisme deviser,
Par défaut de bien aviser.
Ains li faisoit la genne dame
Bien entendant et bien letrée,
Et bien amant, et bien amée,
Argumens à li chastier
Qu'il se gardast de marier;
Et li provoit par escritures,
Et par raisons, que sunt trop dures
Condicions de mariage,
Combien que la fame soit sage.
Car les livres avoit léus,
Et estudiés et séus,
Et les meurs feminins savoit,
Car tous essaiés les avoit;
Et requeroit que il l'amast,
Mès que nul droit n'i reclamast
Fors que de grace et de franchise,
Sans seignorie et sans mestrise,
Si qu'il péust estudier,
Tous siens, tous frans, sans soi lier;
Et li redisoit toutevoies,
Que plus plesans érent lor joies,
Et li solas plus en croissoient,
Quant plus à tart s'entrevéoient.
Mès il, si cum escript nous a,
Qui tant l'amoit, puis l'espousa
Contre son amonestement,
Si l'en meschéi ledement:
Car puis qu'el fu, si cum moi semble,
Par l'acors d'ambedeus ensemble,
D'Argenteil nonain revestue,
Fu la coille à Pierre tolue
A Paris, en son lit, de nuis,
Dont moult ot travail et ennuis,
Et fu puis ceste meschéance
Moine de saint Denis en France,
Puis abbé d'une autre abbaie,
Puis fonda, ce dit en sa vie,
Une abbaie renomée,
Qui du Paraclet fut nomée,
Dont Heloïs fu abéesse,
Qui devant iert nonain professe,
Ele méismes le raconte,
Et escrit, et n'en a pas honte,
A son ami que tant amoit,
Que père et seignor le clamoit,
Une merveilleuse parole
Que moult de gens tindrent à fole,
Qui est escrite en ses epistres,
Qui bien cercheroit les chapitres,
Qu'el li manda par letre expresse,
Puis qu'el fu néis abéesse;
Se li empereres de Romme
Sous qui doivent estre tuit homme,
Me daignoit voloir prendre à fame,
Et faire moi du monde dame,
Si vodroie-ge miex, dist-ele,
Et Diex à tesmoing en apele,
Estre ta putain apelée,
Que empereris coronée.
Mès ge ne croi mie, par m'ame,
Conques puis fust une tel fame.
Si croi-ge que la lectréure
La mist à ce que la nature
Que des meurs feminins avoit,
Vaincre et danter miex en savoit.
Certes, se Pierres la créust,
Onc espousée ne l'éust.
Mariages est maus liens,
Ainsinc m'aïst saint Juliens
Qui pelerins errans herberge,
Et saint Lienart qui defferge
Les prisonniers bien repentans,
Quant les voit à soi démentans:
Miex me venist estre alé pendre
Au jor que ge dui fame prendre,
Quant si cointe fame acointai;
Mors sui quant fame si cointe ai.
Mès, par le fiz sainte Marie,
Que me vaut ceste cointerie,
Ceste robe cousteuse et chiere
Qui si vous fait haucier la chiere,
Et tant me grieve et ataïne,
Tant est longue et tant vous traïne?
Por quoi tant d'orguel demenés,
Que g'en deviens tous forcenés.
Que me fait-ele de profit,
Combien qu'ele as autres profit?
A moi ne fait-ele fors nuire:
Car quant me voil à vous déduire,
Ge la trueve si encombreuse,
Si grevaine et si ennuieuse,
Que ge n'en puis à chief venir,
Ne vous i puis adroit tenir,
Tant me faites et tors et ganches
De bras, de trumiaus et de hanches,
Et tant vous alés détortant.
Ne sai comment ce va, fors tant
Que bien voi que ma druerie
Ne mes solas ne vous plaist mie:
Néis au soir quant ge me couche,
Ains que vous reçoive en ma couche,
Si cum prodons fait sa moillier,
Là vous estuet-il despoillier:
N'avés sor chief, sor cors, sor hanche
C'une coiffe de toile blanche,
Et les treçons yndes ou vers,
Espoir sous la coiffe couvers;
Les robes et les pennes grises
Sunt lores à la perche mises
Toute la nuit pendans à l'air.
Que me puet or tout ce valair,
Fors à vendre ou à engagier?
Vif me véés-vous enragier,
Et morir de la male-rage,
Si ge ne veut tout et engage;
Car, puis que par jor si me nuisent,
Et par nuit point ne me déduisent,
Quel profit i puis-ge autre atendre,
Fors que d'engagier ou de vendre?
Ne vous, se par le voir alés,
De nule riens miex n'en valés,
Ne de sens, ne de loiauté,
Non, par Dies, néis de biauté.
Et se nuz homs, por moi confondre,
Voloit oposer ou respondre
Que les bontés des choses bonnes
Vont bien és estranges personnes,
Et que biaus garnemens font beles
Les dames et les damoiseles;
Certes quiconques ce diroit,
Ge diroie qu'il mentiroit:
Car la biautez des beles choses,
Soient violetes ou roses,
Ou dras de soie, ou flors de lis,
Si cum escrit où livres lis,
Sunt en eus et non pas ès dames;
Car savoir doivent toutes fames
Que jà fame jor qu'ele vive,
N'aura fors sa biauté naïve;
Et tout autant dis de bonté,
Cum de biauté vous ai conté.
Si di, por ma parole ovrir,
Qui vodroit un femier covrir
De dras de soie ou de floretes
Bien colorées et bien netes,
Si seroit certes li femiers,
Qui de puir est coustumiers,
Tex cum avant estre soloit;
Et se nus hons dire voloit,
Se li femiers est lait par ens
Defors est-il plus biaus parens:
Tout ainsinc les dames se perent
Por ce que plus beles en perent,
Ou por lor ledure repondre.
Par foi ci ne sai-ge respondre,
Fors tant que tel décepcion
Vient de la fole vision
Des yex qui parées les voient,
Par quoi li cuers si se desvoient
Por la plesant impression
De lor imaginacion,
Qu'il ne sevent aparcevoir
Ne la mençonge, ne le voir,
Ne le sofime devisier
Par defaut de bien avisier.
Mès s'il éussent yex de lins,
Jà por lor mautiaus sebelins,
Pour rien sa femme devenir;
Mais pour combattre son désir,
Bien entendue et bien lettrée,
Et bien aimante, et bien aimée,
Ne cessait de le supplier
De ne jamais se marier,
Et lui prouvait, par écritures
Et par raisons, que sont trop dures
Les lois du mariage à tous,
Combien soient sages les époux.
Car elle avait l'histoire lue,
Étudiée au long et sue,
Et les moeurs des femmes savait,
Par l'essai qu'elle en avait fait,
Et le priait de l'aimer telle
Sans réclamer nul droit sur elle,
Fors droit de franchise et d'amour,
Sans s'imposer et sans détour,
Et de se livrer à l'étude
Tout entier et sans servitude.
Et puis ensuite elle ajoutait
Que plus doux leur plaisir était
Et plus vive leur jouissance,
Quand plus longue était leur absence.
Mais Pierre, comme écrit nous a,
Si fort l'aimait, qu'il l'épousa
Malgré sa longue résistance,
D'où lui vint dure méchéance.
Car d'un commun accord après,
Elle ayant été, comme sais,
D'Argenteuil nonnain revêtue,
Fut la couille à Pierre tondue,
A Paris, en son lit, de nuit,
Dont eut grand' peine et grand ennui,
Et fut depuis sa méchéance
Moine de Saint-Denis en France,
Puis d'une autre abbaye abbé;
Une autre ensuite il a fondé,
Comme il le dit, bien renommée.
Qui fut du Paraclet nommée,
Dont sa mie abbesse il nomma,
Nonnain professe jusque-là.
Elle-même nous le raconte
Et même écrit, et n'a pas honte,
A son ami que tant aimait
Que père et seigneur le clamait,
Une merveilleuse parole,
Que maintes gens tiennent pour folle,
Qu'en ses épîtres trouverait
Qui bien chapitres chercherait.
Elle lui dit par lettre expresse
Aussitôt qu'elle fut abbesse:
«Oui, si l'empereur des Romains,
Sous qui doivent tous les humains
Fléchir, daignait me prendre à femme
Et faire moi du monde dame,
J'aimerais mieux, et sur ce point
Je prends Dieu lui-même à témoin,
Être ta putain appelée
Qu'impératrice couronnée.»
Mais, par mon âme, à mon avis,
Telle femme ne fut depuis.
Je crois que grâce à sa science
Et la profonde connaissance
Que du coeur féminin avait,
Mieux se vaincre et dompter savait,
Et si Pierre l'eût écoutée,
Oncques ne l'eût-il épousée.
Mariage est mauvais lien;
Aussi, m'assiste saint Julien,
Asile aux pèlerins qui prête,
Et saint Léonard qui rachète
Les prisonniers bien repentants,
Quand vers lui les voit lamentants,
Mieux j'eusse fait de m'aller pendre
Le jour où je dus femme prendre
Et si coquette la choisis,
Si coquette que mort j'en suis.
Mais que me vaut (fils de Marie!),
Toute cette coquetterie,
Ces atours si chers, si coûteux,
Qui vous font l'air si glorieux?
Plus votre robe est longue et traîne,
Plus elle m'agace et me gêne,
Car tant d'orgueil vous a donné
Que j'en deviens tout forcené.
En quoi m'est-elle profitable?
Pour tous les autres agréable,
Toujours elle me fait gémir;
Car si je veux de vous jouir,
Je la trouve si encombrante,
Si ennuyeuse et si gênante,
Qu'à mes fins je ne puis venir
Ni dans mes bras vous retenir.
Tant faites mouvements de manches,
De reins, de jambes et de hanches,
Et tant vous allez démenant
Que ne puis rien; et clairement
Je vois que ma galanterie
Et mes jeux ne vous plaisent mie.
Et quand je me couche le soir,
Au lit prêt à vous recevoir,
Comme tout bon mari doit faire,
Vous vous dépouillez tout entière,
Où votre tête et votre sein
Couvrez d'une coiffe de lin,
Où les rubans bleus, verts et roses,
Sont clos; toutes ces belles choses,
Robes, tissus d'un prix si cher,
Toute la nuit pendent en l'air.
A quoi donc peuvent m'être utiles
Ces riens encombrants et futiles,
Fors à vendre ou bien engager?
Vous me verrez vif enrager
Et mourir de la male rage,
Si tôt ne les vends et n'engage.
Car si tout cela tant me nuit
Le jour et ne me sert la nuit,
Quel profit pourrais-je en attendre
A moins de l'engager ou vendre?
Et vous-même, pour en finir,
Si la raison pouvez ouïr,
Sachez que vous n'y gagnez guère
Ni pour la sagesse, ma chère,
Par Dieu, ni pour la loyauté,
Encore moins pour la beauté.
Et si quelqu'un, pour me confondre,
Voulait opposer ou répondre,
Que rehaussent nos qualités
Des bonnes choses les bontés,
Et que beaux ornements font belles
Les dames et les damoiselles,
Certes quiconque le dirait
Je proclame qu'il mentirait.
Car la beauté des belles choses,
Soit violettes, fraîches roses,
Ou draps de soie ou fleurs de lys,
Comme dans les livres je lis,
Est leur bien, non celui des dames;
Car savoir doivent toutes femmes
Que rien ne peut être ajouté
A leur naturelle beauté.
Ce que pour la beauté j'expose
Est pour la bonté même glose.
Pour mon penser mieux définir,
Qui voudrait un fumier couvrir
De drap de soie ou de fleurettes
Aux couleurs brillantes et nettes,
Certes resterait le fumier,
Qui de puer est coutumier,
Tel comme avant il soulait être;
Et si quelqu'un voulait émettre
Que le fumier est laid dedans,
Mais beau grâce à ses ornements,
Comme se parent damoiselles,
Afin de paraître plus belles
Ou pour déguiser leur laideur;
Contre une si bizarre erreur,
Ma foi, je ne saurais que dire,
Sinon pourtant que tel délire
Et que telle déception
Vient de la folle vision
Des yeux, qui la parure voient,
Sans plus, d'où les coeurs se dévoient
Par la plaisante impression
De leur imagination;
Car ils ne savent, comme en songe.
Distinguer le vrai du mensonge
Ni le sophisme deviser,
Par défaut de bien aviser.
Stephandra- Dans l'autre monde
- Nombre de messages : 16007
Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Ne por sorcos, ne por coteles,
Ne por guindes, ne por toeles,
Ne por chainses, ne por pelices,
Ne por joiaus, ne por dévices,
Ne por lor moës desguisées,
Qui bien les auroit avisées,
Ne por lor luisans superfices
Dont eus resemblent artefices,
Ne por chapiaus de flors noveles,
Ne lor semblassent estre beles,
Car le cors Alcipiadès,
Qui de biauté avoit adès,
Et de color et de feture,
Tant l'avoit bien formé nature,
Qui dedans véoir le porroit,
Por trop lait tenir le vorroit.
Ainsinc le raconte Boëce,
Sages hons et plains de proëce,
Et trait à témoing Aristote
Qui la parole ainsinc li note;
Car lins a la regardéure
Si fort, si perçant et si dure,
Qu'il voit tout quanque l'en li moustre,
Et dehors et dedans tout outre.
Si dit c'onques en nul aé
Biauté n'ot pez o Chastéé;
Tous jors i a si grant tençon,
C'onques en fable n'en chançon,
Dire n'oï ne recorder
Que riens les péust acorder:
Qu'il ont entr'eus si mortel guerre,
Que jà l'une plain pied de terre
A l'autre ne lerra tenir,
Tant cum puist au dessus venir.
Mès la chose est si mal partie,
Que Chastéé pert sa partie
Quant assaut, ou quant se revanche:
Tant set poi de luite et de ganche,
Que li convient ses armes rendre,
Qu'el n'a pooir de soi deffendre
Contre biauté qui trop est fiere.
Leidor néis sa chamberiere,
Qui li doit honor et service,
Ne l'aime pas tant, ne ne prise,
Que de son ostel ne la chace,
* * * * *
Beaulté si Chasteté guerroye,
Et Laidure aussi la maistroye
De servir à vertus leur dame,
Qui des chastes à malle fame.
Et li cort sus, au col la mace,
Qui tant est grosse et tant li poise
Que merveilleusement li poise
Dont sa dame en vie demore
La montance d'une sole hore.
S'est Chastéé trop mal baillie,
Quant de deus pars est assaillie,
Si n'a de nule part secors,
Si l'en estuet foïr le cors:
Car el se voit en l'estor seule,
S'el l'avoit juré sus sa gueule,
Séust néis assés de luite,
Quant aucuns encontre li luite,
N'oseroit-ele contrester,
Si qu'el n'i puet riens conquester.
Laidor ait ores mal dehé,
Quant si guerroie Chastéé,
Que deffendre et tenser déust;
Néis se mucier la péust
Entre sa char et sa chemise,
Si l'i déust-ele avoir mise.
Moult refait certes à blasmer
Biauté qui la déust amer,
Et procurer, s'ele péust,
Que bonne pès entre eus éust;
Son pooir au mains en féist,
Ou qu'en sa merci se méist;
Que bien li déust faire hommage,
S'ele fust preus, cortoise et sage,
Non pas faire honte et vergoigne;
Car la letre néis tesmoigne
Où sisiesme livre Virgile,
Par l'auctorité de Sebile,
Que nus qui vive chastement,
Ne puet venir à dampnement.
Dont ge jur Diex, le roi celestre,
Que fame qui bele vuet estre,
Ou qui du ressembler se paine,
Et se remire et se demaine
Por soi parer et cointoier,
Qu'el vuet Chastéé guerroier,
Car moult a certes d'anemies.
Par cloistres et par abbaies,
Sunt toutes contre li jurées;
Jà si ne seront enmurées
Que Chastéé si fort ne héent,
Que toutes à honir ne béent.
Toutes font à Venus hommage,
Sans regarder preu ne dommage,
Et se cointoient et se fardent
Por ceus bouler qui les regardent;
Et vont traçant parmi ces ruës,
Por véoir, por estre véuës;
Por faire as compaignons desir
De voloir avec eus gesir.
Por ce portent-eus les cointises
As karoles et as eglises:
Car jà nule ce ne féist,
S'el ne cuidast qu'en la véist,
Et que par ce plus tost pléust
A ceus que decevoir péust.
Mès certes qui le voir en conte,
Moult font fames à Diex grant honte,
Comme foles et desvoiées,
Quant ne se tiennent apoiées
De la biauté que Diex lor donne.
Chascune a sor son chief coronne
De floretes d'or ou de soie,
Et s'en orguillist et cointoie
Quant se va monstrant par la vile;
Par quoi trop malement s'avile
La maléurée, la lasse,
Quant chose plus vile et plus basse
De soi vuet sor son chief atraire,
Por sa biauté croistre ou parfaire;
Et vet ainsinc Diex despisant,
Qu'el le tient por non soffisant,
Mais du lynx s'ils avaient la vue,
Jamais pour robe bien vêtue,
Corsage, guimpe, justaucorps,
Dentelles et brillants dehors
Toujours faux, agaçantes mines,
Manteaux de marthes zibelines,
Joyaux riches et précieux,
Tant fussent éblouis leurs yeux,
Ni pour chapel de fleurs nouvelles,
Femmes ne leur sembleraient belles;
Car d'Alcibiade le corps
Si florissant, si beau dehors,
De si noble et gente structure,
Tant l'avait bien formé Nature,
Qui par dedans le voir pourrait,
Pour trop laid certes le tiendrait.
Ainsi le raconte Boèce,
Homme sage et plein de prouesse,
Aristote à témoin prenant
Et ses paroles rapportant,
Car le lynx a si forte vue
Et si perçante et si aiguë,
Qu'il voit tous les objets céans
Aussi bien dehors que dedans.
Au surplus, jamais de la vie
Beauté de vertu n'est l'amie.
Elles se livrent tels assauts,
Que jamais en nos fabliaux,
En nos chansons et poésies,
Rien qui pût ces deux ennemies
Mettre d'accord n'ouïs conter.
Entre elles on les voit lutter
Toujours en si mortelle guerre,
Que jamais l'une un pied de terre
Ne laissera l'autre tenir
Tant qu'au-dessus puisse venir.
Mais la chance est mal répartie,
Et Chasteté perd la partie,
Et succombe au combat toujours;
Tant sait peu de lutte et de tours,
Qu'il lui convient les armes rendre
Et n'a pouvoir de se défendre
Contre Beauté trop fort lutteur.
Sa servante même, Laideur,
Qui lui doit honneur, assistance,
Si peu lui porte révérence,
Si peu l'aime, que, sans façon,
Vous la chasse de sa maison,
* * * * *
Beauté tant Chasteté guerroie,
Laideur aussi tant la rudoie,
Qu'ils lui font leur dame servir,
Qui chastes femmes fait honnir.
Et lui court sus parmi la place,
Saillante au col sa grosse masse
Si lourde qu'il semble vraiment
Que ce lui soit moult grand tourment
Que sa maîtresse encor demeure
Vivante l'espace d'une heure.
Ainsi trop faible est Chasteté;
En lutte de chaque côté
Et de nulle part défendue,
Elle s'enfuit toute éperdue.
Car seule au combat se voyant,
L'eût-elle juré par serment,
Elle ne sait assez de lutte,
Quand tel lutteur contre elle lutte,
Pour oser même résister,
Sans espoir de rien conquêter.
Que Laideur tombe en male voie
Quand si fort Chasteté guerroie
Que protéger elle devrait!
Si même cacher la pouvait
Entre sa chair et sa chemise,
Elle devrait l'y avoir mise.
Beauté certe est bien à blâmer
Aussi, qui la devrait aimer,
Et, s'il se peut, faire qu'entre elles
Bonne paix finît leurs querelles,
En faire au moins tout son pouvoir
Et ses lois mêmes recevoir.
Si courtoise elle était et sage,
Elle devrait lui faire faire hommage
Et non pas honte ni dépit.
Car le témoigne ainsi l'écrit,
Au sixte livre de Virgile,
Par la bouche de la sibylle:
«Que nul qui vive chastement
Ne peut venir à damnement,»
D'où je jure par Dieu le Père:
«Femme qui veut belle se faire
Et qui, pour le sembler au moins,
A se parer met tous ses soins
Et s'admirer, c'est que la guerre
Elle veut à Chasteté faire.»
Aussi que d'ennemis ardents!
Par les cloîtres et les couvents,
Toutes contre elle conjurées,
Femmes ne sont assez murées
Pour Chasteté ne point haïr
Ni s'efforcer de la honnir.
Toutes font à Vénus hommage
Sans voir ni profit ni dommage,
Se parent, se couvrent de fards
Afin d'abuser les regards,
Et s'en vont traçant par les rues,
Pour voir, surtout pour être vues
Et donner aux hommes désir
De les vouloir au lit saillir.
Aussi toutes leurs marchandises,
Aux karoles comme aux églises,
Portent-elles également,
Et nulle, bien certainement,
Ne sortirait ainsi vêtue,
Si ne désirait être vue,
Adonc, en séduisant les yeux,
Tromper les gens plus vite et mieux.
Mais pour celui qui juste compte,
Moult à Dieu font femmes grand' honte,
Quand, dans leur fol égarement,
Ne se contentent simplement
De la beauté que Dieu leur donne.
Chacune sa tête couronne
De fleurettes de soie ou d'or,
Et vaine s'enorgueillit fort
Quand se va montrant par la ville.
Ainsi plus méprisable et vile
La malheureuse alors se fait,
Quand d'un plus bas et vil objet
Qu'elle-même, à s'orner s'ingère,
Pour sa beauté croître ou parfaire.
Elle s'en va Dieu méprisant
Et le proclame insuffisant,
Ne por guindes, ne por toeles,
Ne por chainses, ne por pelices,
Ne por joiaus, ne por dévices,
Ne por lor moës desguisées,
Qui bien les auroit avisées,
Ne por lor luisans superfices
Dont eus resemblent artefices,
Ne por chapiaus de flors noveles,
Ne lor semblassent estre beles,
Car le cors Alcipiadès,
Qui de biauté avoit adès,
Et de color et de feture,
Tant l'avoit bien formé nature,
Qui dedans véoir le porroit,
Por trop lait tenir le vorroit.
Ainsinc le raconte Boëce,
Sages hons et plains de proëce,
Et trait à témoing Aristote
Qui la parole ainsinc li note;
Car lins a la regardéure
Si fort, si perçant et si dure,
Qu'il voit tout quanque l'en li moustre,
Et dehors et dedans tout outre.
Si dit c'onques en nul aé
Biauté n'ot pez o Chastéé;
Tous jors i a si grant tençon,
C'onques en fable n'en chançon,
Dire n'oï ne recorder
Que riens les péust acorder:
Qu'il ont entr'eus si mortel guerre,
Que jà l'une plain pied de terre
A l'autre ne lerra tenir,
Tant cum puist au dessus venir.
Mès la chose est si mal partie,
Que Chastéé pert sa partie
Quant assaut, ou quant se revanche:
Tant set poi de luite et de ganche,
Que li convient ses armes rendre,
Qu'el n'a pooir de soi deffendre
Contre biauté qui trop est fiere.
Leidor néis sa chamberiere,
Qui li doit honor et service,
Ne l'aime pas tant, ne ne prise,
Que de son ostel ne la chace,
* * * * *
Beaulté si Chasteté guerroye,
Et Laidure aussi la maistroye
De servir à vertus leur dame,
Qui des chastes à malle fame.
Et li cort sus, au col la mace,
Qui tant est grosse et tant li poise
Que merveilleusement li poise
Dont sa dame en vie demore
La montance d'une sole hore.
S'est Chastéé trop mal baillie,
Quant de deus pars est assaillie,
Si n'a de nule part secors,
Si l'en estuet foïr le cors:
Car el se voit en l'estor seule,
S'el l'avoit juré sus sa gueule,
Séust néis assés de luite,
Quant aucuns encontre li luite,
N'oseroit-ele contrester,
Si qu'el n'i puet riens conquester.
Laidor ait ores mal dehé,
Quant si guerroie Chastéé,
Que deffendre et tenser déust;
Néis se mucier la péust
Entre sa char et sa chemise,
Si l'i déust-ele avoir mise.
Moult refait certes à blasmer
Biauté qui la déust amer,
Et procurer, s'ele péust,
Que bonne pès entre eus éust;
Son pooir au mains en féist,
Ou qu'en sa merci se méist;
Que bien li déust faire hommage,
S'ele fust preus, cortoise et sage,
Non pas faire honte et vergoigne;
Car la letre néis tesmoigne
Où sisiesme livre Virgile,
Par l'auctorité de Sebile,
Que nus qui vive chastement,
Ne puet venir à dampnement.
Dont ge jur Diex, le roi celestre,
Que fame qui bele vuet estre,
Ou qui du ressembler se paine,
Et se remire et se demaine
Por soi parer et cointoier,
Qu'el vuet Chastéé guerroier,
Car moult a certes d'anemies.
Par cloistres et par abbaies,
Sunt toutes contre li jurées;
Jà si ne seront enmurées
Que Chastéé si fort ne héent,
Que toutes à honir ne béent.
Toutes font à Venus hommage,
Sans regarder preu ne dommage,
Et se cointoient et se fardent
Por ceus bouler qui les regardent;
Et vont traçant parmi ces ruës,
Por véoir, por estre véuës;
Por faire as compaignons desir
De voloir avec eus gesir.
Por ce portent-eus les cointises
As karoles et as eglises:
Car jà nule ce ne féist,
S'el ne cuidast qu'en la véist,
Et que par ce plus tost pléust
A ceus que decevoir péust.
Mès certes qui le voir en conte,
Moult font fames à Diex grant honte,
Comme foles et desvoiées,
Quant ne se tiennent apoiées
De la biauté que Diex lor donne.
Chascune a sor son chief coronne
De floretes d'or ou de soie,
Et s'en orguillist et cointoie
Quant se va monstrant par la vile;
Par quoi trop malement s'avile
La maléurée, la lasse,
Quant chose plus vile et plus basse
De soi vuet sor son chief atraire,
Por sa biauté croistre ou parfaire;
Et vet ainsinc Diex despisant,
Qu'el le tient por non soffisant,
Mais du lynx s'ils avaient la vue,
Jamais pour robe bien vêtue,
Corsage, guimpe, justaucorps,
Dentelles et brillants dehors
Toujours faux, agaçantes mines,
Manteaux de marthes zibelines,
Joyaux riches et précieux,
Tant fussent éblouis leurs yeux,
Ni pour chapel de fleurs nouvelles,
Femmes ne leur sembleraient belles;
Car d'Alcibiade le corps
Si florissant, si beau dehors,
De si noble et gente structure,
Tant l'avait bien formé Nature,
Qui par dedans le voir pourrait,
Pour trop laid certes le tiendrait.
Ainsi le raconte Boèce,
Homme sage et plein de prouesse,
Aristote à témoin prenant
Et ses paroles rapportant,
Car le lynx a si forte vue
Et si perçante et si aiguë,
Qu'il voit tous les objets céans
Aussi bien dehors que dedans.
Au surplus, jamais de la vie
Beauté de vertu n'est l'amie.
Elles se livrent tels assauts,
Que jamais en nos fabliaux,
En nos chansons et poésies,
Rien qui pût ces deux ennemies
Mettre d'accord n'ouïs conter.
Entre elles on les voit lutter
Toujours en si mortelle guerre,
Que jamais l'une un pied de terre
Ne laissera l'autre tenir
Tant qu'au-dessus puisse venir.
Mais la chance est mal répartie,
Et Chasteté perd la partie,
Et succombe au combat toujours;
Tant sait peu de lutte et de tours,
Qu'il lui convient les armes rendre
Et n'a pouvoir de se défendre
Contre Beauté trop fort lutteur.
Sa servante même, Laideur,
Qui lui doit honneur, assistance,
Si peu lui porte révérence,
Si peu l'aime, que, sans façon,
Vous la chasse de sa maison,
* * * * *
Beauté tant Chasteté guerroie,
Laideur aussi tant la rudoie,
Qu'ils lui font leur dame servir,
Qui chastes femmes fait honnir.
Et lui court sus parmi la place,
Saillante au col sa grosse masse
Si lourde qu'il semble vraiment
Que ce lui soit moult grand tourment
Que sa maîtresse encor demeure
Vivante l'espace d'une heure.
Ainsi trop faible est Chasteté;
En lutte de chaque côté
Et de nulle part défendue,
Elle s'enfuit toute éperdue.
Car seule au combat se voyant,
L'eût-elle juré par serment,
Elle ne sait assez de lutte,
Quand tel lutteur contre elle lutte,
Pour oser même résister,
Sans espoir de rien conquêter.
Que Laideur tombe en male voie
Quand si fort Chasteté guerroie
Que protéger elle devrait!
Si même cacher la pouvait
Entre sa chair et sa chemise,
Elle devrait l'y avoir mise.
Beauté certe est bien à blâmer
Aussi, qui la devrait aimer,
Et, s'il se peut, faire qu'entre elles
Bonne paix finît leurs querelles,
En faire au moins tout son pouvoir
Et ses lois mêmes recevoir.
Si courtoise elle était et sage,
Elle devrait lui faire faire hommage
Et non pas honte ni dépit.
Car le témoigne ainsi l'écrit,
Au sixte livre de Virgile,
Par la bouche de la sibylle:
«Que nul qui vive chastement
Ne peut venir à damnement,»
D'où je jure par Dieu le Père:
«Femme qui veut belle se faire
Et qui, pour le sembler au moins,
A se parer met tous ses soins
Et s'admirer, c'est que la guerre
Elle veut à Chasteté faire.»
Aussi que d'ennemis ardents!
Par les cloîtres et les couvents,
Toutes contre elle conjurées,
Femmes ne sont assez murées
Pour Chasteté ne point haïr
Ni s'efforcer de la honnir.
Toutes font à Vénus hommage
Sans voir ni profit ni dommage,
Se parent, se couvrent de fards
Afin d'abuser les regards,
Et s'en vont traçant par les rues,
Pour voir, surtout pour être vues
Et donner aux hommes désir
De les vouloir au lit saillir.
Aussi toutes leurs marchandises,
Aux karoles comme aux églises,
Portent-elles également,
Et nulle, bien certainement,
Ne sortirait ainsi vêtue,
Si ne désirait être vue,
Adonc, en séduisant les yeux,
Tromper les gens plus vite et mieux.
Mais pour celui qui juste compte,
Moult à Dieu font femmes grand' honte,
Quand, dans leur fol égarement,
Ne se contentent simplement
De la beauté que Dieu leur donne.
Chacune sa tête couronne
De fleurettes de soie ou d'or,
Et vaine s'enorgueillit fort
Quand se va montrant par la ville.
Ainsi plus méprisable et vile
La malheureuse alors se fait,
Quand d'un plus bas et vil objet
Qu'elle-même, à s'orner s'ingère,
Pour sa beauté croître ou parfaire.
Elle s'en va Dieu méprisant
Et le proclame insuffisant,
Stephandra- Dans l'autre monde
- Nombre de messages : 16007
Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Et se pense en son fol corage
Que moult li fist Diex grant outrage,
Qui, quant biauté li compassa,
Trop négligemment s'en passa.
Si quiert biauté de créatures
Que Diex fist de plusors figures,
Ou de métaus, ou de floretes,
Ou d'autres estranges chosetes.
Sans faille, ainsinc est-il des hommes,
Se nous, por plus biaus estre, fomes
Les chapelés et les cointises
Sor les biautés que Diex a mises
En nous: vers li trop mesprenons,
Quant apaiés ne nous tenons
Des biautés qu'il nous a données
Sor toutes créatures nées.
Mès ge n'ai de tex trufes cure,
Ge voil soffisant vestéure
Qui de froit et de chaut me gart:
Autresinc bien, si Diex me gart,
Me garantist et cors et teste
Par vent, par pluie et par tempeste,
Forré d'agniaus cist miens buriaus,
Comme pers forré d'escuriaus.
Mes deniers, ce me semble, pers
Quant ge, por vos robes de pers,
De camelot ou de brunete,
De vert ou d'escarlate achete,
Et de vair et de gris la forre;
Ce vous fait en folie encorre,
Et faire les tors et les moës
Par les poudres et par les boës:
Ne Diex, ne moi riens ne prisiés.
Néis la nuit, quant vous gisiés
En mon lit lez moi toute nuë,
Ne poés-vous estre tenuë:
Car quant ge vous voil embracier
Por besier et por solacier,
Et sui plus forment eschaufés,
Vous rechigniés comme maufés,
Ne vers moi, por riens que ge face,
Ne volés torner vostre face;
Mès si malade vous faigniés,
Tant souspirés, tant vous plaigniés,
Et faites si le dangereus,
Que g'en deviens si paoreus
Que ge ne vous ose assaillir,
Tant ai grant paor de faillir.
Quant après dormir me réveille,
Si me vient à trop grant merveille
Comment ces ribaus i aviennent
Qui par jor vestuë vous tiennent,
Se vous ainsinc vous détortés
Quant avec eus vous déportés,
Et se tant lor faites d'anuis
Cum à moi de jor et de nuis.
Mès n'en avés, ce cuit, talent,
Ains alés chantant et balent
Par ces jardins, par ces praiaus,
Avec ces ribaus desloiaus
Qui traïsnent ceste espousée
Par l'erbe vert à la rousée,
Qui me vont ilec despisant,
Et par despit entr'eus disant:
C'est maugré l'ort vilain Jalous;
Sa char soit or livrée as lous,
Et les os as chiens enragiés!
Par qui sui si ahontagiés?
C'est par vous, dame pautoniere,
Et par vostre fole maniere;
Ribaude orde, vil pute, lisse,
Jà, vostre cors de cest an n'isse,
Quant à tex mastins le livrés,
Par vous sui à honte livrés;
Par vous, par vostre lecherie,
Sui-ge mis en la confrarie
Saint Ernol, le seignor des cous,
Dont nus ne puet estre rescous,
Qui fame ait, au mien escient,
Tant l'aut gardant ne espiant,
S'éust néis d'iex ung millier.
Toutes se font hurtebillier:
Qu'il n'est garde qui riens i vaille;
Et s'il avient que le fait faille,
Jà la volenté n'i faudra,
Par quoi, s'el puet, au fait saudra,
Car le voloir tous jors en porte.
Mès forment nous en réconforte
Juvenaus, qui dist, du mestier
Que l'en appelle rafetier,
Que c'est li meindres des péchiés
Dont cuer de fame est entechiés;
Car lor nature lor commande
Que chascune au pis faire entende.
Ne voit-l'en comment les marrastres
Cuisent venins à lor fillastres,
Et font charmes et sorceries,
Et tant d'autres grans déablies,
Que nus nes porroit recenser,
Tant i séust forment penser?
Toutes estes, serés, ou futes,
De fait ou de volenté putes;
Et qui bien vous encercheroit,
Toutes putes vous trouveroit:
Car qui que puist le fait estraindre,
Volenté ne puet nus contraindre.
Tel avantage ont toutes fames
Qu'el sunt de lor volenté dames;
L'en ne lor puet le cuer changier,
Por batre, ne por ledengier;
Mès qui changier les lor péust,
Des cors la seignorie éust.
Or lessons ce qui ne puet estre;
Mès, biaus dous Diex, biaus Rois celestre!
Des ribaus que porrai-ge faire
Qui tant me font honte et contraire?
S'il avient que ge les menace,
Riens ne priseront ma menace;
Se ge me vois à eus combatre,
Tost me porront tuer ou batre.
Il sunt felon et outrageus,
De tous maus faire corageus,
Jennes, jolif, felons, testu:
Ne me priseront ung festu;
Car jonesce si les enflame,
Qui de feu les emple et de flame,
Et tout lor fait par estovoir
Les cuers à folie esmovoir,
Puisqu'en son fol coeur envisage
Que Dieu lui fit moult grand outrage,
Qui, quand la beauté lui donna,
Négligemment s'en acquitta;
Puisqu'emprunte des créatures,
Que Dieu fit sous mille figures,
Leurs beautés, soit fleurs, animaux,
Substances maintes ou métaux.
Sans mentir, tous tant que nous sommes,
Il en est de même des hommes;
Car pour paraître aussi plus beaux,
De chapelets et de joyaux
Couvrons les beautés naturelles
Qu'en nous pourtant Dieu fit plus belles.
Envers lui nous nous méprenons,
Quand satisfaits ne nous tenons
Des beautés qu'il nous a données
Sur toutes créatures nées.
Pour moi, ces moyens méprisant,
Je veux vêtement suffisant
Qui, si Dieu me tient en sa garde,
Et du chaud et du froid me garde,
De simple drap fourré d'agneau
Autant que poil d'écureuil chaud,
Et corps me garantisse et tête
Par vent, par pluie et par tempête;
Car je perds mon argent, par Dieu,
Quand pour vous robes de drap bleu,
De camelot et de brunete,
D'écarlate ou de vert j'achète
Et fourre de vert et de gris;
Ce vous affole, à mon avis,
Et vos tours excite et vos moues
Par la poussière et par les boues,
Ni Dieu, ni moi rien ne prisez.
Voire la nuit, quand vous gisez
Au lit près de moi toute nue,
Point n'avez-vous de retenue.
Car si je veux vous embrasser,
Vous baiser et vous caresser,
Et mes soulas avec vous prendre,
Plus me voyez pressant et tendre,
Plus mes ardeurs vous éteignez
Et comme un diable rechignez,
Ni vers moi, pour rien que je fasse,
Ne voulez tourner votre face,
Mais tant malade vous feignez,
Tant soupirez, tant vous plaignez
Et tant faites la langoureuse,
Que l'âme en ai toute anxieuse
Et que n'ose vous assaillir,
Tellement j'ai peur de faillir.
Et quand après dormir m'éveille,
Lors me vient à trop grand' merveille,
Si de même vous débattez
Quand avec eux vous ébattez,
Comment ces ribauds y parviennent
Qui vêtue en plein jour vous tiennent,
Et si tant leur faites d'ennuis
Comme à moi les jours et les nuits.
Mais avec eux, comme je pense,
N'avez si fière contenance;
Vous allez chantant et dansant,
Par les jardins et prés glissant
Sur l'herbe verte et la rosée,
Vous ma légitime épousée,
Avec ces ribauds doucereux
Qui vous entraînent avec eux.
Tous tant qu'ils sont ils vous méprisent
Et par dépit entre eux se disent:
«C'est bien fait pour l'affreux Jaloux
Que sa chair soit livrée aux loups,
Ses os qu'enragé chien dévore!»
Qui donc ainsi me déshonore?
C'est vous-même, dame cataud,
Par votre coeur fol et ribaud,
Chienne en feu, ribaude, putasse,
Que votre corps un an ne passe,
Quand à tel matin le livrez,
Car de honte vous me couvrez.
Par vous, par votre lécherie,
Je suis mis en la confrérie
De saint Arnould, saint des cocus,
Dont nuls ne furent secourus
Qui femme ont, à ma connaissance,
Combien qu'on la garde et relance,
Eût-on même d'yeux un millier;
Toutes se font hurtebillier.
Il n'en est pas une qui tienne,
Et s'il advient qu'au fait ne vienne,
La volonté n'y manquera,
Et s'il se peut elle y viendra,
Car le vouloir toujours l'emporte.
Mais Juvénal nous réconforte
Là-dessus merveilleusement;
Car il nous dit moult sagement
Que ce besoin de la femelle,
Et que forniquer on appelle,
Est encor le moindre péché
Dont soit coeur de femme entaché.
Car leur nature leur commande
Que chacune au pis faire entende.
Ainsi marâtres de leurs mains
Pour leurs brus font cuire venins,
Charmes font et sorcelleries,
Et tant d'autres grand' diableries,
Qu'on ne pourrait les recenser,
Si longtemps qu'on y pût penser.
Toutes êtes, serez ou fûtes
De fait ou de volonté putes!
Et qui bien vous étudierait
Toutes putes vous trouverait.
Car tel avantage ont les femmes
Qu'elles sont de leur vouloir dames,
Et qui pût le fait empêcher
Ne saurait leur vouloir forcer.
L'injure ni la violence
Ne changent point la conscience,
Car qui le coeur changer pourrait
Du corps ainsi maître serait.
Or, laissons ce qui ne peut être;
Mais, doux Dieu, roi du ciel et maître,
Que puis-je contre ces ribauds
Qui de tant de honte et de maux
M'accablent? Si je les menace,
Ils se riront de ma menace;
Si je vais contre eux me ruer,
Tôt me pourront battre ou tuer.
Outrageux, félons, l'àme fière
Et courageux de tous maux faire,
Jeunes, hardis, félons, têtus,
Me priseront-ils deux fétus?
Car jeunesse tant les enflamme
Qui les emplit de feu, de flamme
Et leur fait nécessairement
Émouvoir le coeur follement,
Que moult li fist Diex grant outrage,
Qui, quant biauté li compassa,
Trop négligemment s'en passa.
Si quiert biauté de créatures
Que Diex fist de plusors figures,
Ou de métaus, ou de floretes,
Ou d'autres estranges chosetes.
Sans faille, ainsinc est-il des hommes,
Se nous, por plus biaus estre, fomes
Les chapelés et les cointises
Sor les biautés que Diex a mises
En nous: vers li trop mesprenons,
Quant apaiés ne nous tenons
Des biautés qu'il nous a données
Sor toutes créatures nées.
Mès ge n'ai de tex trufes cure,
Ge voil soffisant vestéure
Qui de froit et de chaut me gart:
Autresinc bien, si Diex me gart,
Me garantist et cors et teste
Par vent, par pluie et par tempeste,
Forré d'agniaus cist miens buriaus,
Comme pers forré d'escuriaus.
Mes deniers, ce me semble, pers
Quant ge, por vos robes de pers,
De camelot ou de brunete,
De vert ou d'escarlate achete,
Et de vair et de gris la forre;
Ce vous fait en folie encorre,
Et faire les tors et les moës
Par les poudres et par les boës:
Ne Diex, ne moi riens ne prisiés.
Néis la nuit, quant vous gisiés
En mon lit lez moi toute nuë,
Ne poés-vous estre tenuë:
Car quant ge vous voil embracier
Por besier et por solacier,
Et sui plus forment eschaufés,
Vous rechigniés comme maufés,
Ne vers moi, por riens que ge face,
Ne volés torner vostre face;
Mès si malade vous faigniés,
Tant souspirés, tant vous plaigniés,
Et faites si le dangereus,
Que g'en deviens si paoreus
Que ge ne vous ose assaillir,
Tant ai grant paor de faillir.
Quant après dormir me réveille,
Si me vient à trop grant merveille
Comment ces ribaus i aviennent
Qui par jor vestuë vous tiennent,
Se vous ainsinc vous détortés
Quant avec eus vous déportés,
Et se tant lor faites d'anuis
Cum à moi de jor et de nuis.
Mès n'en avés, ce cuit, talent,
Ains alés chantant et balent
Par ces jardins, par ces praiaus,
Avec ces ribaus desloiaus
Qui traïsnent ceste espousée
Par l'erbe vert à la rousée,
Qui me vont ilec despisant,
Et par despit entr'eus disant:
C'est maugré l'ort vilain Jalous;
Sa char soit or livrée as lous,
Et les os as chiens enragiés!
Par qui sui si ahontagiés?
C'est par vous, dame pautoniere,
Et par vostre fole maniere;
Ribaude orde, vil pute, lisse,
Jà, vostre cors de cest an n'isse,
Quant à tex mastins le livrés,
Par vous sui à honte livrés;
Par vous, par vostre lecherie,
Sui-ge mis en la confrarie
Saint Ernol, le seignor des cous,
Dont nus ne puet estre rescous,
Qui fame ait, au mien escient,
Tant l'aut gardant ne espiant,
S'éust néis d'iex ung millier.
Toutes se font hurtebillier:
Qu'il n'est garde qui riens i vaille;
Et s'il avient que le fait faille,
Jà la volenté n'i faudra,
Par quoi, s'el puet, au fait saudra,
Car le voloir tous jors en porte.
Mès forment nous en réconforte
Juvenaus, qui dist, du mestier
Que l'en appelle rafetier,
Que c'est li meindres des péchiés
Dont cuer de fame est entechiés;
Car lor nature lor commande
Que chascune au pis faire entende.
Ne voit-l'en comment les marrastres
Cuisent venins à lor fillastres,
Et font charmes et sorceries,
Et tant d'autres grans déablies,
Que nus nes porroit recenser,
Tant i séust forment penser?
Toutes estes, serés, ou futes,
De fait ou de volenté putes;
Et qui bien vous encercheroit,
Toutes putes vous trouveroit:
Car qui que puist le fait estraindre,
Volenté ne puet nus contraindre.
Tel avantage ont toutes fames
Qu'el sunt de lor volenté dames;
L'en ne lor puet le cuer changier,
Por batre, ne por ledengier;
Mès qui changier les lor péust,
Des cors la seignorie éust.
Or lessons ce qui ne puet estre;
Mès, biaus dous Diex, biaus Rois celestre!
Des ribaus que porrai-ge faire
Qui tant me font honte et contraire?
S'il avient que ge les menace,
Riens ne priseront ma menace;
Se ge me vois à eus combatre,
Tost me porront tuer ou batre.
Il sunt felon et outrageus,
De tous maus faire corageus,
Jennes, jolif, felons, testu:
Ne me priseront ung festu;
Car jonesce si les enflame,
Qui de feu les emple et de flame,
Et tout lor fait par estovoir
Les cuers à folie esmovoir,
Puisqu'en son fol coeur envisage
Que Dieu lui fit moult grand outrage,
Qui, quand la beauté lui donna,
Négligemment s'en acquitta;
Puisqu'emprunte des créatures,
Que Dieu fit sous mille figures,
Leurs beautés, soit fleurs, animaux,
Substances maintes ou métaux.
Sans mentir, tous tant que nous sommes,
Il en est de même des hommes;
Car pour paraître aussi plus beaux,
De chapelets et de joyaux
Couvrons les beautés naturelles
Qu'en nous pourtant Dieu fit plus belles.
Envers lui nous nous méprenons,
Quand satisfaits ne nous tenons
Des beautés qu'il nous a données
Sur toutes créatures nées.
Pour moi, ces moyens méprisant,
Je veux vêtement suffisant
Qui, si Dieu me tient en sa garde,
Et du chaud et du froid me garde,
De simple drap fourré d'agneau
Autant que poil d'écureuil chaud,
Et corps me garantisse et tête
Par vent, par pluie et par tempête;
Car je perds mon argent, par Dieu,
Quand pour vous robes de drap bleu,
De camelot et de brunete,
D'écarlate ou de vert j'achète
Et fourre de vert et de gris;
Ce vous affole, à mon avis,
Et vos tours excite et vos moues
Par la poussière et par les boues,
Ni Dieu, ni moi rien ne prisez.
Voire la nuit, quand vous gisez
Au lit près de moi toute nue,
Point n'avez-vous de retenue.
Car si je veux vous embrasser,
Vous baiser et vous caresser,
Et mes soulas avec vous prendre,
Plus me voyez pressant et tendre,
Plus mes ardeurs vous éteignez
Et comme un diable rechignez,
Ni vers moi, pour rien que je fasse,
Ne voulez tourner votre face,
Mais tant malade vous feignez,
Tant soupirez, tant vous plaignez
Et tant faites la langoureuse,
Que l'âme en ai toute anxieuse
Et que n'ose vous assaillir,
Tellement j'ai peur de faillir.
Et quand après dormir m'éveille,
Lors me vient à trop grand' merveille,
Si de même vous débattez
Quand avec eux vous ébattez,
Comment ces ribauds y parviennent
Qui vêtue en plein jour vous tiennent,
Et si tant leur faites d'ennuis
Comme à moi les jours et les nuits.
Mais avec eux, comme je pense,
N'avez si fière contenance;
Vous allez chantant et dansant,
Par les jardins et prés glissant
Sur l'herbe verte et la rosée,
Vous ma légitime épousée,
Avec ces ribauds doucereux
Qui vous entraînent avec eux.
Tous tant qu'ils sont ils vous méprisent
Et par dépit entre eux se disent:
«C'est bien fait pour l'affreux Jaloux
Que sa chair soit livrée aux loups,
Ses os qu'enragé chien dévore!»
Qui donc ainsi me déshonore?
C'est vous-même, dame cataud,
Par votre coeur fol et ribaud,
Chienne en feu, ribaude, putasse,
Que votre corps un an ne passe,
Quand à tel matin le livrez,
Car de honte vous me couvrez.
Par vous, par votre lécherie,
Je suis mis en la confrérie
De saint Arnould, saint des cocus,
Dont nuls ne furent secourus
Qui femme ont, à ma connaissance,
Combien qu'on la garde et relance,
Eût-on même d'yeux un millier;
Toutes se font hurtebillier.
Il n'en est pas une qui tienne,
Et s'il advient qu'au fait ne vienne,
La volonté n'y manquera,
Et s'il se peut elle y viendra,
Car le vouloir toujours l'emporte.
Mais Juvénal nous réconforte
Là-dessus merveilleusement;
Car il nous dit moult sagement
Que ce besoin de la femelle,
Et que forniquer on appelle,
Est encor le moindre péché
Dont soit coeur de femme entaché.
Car leur nature leur commande
Que chacune au pis faire entende.
Ainsi marâtres de leurs mains
Pour leurs brus font cuire venins,
Charmes font et sorcelleries,
Et tant d'autres grand' diableries,
Qu'on ne pourrait les recenser,
Si longtemps qu'on y pût penser.
Toutes êtes, serez ou fûtes
De fait ou de volonté putes!
Et qui bien vous étudierait
Toutes putes vous trouverait.
Car tel avantage ont les femmes
Qu'elles sont de leur vouloir dames,
Et qui pût le fait empêcher
Ne saurait leur vouloir forcer.
L'injure ni la violence
Ne changent point la conscience,
Car qui le coeur changer pourrait
Du corps ainsi maître serait.
Or, laissons ce qui ne peut être;
Mais, doux Dieu, roi du ciel et maître,
Que puis-je contre ces ribauds
Qui de tant de honte et de maux
M'accablent? Si je les menace,
Ils se riront de ma menace;
Si je vais contre eux me ruer,
Tôt me pourront battre ou tuer.
Outrageux, félons, l'àme fière
Et courageux de tous maux faire,
Jeunes, hardis, félons, têtus,
Me priseront-ils deux fétus?
Car jeunesse tant les enflamme
Qui les emplit de feu, de flamme
Et leur fait nécessairement
Émouvoir le coeur follement,
Stephandra- Dans l'autre monde
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Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Et si legiers et si volans,
Que chascuns cuide estre ung Rolans,
Voire Hercules, voire Sanson.
Si rorent cil dui, ce pense-on,
Si cum en escrit le recors,
Resemblables forces de cors;
Car Hercules avoit, selonc
L'auctor Solin, sept piés de lonc,
N'onc ne pot à quantité graindre
Nus noms, si cum il dit, ataindre.
Moult ot cis Hercules d'encontres,
Il vainqui douze orribles monstres,
Et quant ot vaincu le douziesme,
Onc ne pot chevir du treiziesme.
Ce fu de Deyanira
S'amie, qui li descira
Sa char de venin toute esprise
Par la venimeuse chemise.
Ainsinc fu par fame dontés
Hercules qui tant ot bontés.
Si ravoit-il par Yolé
Son cuer jà d'amors afolé.
Ainsinc Sanson, qui pas dix hommes
Ne redotoit ne que dix pommes,
S'il éust ses cheveus éus,
Fu par Dalila décéus.
Si fai-ge que fox de ce dire,
Car ge sai bien que tire à tire
Mes paroles toutes dirés,
Quant vous de moi départirés;
As ribaus vous irés clamer,
Et me porrés faire entamer
La teste, ou les cuisses brisier,
Ou les espaules encisier,
Se jà poés à eus aler;
Mès se g'en puis oïr parler
Ains que ce me soit avenu,
Et li bras ne me sunt tenu,
Ou le pestel ne m'est ostés,
Je vous briserai les costés.
Ami, ne voisin, ne parent,
Ne vous en seront jà garent,
Ne vostre leschéor méismes.
Las! por quoi nous entrevéismes?
Las! de quel hore fu-ge nés
Quant en tel vilté me tenés?
Que cil ribaut mastin puant,
Qui vous vont flatant et chuant,
Sunt si de vous seignor et mestre,
Dont seus déusse sires estre,
Par qui vous estes soustenuë,
Vestue, chaude et péuë,
Et vous me faites parçonniers,
Ces ors ribaus, ces pautonniers,
Qui ne vous font se honte non,
Tolu vous ont vostre renom,
De quoi garde ne vous prenés
Quant entre vos bras les tenés;
Par devant dient qu'il vous aiment,
Et par derriers putain vous claiment,
Et dient ce que pis lor semble,
Quant il resunt entr'eus ensemble,
Comment que chascuns d'eus vous serve,
Car bien congnois toute lor verve.
Sans faille bien est vérités,
Quant à lor bandon vous metés,
Il vous sevent bien metre à point,
Car de dangier en vous n'a point.
Quant entrée estes en la foule,
Où chascun vous hurte et defoule,
Il me prent par foi grant envie
De lor solas et de lor vie.
Mès sachiés, et bien le recors,
Que ce n'est pas por vostre cors,
Ne por vostre donoiement,
Ains est por ce tant solement
Qu'il ont le desduit des joiaus,
Des fremaus d'or et des aniaus,
Et des robes et des pelices
Que ge vous lais cum fox et nices:
Car quant vous alés as karoles,
Ou à vos assemblées foles,
Et ge remains cum fox et yvres,
Vous i portés qui vaut cens livres
D'or et d'argent sor vostre teste,
Et commandés que l'en vous veste
De camelot, de vair, de gris,
Si que trestous en amegris,
De maltalent et de souci,
Tant m'en esmai, tant m'en souci.
Que me revalent ces gallendes,
Ces coiffes à dorées bendes,
Et ces diorez trecéors,
Et ces yvorins miréors,
Ces cercles d'or bien entailliés,
Précieusement esmailliés,
Et ces corones de fin or
Dont enragier ne me fine or,
Tant sunt beles et bien polies,
Où tant a beles perreries,
Saphirs, rubis et esmeraudes,
Qui si vous font les chieres baudes?
Ces fremaus d'or à pierres fines
A vos cols et à vos poitrines,
Et ces tissus et ces ceintures
Dont tant coustent les ferréures
Que l'or, que les pelles menuës:
Que me valent tex fanfeluës?
Et tant estroit vous rechauciés,
Que la robe sovent hauciés
Por montrer vos piés as ribaus.
Ainsinc me confort saint Tibaus!
Que tout dedans tiers jors vendrai,
Et vile et sous piés vous tendrai:
N'aurés de moi, par le cors Dé,
Fors cote et sorcot de cordé,
Et une gonele de chanvre,
Mès el ne sera mie tanvre,
Ains sera grosse et mal tissuë,
Et descirée et desrompuë,
Qui qu'en face ne duel ne pleinte:
Et par mon chief, vous serés ceinte,
Mès, dirés-vous, de quel ceinture?
D'un cuir tout blanc sans ferréure;
Et de mes housiaus anciens
Aurés grans solers à liens,
Larges à metre grans panufles.
Toutes vous osterai ces trufles,
Qu'el vous donnent occasion
De faire fornicacion:
Si ne vous irés plus monstrer
Por vous faire as ribaus voustrer.
Le rend si léger, si crédule,
Que chacun se croit un Hercule,
Un Samson, au moins un Roland.
Or les deux premiers, ci-devant,
Avaient, si bien me le rappelle,
Semblable force corporelle.
Car avait Hercule, selon
L'auteur Solin, sept pieds de long,
Et jamais homme, il nous l'assure,
N'atteignit si haute stature.
Moult grands travaux il entreprit,
Douze horribles monstres vainquit,
Mais quand eût vaincu le douzième
Ne put surmonter le treizième.
Ce fut cette Déjanira,
Son amante, qui déchira
Sa chair de venin toute éprise
Par la venimeuse chemise.
Ainsi, ce héros valeureux
Et si fort et si courageux,
Hercule, fut par une femme
Dompté; du reste, de sa flamme
Amour déjà, pour Iolé,
Avait ce grand coeur affolé.
Ainsi Samson qui pas dix hommes
N'eût redouté plus que dix pommes,
Ses longs cheveux s'il avait eu,
Fut par sa Dalila déçu.
Mais je suis fol de ce vous dire;
Car je sais bien que tire à tire
Mes paroles répéterez,
Quand de moi vous départirez.
Tous ces ribauds vous feront fête;
Vous me ferez briser la tête,
A grands coups les cuisses casser,
Ou les épaules dépécer,
Si je vous laisse vers eux rendre.
Mais si je puis avant l'apprendre
Que cela ne soit advenu,
Et si mon bras n'est retenu,
Et si ce bâton l'on ne m'ôte,
Je vous veux briser mainte côte.
Ami, ni voisin, ni parent,
Ni même votre beau galant
Ne sauraient mater ma colère.
Maudite soit l'heure naguère
Où pour mon malheur je vous vis
Qui me tenez en tel mépris!
Or ces ribauds, chiens détestables,
Parce qu'ils sont flatteurs, aimables,
Sont de vous maîtres et seigneurs.
A moi, vous devez vos faveurs,
Par qui vous êtes soutenue,
Nourrie et chaussée et vêtue;
Sans pudeur vous m'associez
Tous ces ribauds, vils putassiers,
Qui vous ont de honte abîmée
Et ravi votre renommée,
Mais garde guère n'y prenez,
Quand dans vos bras vous les tenez.
Comment que chacun d'eux vous serve,
Je connais bien toute leur verve;
Devant ils vous aiment tout plein,
Derrière ils vous nomment putain,
Et disent ce que pis leur semble
Une fois qu'ils sont seuls ensemble.
Et vraiment trop le méritez
Quand à leur merci vous mettez;
Tout leur vouloir ils vous font faire,
Car vous ne vous défendez guère.
Quand dans la foule entrez ainsi
Où chacun vous foule à l'envi,
Il me prend parfois grande envie
De leur soulas et de leur vie[118].
Mais je ne vous le cache pas,
Ils ne sont point pour vos appas
Séduits ni par votre jactance,
Mais purement par l'éloquence
De vos parures et joyaux,
Des chaînes d'or et des anneaux,
Des manteaux et robes de soie
Que, comme un sot, je vous octroie.
Car lorsque vous vous en allez
A vos karoles et balez
Parmi mainte folle assemblée,
Je reste seul en recelée
Comme un ivrogne ou comme un fol,
Et vous, pour cent livres au col
D'or ou d'argent et sur la tête
Portez et voulez qu'on vous vête
De vair, de camelot, de gris,
Tant que tretout j'en amaigris
De colère et de jalousie,
Tant m'en émeus et m'en soucie!
Que me servent ces oripeaux,
Ces coiffes d'or et ces bandeaux,
Et tous ces tressoirs dorés, voire
Encor ce beau miroir d'ivoire,
Ces cercles d'or si bien taillés,
Précieusement émaillés,
Ces fermails d'or à pierres fines,
A votre col, à vos poitrines,
Ces belles couronnes d'or fin
Qui me font enrager enfin,
Tant sont belles et bien polies,
Où sont tant belles pierreries,
Saphirs, émeraudes, rubis,
Qui vous font des airs si ravis?
Et ces tissus et ces ceintures
Dont me coûtent les garnitures
Autant que les perles et l'or,
A quoi me servent-ils encor?
A quoi cette étroite chaussure
Qui tant vous fait outre mesure
Montrer la jambe à ces ribauds?
Ainsi, me garde saint Thibaus!
Avant que le tiers jour s'écoule,
Il faut aux pieds que je vous foule!
Par le corps Dieu! de moi n'aurez
Ni robes, ni bandeaux dorés,
Mais cote et robe mal tissée
Toute en lambeaux et dépecée,
Et de simple chanvre un manteau,
Je vous jure, élégant ni beau,
Combien qu'en fassiez deuil et plainte,
Et par mon chef, vous serez ceinte,
Et de quelle ceinture encor?
D'un cuir tout blanc sans fermail d'or,
Et pour vous de mes vieilles guêtres
Je ferai souliers à lacs, maîtres
Souliers à mettre grands chaussons.
Vite ces oripeaux laissons
Qui vous poussent à l'adultère
Et à fornication faire.
Adonc plus n'irez vous montrer,
Ni sous ces ribauds vous vautrer.
Que chascuns cuide estre ung Rolans,
Voire Hercules, voire Sanson.
Si rorent cil dui, ce pense-on,
Si cum en escrit le recors,
Resemblables forces de cors;
Car Hercules avoit, selonc
L'auctor Solin, sept piés de lonc,
N'onc ne pot à quantité graindre
Nus noms, si cum il dit, ataindre.
Moult ot cis Hercules d'encontres,
Il vainqui douze orribles monstres,
Et quant ot vaincu le douziesme,
Onc ne pot chevir du treiziesme.
Ce fu de Deyanira
S'amie, qui li descira
Sa char de venin toute esprise
Par la venimeuse chemise.
Ainsinc fu par fame dontés
Hercules qui tant ot bontés.
Si ravoit-il par Yolé
Son cuer jà d'amors afolé.
Ainsinc Sanson, qui pas dix hommes
Ne redotoit ne que dix pommes,
S'il éust ses cheveus éus,
Fu par Dalila décéus.
Si fai-ge que fox de ce dire,
Car ge sai bien que tire à tire
Mes paroles toutes dirés,
Quant vous de moi départirés;
As ribaus vous irés clamer,
Et me porrés faire entamer
La teste, ou les cuisses brisier,
Ou les espaules encisier,
Se jà poés à eus aler;
Mès se g'en puis oïr parler
Ains que ce me soit avenu,
Et li bras ne me sunt tenu,
Ou le pestel ne m'est ostés,
Je vous briserai les costés.
Ami, ne voisin, ne parent,
Ne vous en seront jà garent,
Ne vostre leschéor méismes.
Las! por quoi nous entrevéismes?
Las! de quel hore fu-ge nés
Quant en tel vilté me tenés?
Que cil ribaut mastin puant,
Qui vous vont flatant et chuant,
Sunt si de vous seignor et mestre,
Dont seus déusse sires estre,
Par qui vous estes soustenuë,
Vestue, chaude et péuë,
Et vous me faites parçonniers,
Ces ors ribaus, ces pautonniers,
Qui ne vous font se honte non,
Tolu vous ont vostre renom,
De quoi garde ne vous prenés
Quant entre vos bras les tenés;
Par devant dient qu'il vous aiment,
Et par derriers putain vous claiment,
Et dient ce que pis lor semble,
Quant il resunt entr'eus ensemble,
Comment que chascuns d'eus vous serve,
Car bien congnois toute lor verve.
Sans faille bien est vérités,
Quant à lor bandon vous metés,
Il vous sevent bien metre à point,
Car de dangier en vous n'a point.
Quant entrée estes en la foule,
Où chascun vous hurte et defoule,
Il me prent par foi grant envie
De lor solas et de lor vie.
Mès sachiés, et bien le recors,
Que ce n'est pas por vostre cors,
Ne por vostre donoiement,
Ains est por ce tant solement
Qu'il ont le desduit des joiaus,
Des fremaus d'or et des aniaus,
Et des robes et des pelices
Que ge vous lais cum fox et nices:
Car quant vous alés as karoles,
Ou à vos assemblées foles,
Et ge remains cum fox et yvres,
Vous i portés qui vaut cens livres
D'or et d'argent sor vostre teste,
Et commandés que l'en vous veste
De camelot, de vair, de gris,
Si que trestous en amegris,
De maltalent et de souci,
Tant m'en esmai, tant m'en souci.
Que me revalent ces gallendes,
Ces coiffes à dorées bendes,
Et ces diorez trecéors,
Et ces yvorins miréors,
Ces cercles d'or bien entailliés,
Précieusement esmailliés,
Et ces corones de fin or
Dont enragier ne me fine or,
Tant sunt beles et bien polies,
Où tant a beles perreries,
Saphirs, rubis et esmeraudes,
Qui si vous font les chieres baudes?
Ces fremaus d'or à pierres fines
A vos cols et à vos poitrines,
Et ces tissus et ces ceintures
Dont tant coustent les ferréures
Que l'or, que les pelles menuës:
Que me valent tex fanfeluës?
Et tant estroit vous rechauciés,
Que la robe sovent hauciés
Por montrer vos piés as ribaus.
Ainsinc me confort saint Tibaus!
Que tout dedans tiers jors vendrai,
Et vile et sous piés vous tendrai:
N'aurés de moi, par le cors Dé,
Fors cote et sorcot de cordé,
Et une gonele de chanvre,
Mès el ne sera mie tanvre,
Ains sera grosse et mal tissuë,
Et descirée et desrompuë,
Qui qu'en face ne duel ne pleinte:
Et par mon chief, vous serés ceinte,
Mès, dirés-vous, de quel ceinture?
D'un cuir tout blanc sans ferréure;
Et de mes housiaus anciens
Aurés grans solers à liens,
Larges à metre grans panufles.
Toutes vous osterai ces trufles,
Qu'el vous donnent occasion
De faire fornicacion:
Si ne vous irés plus monstrer
Por vous faire as ribaus voustrer.
Le rend si léger, si crédule,
Que chacun se croit un Hercule,
Un Samson, au moins un Roland.
Or les deux premiers, ci-devant,
Avaient, si bien me le rappelle,
Semblable force corporelle.
Car avait Hercule, selon
L'auteur Solin, sept pieds de long,
Et jamais homme, il nous l'assure,
N'atteignit si haute stature.
Moult grands travaux il entreprit,
Douze horribles monstres vainquit,
Mais quand eût vaincu le douzième
Ne put surmonter le treizième.
Ce fut cette Déjanira,
Son amante, qui déchira
Sa chair de venin toute éprise
Par la venimeuse chemise.
Ainsi, ce héros valeureux
Et si fort et si courageux,
Hercule, fut par une femme
Dompté; du reste, de sa flamme
Amour déjà, pour Iolé,
Avait ce grand coeur affolé.
Ainsi Samson qui pas dix hommes
N'eût redouté plus que dix pommes,
Ses longs cheveux s'il avait eu,
Fut par sa Dalila déçu.
Mais je suis fol de ce vous dire;
Car je sais bien que tire à tire
Mes paroles répéterez,
Quand de moi vous départirez.
Tous ces ribauds vous feront fête;
Vous me ferez briser la tête,
A grands coups les cuisses casser,
Ou les épaules dépécer,
Si je vous laisse vers eux rendre.
Mais si je puis avant l'apprendre
Que cela ne soit advenu,
Et si mon bras n'est retenu,
Et si ce bâton l'on ne m'ôte,
Je vous veux briser mainte côte.
Ami, ni voisin, ni parent,
Ni même votre beau galant
Ne sauraient mater ma colère.
Maudite soit l'heure naguère
Où pour mon malheur je vous vis
Qui me tenez en tel mépris!
Or ces ribauds, chiens détestables,
Parce qu'ils sont flatteurs, aimables,
Sont de vous maîtres et seigneurs.
A moi, vous devez vos faveurs,
Par qui vous êtes soutenue,
Nourrie et chaussée et vêtue;
Sans pudeur vous m'associez
Tous ces ribauds, vils putassiers,
Qui vous ont de honte abîmée
Et ravi votre renommée,
Mais garde guère n'y prenez,
Quand dans vos bras vous les tenez.
Comment que chacun d'eux vous serve,
Je connais bien toute leur verve;
Devant ils vous aiment tout plein,
Derrière ils vous nomment putain,
Et disent ce que pis leur semble
Une fois qu'ils sont seuls ensemble.
Et vraiment trop le méritez
Quand à leur merci vous mettez;
Tout leur vouloir ils vous font faire,
Car vous ne vous défendez guère.
Quand dans la foule entrez ainsi
Où chacun vous foule à l'envi,
Il me prend parfois grande envie
De leur soulas et de leur vie[118].
Mais je ne vous le cache pas,
Ils ne sont point pour vos appas
Séduits ni par votre jactance,
Mais purement par l'éloquence
De vos parures et joyaux,
Des chaînes d'or et des anneaux,
Des manteaux et robes de soie
Que, comme un sot, je vous octroie.
Car lorsque vous vous en allez
A vos karoles et balez
Parmi mainte folle assemblée,
Je reste seul en recelée
Comme un ivrogne ou comme un fol,
Et vous, pour cent livres au col
D'or ou d'argent et sur la tête
Portez et voulez qu'on vous vête
De vair, de camelot, de gris,
Tant que tretout j'en amaigris
De colère et de jalousie,
Tant m'en émeus et m'en soucie!
Que me servent ces oripeaux,
Ces coiffes d'or et ces bandeaux,
Et tous ces tressoirs dorés, voire
Encor ce beau miroir d'ivoire,
Ces cercles d'or si bien taillés,
Précieusement émaillés,
Ces fermails d'or à pierres fines,
A votre col, à vos poitrines,
Ces belles couronnes d'or fin
Qui me font enrager enfin,
Tant sont belles et bien polies,
Où sont tant belles pierreries,
Saphirs, émeraudes, rubis,
Qui vous font des airs si ravis?
Et ces tissus et ces ceintures
Dont me coûtent les garnitures
Autant que les perles et l'or,
A quoi me servent-ils encor?
A quoi cette étroite chaussure
Qui tant vous fait outre mesure
Montrer la jambe à ces ribauds?
Ainsi, me garde saint Thibaus!
Avant que le tiers jour s'écoule,
Il faut aux pieds que je vous foule!
Par le corps Dieu! de moi n'aurez
Ni robes, ni bandeaux dorés,
Mais cote et robe mal tissée
Toute en lambeaux et dépecée,
Et de simple chanvre un manteau,
Je vous jure, élégant ni beau,
Combien qu'en fassiez deuil et plainte,
Et par mon chef, vous serez ceinte,
Et de quelle ceinture encor?
D'un cuir tout blanc sans fermail d'or,
Et pour vous de mes vieilles guêtres
Je ferai souliers à lacs, maîtres
Souliers à mettre grands chaussons.
Vite ces oripeaux laissons
Qui vous poussent à l'adultère
Et à fornication faire.
Adonc plus n'irez vous montrer,
Ni sous ces ribauds vous vautrer.
Stephandra- Dans l'autre monde
- Nombre de messages : 16007
Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Mès or me dites sans contrueve,
Cele autre riche robe nueve
Dont l'autre jor si vous parastes,
Quant as karoles en alastes,
(Car bien congnois, et raison ai,
Qu'onques cele ne vous donnai),
Par amors, où l'avés-vous prise?
Vous m'avés juré saint Denise
Et saint Philebert et saint Pere,
Qu'el vous vint de par vostre mere
Qui le drap vous en envoia;
Car si grant amor à moi a,
Si cum vous me faites entendre,
Que bien vuet ses deniers despendre
Por moi faire les miens garder.
Vive la face-l'en larder,
L'orde vielle putain prestresse,
Maquerele et charroieresse,
Et vous avec par vos merites,
S'il n'est ainsinc comme vous dites!
Certes ge li demanderai:
Mès en vain me travaillerai,
Tout ne me vaudrait une bille,
Tel la mere, tele la fille.
Bien sai, parlé avés ensemble,
Andui avés, si cum moi semble,
Les cuers d'une verge touchiés;
Bien voi de quel pié vous clochiés.
L'orde vielle putain fardée
S'est à vostre acord acordée:
Autrefois à ceste hart torse
De mains mastins a esté morse,
Tant a divers chemins traciés;
Mès tant est ses vis effaciés,
Que ne puet riens faire de soi,
Si vous vent ores, bien le soi.
El vient céans, et vous emmaine
Trois fois ou quatre la semaine,
Et faint noviaus pelerinages
Selonc les anciens usages,
Car g'en sai toute la covine,
Et de vous promener ne fine,
Si cum l'en fait destrier à vendre,
Et prent et vous enseigne à prendre.
Cuidiés que bien ne vous congnoisse?
Qui me tient que ge ne vous froisse
Les os cum à poucin en paste,
A ce pestel ou à cest haste?
* * * * *
Comment le Jaloux se débat
A sa femme et si fort la bat,
Que robe et cheveulx luy descire,
Par sa jalousie et par ire.
Lors la prent espoir de venuë
Cil qui de maltalent tressuë,
Par les tresses et sache et tire,
Les cheveus li ront et descire
Li jalous, et sor li s'aorse
Por noient fust lyon sor orse;
Et par tout l'ostel la traïne
Par corrous et par ataïne,
Et la ledenge malement;
Ne ne vuet por nul serement
Recevoir excusacion,
Tant est de maLe entencion;
Ains fiert et frape et roille et maille
Cele qui brait et crie et braille,
Et fait sa voiz voler as vens
Par fenestres et par auvens;
Et tout quanque set li reprouche
Si cum il li vient à la bouche,
Devant les voisins qui là viennent,
Qui por fox ambedeus les tiennent,
Et la li tolent à grant paine,
Tant qu'il est à la grosse alaine.
Et quant la dame sent et note
Cest torment et ceste riote,
Et ceste déduiante viele,
Dont cil jonglierres li viele,
Pensés-vous qu'el l'en aint jà miaus?
El vodroit or qu'il fust à Miaus,
Voire certes en Romanie.
Plus dirai, que ge ne croi mie
Qu'ele le voille amer jamès.
Semblant, espoir, en fera; mès
S'il pooit voler jusqu'as nuës,
Ou si haut lever ses véuës,
Qu'il péust d'ilec, sans chéoir,
Tous les faits des hommes véoir,
Et s'apensast tout à loisir,
Si faudroit-il bien à choisir
En quel peril il est chéus,
S'il n'a tous ses baras véus
Por soi garantir et tenser
Dont fame se set porpenser.
Or dites-moi sans tricherie,
Cette robe neuve et jolie
Dont l'autre jour vous vous pariez
Quant aux karoles vous alliez,
Par amour, où l'avez-vous prise?
Car celui qui vous l'a remise
N'est pas moi, j'en suis assuré.
Par saint Denis m'avez juré,
Saint Philibert et le Saint-Père,
Qu'elle vous vint de votre mère
Qui le drap vous en envoya;
Car pour moi si grand amour a
Qu'elle aime mieux, à vous entendre,
Pour mon bien garder et défendre,
Donner le sien sans calculer.
Puisse-t-on vive la brûler,
L'orde vieille putain prêtresse,
La maquerelle, la diablesse,
Et vous avec, pour vos hauts faits,
Si vos serments ne sont pas vrais!
Vous deux ne valez une bille,
Car telle mère, telle fille.
Au fait je lui demanderai;
Mais en vain me travaillerai,
Car parlé vous avez ensemble,
Et vos deux coeurs sont, il me semble,
D'une même verge touchés.
Bien vois de quel pied vous clochez,
Et la vieille putain fardée
S'est avec vous bien accordée.
Car autrefois, je le sais bien,
Elle usa du même moyen;
A la même corde pendue,
Elle fut de maint chien mordue
Dans les chemins qu'elle a tracés.
Mais ses traits sont tout effacés,
Et ne pouvant plus rien prétendre,
Elle va maintenant vous vendre.
Elle vient céans, et par mois
Vous emmène onze ou douze fois,
Et feint nouveaux pèlerinages,
Suivant les anciens usages
(Car je connais tout son latin),
Vous promène soir et matin
Comme on fait un cheval à vendre,
Et prend et vous enseigne à prendre.
Croit-on à ce point m'abuser?
Qui me retient de vous briser
Les os, comme à poussin en pâte,
De ce bois, de ce fer, ingrate!
* * * * *
Comment le Jaloux se débat
Avec sa femme et tant la bat
Que robe et cheveux lui déchire
Par jalousie et par grande ire.
Lors de colère tout suant,
Il la saisit incontinent
Par les tresses, secoue et tire,
Les cheveux lui rompt et déchire,
Et s'acharne, tirant toujours,
Comme un lion dessus un ours,
Par toute la maison la traîne,
Par courroux et vengeance et haine,
Et la gourmande malement,
Et ne veut, pour aucun serment,
Ouïr excuse ni défense,
Tant est de male conscience,
Mais cogne et frappe comme un sourd,
Roule ses yeux tout à l'entour,
Et la pauvre femme tiraille,
Qui brait et qui crie, et qui braille,
Et fait sa voix voler aux vents
Par fenêtres et par auvents;
Tout ce qu'il sait, d'un air farouche
Lui dit, comme il vient à sa bouche,
Devant les voisins curieux
Qui les tiennent pour fous tous deux,
Et la délivrent à grand' peine,
Tant il s'acharne à perdre haleine.
Et quand la dame note et sent
Cette riote et ce tourment,
Et la joyeuse ritournelle
Qu'ainsi ce jongleur lui vielle
Fera-t-elle mieux son devoir?
Non; mais voudrait à Meaux le voir,
Voire certes en Roumanie.
Je dirai plus; je ne crois mie
Qu'elle le veuille aimer jamais.
Peut-être elle en aura l'air; mais
S'il pouvait voler jusqu'aux nues,
Ou si haut élever ses vues,
Qu'il pût ici-bas et sans choir
Tous les gestes des hommes voir,
Et réfléchir tout à son aise,
Il sentirait, à grand mésaise,
En quel embarras il est chu,
Lui qui les ruses n'a pas vu
Auxquelles femme sait entendre,
Pour se garantir et défendre.
Cele autre riche robe nueve
Dont l'autre jor si vous parastes,
Quant as karoles en alastes,
(Car bien congnois, et raison ai,
Qu'onques cele ne vous donnai),
Par amors, où l'avés-vous prise?
Vous m'avés juré saint Denise
Et saint Philebert et saint Pere,
Qu'el vous vint de par vostre mere
Qui le drap vous en envoia;
Car si grant amor à moi a,
Si cum vous me faites entendre,
Que bien vuet ses deniers despendre
Por moi faire les miens garder.
Vive la face-l'en larder,
L'orde vielle putain prestresse,
Maquerele et charroieresse,
Et vous avec par vos merites,
S'il n'est ainsinc comme vous dites!
Certes ge li demanderai:
Mès en vain me travaillerai,
Tout ne me vaudrait une bille,
Tel la mere, tele la fille.
Bien sai, parlé avés ensemble,
Andui avés, si cum moi semble,
Les cuers d'une verge touchiés;
Bien voi de quel pié vous clochiés.
L'orde vielle putain fardée
S'est à vostre acord acordée:
Autrefois à ceste hart torse
De mains mastins a esté morse,
Tant a divers chemins traciés;
Mès tant est ses vis effaciés,
Que ne puet riens faire de soi,
Si vous vent ores, bien le soi.
El vient céans, et vous emmaine
Trois fois ou quatre la semaine,
Et faint noviaus pelerinages
Selonc les anciens usages,
Car g'en sai toute la covine,
Et de vous promener ne fine,
Si cum l'en fait destrier à vendre,
Et prent et vous enseigne à prendre.
Cuidiés que bien ne vous congnoisse?
Qui me tient que ge ne vous froisse
Les os cum à poucin en paste,
A ce pestel ou à cest haste?
* * * * *
Comment le Jaloux se débat
A sa femme et si fort la bat,
Que robe et cheveulx luy descire,
Par sa jalousie et par ire.
Lors la prent espoir de venuë
Cil qui de maltalent tressuë,
Par les tresses et sache et tire,
Les cheveus li ront et descire
Li jalous, et sor li s'aorse
Por noient fust lyon sor orse;
Et par tout l'ostel la traïne
Par corrous et par ataïne,
Et la ledenge malement;
Ne ne vuet por nul serement
Recevoir excusacion,
Tant est de maLe entencion;
Ains fiert et frape et roille et maille
Cele qui brait et crie et braille,
Et fait sa voiz voler as vens
Par fenestres et par auvens;
Et tout quanque set li reprouche
Si cum il li vient à la bouche,
Devant les voisins qui là viennent,
Qui por fox ambedeus les tiennent,
Et la li tolent à grant paine,
Tant qu'il est à la grosse alaine.
Et quant la dame sent et note
Cest torment et ceste riote,
Et ceste déduiante viele,
Dont cil jonglierres li viele,
Pensés-vous qu'el l'en aint jà miaus?
El vodroit or qu'il fust à Miaus,
Voire certes en Romanie.
Plus dirai, que ge ne croi mie
Qu'ele le voille amer jamès.
Semblant, espoir, en fera; mès
S'il pooit voler jusqu'as nuës,
Ou si haut lever ses véuës,
Qu'il péust d'ilec, sans chéoir,
Tous les faits des hommes véoir,
Et s'apensast tout à loisir,
Si faudroit-il bien à choisir
En quel peril il est chéus,
S'il n'a tous ses baras véus
Por soi garantir et tenser
Dont fame se set porpenser.
Or dites-moi sans tricherie,
Cette robe neuve et jolie
Dont l'autre jour vous vous pariez
Quant aux karoles vous alliez,
Par amour, où l'avez-vous prise?
Car celui qui vous l'a remise
N'est pas moi, j'en suis assuré.
Par saint Denis m'avez juré,
Saint Philibert et le Saint-Père,
Qu'elle vous vint de votre mère
Qui le drap vous en envoya;
Car pour moi si grand amour a
Qu'elle aime mieux, à vous entendre,
Pour mon bien garder et défendre,
Donner le sien sans calculer.
Puisse-t-on vive la brûler,
L'orde vieille putain prêtresse,
La maquerelle, la diablesse,
Et vous avec, pour vos hauts faits,
Si vos serments ne sont pas vrais!
Vous deux ne valez une bille,
Car telle mère, telle fille.
Au fait je lui demanderai;
Mais en vain me travaillerai,
Car parlé vous avez ensemble,
Et vos deux coeurs sont, il me semble,
D'une même verge touchés.
Bien vois de quel pied vous clochez,
Et la vieille putain fardée
S'est avec vous bien accordée.
Car autrefois, je le sais bien,
Elle usa du même moyen;
A la même corde pendue,
Elle fut de maint chien mordue
Dans les chemins qu'elle a tracés.
Mais ses traits sont tout effacés,
Et ne pouvant plus rien prétendre,
Elle va maintenant vous vendre.
Elle vient céans, et par mois
Vous emmène onze ou douze fois,
Et feint nouveaux pèlerinages,
Suivant les anciens usages
(Car je connais tout son latin),
Vous promène soir et matin
Comme on fait un cheval à vendre,
Et prend et vous enseigne à prendre.
Croit-on à ce point m'abuser?
Qui me retient de vous briser
Les os, comme à poussin en pâte,
De ce bois, de ce fer, ingrate!
* * * * *
Comment le Jaloux se débat
Avec sa femme et tant la bat
Que robe et cheveux lui déchire
Par jalousie et par grande ire.
Lors de colère tout suant,
Il la saisit incontinent
Par les tresses, secoue et tire,
Les cheveux lui rompt et déchire,
Et s'acharne, tirant toujours,
Comme un lion dessus un ours,
Par toute la maison la traîne,
Par courroux et vengeance et haine,
Et la gourmande malement,
Et ne veut, pour aucun serment,
Ouïr excuse ni défense,
Tant est de male conscience,
Mais cogne et frappe comme un sourd,
Roule ses yeux tout à l'entour,
Et la pauvre femme tiraille,
Qui brait et qui crie, et qui braille,
Et fait sa voix voler aux vents
Par fenêtres et par auvents;
Tout ce qu'il sait, d'un air farouche
Lui dit, comme il vient à sa bouche,
Devant les voisins curieux
Qui les tiennent pour fous tous deux,
Et la délivrent à grand' peine,
Tant il s'acharne à perdre haleine.
Et quand la dame note et sent
Cette riote et ce tourment,
Et la joyeuse ritournelle
Qu'ainsi ce jongleur lui vielle
Fera-t-elle mieux son devoir?
Non; mais voudrait à Meaux le voir,
Voire certes en Roumanie.
Je dirai plus; je ne crois mie
Qu'elle le veuille aimer jamais.
Peut-être elle en aura l'air; mais
S'il pouvait voler jusqu'aux nues,
Ou si haut élever ses vues,
Qu'il pût ici-bas et sans choir
Tous les gestes des hommes voir,
Et réfléchir tout à son aise,
Il sentirait, à grand mésaise,
En quel embarras il est chu,
Lui qui les ruses n'a pas vu
Auxquelles femme sait entendre,
Pour se garantir et défendre.
Stephandra- Dans l'autre monde
- Nombre de messages : 16007
Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
S'il dort puis en sa compaignie,
Trop met en grant peril sa vie;
Voir en veillant et en dormant
Si doit-il douter moult formant
Qu'el n'el face, por soi venchier,
Empoisonner ou detrenchier,
Ou mener vie enlangorée,
Par cautele desesperée,
Ou qu'el ne pense à soi foïr,
S'el n'en puet autrement joïr.
Fame ne prise honor ne honte,
Quant riens en la teste li monte:
Qu'il est vérités sans doutance,
Fame n'a point de conscience
Vers quanqu'el het, vers quanqu'el ame;
Valérius néis la clame
Hardie et artificieuse,
Et trop à nuire estudieuse.
Amis.
Compains, cil fox vilains Jalous,
Dont la char soit livrée as lous,
Qui si de Jalousie s'emple,
Cum ci vous ai mis en exemple,
Et se fait seignor de sa fame,
Qui ne redoit mie estre dame,
Mès sa pareille et sa compaigne,
Si cum la loi les acompaigne;
Et il redoit ses compains estre,
Sans soi faire seignor ne mestre;
Quant tex tormens li apareille,
Et ne la tient cum sa pareille,
Ains la fait vivre en tel mesaise,
Cuidiés-vous qu'il ne li desplaise,
Et que l'amor entr'eus ne faille,
Que qu'ele die? Oïl sans faille.
Jà de sa fame n'iert amés
Qui sire en vuet estre clamés;
Car il convient amor morir
Quant amant vuelent seignorir.
Amors ne puet durer ne vivre,
Se n'est en cuer franc et délivre.
Por ce revoit-l'en ensement
De tous ceus qui premierement
Por amor amer s'entresuelent,
Quant puis espouser s'entrevuelent,
Envis puet entr'eus avenir
Que bonne amor s'i puist tenir:
Car cil, quant par amor amoit,
Serjant à cele se clamoit,
Qui sa mestresse soloit estre;
Or se clame seignor et mestre
Sor cele que dame ot clamée,
Quant ele iert par amor amée.
L'Amant.
Amée!
Amis.
Voire.
L'Amant.
En quel maniere?
Amis.
En tel, que se s'amie chiere
Li commandast, Amis, sailliés,
Ou ceste chose me bailliés,
Tantost li baillast sans faillir,
Et saillist s'el mandast saillir.
Voire néis, que qu'el déist,
Saillist-il por qu'el le véist:
Car tout avoit mis son plesir
En faire li tout son desir.
Mès quant sunt puis entr'espousé,
Si cum ci raconté vous é,
Lors est tornée la roéle,
Que cil qui soloit servir cele,
Commande que cele le serve
Ausinc cum s'ele fust sa serve,
Et la tient corte, et li commande
Que de ses faits conte li rende,
Et sa dame ainçois l'apela:
Envis muert qui apris ne l'a.
Lors se tient cele à mal-baillie,
Quant se voit ainsinc assaillie
Du meillor, du plus esprové
Qu'ele ait en ce siecle trové,
Qui si la vuet contrarier.
Ne se set mès en qui fier,
Quant sor son col son mestre esgarde,
Dont onques mès ne se prist garde.
Malement est changiés li vers;
Or li vient li gieus si divers,
Qu'el ne puet ne n'ose joer.
Comment s'en puet-ele loer?
S'el n'obéist, cil se corroce
Et la ledenge; et s'ele groce,
Estes le vous en ire mis,
Et tantost par l'ire anemis.
Por ce, compains, li ancien,
Sans servitude et sans lien,
Pesiblement, sans vilenie,
S'entreportoient compaignie,
N'il ne donnassent pas franchise
Por l'or d'Arrabe ne de Frise:
Car qui tout l'or en vodroit prendre,
Ne la porroit-il pas bien vendre.
N'estoit lors nul pelerinage,
N'issoit nus hors de son rivage
Por cerchier estrange contrée;
N'onques n'avoit la mer passée
* * * * *
Car s'il partage son chevet,
Sa vie en trop grand danger met;
S'il veille où s'il dort, en son âme
Toujours il craindra que sa femme
Ne le fasse, pour se venger,
Empoisonner ou égorger,
Ou mener langoureuse vie
Par incessante fourberie,
Ou qu'elle ne songe à s'enfuir,
Si n'en peut autrement jouir.
Femme ne prise honneur ni honte
Sitôt que sa tête se monte;
Chacun reconnaît de concert
Que toute conscience perd
Femme qui hait, femme qui aime.
Valérius l'appelle même
Être hardi, fallacieux,
Et trop à nuire courageux.
Ami.
Ami, ce vilain par folie
Qui se crève de jalousie,
Ainsi que l'ai dépeint à vous
(Dont la chair soit livrée aux loups!),
Et se fait de sa femme maître
Qui non plus ne doit maîtresse être
(La loi ne le dit autrement),
Mais sa compagne seulement,
Comme il doit son compagnon être,
Sans s'en faire seigneur ni maître,
Quand de tels tourments il l'émeut,
Pour son égale ne la veut,
Mais la fait vivre en tel mésaise,
Pensez-vous qu'il ne lui déplaise
Et que ne passent leurs amours,
Quoi qu'il dise? Si, toujours.
De sa femme ne saurait être
Aimé, qui veut en être maître,
Car l'amour meurt en un instant
Dès que maître devient l'Amant.
Amour ne peut vivre et se plaire
Qu'en un coeur franc, libre et sincère.
Aussi voit-on pareillement,
Chez tous ceux qui premièrement
Longtemps d'amour simple s'aimèrent
Et dans la suite s'épousèrent,
Que rarement peut advenir
Que bonne amour puisse tenir;
Car lui de sa chère maîtresse,
Quand il l'aimait d'amour, sans cesse
Il se disait le serviteur;
Or maître il s'en clame et seigneur,
Maîtresse après l'avoir clamée
Quand elle était d'amour aimée.
L'Amant.
Aimée!
Ami.
Oui, certes.
L'Amant.
Et comment?
Ami.
Si bien que lorsqu'à son amant
Elle commandait, je suppose:
«Ami, sautez, ou telle chose
Donnez-moi,» lui soudain sautait
Et puis la chose lui donnait;
Elle voire, sans rien lui dire,
L'eût fait sauter pour un sourire,
Car il mettait tout son plaisir
A combler son moindre désir.
Mais une fois liés ensemble,
Comme l'ai dit ci-haut, me semble,
Lors la roue a si bien tourné,
Que l'esclave humble et raffiné
Change, la tient court et commande
Que de ses faits compte lui rende
Celle que maîtresse il clamait,
Et comme si sa serve était
Veut à son tour qu'elle obéisse;
Pour un coeur franc, mortel supplice!
Alors elle plaint son malheur,
Quand ainsi se voit du meilleur,
Du plus sincère amant trahie
Qu'elle ait rencontré de sa vie,
Qui tant la veut contrarier;
Ne sait plus en qui se fier,
Quand son col le maître regarde
Dont jamais il ne se prit garde.
En sa triste position,
Telle est sa désillusion,
Qu'elle ne peut jouer ni l'ose;
Comment supporter telle chose?
Il faut obéir ou soudain
Il menace, et s'elle se plaint,
Le voilà tantôt en colère,
Et tout le ménage est en guerre.
Ami, pour ce les anciens
Sans servitude et sans liens,
Paisiblement, sans vilenie,
Vivaient en douce compagnie.
Ils n'eussent pas, en vérité,
Pour rien vendu leur liberté;
Car tout l'or d'Arabie et Frise
Ne paierait telle marchandise.
Pèlerinage aucun n'était,
Nul son rivage ne quittait
Pour chercher lointaine contrée;
Oncques n'avait la mer passée
* * * * *
Trop met en grant peril sa vie;
Voir en veillant et en dormant
Si doit-il douter moult formant
Qu'el n'el face, por soi venchier,
Empoisonner ou detrenchier,
Ou mener vie enlangorée,
Par cautele desesperée,
Ou qu'el ne pense à soi foïr,
S'el n'en puet autrement joïr.
Fame ne prise honor ne honte,
Quant riens en la teste li monte:
Qu'il est vérités sans doutance,
Fame n'a point de conscience
Vers quanqu'el het, vers quanqu'el ame;
Valérius néis la clame
Hardie et artificieuse,
Et trop à nuire estudieuse.
Amis.
Compains, cil fox vilains Jalous,
Dont la char soit livrée as lous,
Qui si de Jalousie s'emple,
Cum ci vous ai mis en exemple,
Et se fait seignor de sa fame,
Qui ne redoit mie estre dame,
Mès sa pareille et sa compaigne,
Si cum la loi les acompaigne;
Et il redoit ses compains estre,
Sans soi faire seignor ne mestre;
Quant tex tormens li apareille,
Et ne la tient cum sa pareille,
Ains la fait vivre en tel mesaise,
Cuidiés-vous qu'il ne li desplaise,
Et que l'amor entr'eus ne faille,
Que qu'ele die? Oïl sans faille.
Jà de sa fame n'iert amés
Qui sire en vuet estre clamés;
Car il convient amor morir
Quant amant vuelent seignorir.
Amors ne puet durer ne vivre,
Se n'est en cuer franc et délivre.
Por ce revoit-l'en ensement
De tous ceus qui premierement
Por amor amer s'entresuelent,
Quant puis espouser s'entrevuelent,
Envis puet entr'eus avenir
Que bonne amor s'i puist tenir:
Car cil, quant par amor amoit,
Serjant à cele se clamoit,
Qui sa mestresse soloit estre;
Or se clame seignor et mestre
Sor cele que dame ot clamée,
Quant ele iert par amor amée.
L'Amant.
Amée!
Amis.
Voire.
L'Amant.
En quel maniere?
Amis.
En tel, que se s'amie chiere
Li commandast, Amis, sailliés,
Ou ceste chose me bailliés,
Tantost li baillast sans faillir,
Et saillist s'el mandast saillir.
Voire néis, que qu'el déist,
Saillist-il por qu'el le véist:
Car tout avoit mis son plesir
En faire li tout son desir.
Mès quant sunt puis entr'espousé,
Si cum ci raconté vous é,
Lors est tornée la roéle,
Que cil qui soloit servir cele,
Commande que cele le serve
Ausinc cum s'ele fust sa serve,
Et la tient corte, et li commande
Que de ses faits conte li rende,
Et sa dame ainçois l'apela:
Envis muert qui apris ne l'a.
Lors se tient cele à mal-baillie,
Quant se voit ainsinc assaillie
Du meillor, du plus esprové
Qu'ele ait en ce siecle trové,
Qui si la vuet contrarier.
Ne se set mès en qui fier,
Quant sor son col son mestre esgarde,
Dont onques mès ne se prist garde.
Malement est changiés li vers;
Or li vient li gieus si divers,
Qu'el ne puet ne n'ose joer.
Comment s'en puet-ele loer?
S'el n'obéist, cil se corroce
Et la ledenge; et s'ele groce,
Estes le vous en ire mis,
Et tantost par l'ire anemis.
Por ce, compains, li ancien,
Sans servitude et sans lien,
Pesiblement, sans vilenie,
S'entreportoient compaignie,
N'il ne donnassent pas franchise
Por l'or d'Arrabe ne de Frise:
Car qui tout l'or en vodroit prendre,
Ne la porroit-il pas bien vendre.
N'estoit lors nul pelerinage,
N'issoit nus hors de son rivage
Por cerchier estrange contrée;
N'onques n'avoit la mer passée
* * * * *
Car s'il partage son chevet,
Sa vie en trop grand danger met;
S'il veille où s'il dort, en son âme
Toujours il craindra que sa femme
Ne le fasse, pour se venger,
Empoisonner ou égorger,
Ou mener langoureuse vie
Par incessante fourberie,
Ou qu'elle ne songe à s'enfuir,
Si n'en peut autrement jouir.
Femme ne prise honneur ni honte
Sitôt que sa tête se monte;
Chacun reconnaît de concert
Que toute conscience perd
Femme qui hait, femme qui aime.
Valérius l'appelle même
Être hardi, fallacieux,
Et trop à nuire courageux.
Ami.
Ami, ce vilain par folie
Qui se crève de jalousie,
Ainsi que l'ai dépeint à vous
(Dont la chair soit livrée aux loups!),
Et se fait de sa femme maître
Qui non plus ne doit maîtresse être
(La loi ne le dit autrement),
Mais sa compagne seulement,
Comme il doit son compagnon être,
Sans s'en faire seigneur ni maître,
Quand de tels tourments il l'émeut,
Pour son égale ne la veut,
Mais la fait vivre en tel mésaise,
Pensez-vous qu'il ne lui déplaise
Et que ne passent leurs amours,
Quoi qu'il dise? Si, toujours.
De sa femme ne saurait être
Aimé, qui veut en être maître,
Car l'amour meurt en un instant
Dès que maître devient l'Amant.
Amour ne peut vivre et se plaire
Qu'en un coeur franc, libre et sincère.
Aussi voit-on pareillement,
Chez tous ceux qui premièrement
Longtemps d'amour simple s'aimèrent
Et dans la suite s'épousèrent,
Que rarement peut advenir
Que bonne amour puisse tenir;
Car lui de sa chère maîtresse,
Quand il l'aimait d'amour, sans cesse
Il se disait le serviteur;
Or maître il s'en clame et seigneur,
Maîtresse après l'avoir clamée
Quand elle était d'amour aimée.
L'Amant.
Aimée!
Ami.
Oui, certes.
L'Amant.
Et comment?
Ami.
Si bien que lorsqu'à son amant
Elle commandait, je suppose:
«Ami, sautez, ou telle chose
Donnez-moi,» lui soudain sautait
Et puis la chose lui donnait;
Elle voire, sans rien lui dire,
L'eût fait sauter pour un sourire,
Car il mettait tout son plaisir
A combler son moindre désir.
Mais une fois liés ensemble,
Comme l'ai dit ci-haut, me semble,
Lors la roue a si bien tourné,
Que l'esclave humble et raffiné
Change, la tient court et commande
Que de ses faits compte lui rende
Celle que maîtresse il clamait,
Et comme si sa serve était
Veut à son tour qu'elle obéisse;
Pour un coeur franc, mortel supplice!
Alors elle plaint son malheur,
Quand ainsi se voit du meilleur,
Du plus sincère amant trahie
Qu'elle ait rencontré de sa vie,
Qui tant la veut contrarier;
Ne sait plus en qui se fier,
Quand son col le maître regarde
Dont jamais il ne se prit garde.
En sa triste position,
Telle est sa désillusion,
Qu'elle ne peut jouer ni l'ose;
Comment supporter telle chose?
Il faut obéir ou soudain
Il menace, et s'elle se plaint,
Le voilà tantôt en colère,
Et tout le ménage est en guerre.
Ami, pour ce les anciens
Sans servitude et sans liens,
Paisiblement, sans vilenie,
Vivaient en douce compagnie.
Ils n'eussent pas, en vérité,
Pour rien vendu leur liberté;
Car tout l'or d'Arabie et Frise
Ne paierait telle marchandise.
Pèlerinage aucun n'était,
Nul son rivage ne quittait
Pour chercher lointaine contrée;
Oncques n'avait la mer passée
* * * * *
Stephandra- Dans l'autre monde
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Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Comment Jason alla grant erre
Oultre mer la toison d'or querre,
Et fut chose moult merveilleuse
Aux regardans, et moult paoureuse.
Jason, qui premiers la passa,
Quant les navires compassa
Por la toison d'or aler querre.
Bien cuida estre pris de guerre
Neptunus, quant le vit nagier;
Triton redut vif erragier.
Et Doris, et toutes ses filles,
Por les merveilleuses semilles,
Cuiderent tuit estre traïs,
Tant furent forment esbaïs
Des nès qui par la mer aloient
Si cum li mariniers voloient.
Mais li premier dont je vous conte,
Ne savoient que nagier monte:
Tretuit trovoient en lor terre
Quanque lor sembloit bon à querre.
Riche estoient tuit égaument,
Et s'entramoient loiaument
Les simples gens de bonne vie:
Lors iert amors sans seignorie.
L'ung ne demandoit riens à l'autre,
Quand Barat vint lance sor fautre,
Et Pechiés et Male-Aventure
Qui n'ont de soffisance cure.
Orguel qui desdaingne pareil,
Vint avec à grant appareil,
Et Convoitise et Avarice,
Envie et tuit li autre vice:
Si firent saillir Povreté
D'enfer, où tant avoit esté,
Que nus de li riens ne savoit,
N'onques en terre esté n'avoit:
Mal fust-ele si tost venuë,
Car mout i ot pesme venuë.
Povreté qui point de sens n'a,
Larrecin son filz amena,
Qui s'en vet au gibet le cors
Por faire à sa mere secors;
Et s'i fait aucune fois pendre,
Que sa mère nel' puet deffendre:
Non puet ses peres Cuers-faillis,
Qui de duel en rest mal-baillis.
Néis damoisele Laverne
Qui les larrons guie et governe.
C'est des larrecins la déesse,
Qui les péchiés de nuit espesse,
Et les baras de nuës cueuvre,
Qu'il n'aperent dehors par euvre,
Jusqu'à tant qu'il i sunt trové,
Et pris en la fin tuit prové.
Pas n'a tant de miséricorde,
Quant l'en li met où col la corde,
Que jà l'en voille garentir,
Tant se sache bien repentir.
Tantost cil dolereus maufé,
De forcenerie eschaufé,
De duel, de corrous et d'envie,
Quant virent gens mener tel vie,
S'escorserent par toutes terres,
Semans descors, contens et guerres,
Mesdis, rancunes, et haïnes
Par corrous, et par ataïnes;
Et por ce qu'il orent or chier,
Firent-il la terre escorchier,
Et li sachierent des entrailles
Ses anciennes repostailles,
Métaus et pierres précieuses,
Dont genz devindrent envieuses:
Car Avarice et Convoitise
Ont ès cuers des hommes assise
La grant ardor d'avoir acquerre.
Li ung l'acquiert, l'autre l'enserre,
Ne jamès la lasse chétive,
Ne despendra jor qu'ele vive,
Ains en fera mestres tutors,
Ses hers ou ses exécutors,
S'il ne l'en meschiet autrement:
Et s'el en vet à dampnement,
Ne cuit que jà nus d'aus la plaigne;
Mès s'ele a bien fait, si le preigne.
Tantost cum par ceste mesnie
Fu la gent mal-mise et fesnie,
La premiere vie lessierent:
De mal faire puis ne cessierent,
Car faus et trichéors devindrent.
As propriétés lors se tindrent,
La terre méismes partirent,
Et au partir bones i mirent;
Et quant les bones i metoient,
Mainte fois s'entrecombatoient,
Et se tolurent ce qu'il porent,
Li plus fors les greignors pars orent;
Et quant en lor porchas coroient,
Li pareceux qui demoroient,
S'en entroient en lor cavernes,
Et lor embloient lor espernes.
Lors convint que l'en esgardast
Aucun qui les loges gardast,
Et qui les maufaitors préist,
Et droit as plaintifz en féist,
Ne nus ne l'osast contredire.
Lors s'assemblerent por eslire.
* * * * *
Oultre mer la toison d'or querre,
Et fut chose moult merveilleuse
Aux regardans, et moult paoureuse.
Jason, qui premiers la passa,
Quant les navires compassa
Por la toison d'or aler querre.
Bien cuida estre pris de guerre
Neptunus, quant le vit nagier;
Triton redut vif erragier.
Et Doris, et toutes ses filles,
Por les merveilleuses semilles,
Cuiderent tuit estre traïs,
Tant furent forment esbaïs
Des nès qui par la mer aloient
Si cum li mariniers voloient.
Mais li premier dont je vous conte,
Ne savoient que nagier monte:
Tretuit trovoient en lor terre
Quanque lor sembloit bon à querre.
Riche estoient tuit égaument,
Et s'entramoient loiaument
Les simples gens de bonne vie:
Lors iert amors sans seignorie.
L'ung ne demandoit riens à l'autre,
Quand Barat vint lance sor fautre,
Et Pechiés et Male-Aventure
Qui n'ont de soffisance cure.
Orguel qui desdaingne pareil,
Vint avec à grant appareil,
Et Convoitise et Avarice,
Envie et tuit li autre vice:
Si firent saillir Povreté
D'enfer, où tant avoit esté,
Que nus de li riens ne savoit,
N'onques en terre esté n'avoit:
Mal fust-ele si tost venuë,
Car mout i ot pesme venuë.
Povreté qui point de sens n'a,
Larrecin son filz amena,
Qui s'en vet au gibet le cors
Por faire à sa mere secors;
Et s'i fait aucune fois pendre,
Que sa mère nel' puet deffendre:
Non puet ses peres Cuers-faillis,
Qui de duel en rest mal-baillis.
Néis damoisele Laverne
Qui les larrons guie et governe.
C'est des larrecins la déesse,
Qui les péchiés de nuit espesse,
Et les baras de nuës cueuvre,
Qu'il n'aperent dehors par euvre,
Jusqu'à tant qu'il i sunt trové,
Et pris en la fin tuit prové.
Pas n'a tant de miséricorde,
Quant l'en li met où col la corde,
Que jà l'en voille garentir,
Tant se sache bien repentir.
Tantost cil dolereus maufé,
De forcenerie eschaufé,
De duel, de corrous et d'envie,
Quant virent gens mener tel vie,
S'escorserent par toutes terres,
Semans descors, contens et guerres,
Mesdis, rancunes, et haïnes
Par corrous, et par ataïnes;
Et por ce qu'il orent or chier,
Firent-il la terre escorchier,
Et li sachierent des entrailles
Ses anciennes repostailles,
Métaus et pierres précieuses,
Dont genz devindrent envieuses:
Car Avarice et Convoitise
Ont ès cuers des hommes assise
La grant ardor d'avoir acquerre.
Li ung l'acquiert, l'autre l'enserre,
Ne jamès la lasse chétive,
Ne despendra jor qu'ele vive,
Ains en fera mestres tutors,
Ses hers ou ses exécutors,
S'il ne l'en meschiet autrement:
Et s'el en vet à dampnement,
Ne cuit que jà nus d'aus la plaigne;
Mès s'ele a bien fait, si le preigne.
Tantost cum par ceste mesnie
Fu la gent mal-mise et fesnie,
La premiere vie lessierent:
De mal faire puis ne cessierent,
Car faus et trichéors devindrent.
As propriétés lors se tindrent,
La terre méismes partirent,
Et au partir bones i mirent;
Et quant les bones i metoient,
Mainte fois s'entrecombatoient,
Et se tolurent ce qu'il porent,
Li plus fors les greignors pars orent;
Et quant en lor porchas coroient,
Li pareceux qui demoroient,
S'en entroient en lor cavernes,
Et lor embloient lor espernes.
Lors convint que l'en esgardast
Aucun qui les loges gardast,
Et qui les maufaitors préist,
Et droit as plaintifz en féist,
Ne nus ne l'osast contredire.
Lors s'assemblerent por eslire.
* * * * *
Comment Jason prit son essor
Outre-mer vers la toison d'or,
Et fut chose moult merveilleuse
Aux regardants et moult peureuse.
Jason, qui premier la passa,
Quand les navires compassa,
Allant la toison d'or conquerre.
Bien se crut entrepris de guerre
Neptune, le voyant nager,
Triton dut tout vif enrager,
Et Doris et ses filles blondes,
Admirant ces nefs vagabondes;
Tretous ils se crurent trahis,
Tant furent soudain ébahis
Des marins guidant leur navire
A leur gré sur l'humide empire.
Mais, Ami, ces premiers humains
Ne connaissaient pas les marins;
Car tous ils trouvaient sur la terre
Ce qui leur semblait nécessaire,
Et tous riches également
Ils s'entr'aimaient loyalement,
Les simples gens de bonne vie!
Amour était sans seigneurie,
L'un de l'autre rien n'exigeait;
Quand Dol survint, lance en arrêt
Et Péchés et Male-Aventure
Qui n'ont de suffisance cure.
Orgueil, dédaignant son pareil,
Accourut à grand appareil
Traînant Convoitise, Avarice,
Envie et tout un chacun vice.
Ils firent sortir Pauvreté
D'enfer, où tant avait été
Que nul ne connaissait rien d'elle;
Ci-bas c'était chose nouvelle.
Pourquoi, las! vint-elle sitôt?
Car c'est bien le pire fléau.
Pauvreté, la sotte femelle,
Larcin son fils mène avec elle
Qui, pour sa mère aider, méfait
Et qui court tout droit au gibet;
Car bien souvent il se fait pendre
Sans qu'elle puisse le défendre,
Non plus son père Coeur-Failli
Qui de deuil est tout assailli,
Non plus damoiselle Laverne
Qui les larrons guide et gouverne.
C'est la déesse des coquins,
Qui d'épaisse nuit les larcins
Et d'ombre tous leurs forfaits couvre,
De crainte qu'on ne les découvre,
Jusques à temps qu'ils soient trouvés
Et pris en la fin tout prouvés.
Point ne va sa miséricorde,
Quand on lui met au col la corde,
Jusqu'à vouloir l'en garantir,
Tant sut-il bien se repentir.
Soudain tous ces douloureux diables,
Tous ces monstres épouvantables,
Brûlants d'envie et de courroux,
Du bonheur des hommes jaloux,
Se répandirent sur la terre
Semant la discorde et la guerre,
Haine, rancune et fausseté,
Par courroux et méchanceté.
Et parce que l'or ils aimèrent,
La terre même ils écorchèrent,
Et bientôt les trésors cachés
En son sein furent arrachés,
Métaux et pierres précieuses,
Dont gens devinrent envieuses.
Or ce qui mit dedans nos coeurs
D'acquérir les folles ardeurs,
C'est Avarice et Convoitise;
L'une acquiert, l'autre thésaurise.
Jamais l'avare son argent
Ne dépensera, lui vivant,
Pour, à sa mort, maîtres en faire
Ses hoirs ou quelque légataire,
Si Dieu n'en dispose autrement.
De ceux-là, s'il perd son argent,
Nulle pitié ne doit attendre;
Ils ne savent que son bien prendre.
Bientôt les malheureux humains,
Corrompus par tous ces malins,
Leur douce existence quittèrent
Et de mal faire ne cessèrent,
Tous devinrent faux et trompeurs.
On vit domaines et seigneurs,
Car la terre ils se partagèrent
Et des bornes d'abord plantèrent.
Mais quand des bornes ils plantaient,
Maintes fois ils se combattaient,
Et se volèrent ce qu'ils purent,
Les plus forts les belles parts eurent;
Mais s'ils allaient par les chemins,
Restaient paresseux et coquins
Qui lors entraient en leurs tanières
Ravir leurs épargnes premières.
Lors il fallut, pour les garder,
A choisir quelqu'un s'accorder,
Qui pût tous ces malfaiteurs prendre
Et la justice aux plaignants rendre,
A qui chacun dût obéir:
Ils s'assemblèrent pour choisir.
* * * * *
Outre-mer vers la toison d'or,
Et fut chose moult merveilleuse
Aux regardants et moult peureuse.
Jason, qui premier la passa,
Quand les navires compassa,
Allant la toison d'or conquerre.
Bien se crut entrepris de guerre
Neptune, le voyant nager,
Triton dut tout vif enrager,
Et Doris et ses filles blondes,
Admirant ces nefs vagabondes;
Tretous ils se crurent trahis,
Tant furent soudain ébahis
Des marins guidant leur navire
A leur gré sur l'humide empire.
Mais, Ami, ces premiers humains
Ne connaissaient pas les marins;
Car tous ils trouvaient sur la terre
Ce qui leur semblait nécessaire,
Et tous riches également
Ils s'entr'aimaient loyalement,
Les simples gens de bonne vie!
Amour était sans seigneurie,
L'un de l'autre rien n'exigeait;
Quand Dol survint, lance en arrêt
Et Péchés et Male-Aventure
Qui n'ont de suffisance cure.
Orgueil, dédaignant son pareil,
Accourut à grand appareil
Traînant Convoitise, Avarice,
Envie et tout un chacun vice.
Ils firent sortir Pauvreté
D'enfer, où tant avait été
Que nul ne connaissait rien d'elle;
Ci-bas c'était chose nouvelle.
Pourquoi, las! vint-elle sitôt?
Car c'est bien le pire fléau.
Pauvreté, la sotte femelle,
Larcin son fils mène avec elle
Qui, pour sa mère aider, méfait
Et qui court tout droit au gibet;
Car bien souvent il se fait pendre
Sans qu'elle puisse le défendre,
Non plus son père Coeur-Failli
Qui de deuil est tout assailli,
Non plus damoiselle Laverne
Qui les larrons guide et gouverne.
C'est la déesse des coquins,
Qui d'épaisse nuit les larcins
Et d'ombre tous leurs forfaits couvre,
De crainte qu'on ne les découvre,
Jusques à temps qu'ils soient trouvés
Et pris en la fin tout prouvés.
Point ne va sa miséricorde,
Quand on lui met au col la corde,
Jusqu'à vouloir l'en garantir,
Tant sut-il bien se repentir.
Soudain tous ces douloureux diables,
Tous ces monstres épouvantables,
Brûlants d'envie et de courroux,
Du bonheur des hommes jaloux,
Se répandirent sur la terre
Semant la discorde et la guerre,
Haine, rancune et fausseté,
Par courroux et méchanceté.
Et parce que l'or ils aimèrent,
La terre même ils écorchèrent,
Et bientôt les trésors cachés
En son sein furent arrachés,
Métaux et pierres précieuses,
Dont gens devinrent envieuses.
Or ce qui mit dedans nos coeurs
D'acquérir les folles ardeurs,
C'est Avarice et Convoitise;
L'une acquiert, l'autre thésaurise.
Jamais l'avare son argent
Ne dépensera, lui vivant,
Pour, à sa mort, maîtres en faire
Ses hoirs ou quelque légataire,
Si Dieu n'en dispose autrement.
De ceux-là, s'il perd son argent,
Nulle pitié ne doit attendre;
Ils ne savent que son bien prendre.
Bientôt les malheureux humains,
Corrompus par tous ces malins,
Leur douce existence quittèrent
Et de mal faire ne cessèrent,
Tous devinrent faux et trompeurs.
On vit domaines et seigneurs,
Car la terre ils se partagèrent
Et des bornes d'abord plantèrent.
Mais quand des bornes ils plantaient,
Maintes fois ils se combattaient,
Et se volèrent ce qu'ils purent,
Les plus forts les belles parts eurent;
Mais s'ils allaient par les chemins,
Restaient paresseux et coquins
Qui lors entraient en leurs tanières
Ravir leurs épargnes premières.
Lors il fallut, pour les garder,
A choisir quelqu'un s'accorder,
Qui pût tous ces malfaiteurs prendre
Et la justice aux plaignants rendre,
A qui chacun dût obéir:
Ils s'assemblèrent pour choisir.
* * * * *
Stephandra- Dans l'autre monde
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Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Cy povez lire sans desroy,
Comment fut fait le premier roy,
Qui puis leur jura sans tarder
De loyaulment le leur garder.
Ung grant vilain entr'eus eslurent,
Le plus ossu de quanqu'il furent,
Le plus corsu et le greignor,
Si le firent prince et seignor.
Cil jura qu'à droit les tendroit,
Et que lor loges deffendroit,
Se chascuns endroit soi li livre
Des biens dont il se puisse vivre
Ainsinc l'ont entr'eus acordé, 9961
Cum cil l'ot dit et recordé.
Cil tint grant piece cest office;
Li robéors plains de malice
S'assemblerent quant seul le virent,
Et par maintes fois le batirent
Quant les biens venoient embler.
Lors restut le pueple assembler,
Et chascun en droit soi taillier
Por serjans au prince baillier.
Communément lors se taillierent,
Et tous et toutes li ballierent,
Et donnerent grans tenemens.
De là vint li commencemens
As rois, as princes terriens,
Selonc l'escript as anciens;
Car par l'escript que nous avons,
Les fais des anciens savons;
Si les en devons mercier,
Et loer et regracier.
Lors amasserent les tresors
De pierres et d'argent et d'ors;
D'or et d'argent, por ce qu'il ierent
Traitable et précieus, forgierent
Vessellementes et monnoies,
Fremaus, aniaus, noiaus, corroies;
De fer dur forgierent lor armes,
Coutiaus, espées et guisarmes,
Et glaives et cotes maillées
Por faire à lor voisins meslées.
Lors firent tors et roilléis
Et murs à creniaus tailléis:
Chastiaus fermerent et cités,
Et firent grans palais listés
Cil qui les tresors assemblerent,
Car tuit de grant paor tremblerent
Por les richeces assemblées,
Qu'eles ne lor fussent emblées,
Ou par quelque forfait toluës.
Bien furent lor dolors créuës
As chetis de mauvais éur,
C'onc puis ne furent asséur,
Que ce qui commun ert devant,
Comme le soleil et le vent,
Par convoitise approprierent,
Quant as richeces se lierent.
Or en a bien ung plus que vingt:
Onc ce de bon cuer ne lor vint.
Sans faille des vilains gloutons,
Ne donnasse-ge deus boutons,
Combien que bon cuer lor fausist,
De tel faute ne me chausist:
Bien s'entr'amassent ou haïssent,
Ou lor amor s'entrevendissent.
Mais c'est grant duel et grans domages
Que ces dames as clers visages,
Ces jolives, ces renvoisies,
Par qui doivent estre proisies
Loiaus amors et deffenduës,
Sunt à si grant vilté venuës.
Trop est lede chose à entendre,
Que noble cors se puisse vendre;
Mès comment que la chose preingne,
Gart li valés qu'il ne se feingne
D'ars et de sciences aprendre,
Por garantir et por deffendre,
Se mestiers est, li et s'amie,
Si qu'el ne le guerpisse mie.
Ce puet moult valet eslever,
Et si n'el-puet de riens grever.
Après li redoit sovenir
De cest mien conseil retenir:
S'il a amie ou genne ou vielle,
Et set ou pense qu'ele vuelle
Autre amis querre ou a jà quis,
Des aquerre ne des aquis
Ne la doit blasmer ne reprendre,
Mès amiablement aprendre,
Sans tencier et sans ledengier,
Encor por li mains estrangier,
S'il la troyoit néis en l'uevre,
Gart que ses iex cele part n'uevre:
Semblant doit faire d'estre avugles,
Ou plus simple que n'est uns bugles,
Si qu'ele cuide tout por voir
Qu'il n'en puist riens aparcevoir.
Et s'aucuns li envoie letre,
Il ne se doit jà entremetre
Du lire ne du reverchier,
Ne de lor secrés encerchier.
Ne jà n'ait cuer entalenté
D'aler contre sa volenté;
Mès que bien soit-ele venuë,
Quant el vendra de quelque ruë,
Et r'aille quel part qu'el vorra,
Si cum ses voloirs li torra:
Qu'el n'a cure d'estre tenuë,
Si voil que soit chose séuë
Comment fut fait le premier roy,
Qui puis leur jura sans tarder
De loyaulment le leur garder.
Ung grant vilain entr'eus eslurent,
Le plus ossu de quanqu'il furent,
Le plus corsu et le greignor,
Si le firent prince et seignor.
Cil jura qu'à droit les tendroit,
Et que lor loges deffendroit,
Se chascuns endroit soi li livre
Des biens dont il se puisse vivre
Ainsinc l'ont entr'eus acordé, 9961
Cum cil l'ot dit et recordé.
Cil tint grant piece cest office;
Li robéors plains de malice
S'assemblerent quant seul le virent,
Et par maintes fois le batirent
Quant les biens venoient embler.
Lors restut le pueple assembler,
Et chascun en droit soi taillier
Por serjans au prince baillier.
Communément lors se taillierent,
Et tous et toutes li ballierent,
Et donnerent grans tenemens.
De là vint li commencemens
As rois, as princes terriens,
Selonc l'escript as anciens;
Car par l'escript que nous avons,
Les fais des anciens savons;
Si les en devons mercier,
Et loer et regracier.
Lors amasserent les tresors
De pierres et d'argent et d'ors;
D'or et d'argent, por ce qu'il ierent
Traitable et précieus, forgierent
Vessellementes et monnoies,
Fremaus, aniaus, noiaus, corroies;
De fer dur forgierent lor armes,
Coutiaus, espées et guisarmes,
Et glaives et cotes maillées
Por faire à lor voisins meslées.
Lors firent tors et roilléis
Et murs à creniaus tailléis:
Chastiaus fermerent et cités,
Et firent grans palais listés
Cil qui les tresors assemblerent,
Car tuit de grant paor tremblerent
Por les richeces assemblées,
Qu'eles ne lor fussent emblées,
Ou par quelque forfait toluës.
Bien furent lor dolors créuës
As chetis de mauvais éur,
C'onc puis ne furent asséur,
Que ce qui commun ert devant,
Comme le soleil et le vent,
Par convoitise approprierent,
Quant as richeces se lierent.
Or en a bien ung plus que vingt:
Onc ce de bon cuer ne lor vint.
Sans faille des vilains gloutons,
Ne donnasse-ge deus boutons,
Combien que bon cuer lor fausist,
De tel faute ne me chausist:
Bien s'entr'amassent ou haïssent,
Ou lor amor s'entrevendissent.
Mais c'est grant duel et grans domages
Que ces dames as clers visages,
Ces jolives, ces renvoisies,
Par qui doivent estre proisies
Loiaus amors et deffenduës,
Sunt à si grant vilté venuës.
Trop est lede chose à entendre,
Que noble cors se puisse vendre;
Mès comment que la chose preingne,
Gart li valés qu'il ne se feingne
D'ars et de sciences aprendre,
Por garantir et por deffendre,
Se mestiers est, li et s'amie,
Si qu'el ne le guerpisse mie.
Ce puet moult valet eslever,
Et si n'el-puet de riens grever.
Après li redoit sovenir
De cest mien conseil retenir:
S'il a amie ou genne ou vielle,
Et set ou pense qu'ele vuelle
Autre amis querre ou a jà quis,
Des aquerre ne des aquis
Ne la doit blasmer ne reprendre,
Mès amiablement aprendre,
Sans tencier et sans ledengier,
Encor por li mains estrangier,
S'il la troyoit néis en l'uevre,
Gart que ses iex cele part n'uevre:
Semblant doit faire d'estre avugles,
Ou plus simple que n'est uns bugles,
Si qu'ele cuide tout por voir
Qu'il n'en puist riens aparcevoir.
Et s'aucuns li envoie letre,
Il ne se doit jà entremetre
Du lire ne du reverchier,
Ne de lor secrés encerchier.
Ne jà n'ait cuer entalenté
D'aler contre sa volenté;
Mès que bien soit-ele venuë,
Quant el vendra de quelque ruë,
Et r'aille quel part qu'el vorra,
Si cum ses voloirs li torra:
Qu'el n'a cure d'estre tenuë,
Si voil que soit chose séuë
Ci pouvez voir en toute foi
Comment fut fait le premier roi
Qui de garder jura sur l'heure
Et leur avoir et leur demeure.
Un grand vilain alors entre eux
Ils choisirent, le plus nerveux,
Le plus large et gros qu'ils trouvèrent,
Et prince et seigneur l'acclamèrent.
Il jura que bien veillerait
Et que leurs loges défendrait:
Mais que chacun, dit-il, me livre
Biens suffisants pour pouvoir vivre.
Céans entre eux ont accordé
Ce qu'il leur avait demandé.
Longtemps il remplit cet office;
Mais les larrons pleins de malice
S'assemblèrent, seul le voyant,
Et le battirent bien souvent
Lorsqu'ils venaient à la curée.
Lors on tint nouvelle assemblée,
Et chacun dut se cotiser
Pour garde au prince composer.
Les tailles lors ils s'imposèrent,
Et tous et toutes lui baillèrent
Sergents et biens incontinent.
De là vint le commencement
Des principautés terriennes,
Selon les histoires anciennes;
Car par l'écrit que nous avons,
Tous les faits des anciens savons
Et leur devons en conscience
Grâce, los et reconnaissance.
Lors tous d'amasser un trésor
De pierres et d'argent et d'or.
Des plus beaux métaux qu'ils trouvèrent,
L'argent et l'or, ils se forgèrent
Monnaie, et vaisselle et joyaux,
Bourses, boutons, boucles, anneaux;
Du fer dur leurs armes forgèrent,
Haches et glaives façonnèrent,
Cottes de mailles et bassins
Pour faire guerre à leurs voisins.
Alors tous de grand' peur tremblèrent
Ceux qui les trésors amassèrent,
Et bientôt on vit tous les jours
S'élever barrières et tours,
Murailles à créneaux taillées,
Castels, villes fortifiées.
De palissades, de remblais,
Ils entourèrent leurs palais,
De peur que ne fussent volées
Tant de richesses rassemblées,
Et pour combattre les voleurs.
Ainsi s'accrurent les douleurs
Des humains lâches et serviles;
Ils ne vécurent plus tranquilles,
Car tout ce qui était devant,
Comme le soleil et le vent,
A tous, ils se l'approprièrent
Dès qu'aux richesses s'attachèrent.
Or j'en sais bien un plus que vingt
Et ce d'un bon coeur ne leur vint.
Tous ces gloutons, je les méprise,
Et deux boutons tous ne les prise.
Que leur coeur ait d'amour, de foi
Plus ou moins, que m'importe à moi?
Ils peuvent, comme bon leur semble,
Vivre bien, vivre mal ensemble,
Peuvent s'aimer ou se haïr,
Leur amour vendre et s'avilir.
Mais c'est grand deuil et grand dommage,
Quand ces dames au clair visage,
Si charmantes en leurs beaux jours
Et par qui loyales amours
Devraient être, hélas! défendues,
A tel degré sont descendues;
Car c'est un spectacle écoeurant
Que voir noble corps qui se vend.
Donc avant tout, quoi qu'il advienne,
Il faut qu'un bon amant apprenne
La noble science d'Amour,
Pour prévenir au moins, un jour,
S'il est possible, que sa mie
Ne le délaisse et ne l'oublie.
Cet art ne peut que l'élever
Sans jamais en rien le grever.
Qu'il ait ensuite souvenance
De ce mien conseil par prudence:
Si jeune amie ou vieille il a,
Et s'il pense ou sait que déjà
Elle ait pris ou bien veuille prendre
Un autre ami, ni la reprendre
Ni la blâmer du changement
Il ne devra, mais tendrement
Lui parler sans nulle querelle,
Pour moins éloigner l'infidèle.
La prend-il sur le fait? il doit
Détourner les yeux de l'endroit,
Faire l'aveugle ou le novice
Qui n'a rien vu de la malice.
Surprend-il un galant poulet?
Qu'il n'aille pas, pour leur secret
Ainsi perfidement surprendre,
Le déplier, le lire ou prendre.
Qu'il n'ait jamais le coeur tenté
D'aller contre sa volonté;
Mais qu'elle soit la bienvenue
S'il la rencontre dans la rue;
Que partout elle aille où voudra
Toujours ainsi qu'il lui plaira.
Car nulle femme ne veut être
Mise en servage par un maître,
Ceci, ne l'oubliez jamais;
Et ce que maintenant je vais
Comment fut fait le premier roi
Qui de garder jura sur l'heure
Et leur avoir et leur demeure.
Un grand vilain alors entre eux
Ils choisirent, le plus nerveux,
Le plus large et gros qu'ils trouvèrent,
Et prince et seigneur l'acclamèrent.
Il jura que bien veillerait
Et que leurs loges défendrait:
Mais que chacun, dit-il, me livre
Biens suffisants pour pouvoir vivre.
Céans entre eux ont accordé
Ce qu'il leur avait demandé.
Longtemps il remplit cet office;
Mais les larrons pleins de malice
S'assemblèrent, seul le voyant,
Et le battirent bien souvent
Lorsqu'ils venaient à la curée.
Lors on tint nouvelle assemblée,
Et chacun dut se cotiser
Pour garde au prince composer.
Les tailles lors ils s'imposèrent,
Et tous et toutes lui baillèrent
Sergents et biens incontinent.
De là vint le commencement
Des principautés terriennes,
Selon les histoires anciennes;
Car par l'écrit que nous avons,
Tous les faits des anciens savons
Et leur devons en conscience
Grâce, los et reconnaissance.
Lors tous d'amasser un trésor
De pierres et d'argent et d'or.
Des plus beaux métaux qu'ils trouvèrent,
L'argent et l'or, ils se forgèrent
Monnaie, et vaisselle et joyaux,
Bourses, boutons, boucles, anneaux;
Du fer dur leurs armes forgèrent,
Haches et glaives façonnèrent,
Cottes de mailles et bassins
Pour faire guerre à leurs voisins.
Alors tous de grand' peur tremblèrent
Ceux qui les trésors amassèrent,
Et bientôt on vit tous les jours
S'élever barrières et tours,
Murailles à créneaux taillées,
Castels, villes fortifiées.
De palissades, de remblais,
Ils entourèrent leurs palais,
De peur que ne fussent volées
Tant de richesses rassemblées,
Et pour combattre les voleurs.
Ainsi s'accrurent les douleurs
Des humains lâches et serviles;
Ils ne vécurent plus tranquilles,
Car tout ce qui était devant,
Comme le soleil et le vent,
A tous, ils se l'approprièrent
Dès qu'aux richesses s'attachèrent.
Or j'en sais bien un plus que vingt
Et ce d'un bon coeur ne leur vint.
Tous ces gloutons, je les méprise,
Et deux boutons tous ne les prise.
Que leur coeur ait d'amour, de foi
Plus ou moins, que m'importe à moi?
Ils peuvent, comme bon leur semble,
Vivre bien, vivre mal ensemble,
Peuvent s'aimer ou se haïr,
Leur amour vendre et s'avilir.
Mais c'est grand deuil et grand dommage,
Quand ces dames au clair visage,
Si charmantes en leurs beaux jours
Et par qui loyales amours
Devraient être, hélas! défendues,
A tel degré sont descendues;
Car c'est un spectacle écoeurant
Que voir noble corps qui se vend.
Donc avant tout, quoi qu'il advienne,
Il faut qu'un bon amant apprenne
La noble science d'Amour,
Pour prévenir au moins, un jour,
S'il est possible, que sa mie
Ne le délaisse et ne l'oublie.
Cet art ne peut que l'élever
Sans jamais en rien le grever.
Qu'il ait ensuite souvenance
De ce mien conseil par prudence:
Si jeune amie ou vieille il a,
Et s'il pense ou sait que déjà
Elle ait pris ou bien veuille prendre
Un autre ami, ni la reprendre
Ni la blâmer du changement
Il ne devra, mais tendrement
Lui parler sans nulle querelle,
Pour moins éloigner l'infidèle.
La prend-il sur le fait? il doit
Détourner les yeux de l'endroit,
Faire l'aveugle ou le novice
Qui n'a rien vu de la malice.
Surprend-il un galant poulet?
Qu'il n'aille pas, pour leur secret
Ainsi perfidement surprendre,
Le déplier, le lire ou prendre.
Qu'il n'ait jamais le coeur tenté
D'aller contre sa volonté;
Mais qu'elle soit la bienvenue
S'il la rencontre dans la rue;
Que partout elle aille où voudra
Toujours ainsi qu'il lui plaira.
Car nulle femme ne veut être
Mise en servage par un maître,
Ceci, ne l'oubliez jamais;
Et ce que maintenant je vais
Stephandra- Dans l'autre monde
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Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Ce que ci après vous voil dire,
En livre le devroit-l'en lire.
Que de fame vuet avoir grace,
Mete-la tous jors en espace,
Jà cum recluse ne la tiengne,
Ains voise à son voloir et viengne;
Car cil qui la vuet retenir
Qu'el ne puisse aler ne venir,
Soit sa moiller, ou soit sa druë,
Tantost en a l'amor perduë.
Ne jà riens contre li ne croie,
Por certaineté qu'il en oie;
Mès bien die à ceus ou à celes
Qui li en porteront noveles,
Que du dire folie firent,
C'onc si prode fame ne virent;
Tous jors a bien fait sans recroire,
Por ce ne la doit nus mescroire.
Jà ses vices ne li reprouche,
Ne ne la bate, ne ne touche:
Car cil qui vuet sa femme batre,
Por soi miex en s'amor embatre,
Quant la vuet après rapesier,
C'est cil qui por aprivoisier,
Bat son chat et puis le rapele
Por le lier à sa cordele;
Mès se le chat s'en puet saillir,
Bien puet cil au prendre faillir.
Mès s'ele le bat ou ledenge,
Gart cil que son cuer ne s'en change:
Si batre ou ledengier se voit,
Néis se cele le devoit
Tout vif as ungles détrenchier,
Ne se doit-il pas revenchier,
Ains l'en doit mercier et dire
Qu'il vodroit bien en tel martire
Vivre tous temps, mès qu'il séust
Que ses services li pléust:
Voire néis tout à délivre,
Plus lors morir que sans li vivre.
Et s'il avient que il la fiere,
Pour ce que trop li semble fiere,
Et qu'ele l'a trop corroucié,
Tant a forment vers li groucié,
Ou le vuet espoir menacier,
Tantost por sa pez porchacier
Gart que le gieu d'amors li face,
Ains que se parte de la place,
Méismement li povres hons;
Car li povre a poi d'achoisons.
Porroit-ele tantost lessier,
S'el n'el véoit vers li plessier.
Povres doit amer sagement
Et doit soffrir moult humblement,
Sans semblant de corrous ne d'ire,
Quanque li voit ou faire ou dire,
Méismement plus que li riches
Qui ne donroit espoir deus chiches
En son orguel n'en son dangier:
Si la porroit bien ledengier;
Et s'il est tex qu'il ne vuet mie
Loiauté porter à s'amie,
Si ne la vodroit-il pas perdre,
Mès à autre se vuet aerdre.
S'il vuet à s'amie novele
Donner cuevrechief ou cotele,
Chapel, anel, fermail, çainture,
Ou joel de bele faiture,
Gart que l'autre ne le congnoisse,
Car trop auroit au cuer angoisse
Quant el les li verroit porter;
Riens ne l'en porroit conforter.
Et gart que venir ne la face
En icelle méisme place
Où venoit à li la premiere,
Qui de venir iert coustumiere:
Car s'ele i vient por qu'el la truisse,
N'est riens qui conseil metre i puisse:
Car nus viex sengler hericiés,
Quant des chiens est bien aticiés,
N'est si crueus, ne lionnesse,
Si triste ne si felonnesse,
Quant li venierres qui l'assaut,
Li renforce en ce point l'assaut,
Quant el alaite ses chaiaus;
Ne nus serpens si desloiaus
Quant l'en li marche sus la queuë,
Qui du marchier pas ne se geuë,
Cum est fame quant ele trueve
Son ami o s'amie nueve:
El giete par tout feu et flame,
Preste de perdre et cors et ame.
Et s'el n'a pas prise provée
D'eus deus ensemble la covée,
Mès bien en chiet en jalousie
Qu'el set ou cuide estre acoupie,
Comment qu'il aut, ou sache, ou croie,
Gart soit cil que jà ne recroie
De li nier tout plainement
Ce qu'ele set certainement,
Et ne soit pas lent de jurer;
Tantost li reface endurer
En la place le geu d'amors,
Lors iert quite de ses clamors.
Et se tant l'assaut et angoisse
Qu'il convient qu'il li recongnoisse.
Qu'il ne s'en set, espoir, deffendre,
A ce doit lores, s'il puet, tendre
Qu'il li face à force entendant
Qu'il le fist sor soi deffendant;
Car cele si fort le tenoit,
Et si malement le menoit,
C'onques eschaper ne li pot,
Tant qu'il orent fait ce tripot,
N'onc ne li avint fois fors ceste.
Lors li jurt, fiance et promete
Que jamès ne li avendra,
Si loiaument se contendra;
Et s'ele en ot jamès parole,
Bien vuet que le tue et afole.
Car miex vodroit que fust noiée
La desloiaus, la renoiée,
Que jamès en place venist
Où cele en tel point le tenist:
Car s'il avient qu'ele le mant,
N'ira mès à son mandement,
Ne ne sofferra qu'ele viengne,
S'il puet, en leu où el le tiengne,
Lors doit cele estroit embracier,
Baisier, blandir et solacier,
Et crier merci du meffait,
Puis que jamès ne sera fait;
Qu'il est en vraie repentance,
Près de faire tel pénitance
Cum cele enjoindre li saura,
Puis que pardoné li aura.
Vous apprendre devrait se lire
En livres, pour amants instruire.
Qui veut faveurs de femme avoir
La laisse en liberté mouvoir,
Jamais recluse ne la tienne;
Qu'elle aille à son vouloir et vienne,
Car tel qui la veut retenir
A son gré d'aller et venir,
Qu'elle soit épouse ou maîtresse,
Perdra bien vite sa tendresse.
Contre elle rien croire ne doit
Combien que certain il en soit;
Mais il doit dire à ceux ou celles
Qui lui portèrent ces nouvelles
Qu'il est fol celui qui l'a dit,
Qu'oncques si chaste nul ne vit
Et que sa conduite est sans tache,
Que douter d'elle c'est d'un lâche.
Il doit ses vices respecter
Et jamais ne la maltraiter.
Car celui qui femme maltraite
Pour mieux s'attacher la coquette,
Quand la veut après apaiser,
Fait comme pour apprivoiser
Son chat, s'il le bat et rappelle
Pour le lier à sa cordelle;
Car si le chat peut s'échapper,
Bien fin qui pourra l'attraper.
Tout au contraire, si c'est elle
Qui le bat et qui le querelle,
Qu'il ne témoigne aucune humeur
Et que toujours égal son coeur
Supporte les coups et l'injure.
Lui voulût-elle la figure
De ses ongles vive écorcher,
Il ne doit pas se revancher,
Mais l'en remercier et dire
Qu'il voudrait bien en tel martyre
Vivre toujours, pourvu qu'il sût
Que son amour toujours lui plût,
Et que mourir près de sa belle
Il préfère à vivre sans elle.
Mais s'il advient que, révolté
De sa trop grand' malignité,
Le premier il l'ait maltraitée,
Tant elle a son ire excitée
Par ses menaces, ses excès;
Alors, pour obtenir sa paix,
Que le jeu d'amour il lui fasse,
Avant d'abandonner la place,
Surtout s'il est pauvre d'argent.
Car s'il est pauvre, incontinent
Le pourra délaisser sa mie
Si vers elle il ne s'humilie.
Pauvre doit aimer sagement
Et souffrir moult plus humblement,
Sans semblant de courroux ni d'ire,
Quoi qu'elle puisse faire ou dire,
Que le riche, qui, c'est certain,
De son orgueil et son dédain
Ne donnerait voire un pois chiche;
Car l'insulte est permise au riche.
Mais mettons que, sans la laisser,
Il en veuille une autre amorcer.
S'il veut à l'amante nouvelle
Donner couvrechef ou cotelle,
Chapel, fermail, ceinture, anneau,
Ou quelque précieux joyau,
Que bien le cache à la première;
Car tant serait sa peine amère,
Que rien, les lui voyant porter,
Ne pourrait la réconforter.
Puis que jamais il ne la fasse
Venir en cette même place,
Où la première à lui venait
Qui ses faveurs devant avait;
Car s'elle le venait surprendre,
N'est rien qui le puisse défendre.
Nul vieux sanglier hérissé,
Quand des chiens est bien relancé,
N'est si cruel, nulle lionne
N'est si terrible, si félonne,
Lorsqu'allaitant ses lionceaux,
Elle voit contre eux les assauts
Du chasseur redoubler sans cesse,
Nulle vipère plus traîtresse,
Lorsque sur sa queue en passant,
Par malheur, marche l'imprudent,
Que femme qui son ami treuve
Avec une maîtresse neuve.
Feu et flamme on la voit jeter,
Corps et âme prête à quitter.
Mais s'elle n'a pas pris prouvée
D'eux deux ensemble la couvée,
Et si jalouse, en grand tourment,
Se sait cocue ou le pressent,
Quoiqu'elle sache ou qu'elle pense,
Il devra payer d'impudence
Et nier tout, absolument
Ce qu'elle sait pertinemment;
Serments sur serments qu'il entasse,
Et s'il peut lui faire sur place
Endurer le doux jeu d'amour,
Tout sera conjuré ce jour.
Mais si de trop dure manière
Et de si près elle le serre,
Qu'il lui faille, bon gré, mal gré,
Avouer son crime avéré,
Voyant qu'il ne s'en peut défendre;
Il doit alors lui faire entendre,
S'il se peut, en homme prudent,
Qu'il le fit son corps défendant,
Que tant le malmenait la belle
Et que si fort le tenait-elle,
Que s'échapper oncques ne put
Sans faire ce qu'elle voulut;
Mais qu'il ne fut oncques parjure
Que cette fois. Lors qu'il lui jure
Que jamais plus ne le fera,
Loyalement se conduira,
Et que s'il la trahit encore,
Qu'elle l'aissaille et le dévore.
A l'appel de l'autre il n'ira
Et jamais ne la recevra;
Mieux lui vaudrait être noyée,
La traîtresse, la dévoyée,
Que déréchef en lieu venir
Où le pût en tel point tenir.
Qu'étroitement lors il l'embrasse,
La baise et caresse et l'enlace,
Merci criant de son méfait
Qui jamais plus ne sera fait,
Montrant sincère repentance
Et prêt à faire pénitence
Comme enjoindre la lui voudra,
Lorsque pardonné lui sera,
En livre le devroit-l'en lire.
Que de fame vuet avoir grace,
Mete-la tous jors en espace,
Jà cum recluse ne la tiengne,
Ains voise à son voloir et viengne;
Car cil qui la vuet retenir
Qu'el ne puisse aler ne venir,
Soit sa moiller, ou soit sa druë,
Tantost en a l'amor perduë.
Ne jà riens contre li ne croie,
Por certaineté qu'il en oie;
Mès bien die à ceus ou à celes
Qui li en porteront noveles,
Que du dire folie firent,
C'onc si prode fame ne virent;
Tous jors a bien fait sans recroire,
Por ce ne la doit nus mescroire.
Jà ses vices ne li reprouche,
Ne ne la bate, ne ne touche:
Car cil qui vuet sa femme batre,
Por soi miex en s'amor embatre,
Quant la vuet après rapesier,
C'est cil qui por aprivoisier,
Bat son chat et puis le rapele
Por le lier à sa cordele;
Mès se le chat s'en puet saillir,
Bien puet cil au prendre faillir.
Mès s'ele le bat ou ledenge,
Gart cil que son cuer ne s'en change:
Si batre ou ledengier se voit,
Néis se cele le devoit
Tout vif as ungles détrenchier,
Ne se doit-il pas revenchier,
Ains l'en doit mercier et dire
Qu'il vodroit bien en tel martire
Vivre tous temps, mès qu'il séust
Que ses services li pléust:
Voire néis tout à délivre,
Plus lors morir que sans li vivre.
Et s'il avient que il la fiere,
Pour ce que trop li semble fiere,
Et qu'ele l'a trop corroucié,
Tant a forment vers li groucié,
Ou le vuet espoir menacier,
Tantost por sa pez porchacier
Gart que le gieu d'amors li face,
Ains que se parte de la place,
Méismement li povres hons;
Car li povre a poi d'achoisons.
Porroit-ele tantost lessier,
S'el n'el véoit vers li plessier.
Povres doit amer sagement
Et doit soffrir moult humblement,
Sans semblant de corrous ne d'ire,
Quanque li voit ou faire ou dire,
Méismement plus que li riches
Qui ne donroit espoir deus chiches
En son orguel n'en son dangier:
Si la porroit bien ledengier;
Et s'il est tex qu'il ne vuet mie
Loiauté porter à s'amie,
Si ne la vodroit-il pas perdre,
Mès à autre se vuet aerdre.
S'il vuet à s'amie novele
Donner cuevrechief ou cotele,
Chapel, anel, fermail, çainture,
Ou joel de bele faiture,
Gart que l'autre ne le congnoisse,
Car trop auroit au cuer angoisse
Quant el les li verroit porter;
Riens ne l'en porroit conforter.
Et gart que venir ne la face
En icelle méisme place
Où venoit à li la premiere,
Qui de venir iert coustumiere:
Car s'ele i vient por qu'el la truisse,
N'est riens qui conseil metre i puisse:
Car nus viex sengler hericiés,
Quant des chiens est bien aticiés,
N'est si crueus, ne lionnesse,
Si triste ne si felonnesse,
Quant li venierres qui l'assaut,
Li renforce en ce point l'assaut,
Quant el alaite ses chaiaus;
Ne nus serpens si desloiaus
Quant l'en li marche sus la queuë,
Qui du marchier pas ne se geuë,
Cum est fame quant ele trueve
Son ami o s'amie nueve:
El giete par tout feu et flame,
Preste de perdre et cors et ame.
Et s'el n'a pas prise provée
D'eus deus ensemble la covée,
Mès bien en chiet en jalousie
Qu'el set ou cuide estre acoupie,
Comment qu'il aut, ou sache, ou croie,
Gart soit cil que jà ne recroie
De li nier tout plainement
Ce qu'ele set certainement,
Et ne soit pas lent de jurer;
Tantost li reface endurer
En la place le geu d'amors,
Lors iert quite de ses clamors.
Et se tant l'assaut et angoisse
Qu'il convient qu'il li recongnoisse.
Qu'il ne s'en set, espoir, deffendre,
A ce doit lores, s'il puet, tendre
Qu'il li face à force entendant
Qu'il le fist sor soi deffendant;
Car cele si fort le tenoit,
Et si malement le menoit,
C'onques eschaper ne li pot,
Tant qu'il orent fait ce tripot,
N'onc ne li avint fois fors ceste.
Lors li jurt, fiance et promete
Que jamès ne li avendra,
Si loiaument se contendra;
Et s'ele en ot jamès parole,
Bien vuet que le tue et afole.
Car miex vodroit que fust noiée
La desloiaus, la renoiée,
Que jamès en place venist
Où cele en tel point le tenist:
Car s'il avient qu'ele le mant,
N'ira mès à son mandement,
Ne ne sofferra qu'ele viengne,
S'il puet, en leu où el le tiengne,
Lors doit cele estroit embracier,
Baisier, blandir et solacier,
Et crier merci du meffait,
Puis que jamès ne sera fait;
Qu'il est en vraie repentance,
Près de faire tel pénitance
Cum cele enjoindre li saura,
Puis que pardoné li aura.
Vous apprendre devrait se lire
En livres, pour amants instruire.
Qui veut faveurs de femme avoir
La laisse en liberté mouvoir,
Jamais recluse ne la tienne;
Qu'elle aille à son vouloir et vienne,
Car tel qui la veut retenir
A son gré d'aller et venir,
Qu'elle soit épouse ou maîtresse,
Perdra bien vite sa tendresse.
Contre elle rien croire ne doit
Combien que certain il en soit;
Mais il doit dire à ceux ou celles
Qui lui portèrent ces nouvelles
Qu'il est fol celui qui l'a dit,
Qu'oncques si chaste nul ne vit
Et que sa conduite est sans tache,
Que douter d'elle c'est d'un lâche.
Il doit ses vices respecter
Et jamais ne la maltraiter.
Car celui qui femme maltraite
Pour mieux s'attacher la coquette,
Quand la veut après apaiser,
Fait comme pour apprivoiser
Son chat, s'il le bat et rappelle
Pour le lier à sa cordelle;
Car si le chat peut s'échapper,
Bien fin qui pourra l'attraper.
Tout au contraire, si c'est elle
Qui le bat et qui le querelle,
Qu'il ne témoigne aucune humeur
Et que toujours égal son coeur
Supporte les coups et l'injure.
Lui voulût-elle la figure
De ses ongles vive écorcher,
Il ne doit pas se revancher,
Mais l'en remercier et dire
Qu'il voudrait bien en tel martyre
Vivre toujours, pourvu qu'il sût
Que son amour toujours lui plût,
Et que mourir près de sa belle
Il préfère à vivre sans elle.
Mais s'il advient que, révolté
De sa trop grand' malignité,
Le premier il l'ait maltraitée,
Tant elle a son ire excitée
Par ses menaces, ses excès;
Alors, pour obtenir sa paix,
Que le jeu d'amour il lui fasse,
Avant d'abandonner la place,
Surtout s'il est pauvre d'argent.
Car s'il est pauvre, incontinent
Le pourra délaisser sa mie
Si vers elle il ne s'humilie.
Pauvre doit aimer sagement
Et souffrir moult plus humblement,
Sans semblant de courroux ni d'ire,
Quoi qu'elle puisse faire ou dire,
Que le riche, qui, c'est certain,
De son orgueil et son dédain
Ne donnerait voire un pois chiche;
Car l'insulte est permise au riche.
Mais mettons que, sans la laisser,
Il en veuille une autre amorcer.
S'il veut à l'amante nouvelle
Donner couvrechef ou cotelle,
Chapel, fermail, ceinture, anneau,
Ou quelque précieux joyau,
Que bien le cache à la première;
Car tant serait sa peine amère,
Que rien, les lui voyant porter,
Ne pourrait la réconforter.
Puis que jamais il ne la fasse
Venir en cette même place,
Où la première à lui venait
Qui ses faveurs devant avait;
Car s'elle le venait surprendre,
N'est rien qui le puisse défendre.
Nul vieux sanglier hérissé,
Quand des chiens est bien relancé,
N'est si cruel, nulle lionne
N'est si terrible, si félonne,
Lorsqu'allaitant ses lionceaux,
Elle voit contre eux les assauts
Du chasseur redoubler sans cesse,
Nulle vipère plus traîtresse,
Lorsque sur sa queue en passant,
Par malheur, marche l'imprudent,
Que femme qui son ami treuve
Avec une maîtresse neuve.
Feu et flamme on la voit jeter,
Corps et âme prête à quitter.
Mais s'elle n'a pas pris prouvée
D'eux deux ensemble la couvée,
Et si jalouse, en grand tourment,
Se sait cocue ou le pressent,
Quoiqu'elle sache ou qu'elle pense,
Il devra payer d'impudence
Et nier tout, absolument
Ce qu'elle sait pertinemment;
Serments sur serments qu'il entasse,
Et s'il peut lui faire sur place
Endurer le doux jeu d'amour,
Tout sera conjuré ce jour.
Mais si de trop dure manière
Et de si près elle le serre,
Qu'il lui faille, bon gré, mal gré,
Avouer son crime avéré,
Voyant qu'il ne s'en peut défendre;
Il doit alors lui faire entendre,
S'il se peut, en homme prudent,
Qu'il le fit son corps défendant,
Que tant le malmenait la belle
Et que si fort le tenait-elle,
Que s'échapper oncques ne put
Sans faire ce qu'elle voulut;
Mais qu'il ne fut oncques parjure
Que cette fois. Lors qu'il lui jure
Que jamais plus ne le fera,
Loyalement se conduira,
Et que s'il la trahit encore,
Qu'elle l'aissaille et le dévore.
A l'appel de l'autre il n'ira
Et jamais ne la recevra;
Mieux lui vaudrait être noyée,
La traîtresse, la dévoyée,
Que déréchef en lieu venir
Où le pût en tel point tenir.
Qu'étroitement lors il l'embrasse,
La baise et caresse et l'enlace,
Merci criant de son méfait
Qui jamais plus ne sera fait,
Montrant sincère repentance
Et prêt à faire pénitence
Comme enjoindre la lui voudra,
Lorsque pardonné lui sera,
Stephandra- Dans l'autre monde
- Nombre de messages : 16007
Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Lors face d'Amors la besoigne,
S'il vuet que cele li pardoigne.
Et gart que de li ne se vente,
Qu'ele en porroit estre dolente;
Si se sunt maint vanté de maintes,
Par paroles fauces et faintes,
Dont les cors avoir ne pooient,
Lor non à grant tort diffamoient;
Mès à tiex sunt bien cuers faillans,
Ne sunt ne cortois, ne vaillans.
Vanterie est trop vilain vice,
Qui se vante, il fait trop que nice;
Car jà soit ce que fait l'éussent,
Toutevois celer le déussent.
Amors vuet celer ses joiaus,
Se n'est à compaignons loiaus
Qui les vuelent taire et celer;
Là les puet-l'en bien révéler.
Et s'ele chiet en maladie,
Drois est, s'il puet, qu'il s'estudie
En estre à li moult serviables,
Por estre après plus agréables.
Gart que nus anuis ne lui tiengne
De sa maladie lointiengne;
Lez li le voie demorant,
Et la doit baisier en plorant,
Et se doit voer, s'il est sages,
En mains lontains pelerinages,
Mais que cele les veus entende.
Viande pas ne li deffende;
Chose amere ne li doit tendre,
Ne riens qui ne soit dous et tendre.
Si li doit feindre noviaus songes
Tous farcis de plesans mençonges:
Et quant vient au soir, qu'il se couche
Tretous seus par dedens sa couche,
Avis li est, quant il sommeille,
Car poi i dort et moult y veille,
Qu'il l'ait entre ses bras tenuë
Toute la nuit tretoute nuë,
Par solas et par druerie,
Toute saine et toute garie,
Et par jor en leus délitables
Tex fables li conte, ou semblables.
Or vous ai jusques-ci chanté
Par maladie et par santé
Comment cil doit fame servir,
Qui vuet sa grace deservir
Et lor amor continuer,
Qui de legier se puet muer,
Qui ne vodroit par grant entente
Faire quanque lor atalente;
Car jà fame tant ne saura,
Ne jà si ferme cuer n'aura,
Ne si loial, ne si méur,
Que jà puist estre homme aséur
De li tenir par nule paine,
Ne plus que s'il tenoit en Saine
Une anguille parmi la queuë,
Qu'il n'a pooir qu'el ne s'esqueuë,
Si que tantost est eschapée,
Jà si fort ne l'aura hapée.
N'est donc bien privée tel beste
Qui de foïr es toute preste;
Tant est de diverse muance,
Que nus n'i doit avoir fiance.
Ce ne di-ge pas por les bonnes
Qui sor vertus fondent lor bonnes,
Dont encor n'ai nules trovées,
Tant les aie bien esprovées;
Neiz Salernon n'en pot trover,
Tant les séust bien esprover:
Car il méismes bien afferme
C'onques fames ne trova ferme:
Et se du querre vous penés,
Se la trovés, si la prenés;
S'aurés lors amie à eslite
Qui sera vostre toute quite.
S'el n'a pooir de tant tracier,
Qu'el se puisse aillors porchacier,
Ou s'el ne trueve requerant,
Tel fame à Chastéé se rent.
Mais encor vueil ung brief mot dire,
Ains que ge lesse la matire.
Briément de toutes les puceles,
Quiex qu'el soient, ledes ou beles,
Dont cil vuet les amors garder,
Ce mien commant doit-il garder:
De cestui tous jors li soviengne,
Et por moult précieux le tiengne;
Qu'il doint à toutes à entendre
Qu'il ne se puet vers eus deffendre,
Tant est esbahis et sorpris
De lor biautés et de lor pris.
Car il n'est fame, tant soit bonne,
Vielle ou jone, mondaine ou nonne,
Ne si religieuse dame,
Tant soit chaste de cors et d'ame,
Se l'en va sa biauté loant,
Qui ne se délite en oant:
Combien qu'el soit lede clamée,
Jurt qu'ele est plus bele que fée,
Et le face séurement,
Qu'el l'en croira legierement;
Car chascune cuide de soi
Que tant ait biauté, bien le soi,
Que bien est digne d'estre amée,
Combien que soit lede provée.
Ainsinc à garder lor amies,
Sans reprendre de lor folies,
Doivent tuit estre diligent
Li biaus valez, li preu, li gent.
Fames n'ont cure de chasti,
Ains ont si lor engin basti,
Qu'il lor est vis qu'el n'ont mestier
D'estre aprises de lor mestier;
Ne nus, s'il ne lor vuet desplaire,
Ne deslot riens qu'el vuelent faire.
Si cum li chas set par nature
La science de surgéure,
Ne n'en puet estre destornés,
Qu'il est tous à ce sens tornés,
N'onques n'en fu mis à escole;
Ainsinc fait fame, tant est fole,
Par son naturel jugement,
De quanqu'el fait outréement,
Soit bien, soit mal, soit tort, soit droit,
Ou de tout quanqu'ele vodroit;
Qu'el ne fait chose qu'ele doie,
Si het quicunques l'en chastoie.
N'el ne tient pas ce sens de mestre;
Ains l'a dès lors qu'ele puet nestre,
Si n'en puet estre destornée,
Qu'el est à tel sens tous jors née;
Et qui chastier la vorroit,
Jamès de s'amor ne jorroit.
Ainsi, compains, de vostre Rose
Qui tant est précieuse chose,
Que n'en prendriés nul avoir
Se vous la poïés avoir,
Quant vous en serés en sesine.
Si cum esperance devine,
Et vostre joie aurés pleniere,
Si la gardés en tel maniere
Cum l'en doit garder tel florete,
Lors si jorrés de l'amorete
A qui nule autre ne comper:
Vous ne troveriez son per,
Espoir, en quatorze cités.
L'Amant respond à Amis.
Cestes, fis-ge, c'est vérités,
Non, où monde, g'en suis séurs,
Tant est dous et frans ses éurs.
Ainsinc Amis m'a conforté:
En son conseil grant confort é;
Et m'est avis, au mains de fait,
Qu'il set plus que raison ne fait.
Mès ainçois qu'il éust finée
Sa raison qui forment m'agrée,
Dous-Pensers, Dous-Parlers revindrent
Qui près de moi dès lors se tindrent,
N'onc puis gaires ne me lessierent,
Mès Dous-Regars pas n'amenerent:
Nes blasmai pas quant lessié l'orent,
Car bien sai qu'amener nel' porent.
* * * * *
Et cent preuves d'amour lui donne,
Pour que la belle lui pardonne.
D'amie on ne se doit vanter,
Car elle peut s'en irriter.
Tels maints se sont vantés de maintes,
Par paroles fausses et feintes,
Dont les corps avoir ne pouvaient,
A grand tort leur nom diffamaient.
Mais ces gens ont l'âme avilie,
Sans vaillance ni cortoisie.
Vanterie est un vil défaut,
Qui se vante agit comme un sot;
Car tel droit quand bien même ils eussent,
Raison de plus pour qu'ils se tussent.
Amour veut cacher ses joyaux,
Si ce n'est vers amis loyaux
Qui les sauront celer et taire,
Pour eux il n'a point de mystère.
Puis quand malade il la verra,
S'il le peut, il s'étudiera
A se montrer moult serviable
Pour être après plus agréable.
Qu'il cache le mortel ennui
Qu'un long mal amène avec lui.
Près d'elle, là, qu'elle le voie,
Que toujours la baise et larmoie;
Et s'il est sage, fasse à Dieu
De maint pèlerinage voeu;
Mais que ses voeux bien elle entende.
Que nul mets il ne lui défende,
Ni tende amère potion,
Ni rien qui ne soit doux et bon.
Il lui doit feindre nouveaux songes
Tout farcis de plaisants mensonges,
Tels que, par exemple, le soir,
Lorsqu'il retourne en son dortoir,
Et que seul, hélas! il se couche
Moult tristement dessus sa couche
Où toujours veille et bien peu dort,
Qu'il croit sa belle voir encor
Et l'avoir en ses bras tenue
Toute la nuit tretoute nue,
Ivre d'amour, de volupté,
Guérie et pleine de santé,
Et le jour en lieux délectables,
Tels songes lui conte et semblables.
Or vous ai jusqu'ici chanté,
Par maladie et par santé,
Comme amant doit servir sa dame
Qui veut voir couronner sa flamme
Et son amour perpétuer;
Car aisément le peut tuer
Celui qui ne s'applique à faire
Tout ce qui peut à femme plaire.
Car femme oncques tant ne saura
Ni coeur si fidèle n'aura,
Ni si loyale conscience,
Qu'un homme ait jamais l'assurance,
Par nul effort, de la tenir,
Non plus que s'il voulait saisir
Par la queue anguille de Seine,
Qui prestement, sans nulle peine,
Saurait entre ses doigts glisser,
Si serré qu'il la pût pincer.
Si peu privée est telle bête
Que de s'enfuir est toujours prête,
Et son esprit est si léger
Que nul ne s'y devrait fier.
Je ne dis pas cela pour celles
Qui sont à la vertu fidèles,
Et dont nulle encor ne trouvai;
En vain mille j'en éprouvai.
Salomon en est une preuve;
Souvent il les mit à l'épreuve,
Et jamais, du moins l'affirma,
Femme fidèle ne trouva.
Or, si jamais en trouvez une,
Prenez-la, louez la Fortune;
Car alors une amante aurez
Que toute à vous posséderez.
Quand bien enclose et bien tenue
Elle ne peut courir la rue
Et ne trouve nul requérant,
Lors femme à Chasteté se rend.
Un mot encor je veux vous dire
Pour achever de vous instruire:
Toutes les fois que d'un tendron,
Quel qu'il soit, belle ou laideron,
Un amant veut le coeur séduire,
Qu'il se souvienne et qu'il s'inspire
Toujours de ce commandement
Et le garde pieusement:
Qu'il fasse à tretoutes entendre
Qu'il ne se peut d'elles défendre,
Tant il est confus et surpris
De tant de charmes et de prix.
Car il n'est femme, tant soit bonne,
Vieille ou jeune, mondaine ou nonne,
Si l'on va sa beauté louant,
Qui ne soit aise en écoutant,
Tant soit religieuse dame,
Tant soit chaste de corps et d'âme.
Flattez-la donc effrontément,
Elle croira facilement,
Tant soit-elle laide prouvée,
Qu'elle est plus belle qu'une fée;
Car chacune en soi-même croit,
Combien qu'affreuse et laide soit,
Qu'elle est de mille attraits formée
Et digne en tous points d'être aimée.
Ainsi varlets beaux, preux et gents
Doivent tous être diligents
A garder leurs bonnes amies,
Sans jamais blâmer leurs folies.
Femme reproches point n'admet;
Car elle a l'esprit ainsi fait,
Que nul ne doit, s'il veut lui plaire,
Critiquer ce qu'elle veut faire;
Car pour apprendre son métier
Nul besoin n'a d'étudier.
Comme le chat sait par nature
La science d'égratignure
Et n'en peut être détourné,
Toujours tout à ce sens tourné
Sans avoir onc couru l'école;
Ainsi femme fait, tant est folle,
Par son naturel jugement
Et toujours sans discernement,
Le bien, le mal, le faux, l'honnête,
Comme ils lui passent par la tête,
Rien ne fait de ce qu'elle doit,
Et les conseils fort mal reçoit.
Elle ne tient ce sens d'un maître,
Mais l'a dès lors qu'elle peut naître;
Il ne peut être détourné,
Puisqu'il est avec elle né;
Aussi l'amant qui voudrait femme
Corriger, par conseil ou blâme,
De son amour ne jouirait.
Ainsi, compagnon, il en est
De votre merveilleuse rose,
Qui tant est précieuse chose,
Que n'en prendriez nul avoir
Si la pouviez un jour avoir.
Lorsque vous l'aurez tout entière,
Compagnon, comme je l'espère,
Et que votre heur sera parfait,
Gardez-la bien et comme fait
Qui veut garder telle fleurette:
Lors jouirez de l'amourette
A qui rien n'ose comparer,
Car vous ne sauriez rencontrer
En quinze cités sa pareille.
L'Amant répond à Ami:
Oui, c'est vrai, fis-je, il n'est merveille
Au monde égale, j'en suis sûr,
A cet être si doux, si pur!
Ainsi, par cet ami si sage,
J'ai vu relever mon courage,
Et m'est avis au moins qu'il sait
Mieux parler que Raison ne fait.
Mais avant que fut terminée
Sa raison, qui si fort m'agrée,
Doux-Parler et puis Doux-Penser,
Sans jamais depuis me laisser,
Aussitôt près de moi revinrent
Et depuis lors toujours se tinrent;
Mais point ils n'amenèrent, las!
Doux-Regard, et je ne peux pas
S'il vuet que cele li pardoigne.
Et gart que de li ne se vente,
Qu'ele en porroit estre dolente;
Si se sunt maint vanté de maintes,
Par paroles fauces et faintes,
Dont les cors avoir ne pooient,
Lor non à grant tort diffamoient;
Mès à tiex sunt bien cuers faillans,
Ne sunt ne cortois, ne vaillans.
Vanterie est trop vilain vice,
Qui se vante, il fait trop que nice;
Car jà soit ce que fait l'éussent,
Toutevois celer le déussent.
Amors vuet celer ses joiaus,
Se n'est à compaignons loiaus
Qui les vuelent taire et celer;
Là les puet-l'en bien révéler.
Et s'ele chiet en maladie,
Drois est, s'il puet, qu'il s'estudie
En estre à li moult serviables,
Por estre après plus agréables.
Gart que nus anuis ne lui tiengne
De sa maladie lointiengne;
Lez li le voie demorant,
Et la doit baisier en plorant,
Et se doit voer, s'il est sages,
En mains lontains pelerinages,
Mais que cele les veus entende.
Viande pas ne li deffende;
Chose amere ne li doit tendre,
Ne riens qui ne soit dous et tendre.
Si li doit feindre noviaus songes
Tous farcis de plesans mençonges:
Et quant vient au soir, qu'il se couche
Tretous seus par dedens sa couche,
Avis li est, quant il sommeille,
Car poi i dort et moult y veille,
Qu'il l'ait entre ses bras tenuë
Toute la nuit tretoute nuë,
Par solas et par druerie,
Toute saine et toute garie,
Et par jor en leus délitables
Tex fables li conte, ou semblables.
Or vous ai jusques-ci chanté
Par maladie et par santé
Comment cil doit fame servir,
Qui vuet sa grace deservir
Et lor amor continuer,
Qui de legier se puet muer,
Qui ne vodroit par grant entente
Faire quanque lor atalente;
Car jà fame tant ne saura,
Ne jà si ferme cuer n'aura,
Ne si loial, ne si méur,
Que jà puist estre homme aséur
De li tenir par nule paine,
Ne plus que s'il tenoit en Saine
Une anguille parmi la queuë,
Qu'il n'a pooir qu'el ne s'esqueuë,
Si que tantost est eschapée,
Jà si fort ne l'aura hapée.
N'est donc bien privée tel beste
Qui de foïr es toute preste;
Tant est de diverse muance,
Que nus n'i doit avoir fiance.
Ce ne di-ge pas por les bonnes
Qui sor vertus fondent lor bonnes,
Dont encor n'ai nules trovées,
Tant les aie bien esprovées;
Neiz Salernon n'en pot trover,
Tant les séust bien esprover:
Car il méismes bien afferme
C'onques fames ne trova ferme:
Et se du querre vous penés,
Se la trovés, si la prenés;
S'aurés lors amie à eslite
Qui sera vostre toute quite.
S'el n'a pooir de tant tracier,
Qu'el se puisse aillors porchacier,
Ou s'el ne trueve requerant,
Tel fame à Chastéé se rent.
Mais encor vueil ung brief mot dire,
Ains que ge lesse la matire.
Briément de toutes les puceles,
Quiex qu'el soient, ledes ou beles,
Dont cil vuet les amors garder,
Ce mien commant doit-il garder:
De cestui tous jors li soviengne,
Et por moult précieux le tiengne;
Qu'il doint à toutes à entendre
Qu'il ne se puet vers eus deffendre,
Tant est esbahis et sorpris
De lor biautés et de lor pris.
Car il n'est fame, tant soit bonne,
Vielle ou jone, mondaine ou nonne,
Ne si religieuse dame,
Tant soit chaste de cors et d'ame,
Se l'en va sa biauté loant,
Qui ne se délite en oant:
Combien qu'el soit lede clamée,
Jurt qu'ele est plus bele que fée,
Et le face séurement,
Qu'el l'en croira legierement;
Car chascune cuide de soi
Que tant ait biauté, bien le soi,
Que bien est digne d'estre amée,
Combien que soit lede provée.
Ainsinc à garder lor amies,
Sans reprendre de lor folies,
Doivent tuit estre diligent
Li biaus valez, li preu, li gent.
Fames n'ont cure de chasti,
Ains ont si lor engin basti,
Qu'il lor est vis qu'el n'ont mestier
D'estre aprises de lor mestier;
Ne nus, s'il ne lor vuet desplaire,
Ne deslot riens qu'el vuelent faire.
Si cum li chas set par nature
La science de surgéure,
Ne n'en puet estre destornés,
Qu'il est tous à ce sens tornés,
N'onques n'en fu mis à escole;
Ainsinc fait fame, tant est fole,
Par son naturel jugement,
De quanqu'el fait outréement,
Soit bien, soit mal, soit tort, soit droit,
Ou de tout quanqu'ele vodroit;
Qu'el ne fait chose qu'ele doie,
Si het quicunques l'en chastoie.
N'el ne tient pas ce sens de mestre;
Ains l'a dès lors qu'ele puet nestre,
Si n'en puet estre destornée,
Qu'el est à tel sens tous jors née;
Et qui chastier la vorroit,
Jamès de s'amor ne jorroit.
Ainsi, compains, de vostre Rose
Qui tant est précieuse chose,
Que n'en prendriés nul avoir
Se vous la poïés avoir,
Quant vous en serés en sesine.
Si cum esperance devine,
Et vostre joie aurés pleniere,
Si la gardés en tel maniere
Cum l'en doit garder tel florete,
Lors si jorrés de l'amorete
A qui nule autre ne comper:
Vous ne troveriez son per,
Espoir, en quatorze cités.
L'Amant respond à Amis.
Cestes, fis-ge, c'est vérités,
Non, où monde, g'en suis séurs,
Tant est dous et frans ses éurs.
Ainsinc Amis m'a conforté:
En son conseil grant confort é;
Et m'est avis, au mains de fait,
Qu'il set plus que raison ne fait.
Mès ainçois qu'il éust finée
Sa raison qui forment m'agrée,
Dous-Pensers, Dous-Parlers revindrent
Qui près de moi dès lors se tindrent,
N'onc puis gaires ne me lessierent,
Mès Dous-Regars pas n'amenerent:
Nes blasmai pas quant lessié l'orent,
Car bien sai qu'amener nel' porent.
* * * * *
Et cent preuves d'amour lui donne,
Pour que la belle lui pardonne.
D'amie on ne se doit vanter,
Car elle peut s'en irriter.
Tels maints se sont vantés de maintes,
Par paroles fausses et feintes,
Dont les corps avoir ne pouvaient,
A grand tort leur nom diffamaient.
Mais ces gens ont l'âme avilie,
Sans vaillance ni cortoisie.
Vanterie est un vil défaut,
Qui se vante agit comme un sot;
Car tel droit quand bien même ils eussent,
Raison de plus pour qu'ils se tussent.
Amour veut cacher ses joyaux,
Si ce n'est vers amis loyaux
Qui les sauront celer et taire,
Pour eux il n'a point de mystère.
Puis quand malade il la verra,
S'il le peut, il s'étudiera
A se montrer moult serviable
Pour être après plus agréable.
Qu'il cache le mortel ennui
Qu'un long mal amène avec lui.
Près d'elle, là, qu'elle le voie,
Que toujours la baise et larmoie;
Et s'il est sage, fasse à Dieu
De maint pèlerinage voeu;
Mais que ses voeux bien elle entende.
Que nul mets il ne lui défende,
Ni tende amère potion,
Ni rien qui ne soit doux et bon.
Il lui doit feindre nouveaux songes
Tout farcis de plaisants mensonges,
Tels que, par exemple, le soir,
Lorsqu'il retourne en son dortoir,
Et que seul, hélas! il se couche
Moult tristement dessus sa couche
Où toujours veille et bien peu dort,
Qu'il croit sa belle voir encor
Et l'avoir en ses bras tenue
Toute la nuit tretoute nue,
Ivre d'amour, de volupté,
Guérie et pleine de santé,
Et le jour en lieux délectables,
Tels songes lui conte et semblables.
Or vous ai jusqu'ici chanté,
Par maladie et par santé,
Comme amant doit servir sa dame
Qui veut voir couronner sa flamme
Et son amour perpétuer;
Car aisément le peut tuer
Celui qui ne s'applique à faire
Tout ce qui peut à femme plaire.
Car femme oncques tant ne saura
Ni coeur si fidèle n'aura,
Ni si loyale conscience,
Qu'un homme ait jamais l'assurance,
Par nul effort, de la tenir,
Non plus que s'il voulait saisir
Par la queue anguille de Seine,
Qui prestement, sans nulle peine,
Saurait entre ses doigts glisser,
Si serré qu'il la pût pincer.
Si peu privée est telle bête
Que de s'enfuir est toujours prête,
Et son esprit est si léger
Que nul ne s'y devrait fier.
Je ne dis pas cela pour celles
Qui sont à la vertu fidèles,
Et dont nulle encor ne trouvai;
En vain mille j'en éprouvai.
Salomon en est une preuve;
Souvent il les mit à l'épreuve,
Et jamais, du moins l'affirma,
Femme fidèle ne trouva.
Or, si jamais en trouvez une,
Prenez-la, louez la Fortune;
Car alors une amante aurez
Que toute à vous posséderez.
Quand bien enclose et bien tenue
Elle ne peut courir la rue
Et ne trouve nul requérant,
Lors femme à Chasteté se rend.
Un mot encor je veux vous dire
Pour achever de vous instruire:
Toutes les fois que d'un tendron,
Quel qu'il soit, belle ou laideron,
Un amant veut le coeur séduire,
Qu'il se souvienne et qu'il s'inspire
Toujours de ce commandement
Et le garde pieusement:
Qu'il fasse à tretoutes entendre
Qu'il ne se peut d'elles défendre,
Tant il est confus et surpris
De tant de charmes et de prix.
Car il n'est femme, tant soit bonne,
Vieille ou jeune, mondaine ou nonne,
Si l'on va sa beauté louant,
Qui ne soit aise en écoutant,
Tant soit religieuse dame,
Tant soit chaste de corps et d'âme.
Flattez-la donc effrontément,
Elle croira facilement,
Tant soit-elle laide prouvée,
Qu'elle est plus belle qu'une fée;
Car chacune en soi-même croit,
Combien qu'affreuse et laide soit,
Qu'elle est de mille attraits formée
Et digne en tous points d'être aimée.
Ainsi varlets beaux, preux et gents
Doivent tous être diligents
A garder leurs bonnes amies,
Sans jamais blâmer leurs folies.
Femme reproches point n'admet;
Car elle a l'esprit ainsi fait,
Que nul ne doit, s'il veut lui plaire,
Critiquer ce qu'elle veut faire;
Car pour apprendre son métier
Nul besoin n'a d'étudier.
Comme le chat sait par nature
La science d'égratignure
Et n'en peut être détourné,
Toujours tout à ce sens tourné
Sans avoir onc couru l'école;
Ainsi femme fait, tant est folle,
Par son naturel jugement
Et toujours sans discernement,
Le bien, le mal, le faux, l'honnête,
Comme ils lui passent par la tête,
Rien ne fait de ce qu'elle doit,
Et les conseils fort mal reçoit.
Elle ne tient ce sens d'un maître,
Mais l'a dès lors qu'elle peut naître;
Il ne peut être détourné,
Puisqu'il est avec elle né;
Aussi l'amant qui voudrait femme
Corriger, par conseil ou blâme,
De son amour ne jouirait.
Ainsi, compagnon, il en est
De votre merveilleuse rose,
Qui tant est précieuse chose,
Que n'en prendriez nul avoir
Si la pouviez un jour avoir.
Lorsque vous l'aurez tout entière,
Compagnon, comme je l'espère,
Et que votre heur sera parfait,
Gardez-la bien et comme fait
Qui veut garder telle fleurette:
Lors jouirez de l'amourette
A qui rien n'ose comparer,
Car vous ne sauriez rencontrer
En quinze cités sa pareille.
L'Amant répond à Ami:
Oui, c'est vrai, fis-je, il n'est merveille
Au monde égale, j'en suis sûr,
A cet être si doux, si pur!
Ainsi, par cet ami si sage,
J'ai vu relever mon courage,
Et m'est avis au moins qu'il sait
Mieux parler que Raison ne fait.
Mais avant que fut terminée
Sa raison, qui si fort m'agrée,
Doux-Parler et puis Doux-Penser,
Sans jamais depuis me laisser,
Aussitôt près de moi revinrent
Et depuis lors toujours se tinrent;
Mais point ils n'amenèrent, las!
Doux-Regard, et je ne peux pas
Stephandra- Dans l'autre monde
- Nombre de messages : 16007
Localisation : A ses côtés
Date d'inscription : 13/04/2010
Re: Le Roman de la rose ou l'Art d'aimer
Comment l'Amant, sans nul termine,
Prent congié d'Amis, et chemine
Pour savoir s'il pourrait choisir
Chemin pour Bel-Acueil veir.
Congié pren et m'en vois atant;
Ainsinc cum tous seus esbatant
M'en alai contreval la prée
D'erbe et de flors enluminée,
Escoutant ces dous oiselés
Qui chantoient sons novelés.
Tous les biens au cuers me faisoient
Lor douz chans qui tant me plesoient;
Mès d'une chose Amis me grieve,
Qu'il m'a commandé que j'eschieve
Le chastel, et que jà n'i tour,
Ne ne m'aille joer entour:
Ne sai se tenir m'en porrai,
Car tous jors aler i vorrai.
Lors après cele départie,
Eschivant la destre partie,
Vers la senestre m'achemin
Por querre le plus brief chemin.
Volentiers ce chemin querroie,
S'il iert trové, je m'i ferroie
De plain eslés sans contredit,
Se plus fort nel' me contredit,
Por Bel-Acueil de prison traire,
Le franc, le dous, le debonnaire.
Dès que ge verrai le chastel
Plus fiéble qu'ung rosti gastel,
Et les portes seront ouvertes,
Ne nus nes me deffendra certes;
J'aurai bien le déable où ventre,
Se nel' pren et se ge n'i entre.
Lors sera Bel-Acueil délivres;
N'en prendroie cent mile livres;
Ce vous puis por voir affichier,
S'en cel chemin me puis fichier:
Toutevois du chastel m'esloing,
Mais ce ne fus pas de trop loing.
* * * * *
Les blâmer, car si laissé l'eurent,
C'est qu'amener ils ne le purent.
* * * * *
Comment l'Amant sans plus tarder,
Prend congé d'Ami pour sonder
Les abords et choisir la voie
Par où Bel-Accueil il revoie.
D'Ami je pris incontinent
Congé, puis tout seul m'ébattant
M'en allai descendant la prée
D'herbe et de fleurs enluminée,
Écoutant des doux oiselets
Les chants joyeux et novelets.
Combien j'étais heureux d'entendre
Leur babil si doux et si tendre!
Mais une chose m'assombrit:
C'est que de fuir Ami m'a dit
Le castel et la tour maudite
Et que m'ébattre autour j'évite.
Ne sais si tenir m'en pourrai,
Car toujours aller y voudrai.
Lors marchant à ma fantaisie,
Je quittai la droite partie
Et vers la gauche fus soudain,
Pour chercher le plus bref chemin.
De grand coeur je cherche la route
Et m'y enfoncerai sans doute,
De plein élan sans contredit,
Si plus fort ne me contredit,
Pour Bel-Accueil de prison traire,
Le franc, le doux, le débonnaire.
Dès que je verrai le château
Plus faible qu'un rôti gâteau
Et les portes grandes ouvertes,
Nul ne me les défendra, certes,
Et le diable au ventre j'aurai
S'il ne se rend quand je voudrai.
Je vous en donne l'assurance,
Si dans le bon chemin j'avance,
Bel-Accueil sera délivré,
Cent mille livres n'en prendrai!
Du castel pourtant, par prudence,
Je me tiens à quelque distance.
Prent congié d'Amis, et chemine
Pour savoir s'il pourrait choisir
Chemin pour Bel-Acueil veir.
Congié pren et m'en vois atant;
Ainsinc cum tous seus esbatant
M'en alai contreval la prée
D'erbe et de flors enluminée,
Escoutant ces dous oiselés
Qui chantoient sons novelés.
Tous les biens au cuers me faisoient
Lor douz chans qui tant me plesoient;
Mès d'une chose Amis me grieve,
Qu'il m'a commandé que j'eschieve
Le chastel, et que jà n'i tour,
Ne ne m'aille joer entour:
Ne sai se tenir m'en porrai,
Car tous jors aler i vorrai.
Lors après cele départie,
Eschivant la destre partie,
Vers la senestre m'achemin
Por querre le plus brief chemin.
Volentiers ce chemin querroie,
S'il iert trové, je m'i ferroie
De plain eslés sans contredit,
Se plus fort nel' me contredit,
Por Bel-Acueil de prison traire,
Le franc, le dous, le debonnaire.
Dès que ge verrai le chastel
Plus fiéble qu'ung rosti gastel,
Et les portes seront ouvertes,
Ne nus nes me deffendra certes;
J'aurai bien le déable où ventre,
Se nel' pren et se ge n'i entre.
Lors sera Bel-Acueil délivres;
N'en prendroie cent mile livres;
Ce vous puis por voir affichier,
S'en cel chemin me puis fichier:
Toutevois du chastel m'esloing,
Mais ce ne fus pas de trop loing.
* * * * *
Les blâmer, car si laissé l'eurent,
C'est qu'amener ils ne le purent.
* * * * *
Comment l'Amant sans plus tarder,
Prend congé d'Ami pour sonder
Les abords et choisir la voie
Par où Bel-Accueil il revoie.
D'Ami je pris incontinent
Congé, puis tout seul m'ébattant
M'en allai descendant la prée
D'herbe et de fleurs enluminée,
Écoutant des doux oiselets
Les chants joyeux et novelets.
Combien j'étais heureux d'entendre
Leur babil si doux et si tendre!
Mais une chose m'assombrit:
C'est que de fuir Ami m'a dit
Le castel et la tour maudite
Et que m'ébattre autour j'évite.
Ne sais si tenir m'en pourrai,
Car toujours aller y voudrai.
Lors marchant à ma fantaisie,
Je quittai la droite partie
Et vers la gauche fus soudain,
Pour chercher le plus bref chemin.
De grand coeur je cherche la route
Et m'y enfoncerai sans doute,
De plein élan sans contredit,
Si plus fort ne me contredit,
Pour Bel-Accueil de prison traire,
Le franc, le doux, le débonnaire.
Dès que je verrai le château
Plus faible qu'un rôti gâteau
Et les portes grandes ouvertes,
Nul ne me les défendra, certes,
Et le diable au ventre j'aurai
S'il ne se rend quand je voudrai.
Je vous en donne l'assurance,
Si dans le bon chemin j'avance,
Bel-Accueil sera délivré,
Cent mille livres n'en prendrai!
Du castel pourtant, par prudence,
Je me tiens à quelque distance.
Stephandra- Dans l'autre monde
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Date d'inscription : 13/04/2010
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